Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Gagner de nouveaux droits en s’opposant à la flexibilité. Qu’en est-il dans la Fonction publique ?

Dans le débat sur la sécurité d’emploi et de formation il s’agit de savoir si le statut actuel des fonctionnaires mérite attention et apporte des éclairages et éventuellement des solutions.

sans l’ouvrage Trente ans de vie économique et sociale publié début 2014, l’INSEE notait que depuis les années 1990 « l’impact de la croissance économique sur l’emploi n’expliquait pas tout et qu’en effet il fallait prendre en compte la flexibilisation du marché du travail ». En clair, la flexibilisation du marché du travail, présentée depuis des décennies par le patronat et les libéraux comme le moyen de favoriser l’emploi contribue au contraire à nourrir le chômage.

Pourtant, la dérégulation du marché du travail et le développement de ses formes atypiques (CDD, temps partiel, horaires décalés, travail à domicile, absence de déconnexion de l’activité, annualisation et remise en cause des 35 heures, mais aussi modification du contrat par accord d’entreprise dérogatoire souvent avec chantage à l’emploi…) se multiplient.

Il faut y ajouter l’antienne patronale du « coût du travail » produisant depuis trente ans une baisse du pouvoir d’achat des salaires, qualifiée par l’euphémisme de « modération salariale », et conduisant à la remise en cause des cotisations sociales et des prélèvements fiscaux.

Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) confirme ces analyses en relevant dans un rapport rendu public le 9 novembre 2015, parmi cinq tendances dans 10 pays européens :

– une tendance à l’assouplissement du marché du travail ;

– une décentralisation de la négociation collective ;

– une recherche de la modération salariale et de baisse du coût du travail…

Deux chiffres éloquents :

France : 5 422 700 demandeurs d’emplois dont 791 000 de moins de 25 ans.

UE (28 pays) : 22,631 millions de chômeurs.

Par ailleurs le taux de précarité dans l’emploi s’élève avec des propositions d’emplois temporaires de plus en plus courtes et à temps partiel de plus en plus nombreuses. Le strict regard statistique (tableau ci-dessous, source Observatoire des inégalités) ne saurait en outre gommer l’insécurité d’appréhension et de vécu des salariés en CDI ou à statut, que ce soit dans le privé ou dans le public.

Cette situation dégradée aura produit le contexte d’aujourd’hui, avec en débat, pour de nouvelles lois dès 2016, l’allégement du Code du travail, la remise en cause en profondeur de la hiérarchie des normes et l’individualisation des travailleurs via des comptes personnels dématérialisés éloignant insidieusement les hommes et les femmes au travail de toute notion de droits collectifs.

Gagner de nouveaux droits pour une sécurité d’emploi et de formation tout au long de la vie

Dans le même temps, des chercheurs, le mouvement social et syndical élaboraient des réflexions pour sécuriser l’emploi, donner des garanties aux travailleurs face au chômage massif.

La révolution informationnelle qui s’opère avec les nouvelles formes d’utilisation du numérique s’ajoute au débat.

Paul Boccara proposait en 2002 dans son ouvrage Une sécurité d’emploi ou de formation que « […] face aux enjeux de l’insécurité sociale, du chômage massif durable et de la précarité, […] le projet de Sécurité d’emploi ou de formation (SEF) puisse, comme jadis la Sécurité sociale, et de façon plus ample et plus audacieuse, assurer à chacun et chacune un emploi ou une formation avec un bon revenu et des passages de l’un à l’autre maîtrisés par les intéressés, et visant à supprimer et dépasser le chômage dans une mobilité de promotion ».

La CGT élaborera aussi, lors des quinze dernières années, une réflexion poussée sur un nouveau statut du travail salarié et une sécurité sociale professionnelle.

Le rapport Selma Mahfouz de France Stratégie sur le CPA (Compte personnel d’activité) d’octobre 2015 reprend habilement cette notion promue notamment par la CGT « de droits attachés à la personne et définis dans un cadre collectif ».

Le statut actuel des fonctionnaires apporte‑t‑il des éclairages et éventuellement des solutions pour une SEF de tous les salariés ?

Tout d’abord rappelons que la Fonction publique recouvre 5,2 millions d’agents, 20 % de l’emploi salarié en France ; une part, donc, non négligeable, et que environ 900 000 de ces 5,2 millions d’agents, ne sont pas des fonctionnaires.

Ces chiffres ne prennent pas en compte les 300 000 militaires.

Rappelons aussi que les grands services publics comme la SNCF, l’EDF, même avant les évolutions récentes de leur statut d’entreprise n’employaient pas des fonctionnaires. De même que les personnels de la sécurité sociale ne sont pas des fonctionnaires.

Le statut des fonctionnaires est souvent méconnu à l’intérieur comme à l’extérieur de la Fonction publique. Cette méconnaissance générale est une des sources essentielles des connotations négatives dont il est l’objet.

Certains s’essaient à expliquer rapidement les fonctions publiques en France et dans d’autres pays par la distinction fonction publique d’emploi ou fonction publique de carrière. Or aucune fonction publique n’est parfaitement pure.

Dans la fonction publique dite de carrière, le fonctionnaire est titulaire de son grade et non de son emploi. Il y a séparation du grade et de l’emploi. C’est une garantie d’évolution de carrière indépendamment, en théorie, des emplois disponibles. Mais de là à dire qu’en cas de suppression d’emploi, le fonctionnaire est payé sans souci de lui retrouver un emploi est une absurdité.

Pourtant, certains courants de pensée voulant sécuriser le statut et la rémunération de tous les travailleurs partent de ce postulat pour proposer le principe du salaire ou du revenu à vie attaché à la personne et à la qualification, sans obligation de support d’emploi. En vérité, ils déforment la réalité du statut des fonctionnaires. Et plus encore, en travaillant cette déconnexion emploi-salaire ou -revenu, ils ouvrent la voie à des montages dans lesquels nous retrouverons les problématiques de la fiscalisation des cotisations sociales, notamment patronales, et in fine l’allégement ou les exonérations de celles-ci pour les entreprises.

Dans une phase montante et d’expansion des effectifs, le statut préoccupe moins les personnels, car l’emploi augmente et les suppressions ne sont pas à l’ordre du jour. Mais dans une phase négative, comme c’est le cas aujourd’hui dans les trois fonctions publiques (état, Territoriale et Hospitalière), les personnels s’inquiètent à juste titre des suppressions d’emplois et de l’insécurité qui pèse sur leur lieu de travail, leur qualification, leur carrière et leur rémunération immédiate.

Cette description très sommaire de la Fonction publique montre :

– Le lien indissociable entre l’aspect juridique du statut et le contexte réel.

– La nécessité de plus de dépense publique et de son financement à partir des propositions du PCF, notamment un « fonds de développement solidaire financé par l’intermédiaire de la BCE ».

Le principe du paiement du salarié selon son talent (au sens originel du mot) et utilisé dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Aujourd’hui à la place de « vertu et talent », nous pourrions inscrire qualification, compétence, expérience et intégrité.

Et nous devons pousser encore plus loin la réflexion pour assurer à tous les salariés non seulement le maintien dans l’emploi, mais sur des emplois qui permettent la valorisation des qualifications acquises et qui évitent les déclassements et les situations dites de « surqualification » et de « surdiplomite ».

Car notre principe de SEF ne peut pas s’accommoder du déclassement. Ceci est vrai pour le salarié avec sa valorisation, sa reconnaissance au travail et le rôle social de son travail. Mais ceci est tout autant vrai, vis-à-vis de la réponse aux besoins des services publics, de la qualité des missions assurées, ou vis-à-vis de l’efficacité sociale et de la qualité des prestations ou productions de l’entreprise privée.

Le CPA renvoie au droit individuel, à la continuité. Mais dans le droit individuel, le droit d’expression, donc de pleine citoyenneté, est plus complexe et malheureusement trop souvent abordé seulement en défense lors d’atteintes aux libertés ou de pratiques discriminatoires envers le ou la salarié-e.

Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition du fonctionnaire : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille, il se tait. » C’était la conception du fonctionnaire sujet.

En 1983, les promoteurs du statut actuel tentaient d’imposer la conception du fonctionnaire citoyen en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et la responsabilité qui lui incombait et à ce titre la plénitude des droits de citoyen.

Ces deux conceptions font bien sûr toujours débat dans la Fonction publique malgré l’acquis des évolutions législatives. Et si en 1968 nous avons conquis le droit d’existence du syndicat en entreprise, le contexte politique et la politique patronale continuent de laisser à la porte la citoyenneté des salariés du privé qui, toutes proportions gardées dans la comparaison, sont assignés à rester des sujets. Cette conception est intégrée à tel point que des camarades n’envisagent leur adhésion syndicale qu’après un CDI, voire en même temps avec le statut de salarié protégé par un mandat.

Aussi, ne faudrait-il pas en lien avec la possibilité de nouvelles conquêtes collectives démocratiques permettant d’intervenir sur les choix stratégiques de l’entreprise, proposer des évolutions législatives pour la libération pleine et entière du droit d’expression des travailleurs dans cette même entreprise ? Or le CPA n’ouvre aucune perspective dans ce sens alors même qu’avec la montée générale des qualifications le besoin d’expression sur les procès de travail et les stratégies d’entreprise devient une demande forte.

Dans la Fonction publique, à l’instar de mesures assez proches dans le privé, un décret permet déjà de transformer ses jours de « compte épargne temps » en paiement immédiat dévalorisé ou de l’inscrire en points retraite sur le régime de pension complémentaire par capitalisation.

Ce système est précurseur du CPA de la commission Selma Mahfouz. Il s’agit bien de fongibilité entre différents droits. La démarche s’éloigne nettement de la notion de droits divers et cumulables, que l’on peut envisager, attachés à la personne.

Et en lien direct entre l’aspect juridique du statut et la vie réelle.

Il faut savoir que les gouvernements successifs n’en finissent pas de vouloir copier le privé en matière de GRH. En nommant récemment Thierry le Goff à la tête de la DGAFP (Direction générale de l’administration de la Fonction publique), M. Valls et M. Lebranchu ont rappelé que la DGAFP, créée il y a 70 ans, devrait devenir une DRH groupe des 3 versants de la fonction publique. Ils entendent, au travers de cette démarche, pouvoir dégraisser en douceur, réduire la masse salariale dans les 3 versants, faciliter la mobilité horizontale, en intégrant les personnels pour des mutations qui seront expliquées comme inéluctables. Ce qui montre que toute garantie des travailleurs, ici le statut des fonctionnaires, est confrontée, à un moment ou à un autre, aux choix stratégiques de l’entreprise, à la décision et à la démocratie associant les salariés concernés et les populations. Or, les quelques organismes consultatifs de la Fonction publique ne sont pas à la hauteur de nos ambitions de démocratie. Ici, nous dirons, privé ou public, l’enjeu primordial reste la démocratie et les choix opérés dans les réponses aux besoins.

Ainsi, le gouvernement veut à tout prix faire monter en charge la mobilité des agents entre les 3 versants voire, à terme, entre le public et le privé.

Le compte personnel d’activité (CPA), dans sa présentation actuelle, pourrait certes devenir un facilitateur de mobilité. Mais le tout, et c’est le cœur du problème, reste de savoir s’il s’agit de mobilité dans l’intérêt de la carrière professionnelle des personnels, ou bien de flexibilité pour faciliter la « gestion des ressources humaines », expression qui porte dans son nom même la négation des individus ramenés à de simples « ressources ».

Dans le privé comme dans le public, il nous faut des droits nouveaux en matière de gestion prévisionnelle qui permettent d’anticiper et de faire des choix, tout en permettant de s’opposer à la flexibilité et aux tentatives d’intégration individuelle des salariés.

Le numérique, la révolution informationnelle bouleversent les modes de management, d’organisation du procès de travail avec éclatement des lieux et du temps de travail et transferts des lieux de décision et de responsabilité… Le glissement déjà amorcé de l’obligation de moyens vers l’obligation de résultats ou du passage de l’ordre de travail à la directive de projet revient en force dans les débats sur la relation juridique de travail…

Les agents du public et du privé aspirent à plus de sécurité dans la vie, pour leur carrière, leur formation initiale et continue, pour leur retraite et pour leur famille.

Les modifications du Code du travail annoncées pour 2016/2017 ne peuvent être lues qu’à la seule aune de l’amélioration ou de la dégradation de l’existant. En effet, le gouvernement sous la férule du Medef prépare de nouveaux fondements juridiques du droit du travail qui risquent de compter pour des années et s’imprégneront dans les modes de pensée et de conceptualisation.

C’est pourquoi il est urgent d’intervenir dans ces débats et d’envisager des luttes transformatrices à l’écoute des travailleurs.

Et il est évident que toutes les mesures prises pour modifier le Code du travail auront, si ces changements étaient adoptés, des répercussions concrètes sur le statut des fonctionnaires.

 

 

 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.