Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La subordination et la République

Le pamphlet commis par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, « Le travail et la loi », a déjà suscité de nombreux commentaires. On soulignera simplement qu’il intervient dans un contexte de réformes successives menées par le gouvernement socialiste. Elles s’attaquent à un certain nombre de fondamentaux du travail subordonné. D’autres sont encore annoncées, comme une nouvelle remise en cause de la hiérarchie des normes (l’employeur doit respecter la convention collective qui doit respecter la loi) via la commission Combrexelle dont fait justement partie Antoine Lyon-Caen : œuvre doctrinale ou teasing ?

L’ouvrage débute par une analyse qui ne nous épargne aucun des poncifs rhétoriques en usage lorsqu’il s’agit d’aggraver l’assujettissement des travailleurs subordonnés. On invoque le chômage toujours « de masse », son « poids » et son « coût économique », pour faire comprendre à la classe laborieuse que renoncer à leurs droits est dans leur intérêt bien compris. On les exhorte à penser à leurs enfants : c’est un peu de votre faute, parents insiders attachés à votre CDI, si le rejeton occupe toujours sa chambre à 30 ans. On use du registre biologique (« grave maladie » du chômage, complexité inscrite dans « l’ADN » du droit du travail) pour le cas où on choisirait d’y voir des choix politiques à débattre plutôt que des lois naturelles dont la critique est aussi vaine que de s’atteler à l’abolition de la pluie. On rappelle qu’il ne s’agit pas d’avantager le banquier, l’assureur, le fonds de pension – on n’aime pas les riches et la finance est notre ennemie – mais de protéger l’honnête patron de TPE et de PME (fourberie mentale qui vise à associer l’image du boulanger de quartier à des entreprises dont l’effectif va jusqu’à 250 salariés, le chiffre d’affaires jusqu’à 50 millions d’euros annuels et dont le capital n’est ni nécessairement familial, ni nécessairement étranger à un grand groupe). Cette icône d’employeur « consacre son temps et son énergie à la production, à la commercialisation des produits ou services et à la gestion même de l’entreprise » et doit passer ses soirées et week-ends dans le « maquis inextricable » du droit du travail, pris dans ses « pièges dissimulés » et « mines dérobées ». Si à ce stade vous n’êtes pas convaincus de l’esprit de justice qui anime ce projet, c’est que vous êtes perdus pour la cause de la solidarité nationale, individualistes privilégiés que vous êtes. Ou alors vous êtes un lecteur averti des procédés de la parole manipulée [Breton, 2000], bien connue en publicité : l’amalgame affectif (associer l’image de l’employeur à une image positive d’honnête travailleur) et l’amalgame cognitif (transformer des faits sociaux en faits de nature) [Loustalet-Sens, 2010].

Tout aussi étonnant est le remède prescrit : il faudrait remettre le contrat de travail –auquel lisibilité et clarté seraient rendues- au « cœur du droit du travail ». En somme, en guise de progrès, revenir à une conception très xixe siècle. Encore que… contrairement à la légende répandue par les introductions de manuels de droit du travail, les ouvriers avaient davantage recours à la forme du « vrai louage » par lequel seul le résultat du travail faisait l’objet d’une évaluation et d’un prix, y compris en manufacture, et non à celle de l’engagement de service qui impliquait de se soumettre à un pouvoir sur l’acte de travail pour une rétribution fixée en fonction du temps consacré [COTTEREAU, 2002]. Le terme de « contrat de travail » sera inventé plus tard, à rebours du mouvement historique amorcé qui visait à faire sortir les travailleurs de la domesticité. On pourrait souhaiter à partir de la figure du contrat une évolution libérale vers la négociation et l’exécution loyales entre parties égales de tout ce que et uniquement ce à quoi elles ont consenti. Ce serait oublier les virtuosités d’interprétation dont la Cour de cassation fût capable à cette époque, jugeant que les règlements unilatéralement édictés par l’employeur devaient être regardés comme partie intégrante, quoique implicite, du contrat et établir sur cette base un consentement fictif du salarié. Domination, quand tu nous tiens…

Dernier objet d’étonnement, et non des moindres : le droit du travail serait assis sur deux exigences : « la liberté d’initiative de l’entrepreneur » en premier lieu et « l’efficacité » de l’organisation productive en second lieu – rejetant à une mention anecdotique l’exigence de « santé et dignité des salariés ». Il serait donc renoncé à l’ambition civilisatrice et émancipatrice d’un encadrement de cette relation privée de pouvoir. C’est comme si le produire ensemble pouvait être dissocié de la visée politique du vivre ensemble.

Dès lors, concédons qu’il ne nous a pas paru nécessaire de poursuivre plus avant la lecture de l’ouvrage. Son propos liminaire a suffi à nous convaincre que nous ne partagions ni l’analyse ni la démarche, à un point tel que tout travail critique devient impossible. En revanche, l’entrain ne manquait pas pour soumettre au débat un ensemble alternatif de principes tout aussi simples. Fi du diagnostic de la « maladie » ou du mapping de « l’ADN », le propos se veut idéologique, de celle propre à contribuer à une conception progressiste, sans se vouloir révolutionnaire. En effet, le parti pris est de ne pas remettre en cause l’existence d’un pouvoir de l’employeur, restant dans la tradition du droit du travail que nous connaissons, mais de l’assortir de limites et garanties permettant de mieux le concilier avec les exigences d’une société démocratique et la citoyenneté des travailleurs subordonnés, dans la perspective d’une nouvelle étape de progrès social, économique et culturel.

Pour parer aux accusations de nos contradicteurs, soulignons que ces propositions sont d’inspiration mondialisée -donc parées de la même modernité dont ils se revendiquent !-, dans la tradition de la Déclaration de Philadelphie de 1944 qui proclame notamment que :

« Le travail n’est pas une marchandise »

« Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale »

« Tous les êtres humains (…) ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales »

« Tous les programmes d’action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la mesure où ils apparaissent de nature à favoriser, et non à entraver, l’accomplissement de cet objectif fondamental ».

Ainsi, le but du débat lancé par nos deux auteurs, même dans une perspective réformiste, devrait être de rechercher des conditions propres à inscrire mieux qu’aujourd’hui le pouvoir privé de l’employeur dans le système politique dont les institutions exercent, faut-il le rappeler, un pouvoir supérieur au nom d’un intérêt supérieur. Autrement dit, des conditions propres à offrir aux salariés et à leurs représentants des recours juridiques et institutionnels pour le cas où ils jugent eux-mêmes que la conciliation et le rapport de force ne sont pas souhaités ou n’ont pas montré leur efficacité. La féodalité entrepreneuriale doit céder devant la République ! Plus fort que nos prédécesseurs, il nous semble que le droit du travail n’a besoin que de deux jambes pour avancer : une certaine démocratisation de la décision (1) et la réhabilitation de la responsabilité économique de l’employeur (2), sans oublier d’assurer les conditions de l’effectivité de ces exigences (3).

Pour une démocratisation du pouvoir dans l’entreprise

Le travail subordonné se caractérise par l’exercice d’un pouvoir sur l’activité et la personne du travailleur. On ne semble plus s’en émouvoir. Pourtant, quel paradoxe mériterait plus d’être questionné par les penseurs de la modernité ? La France entend s’inscrire dans la communauté des États « démocratiques » et « libéraux » -modèle qu’il s’agirait même de répandre par le monde- et prétend de surcroît y jouer un rôle particulier que lui conférerait « l’Esprit des Lumières » dont son système serait l’héritage. Citoyenneté, Liberté, Égalité, Fraternité… autant de notions contrariées par le travail subordonné, dont on entend pourtant encore élargir le périmètre (fin des 35 heures, horaires atypiques, allongement de la durée d’activité avant la retraite, cumul emploi-retraite, contrainte à l’acceptation d’un emploi par les chômeurs, privatisation, etc.). Dans l’attente d’une perspective révolutionnaire, deux principes nous semblent essentiels.

Interdiction de la décision arbitraire et obligation de justification des décisions de l’employeur

Ce principe doit être de portée générale et concerner l’ensemble des décisions définies comme l’édiction d’une règle ou d’un jugement, quelle que soit sa forme, de portée individuelle ou collective, ayant pour objet de produire des effets sur la stratégie, la production, la commercialisation, l’organisation ou les personnes (y compris par exemple en matière d’embauche, de rupture d’essai, de rupture conventionnelle ou de fin et non-renouvellement de CDD). Ce principe se traduit par :

‒ L’obligation de formaliser la décision et ses motifs dans un écrit avant qu’elle ne s’applique, faute de quoi la décision devrait être présumée arbitraire, à charge pour l’employeur d’en apporter la preuve contraire ;

‒ La possibilité d’exercer un recours (interne, juridictionnel ou administratif) contre cette décision ;

‒ Le droit d’en obtenir l’annulation si sa motivation repose sur des critères qui ne sont pas objectifs (c’est-à-dire matériellement vérifiables) ou qui ne sont pas justifiés et proportionnés au regard de ce qui apparaît nécessaire soit à la finalité économique de l’organisation, du service ou du poste, soit à la protection d’un intérêt légitime d’un ou plusieurs salariés (par exemple les mesures prises pour la conciliation de la vie personnelle ou familiale, pour l’adaptation à l’état de santé et au handicap, pour l’égalité, etc.).

Si la décision viole en outre le principe d’égalité de traitement, produit des effets discriminatoires ou porte une atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés, cette situation devrait être regardée comme une circonstance aggravante appelant des réparations et/ou sanctions particulières.

S’il est estimé que la décision est susceptible de porter atteinte à la santé ou à la sécurité, une procédure spécifique devrait permettre de suspendre son application jusqu’à ce qu’un tiers ait écarté l’existence de ce risque ou, s’il ne peut l’être, jugé les mesures de prévention et de protection suffisantes (médecin du travail, inspection du travail, juridiction).

Représentation et participation des salariés

Il est plus que temps d’assurer ce droit pour tout salarié. On pourrait même y trouver un sujet consensuel : d’abord, MM. Badinter et Lyon-Caen formulent eux-mêmes une proposition qui va dans le bon sens. Ensuite, pour les partisans de la « déjudiciarisation », il apparaît que « l’existence de telles institutions réduit significativement le recours prud’homal » [CEE, 2014]. On peut concéder des formes différenciées, y compris externes, en fonction du nombre de salariés (nominal, et non en équivalent temps plein). Non pas en raison de la fiction souvent avancée qui voudrait qu’on se parle normalement quand on est peu nombreux (« Salut, citoyen salarié ! Que vous plairait-il que je modifie dans ma gestion, aujourd’hui ? »). Simplement parce qu’il paraît nécessaire au rôle de ces institutions qu’un changement culturel s’opère dans l’entreprise et qu’une modeste expérience personnelle auprès de jeunes DUP non syndiquées montre qu’il n’est pas aisé de le faire sur un collectif de travail réduit sans que l’extériorité ne s’invite pour altérer l’ordre établi d’un lieu de pouvoir. Dans tous les cas, il est indispensable d’assurer les fondamentaux suivants :

Le droit d’entrée dans l’entreprise, de libre circulation et de libre contact, oral et écrit, avec les salariés à leur poste de travail et sur leurs horaires de travail (hors gêne disproportionnée) ;

La possibilité, même de manière limitée en termes de durée et de régularité, de se réunir avec un groupe de salariés à la charge de l’employeur ;

La possibilité de se réunir avec l’employeur sans que celui-ci ne puisse s’y soustraire ;

La formalisation et la publicité des échanges avec l’employeur (ordre du jour et compte-rendu accessibles aux salariés, aux juridictions et à l’administration) ;

Le temps nécessaire à l’exercice de cette mission, qui doit être adapté à l’importance du périmètre géographique, au nombre d’entreprises et au nombre de salariés.

Vers une justice économique du compromis d’emploi

La propriété du capital et des moyens de production légitime communément le pouvoir de modifier l’organisation du travail et de disposer des fruits de l’activité lorsqu’elle se révèle profitable. Mais le salarié, subordonné et inséré dans une organisation qui lui échappe, auquel aucune prétention n’est reconnue en cas de gain, devrait être assuré d’une situation qui n’est pas dégradée en cas de difficulté. Les représentants des chefs d’entreprise se targuent de ce que leur audace justifie leur pouvoir juridique et économique, et au-delà l’ensemble de leurs privilèges : qu’ils en assument les risques ! L’aspiration à la stabilité qu’il faudrait vouer aux gémonies trouve bien dans ce compromis fondateur une consistance et une légitimité. Sans elle, n’en déplaisent aux commentateurs qui ne sont pas à une contradiction près, la figure du travail subordonné dans un modèle économique capitaliste se résume à l’exploitation et notre entrepreneur aventurier à un assisté.

Ainsi, le contrat de travail subordonné normal devrait assurer la stabilité de l’emploi (c’est-à-dire sa continuité et celle de ses caractéristiques : durée du travail, rémunération, lieu de travail et qualification), corollaire nécessaire de la responsabilité économique qui pèse sur l’employeur en tant qu’il est l’auteur de la stratégie et le bénéficiaire des gains. Ce principe de justice économique devrait s’opposer à toute altération du contrat de travail ou, à tout le moins, encadrer et réparer strictement les situations dans lesquelles l’employeur entend répercuter sur les salariés  les conséquences des aléas que subit l’activité et des décisions qu’il a prises : contrats à durée prédéterminée, licenciements économiques, modifications de contrat et changements des conditions de travail, remise en cause des accords collectifs applicables, recours aux aménagement du temps de travail, etc. L’application du principe précité de justification des décisions devrait déjà permettre de vérifier la légalité des motifs de cette altération et de la procédure par laquelle il y est recouru. Au-delà, deux scenarii pourraient être explorés.

Premier scénario : la sécurité sociale professionnelle

En particulier la voie proposée dans le cadre du nouveau statut du travail salarié (NSTS) esquissé par la CGT [Bernard FRIOT, 2014]. En deux mots, elle « consiste dans l’attribution à la personne même du salarié du contrat de travail et des droits salariaux qui vont avec (qualification, ancienneté, niveau de salaire, régime complémentaires d’entreprise, compte formation, représentation au comité d’entreprise), de sorte que lorsqu’il est en fin de contrat ou perd son emploi, le salarié conserve ces droits jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi avec un contrat au moins équivalent. » Dans cette proposition, la stabilité constitutive du pacte d’emploi s’incarne non plus dans le contrat conclu avec un employeur mais dans la continuité des droits, qui y sont pour l’instant attachés et qu’il s’agit de déconnecter de la succession des contrats et des employeurs. La préférence accordée à l’inspiration cégétiste, par rapport à d’autres propositions de « sécurisation des parcours professionnels », s’explique par la suppression du marché du travail qui la caractérise. Ce scénario est sans doute le plus opposé aux propositions Badinter/Lyon-Caen car elle focalise la recherche de solutions non pas dans le contrat conclu mais dans ce qui lui donne la consistance et la durée d’un statut qui le dépasse. En outre, cette alternative nous paraît également à même de participer à l’émancipation des travailleurs : les droits qui affectent leur vie seraient assurés par un tiers, la Sécurité Sociale, plutôt que de dépendre de l’autorité à laquelle ils sont un temps assujettis. Enfin, elle parait à même de trouver une issue satisfaisante à l’injustice du caractère dégressif des contraintes pesant sur les employeurs en fonction de leur importance. Si nous partageons ce constat, il ne nous paraît ni nécessaire ni pertinent d’y répondre par la réduction des droits de leurs salariés. Il peut y être répondu par la mutualisation entre les employeurs de la « charge » de l’administration et du financement de ces droits, les mieux lotis contribuant pour les « petits ». Comprenne qui pourra l’insistance de l’UPA et de la CGPME à se rallier quasi-systématiquement au panache du MEDEF…

Second scénario : la libre association

Si on juge indispensable que les travailleurs soient mis à contribution en cas de difficultés, réelles ou anticipées, la justice réclame qu’ils soient appelés dans les mêmes proportions à déterminer les conditions de la production et de sa commercialisation, d’une part,  et, d’autre part, à bénéficier des gains réalisés le cas échéant. A certains petits patrons, nous avons envie de répondre : oui, le travail humain coûte cher, à la mesure de ce que la société considère comme une subsistance satisfaisante, et nécessite la maîtrise d’un certain nombre de règles sans lesquelles nous vivrions dans une société d’esclaves. Et c’est heureux. Peut-être n’en avez-vous pas les moyens : alors il faut y renoncer. De là, non pas une mais deux options s’offrent encore à vous. Soit vous souhaitez conserver l’entière maîtrise d’une activité avec laquelle vous entretenez des liens quasi-affectifs : alors vous devrez limiter votre exploitation à ce que vous pouvez produire vous-mêmes. Soit vous souhaitez en poursuivre le développement : alors il faudra partager votre pouvoir et vos gains, en même temps que vous partagerez vos risques.

Et les salaires ?

De manière peut-être moins structurelle mais tout aussi essentielle, la justice économique implique naturellement aussi des principes fondamentaux en matière de fixation du salaire : exigences de juste proportion au regard de la création de richesse nationale et de celle au sein de l’entreprise (échelle encadrée des salaires et rapport salaire / bénéfice ou dividende / investissement).

Assurer les conditions d’un droit du travail effectif

Le droit du travail devrait définir et identifier qui est « l’employeur »,

auteur des décisions, interlocuteur des salariés et de leur représentants, tenu par les accords collectifs et chargé de la responsabilité des manquements devant les salariés, les juridictions et l’administration du travail. Ce premier aspect peut paraître technique mais il touche en réalité aux stratégies les plus répandues de délinquance patronale qui en fait une question de fond (chaînes de sous-traitance, externalisations, essaimage, délocalisations, filialisations, fusions, etc.). Nous proposons une définition assise sur trois critères cumulatifs :

Un périmètre productif : l’employeur doit s’apprécier dans le cadre d’une entité économique dont les unités concourent à la production de biens ou services identiques, similaires, complémentaires ou connexes ;

Une relation de pouvoir : cette entité économique doit inclure l’ensemble des unités exerçant ou sur lesquelles est exercée une influence dominante sur les décisions prises en matière économique, financière, commerciale, productive ou sociale, que cette influence soit l’objet ou l’effet de quelque circonstance que ce soit et notamment la détention du capital, les droits de vote en assemblée générale, la désignation ou la révocation des membres des organes d’administration, un contrat ou la part représentée dans le chiffre d’affaires ;

Dès lors, les personnes morales, dirigeants et actionnaires majoritaires de ces entités devraient pouvoir être regardés comme solidairement tenus de l’ensemble des obligations et responsabilités de l’employeur.

Le contrôle. Les frères Bonneff écrivaient déjà, dans L’Humanité daté du 4 janvier 1913, après avoir dénoncé la légèreté des amendes, « l’oubli » de certaines sanctions et la grande compréhension des juges : « Aux difficultés que rencontre l’inspecteur [du travail], ajoutez les barrières que dressent devant lui certains politiciens soucieux d’éviter la mauvaise humeur de leur clientèle délinquante ; ajoutez l’insuffisance évidente du nombre des inspecteurs (…) ; ajoutez la paperasserie, l’écrasante besogne bureaucratique (…) et vous arriverez à cette conclusion que les lois sociales doivent être complétées ou remaniées d’urgence, les pouvoirs de l’inspection étendus, le nombre des inspecteurs augmenté. Que de besogne la République aurait-elle à faire, si elle voulait ! ». En 2015, il n’est rien à y ajouter.

Les sanctions. Il n’est pas de règle en droit du travail qui ne soit d’ordre public. Dès lors, rien ne justifie que certaines ne soient pas pénalement sanctionnées : par ces infractions, un employeur cause un préjudice aux conditions de vie de la population, à l’économie du pays en tirant les salaires, moteur de la consommation, vers le bas et au système de protection sociale amputé tantôt de ses ressources, tantôt du financement de ses prestations. On voit mal dans quelle mesure ce devrait être regardé comme moins grave que les infractions au code de la route ou la consommation et la revente de produits stupéfiants. Les textes répressifs, contraventionnels ou délictuels, doivent donc exister, les Parquets sensibilisés à poursuivre et les Magistrats formés à les mettre en œuvre. Les inspecteurs du travail devraient également être habilités à dresser contravention sur certaines infractions et, dans certains cas, la procédure de comparution immédiate pourrait trouver une application opportune, en particulier sur constat de flagrant délit opéré par l’inspection du travail.

Les réparations

L’accès des salariés aux conseils de prudhommes est plus que mesuré : plus ou moins 200 000 affaires sont introduites chaque année devant 210 conseils de prud’hommes, avec une érosion légère mais constante (175 714 en 2012 ; 205 296 en 2011 ;  225 499 en 1993) [Ministère de la Justice, 2013]. Rapportés aux salariés du secteur privé, ces chiffres correspondent à moins de 8 recours pour 1 000, et ce, tous motifs confondus [CEE, 2014]. Plus clairement, puisqu’environ 80 % des affaires concernent la rupture, le ratio entre ces saisines et le nombre de personnes nouvellement inscrites à Pôle emploi à la suite d’un licenciement se situait dans une fourchette de 20 à 30 % entre 2004 et 2012 – qui tombe à moins de 3 % pour la même période en matière de licenciements économiques [Guillonneau et Serverin, 2013]. On se prend à rêver que les règles du travail subordonné sont respectées dans les proportions dans lesquelles le salarié ne recourt pas à la justice…

Faute de développer ici les moyens d’une justice prud’homale plus accessible, il doit à tout le moins être mis fin au privilège du préalable indûment octroyé aux employeurs, que notre système juridique ne reconnaît officiellement qu’aux administrations. Il est inacceptable que le pouvoir qui leur est reconnu se confonde avec l’aptitude, in fine, à se faire justice soi-même et ce de manière définitive, malgré une condamnation. Pour ce faire, un dernier principe doit imposer un régime général de sanction civile : toute décision illicite de l’employeur doit être rétroactivement annulée, par les restitutions ou les réparations, au choix de la victime, propres à remettre sa situation en état. Et, au premier chef, les licenciements non fondés sur un motif reconnu réel et sérieux devraient donner systématiquement droit à réintégration, sur la demande de la victime. Concernant les réparations, les juridictions prud’homales devraient motiver leurs décisions lorsqu’elles accordent au salarié un montant de dommages-intérêts inférieur à celui qui était demandé et justifié par la victime.

Bien entendu, ces propositions n’épuisent pas la réflexion, ni la critique…

Bibliographie :

‒ Philippe Breton, La parole manipulée, La Découverte, 2000 (cité par Loustalet-Sens).

‒ Gérard Loustalet-Sens, Chronique des idées reçues. Combattre la domination, Espaces Marx / Les Nouvelles de Bordeaux, 2010.

‒ Alain Cottereau, « Droit et bon droit. Un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France, xixe siècle) », Annales HSS nov-déc 2002, n° 6 pp. 1521-1557 <https://www.cairn.info/revue-annales-2002-6-p-1521.htm>.

‒ CEE, « Les conseils de prud’hommes : un frein à l’embauche ? », Connaissance de l’emploi, n° 111, mars 2014.

‒ Bernard Friot, « La revendication d’un statut du travail salarié à la Cgt : enjeux salariaux pour le secteur privé », Les documents de travail de l’IES, 2008 (voir aussi : <http://www.ies-salariat.org/la-proposition-cgt-de-securite-sociale-professionnelle-de-la-securite-sociale-a-la-mise-en-cause-du-marche-du-travail/>).

‒ Ministère de la Justice, Les chiffres clés de la Justice 2013

Maud Guillonneau et Evelyne Serverin, L’activité des Conseils de prud’hommes de 2004 à 2012 : Continuité et changements, sept. 2013, ministère de la Justice, Direction des affaires civiles et du Sceau.

‒ Evelyne Serverin et Julie Valentin, « Licenciement et recours aux prud’hommes, questions de mesure » in L’emploi en ruptures, CEE / Dalloz, 2009. zzz

 

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