Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’entreprise au cœur de tous les enjeux de sécurité et de rassemblement des salariés et des populations sur les territoires

Les entreprises imposent une logique de guerre économique à leurs salariés. Pourtant, elles sont aussi au cœur des enjeux de sécurisation des salariés et des populations. Alors que le rapprochement des salariés devient nécessité pour sécuriser tous les moments de la vie, les employeurs ne ménagent pas leurs efforts de division des salariés, du pacte de responsabilité au pacte de sécurité, en répétant qu'il n'y a aucune alternative possible à gauche.

Contre les dogmes libéraux, il faut au contraire changer de logique. Rassembler à partir de l'entreprise pour une nouvelle cohérence rassembleuse afin d'imposer l'efficacité sociale contre la rentabilité financière, en faisant monter l'exigence de démocratie sociale pour sécuriser et développer l'emploi et la formation.

Les entreprises en guerre économique

Les grands groupes mondialisés, dont dépend plus d’un tiers de l’emploi national, imposent une logique de « guerre économique » à leurs salariés, à leurs fournisseurs et leurs sous-traitants. Ils utilisent les économies de travail de la révolution numérique, non pour protéger et développer toutes les capacités humaines en créant de nouveaux emplois, en réduisant le temps de travail et en augmentant massivement la formation, mais pour accroître les dividendes (suppressions d’emplois, baisses du « coût du travail », flexibilisation précaire, rationnement des formations qualifiantes, réduction des droits des salariés…). Cela engendre une insuffisance grandissante des débouchés, alors même que sont développés des potentiels de plus en plus productifs avec les technologies informationnelles. D’où la guerre économique exacerbée accentuant le massacre de l’emploi et la pression sur les salaires.

Cette logique s’est radicalisée avec la crise financière de 2008-2009 face à laquelle les tentatives de réponses capitalistes ont fait s’envoler les endettements publics et, en Europe particulièrement, le recours massif aux politiques d’austérité prétendant les résorber. Cela n’a fait que décupler l’insuffisance des débouchés, les affrontements concurrentiels, tandis que les crédits des banques étaient resserrés plongeant les PME dans des difficultés inouïes.

Les entreprises au cœur des enjeux de sécurité des salariés et des populations

Dans ce contexte, la peur de perdre son emploi ou d’être déclassé peut faire se résigner à l’idée que les entreprises doivent être d’autant plus libérées de toute responsabilité sociale, territoriale, écologique que c’est le marché financier qui fait la loi et que les banques se doivent de ne financer que les projets les plus rentables ! Que le travail n’est qu’un coût à réduire, que le droit du travail est une entrave à la liberté et à la souplesse d’action des dirigeants, que les services publics et la protection sociale sont des charges et des gaspillages, que les chômeurs, les « assistés sociaux », les « réfugiés » sont un gouffre… compétitivité oblige !

Ce consensus sur la gestion des entreprises conditionne fondamentalement un consensus sur la politique économique qui, « au service des entreprises » et en fait du profit et des marchés financiers, doit aider à faire pression sur la masse des salaires, faire reculer les prélèvements publics et sociaux sur les entreprises et, pour cela, doit viser à diminuer les dépenses publiques et sociales.

Mais cela génère insécurité sociale avec les ravages du chômage et de la précarité, insécurité économique avec l’explosion des prélèvements financiers sur les richesses produites, l’insuffisance de la demande et des qualifications, insécurité démocratique avec le recul des droits et pouvoirs des salariés sur les lieux de travail, et de ceux des citoyens et de leurs élus dans la société, insécurité écologique avec le chantage à l’emploi contre la protection de l’environnement.

Or, des potentiels nouveaux de rapprochement contre ces insécurités entre cadres, travailleurs des services et ouvriers de l’industrie grandissent qui tendent à mettre en cause ce consensus gestionnaire.

Face aux besoins de sécurisation des salariés de nouveaux efforts de division

Cela concerne la protestation commune contre le chômage et la précarisation de toutes les situations de travail, le stress au travail, l’hyper-connexion qui mange les autres temps de la vie de chacun-e (famille, vie associative, citoyenneté, loisirs, culture, repos…), la dépossession de toutes prérogatives. Cela concerne aussi les aspirations communes à la formation le long de la vie, à une maîtrise des trajectoires personnelles, à une responsabilisation des entreprises face aux impératifs de vie de chacun-e, à une sécurisation de tous les moments de la vie (de la petite enfance à la grande dépendance) qui exige désormais la protection de la planète. Cela concerne aussi le partage des pouvoirs jusqu’à l’intervention dans les gestions du fait de l’inefficacité avérée de nombre de choix patronaux du point de vue des impératifs de vie de chacun-e. Cela concerne le rapprochement nécessaire des salariés du privé et ceux du publics, ceux de l’industrie et ceux des banques…

Et désormais, ces potentiels de rapprochement entre salariés peuvent se conjuguer avec d’autres efforts de rassemblements et de luttes contre les dominations de genre ou générationnelles et contre les discriminations à connotation dite ethnique ou raciste, avec l’aspiration à l’égalité en matière de salaire, d’accès à la formation et aux responsabilités, avec aussi le besoin de concilier vie au travail et vie familiale.

Aussi, les dirigeants cherchent-ils toujours plus à diviser les salariés. Ils tentent, en particulier, de récupérer la sensibilité des salariés qualifiés aux enjeux de gestion, aux problèmes de financement et de mondialisation, pour les faire entrer dans un rassemblement intégrateur qui sacrifierait les ouvriers et les couches populaires. Celles-ci seraient alors d’autant plus abandonnées au FN que les fractures sociales et territoriales poussent vers la délinquance, et jusqu’au nihilisme, certaines des victimes de l’exclusion dans les aires urbaines les plus déshéritées où sont entassées ces couches délaissées. Mais il s’agit aussi des tentatives de division homme/femme, entre générations confrontées aux insécurités propres à chacun de leurs moments de vie : formation initiale, accès à l’emploi stable des jeunes, égalité salariale, retraites… sans parler des divisions à connotation raciste.

Du « pacte de responsabilité » au « pacte de sécurité »

Le tournant libéral de F. Hollande a associé l’accentuation de la politique d’austérité, dans la lignée des « pactes européens » (de stabilité, de l’euro plus…), à la mise en œuvre d’un « pacte de responsabilité » avec un recul des droits des salariés préparant une refonte réactionnaire du Code du travail. En chef de guerre économique, Hollande a accru les insécurités auxquelles sont exposés les salariés, favorisant l’essor des moyens de leur intégration-subordination aux patrons « donneurs d’emploi ». Et cela, tout en répétant à tue-tête qu’il n’y a aucune alternative possible à gauche pour relancer la croissance et l’emploi face à la concurrence mondiale.

L’engagement guerrier à l’étranger, dès janvier 2013, et les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la demande redoublée de sécurité civile et militaire qui en résulte, placent désormais le pays dans une logique de guerre armée, dont Hollande est le chef, redoublant la guerre économique qu’il a décidé d’accentuer. Deux guerres pour lesquelles il demande de faire l’« union sacrée » avec le « pacte de sécurité » (dans la société) et le « pacte de responsabilité » (dans les entreprises).

Sortir d’une telle logique appelle, certes, des réponses militaires et de police à la hauteur de la menace, dans le respect des libertés fondamentales et de la démocratie. Mais cela exige, inséparablement, de faire des entreprises un niveau décisif du rassemblement des salariés pour que les entreprises, en lien avec les banques, mais aussi les services publics, respectent les impératifs de vie des salariés et de leurs familles et deviennent des acteurs décisifs de la lutte contre les insécurités qui assaillent la société.

Pour une nouvelle cohérence rassembleuse…

Bien sûr, il faut « travailler à nouer ou renouer des liens politiques avec les salariés ». Mais cette tâche immense, que nous avons désertée, doit être accomplie en rapport étroit avec la réalité concrète que vivent les salariés au travail et/ou en formation professionnelle, le contexte économique et idéologique dans lequel ils baignent sur leurs lieux de travail, les choix stratégiques et de gestion de leurs dirigeants et la façon dont ils y sont intégrés dans chacun des rôles qu’ils occupent dans leur vie active (salariés au travail, syndicalistes, militants associatifs, citoyens, élus, parents…).

Il s’agit, pour construire un nouveau consensus politique de progrès social et écologique dans la société française, qui est très majoritairement salariale (les salariés représentent 90 % de la population active), de montrer qu’une nouvelle logique de sécurisation et de promotion de toutes les capacités humaines en coopération est possible. Elle nécessite de responsabiliser les entreprises et les banques. Face à la cohérence destructive des marchés financiers, il s’agit de faire avancer, à l’appui des luttes, une contre-cohérence avec :

- L’exigence de nouveaux objectifs sociaux : sécurisation du droit à l’emploi et à la formation, du droit à la santé, à l’éducation, au logement, à la mobilité, à la retraite, à la culture, à un environnement durable, à la sécurité, à une défense opérationnelle du territoire… avec le développement de tous les services publics ;

- La nécessité, pour les salariés, de conquérir de nouveaux pouvoirs de proposition et d’intervention sur les choix des entreprises ;

- La conquête de nouveaux financements émancipés de la domination des marchés financiers afin que l’argent des profits, des fonds publics et du crédit bancaire serve à répondre aux attentes populaires au lieu d’alimenter la finance.

...contre les dogmes libéraux pour changer de logique

Deux dogmes gouvernent la politique économique de Hollande-Valls : la baisse du « coût du travail » (salaires+cotisations sociales) au nom de la compétitivité et la baisse des dépenses publiques et sociales au nom de la réduction des déficits et dettes publics.

Il s’agit de faire avancer, dès l’entreprise, l’exigence d’une logique alternative rompant avec ces dogmes :

– Contre la baisse du coût du travail au nom de la compétitivité, la baisse du coût du capital au nom de l’efficacité sociale ;

– Contre la flexisécurité, la sécurisation de l’emploi, de la formation et des revenus du travail ; plus aucune aide publique aux entreprises sans contreparties chiffrées contrôlables en la matière ;

– Contre le pacte de stabilité, l’austérité et le modèle social anglo-saxon du « Workfare », l’essor de tous les services publics et de la Sécu vers un nouveau modèle social européen de progrès ;

– Contre l’appel au marché financier, la mobilisation de la monnaie (BCE) et du crédit (banques) pour :

z Alléger les dettes publiques et organiser une relance massive des services publics en coopération, via un Fonds social, solidaire et écologique de développement européen démocratisé,

z Déployer un nouveau crédit sélectif pour les investissements susceptible de promouvoir l’emploi, la formation et des progrès écologiques.

Rassembler à partir de l’entreprise

Démocratie sociale pour sécuriser emploi et formation de l’entreprise au territoire

Au lieu du « dialogue social » intégrateur, il s’agit de développer une démocratie sociale d’intervention avec des droits nouveaux décisionnels des salariés et de leurs représentants sur les choix de gestion (droit de veto suspensif des suppressions d’emploi, droit de contre-propositions, droit d’accès au crédit pour les financer…).

Les entreprises publiques et mixtes, devraient assumer une mission de sécurisation des emplois et des formations en se plaçant à la pointe de l’expérimentation de nouveaux contrats de travail sécurisés, notamment pour les jeunes et les seniors, mais aussi de la construction de statuts communs protecteurs des salariés de mêmes filières, en France et au-delà, susceptibles d’être imposés aux autres multinationales.

Mais les entreprises devraient aussi jouer un rôle décisif permettant à des conférences annuelles régionales et nationales, réunissant les représentants des salariés, les associations, les élus, les pouvoirs publics ainsi que les représentants des employeurs et des banques, de fixer des objectifs chiffrés annuels de création et/ou de transformation d’emplois et de mises en formation et de les réaliser, en liaison avec les choix industriels de filières. Cela marcherait de pair avec des gestions prévisionnelles démocratisées des emplois et des compétences dans les entreprises et les territoires.

Efficacité sociale contre rentabilité financière

À quoi doit servir une entreprise ? À utiliser l’argent dont elle dispose pour faire plus d’argent ou pour répondre aux besoins sociaux et culturels de développement dans l’entreprise, la cité, en France, en Europe et dans le monde ?

Dans le premier cas, il s’agit de maximiser la rentabilité (profit/capital). L’alternative c’est la recherche de l’efficacité sociale (économiser le capital matériel et financier pour développer les salariés et les populations).

Ainsi, loin de reculer face aux exigences de modernisation et d’efficacité nouvelle de l’offre productive avec les technologies informationnelles, les efforts de recherche-développement marcheraient de pair avec un essor de l’emploi, des qualifications et une baisse du temps de travail, au lieu qu’ils servent, comme aujourd’hui, à détruire l’emploi et alimenter la croissance financière des capitaux et la spéculation.

C’est en liaison avec les enjeux de gestion, de pouvoirs et de politique industrielle nouvelle, que la question de la propriété des capitaux doit être posée, en voyant bien que l’appropriation publique et sociale ne saurait se résumer à la seule prise de contrôle par l’État, mais aussi par des capitaux publics (CDC, FSI, BPI, collectivités…), sans parler de la possibilité de coopératives créées à l’initiative des salariés.

Crédit sélectif contre marché financier

Il faut de nouveaux financements émancipés de la domination des marchés. Ouvrons la voie à la mise en œuvre d’un nouveau crédit bancaire avec des taux d’intérêt d’autant plus abaissés, jusqu’à zéro (et même négatifs, donc avec réduction des remboursements) pour les crédits nécessaires aux investissements matériels et de recherche que ces derniers programmeraient plus d’emplois et de formations correctement rémunérés.

Ce nouveau mécanisme pourrait être amorcé dès le niveau local avec des Fonds publics régionaux pouvant être saisis par les salariés, leurs syndicats, les élus. Ils serviraient de fondations pour un pôle bancaire et financier public. Cela concernerait aussi le niveau européen, comme celui de la BCE qui refinancerait, par sa création monétaire, les banques ordinaires pour le nouveau crédit.

Des services et biens communs publics

Rompre avec les cercles vicieux de la crise exige d’impulser un très grand essor de tous les services publics (santé, éducation, recherche, transports, logements sociaux, petite enfance, personnes âgées, environnement, police, justice, armée, monnaie et crédit) en France et en Europe, jusqu’à la promotion des biens publics communs à toute l’humanité (la paix, l’eau, l’énergie, l’alimentation, les communications, l’environnement…).Cela soutiendrait la demande globale susceptible d’absorber les excédents de production matérielle. Et, simultanément à une meilleure réponse aux besoins populaires de développement, on aiderait à consolider l’efficacité productive, on améliorerait le « vivre ensemble » et on protégerait la planète.

Bref, développer les dépenses de services publics c’est nécessaire pour réconcilier accroissement de la productivité et croissance des débouchés dont les antagonismes actuels sont à la racine de la surexploitation et de l’insécurité permanente des salariés.

 

 

 

 

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