Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’alibi de la complexité du code du travail *

Politiquement opportune, la tribune de R Badinter et G Lyon-Caen dans le Monde a clairement donné du grain à moudre à la politique gouvernementale de détricotage des droits des salariés. Pourtant, l’argument patronal et gouvernemental selon lequel la complexité du code du travail serait l’origine du chômage ne tient pas l’analyse. Mieux, comme l’enseigne une récente étude du FMI, les réformes du marché de l’emploi n’ont pas d’effet économiques positifs.

Dans une tribune parue dans le journal « le Monde », Robert Badinter et Antoine Lyon Caen partent d’un constat, l’augmentation du chômage « depuis 4 décennies », puis passent à un autre, l’augmentation du nombre d’articles du code du travail.

Ils nous expliquent toutefois que, contrairement à d’autres, ils n’établissent aucun lien de causalité entre les deux.

Cependant, forts de ces deux constats, ils se proposent d’énoncer les principes dont tous les acteurs sociaux s’accorderaient à dire qu’ils constituent les fondements du droit du travail, de façon à permettre de « dissiper le brouillard juridique où employeurs et salariés redoutent de s’engager. Et la clarté retrouvée favorisera l’embauche ».

Cette tribune a immédiatement été saluée par le Président du Medef, Pierre Gattaz.

Et pour cause, les « principes » énoncés par les deux auteurs n’alimenteront probablement jamais aucun débat, et ne feront en tout état de cause jamais consensus, mais tous ceux qui rêvent de détricoter les droits des salariés, patronat et gouvernement en tête, se voient confortés dans le dogme de la déréglementation, et remportent donc une nouvelle victoire.

Cette tribune intervient en effet au moment où le gouvernement s’apprête à imposer aux droits des salariés une régression sans précédent, en limitant par un plafond l’indemnisation du préjudice causé par la rupture abusive de leur contrat de travail.

Le raisonnement de M. Valls est le même que celui des deux auteurs de la tribune : constat est fait, d’une part, que les entreprises n’embauchent pas et, d’autre part, que le droit du travail les expose à verser des dommages intérêts en réparation du préjudice réel subit par les salariés qu’elles licencient abusivement. Donc, selon M. Valls, les deux constats ont forcément un lien !

Les auteurs de la tribune, par ailleurs brillants juristes, n’ignorent pourtant pas que le lien de causalité entre deux faits ne s’établit pas, pour reprendre les termes employés dans leur tribune, par le fait qu’« il est fréquemment » dénoncé, mais par la démonstration argumentée que cette causalité existe.

Or, contrairement à ce qui nous est rabâché de tous cotés, si les entreprises n’embauchent pas, ce n’est ni en raison de la complexité du droit du travail, ni en raison des risques contentieux que cette complexité ferait planer sur les employeurs.

En effet, les faits sont têtus : alors que la quasi-totalité des contentieux porte sur la rupture du contrat de travail, 98 % des licenciements pour motif économique ne font pas l’objet de recours de devant le conseil de prud’hommes, ce qui est également le cas de plus de 85 % des autres causes de rupture à l’initiative de l’employeur. À de très rares exceptions près, les condamnations, qui sont d’ailleurs loin d’être systématiques, représentent quelques mois de salaire.

Autrement dit, la faible proportion de litiges portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail montre qu’employeurs et salariés comprennent très bien les règles qu’ils appliquent quotidiennement sans recourir à l’arbitrage du juge et que, quand ce dernier tranche, les condamnations ne sont pas à elles seules de nature à mettre en péril les entreprises, qui les passent en frais généraux.

Ce n’est donc pas pour cette raison que les entreprises n’embauchent pas, ni en raison de leurs « charges » (les allègements et subventions ne créent pratiquement aucun emplois, le CICE en est l’un des nombreux exemples), mais parce que leur carnet de commande ne le leur permet pas.

Ce sont les politiques menées « depuis 4 décennies », qui ont privilégié la rémunération du capital au détriment de l’investissement, de l’emploi et du pouvoir d’achat, qui ont peu à peu asphyxié les entreprises, en appauvrissant et en précarisant leurs débouchés : les consommateurs solvables.

Nous regrettons qu’au moment où les économistes les plus néoclassiques abjurent la position consistant à prétendre qu’une réduction de la protection des salariés dans l’entreprise est un facteur de croissance et de développement de l’emploi, d’illustres juristes fournissent des armes à ce positionnement, qui reste celui du gouvernement.

Il convient en effet de lire avec attention la dernière étude sur les « perspectives de l’économie mondiale » publié par le FMI (consultable sur http://www.imf.org/external/ns/loe/cs.aspx?id=3). Ses auteurs démontrent statistiquement que « les réformes structurelles du marché de l’emploi n’ont pas d’impact économique positif ». Ces réformes ne produisent qu’une chose : un accroissement du revenu des plus riches.

La création d’emplois suppose de tourner le dos à la politique de l’offre et de relancer la demande, ce qui suppose la protection des travailleurs, et des mesures pour privilégier l’investissement au détriment de la rémunération du capital.

Ainsi, n’en déplaise aux auteurs, les solutions au chômage ne se trouveront pas dans une dérégulation du marché du travail. Cette dérégulation en France aura la même conséquence que partout ailleurs : un accroissement de la pauvreté.

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(*) Article publié dans l'Humanité du 24/06/2015.

 

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