« TOINETTE: Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que de vous.
ARGAN: Et pourquoi?
TOINETTE: Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter?
ARGAN: Oui; mais j’ai besoin de mon bras »
Molière, Le malade imaginaire
Bouc émissaire de la crise économique, le Code du travail fait l’objet de nombreuses attaques par ceux qui souhaitent libérer l’entreprise de toutes ses entraves administratives, sociales et fiscales. Moins attendus, deux auteurs reconnus se sont engouffrés dans la brèche. Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen dans leur ouvrage intitulé « Le travail et la loi » appellent à la simplification d’un Code du travail à « l’intelligibilité médiocre » et à « l’utilité incertaine » qui « joue contre le recrutement de salariés».
Ce faisant, les auteurs proposent 50 principes fondateurs qui serviraient de base à une réécriture simplifiées du Code du travail. Par ailleurs, les auteurs suggèrent que les petites entreprises puissent ne relever que de ces principes fixés et détaillés de manière modérée par la loi et que les plus grandes puissent étayer ce corpus légal réduit par la négociation collective.
Les 50 grands principes ne visent que les règles applicables au contrat de travail, les auteurs ayant exclu de leur propos les relations collectives de travail, le droit de la santé et de la sécurité, les règles applicables à la justice et à l’administration du travail sans véritable justification. Parmi les principes retenus, aucune référence au SMIC, aux 35 heures, au droit de grève, au principe de faveur… La lecture de ces principes ou de ces grandes lignes directrices suscite le sentiment d’une vision simpliste et étriquée d’un droit du travail presque obsolète. Quid de la mobilité, des nouvelles technologies et du contrôle de l’activité des salariés ? Les grands principes rappelés par les auteurs souffrent de nombreuses lacunes et ne peuvent embrasser les mutations profondes des relations de travail.
Plus encore, il est insupportable que les auteurs aient recours à un présupposé idéologique populiste pour asseoir leur propos. Dès les premières lignes de l’ouvrage, les chiffres chocs et racoleurs de l’évolution du taux de chômage en France sur ces dernières années sont énoncés. La rengaine est connue : il faut simplifier le Code du travail en ce qu’il constitue un frein à l’emploi, provoque un chômage de masse et induit une croissance économique atone. Bien qu’aucune étude n’ait pu avancer le moindre argument sérieux permettant d’établir un lien entre protection des travailleurs et taux de chômage, bien que les exemples de nos voisins européens tels que l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Autriche démontrent qu’un droit du travail complexe n’est pas le seul paramètre du taux de chômage, bien que l’on sache parfaitement que ce sont les carnets de commande bien remplies qui permettent aux entreprises de créer des emplois, les auteurs se font les porte-voix d’un patronat rétrograde. Car nul n’est dupe, derrière le discours de la simplification se cache celui de la déréglementation, de la flexibilisation et de la destruction de la protection des salariés.
En effet, les auteurs veulent donner une plus grande place à la négociation collective, et partant, à un droit du travail négocié. Cette proposition méconnaît la réalité et la difficulté de la négociation collective, singulièrement au niveau de l’entreprise, où le contrat entre égaux n’existe pas tant le rapport de forces intrinsèque à la négociation est vicié par le contexte économique et le chantage à l’emploi. La place disproportionnée donnée à l’accord collectif au détriment de la loi ne peut qu’aboutir à une réduction des droits des salariés. La proposition est au demeurant contre-productive, dans la mesure où ce droit du travail négocié va engendrer une multiplication des règles et des dérogations selon l’entreprise et la branche. Quant à la lisibilité et à la complexité des accords collectifs, ils n’ont rien à envier à la loi. Il faut évidemment rappeler qu’il s’agit là encore d’une revendication du patronat qui souhaite que les règles de travail soient négociée dans l’entreprise, là où les pressions sur les salariés et leurs représentants sont les plus fortes, et qu’elles puissent s’imposer à la loi, aux conventions collectives de branche et même au contrat de travail. Il est par ailleurs suggéré d’adapter aux petites et moyennes entreprises un droit du travail « trop obscure et hostile » en créant un droit spécifique et allégé. Cette proposition qui renforce évidemment l’inégalité des salariés, permettra surtout aux grands groupes d’étendre leurs stratégies d’évitement du droit du travail par la création de filiales de taille réduite et par la sous-traitance. Le droit du travail sera compris de tous… mais surtout des grandes entreprises et des groupes !
Les dispositions du droit du travail, certes nombreuses et complexes, répondent à une réalité toute aussi complexe : celle des salariés confrontés à des rapports de travail de plus en plus diffus, individualisés et attentatoires à leurs libertés, celles des entreprises, des groupes, des filiales et des sous-traitants soumis à des impératifs de rentabilité sans commune mesure. Cette complexité n’épargne par ailleurs aucune branche du droit mais les entreprises s’accommodent très bien des montages complexes que leur offre le droit fiscal ou encore le droit des sociétés et n’hésitent pas à recourir à des cabinets d’avocats spécialisés pour ces sujets.
Pour autant, faut-il renoncer à rendre le droit du travail plus intelligible et accessible ? Certainement pas. Il faut dans un premier temps améliorer la qualité des textes et le processus d’élaboration de la loi pour répondre à un objectif de clarté en associant au travail d’élaboration de la loi ceux qui connaissent le mieux l’entreprise : les salariés et leurs représentants. Il est indispensable de faciliter et garantir l’accès au droit en renforçant les moyens de l’administration du travail et des organisations syndicales et patronales comme le suggère le professeur Pascal Lokiec. Il nous parait enfin impératif de stopper le mouvement de déréglementation du droit du travail et de réduire les dérogations toujours plus importantes qui sont la source véritable de cette inflation du droit du travail.
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.