A sa naissance en 1945, la création de la Sécurité sociale visait à répondre aux enjeux de sortie de la crise systémique du capitalisme et du libéralisme de l’entre-deux guerres. Elle se donnait deux objectifs principaux. Répondre au besoin de justice sociale dans la France d’après-guerre en dépassant les insuffisances des législations sociales de la fin du 19ème et du début du 20e siècle (ROP, législations familles…) par une nouvelle législation prenant en charge l’ensemble des besoins sociaux de tous les français. Faire de cette nouvelle législation sociale un outil de la reconstruction économique du pays en assurant une efficacité productive et sociale nouvelle, à partir de la richesse créée dans l’entreprise. Malgré les réticences de certains, la démarche fut un succès.
Elle constitue une réponse historique originale à la longue phase dépressive de l’entre-deux-guerres. Elle marque la sortie de la phase B de difficultés d’un cycle long de Kondratieff, phase qui s’étend pendant l’entre-deux-guerres, et l’entrée dans une phase A de croissance d’un nouveau cycle après la deuxième guerre mondiale, phase qui durera jusqu’à 1967. Cette tentative de réponse aux processus cumulatifs de déséquilibres s’est avérée socialement et économiquement efficace.
Cette crise structurelle ou encore longue phase de difficultés de l’entre-deux guerres peut être caractérisée comme une crise de suraccumulation du capital, un gonflement du capital constant d’un côté tandis que sont réalisées des économies excessives sur les salaires et le travail vivant. Ceci aboutit à une baisse du taux de profit en relation avec une insuffisance des débouchés intérieurs et de la demande effective, ce qui freine l’incitation à investir. Au lieu de se transformer en investissement productif, les profits des entreprises sont utilisés à des fins spéculatives, ce qui entraînera une crise financière et boursière terrible.
Des mécanismes cumulatifs de déséquilibres. On assiste alors à l’effondrement du marché financier, à la chute de la production, à la fermeture d’entreprises et à l’explosion du chômage. Corrélativement, une crise de l’entretien de la force de travail s’accélère, en relation avec les salaires insuffisants et les économies sur les dépenses sociales, ce qui limite la progression de la productivité du travail, et par conséquent contribue à bloquer la croissance. Mais la crise de 1929-1932 s’inscrit dans une crise structurelle plus vaste et ne constitue qu’un moment de la longue phase de difficultés de l’entre-deux-guerres.
La stagnation démographique lors de cette période conduit à une insuffisance quantitative et qualitative de la force de travail. Dans l’entre-deux-guerres, la population active décroît et vieillit. C’est pour une large part la conséquence de la guerre de 1914-1918, avec notamment la mortalité élevée des jeunes hommes, d’où l’effondrement de la natalité et donc un non renouvellement des générations. L’effondrement de la natalité et du taux de fécondité va conduire à un déficit énorme de la population active et certaines années, il y aura plus de décès que de naissances.
Le refus de développer les politiques sociales. Il aurait fallu consentir à des efforts importants de politiques sociales, à une politique familiale dynamique, un développement de la formation, de la politique de santé, d’une politique de retraite… Ce n’est pas le cas pendant l’entre-deux-guerres, durant laquelle on assiste à un véritable refus du développement des politiques sociales et on masque l’insuffisance de la population active par un recours important à l’immigration, les bas salaires des travailleurs immigrés permettant de contenir ceux des résidents.
Cependant, on met en place une nouvelle législation sociale, qui reste limitée et ne répond pas aux besoins.
Les graves limites de la législation sociale de 1928 et 1930 vont enfoncer dans la crise.
Certes, des avancées sont effectuées en 1919-1920 en relation avec l’essor du mouvement ouvrier : la loi des 8 heures de travail par jour sans diminution de salaire, la loi sur les conventions collectives et un projet d’assurances sociales. On nomme une commission parlementaire pour élaborer ce projet, mais celle-ci va l’enterrer et il faudra attendre les années 1928 et 1930 pour que deux lois créent un système d’assurances sociales qui seront en réalité très limitées.
Les raisons de la législation sur les assurances sociales de 1928-1930
Elle traduisait l’inquiétude des pouvoirs publics face à des problèmes réels : la stagnation démographique, l’insuffisance quantitative et qualitative de la population active, la crise d’entretien de la main d’œuvre et donc de la productivité du travail. La nécessité explosant d’une prise en compte des besoins sociaux qui permettrait le renouvellement de la force de travail et des générations, on amorce avec les lois de 1928-1930 une couverture partielle du risque maladie et vieillesse par un mécanisme de cotisations sociales avec une part patronale et une part salariale.
Les limites de cette législation
La définition des assurés sociaux reste beaucoup trop étroite et à la veille de la deuxième guerre mondiale, seul un tiers de la population est concerné. Les ressources de ce système d’assurances sociales sont très réduites car prélevées sur des salaires faibles que l’on refuse d’augmenter. En outre, le taux de cotisation fixé est trop bas : 8 % des salaires (la moitié pour le salarié, la moitié pour l’employeur).
Les prestations sont très limitées et largement inférieures aux ressources collectées. On a abouti à une sorte d’assistance concernant les salariés les plus pauvres, mais ceux-ci ne pouvaient envisager de s’arrêter de travailler en cas de maladie, en raison des indemnités beaucoup trop faibles. L’autre défaut du système est de laisser aux entreprises pour la couverture des soins le libre choix de l’assureur, mutualiste ou privé, si bien que la qualité des soins et le niveau de couverture sont très inégaux.
Des excédents au détriment des retraités. Pour les retraites, on incite les plus aisés à souscrire à des régimes par capitalisation privée. Malgré la faiblesse des ressources, le système dégage des excédents puisque seul un tiers des fonds collectés est utilisé pour le versement des prestations. De 1930 à 1934, 17 milliards de francs ont été collectés, mais seuls 6 milliards ont été versés en prestations, puisque celles-ci sont très faibles. Les excédents sont placés sur les marchés financiers, au détriment des besoins des retraités et, compte tenu de l’effondrement des cours boursiers lors de cette période, les fonds des retraites vont purement et simplement disparaître. C’est l’une des raisons essentielles pour laquelle, en 1945, on préférera instituer des retraites par répartition plutôt que par capitalisation.
Les conséquences de ces graves insuffisances
Jusqu’à 1932, il n’existe pas de couverture socialisée des besoins des familles, en dehors de la fonction publique et de quelques expériences de politique familiale dans les entreprises qui pratiquent le « sursalaire », soit une majoration du salaire du travailleur en fonction du nombre d’enfants. Ce retard contribue au non renouvellement des générations et à l’insuffisance grave de la population active, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. La loi du 11 mars 1932 crée une allocation familiale dès le premier enfant et impose aux employeurs l’affiliation à une Caisse de compensation pour cette prestation. Cette disposition aura quelques conséquences sur la natalité, surtout à partir de 1936, quand le Front populaire relèvera sensiblement le niveau des prestations. En 1939, le gouvernement de Vichy perpétuera cette mesure.
La montée de l’insuffisance de la couverture des besoins. Cette législation reste trop limitée, et ne peut couvrir les besoins de santé, de retraite (avec notamment la ruine des régimes de retraite par capitalisation), ni les besoins nés de la charge des enfants. Les limites des prestations sociales vont conduire à l’aggravation de la crise économique en contribuant aux limites du pouvoir d’achat des salaires et à l’insuffisance de la consommation, mais aussi à une grave crise de l’entretien de la force du travail et de la productivité du travail. Les entreprises renoncent à investir faute de débouchés, ce qui conduit à la destruction d’emplois et à l’effondrement de croissance réelle. Ainsi, l’insuffisance du système d’assurances sociales contribue-t-elle à l’aggravation de la crise économique elle-même.
Formation et principes du nouveau système de Sécurité sociale
Système de Sécurité sociale et construction des nouveaux mécanismes de régulation du système économique. Ceux-ci permettent de sortir de la longue phase de difficultés ou crise systémique de l’entre-deux-guerres. La création de la sécurité sociale en 1945-1946 est le résultat d’un rapport de forces politique et social marqué par l’action de la résistance au nazisme et au régime de Vichy. Les forces de progrès ont élaboré, autour d’un compromis social à la Libération, le plan de Sécurité sociale. Rédigé par Pierre Laroque, ce plan a été mis en place par le ministre communiste Ambroise Croizat. Ce plan répondait à une nécessité économique : sortir de la crise de l’entre-deux-guerres marquée notamment par la crise de l’entretien et de la productivité de la force de travail. L’État est rendu responsable de la régulation du système économique dans la ligne des préceptes keynésiens. Cela conduit à l’institution d’une politique économique structurelle fondée sur des nationalisations et l’extension du secteur public, sur la planification économique et sur la construction du système de Sécurité sociale.
Cette politique tend à contribuer à l’établissement de « l’État providence », ou « keynéso-fordisme », ou encore « capitalisme monopoliste d’État » [Boccara, 1973]. L’État devenant le régulateur de l’économie, le progrès social est alors considéré comme le moteur du progrès économique, car il participe au développement de la consommation, de la productivité du travail et de la croissance à partir du développement des ressources humaines.
Un système de Sécurité sociale et non d’assurances sociales
La Sécurité sociale : une rupture avec les assurances sociales. L’ancienne législation de 1928-1930 était fondée sur la notion de risques sociaux : il s’agissait de faire face à un risque déterminé, en restant donc proche des principes de l’assurance. Avec le système de Sécurité Sociale, il s’agit d’un développement de droits sociaux nouveaux fondamentaux, qui prolongent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution française de 1789. Dans le texte fondateur de la Sécurité sociale figure ce principe fondamental : « Tout être humain qui vit de son travail ou qui se trouve dans l’impossibilité de travailler, se voit garantir ainsi que les membres de sa famille des droits sociaux nouveaux », principe repris dans le Préambule de la Constitution de la IVe République, puis de la Ve République.
Ces droits sociaux nouveaux comprennent d’une part les risques liés à la maladie (couverture des soins, indemnités journalières), la couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles, afin d’organiser à la fois la réparation de la santé et la prévention des risques. Cela vise aussi l’invalidité et la protection des personnes handicapées. Cela implique des droits liés au risque vieillesse et au décès d’un membre de la famille apporteur de ressources. Enfin, cela inclut des droits sociaux liés à la maternité et aux charges de famille.
Les limites de la couverture : le risque chômage n’est pas pris en compte. Dans le plan Laroque, contrairement au plan Beveridge en Grande-Bretagne, car à l’époque en France, c’était l’insuffisance de la population active qui était la préoccupation majeure ainsi que le renouvellement de la population. L’assurance chômage en France n’apparaîtra qu’en 1958, et ne fait donc pas partie de la Sécurité sociale proprement dite.
L’originalité du système de Sécurité sociale résidait aussi dans son type de gestion. C’était l’affaire des salariés eux-mêmes. Jusqu’à 1967, les administrateurs de la Sécurité sociale étaient élus sur des listes syndicales par représentation proportionnelle, avec un principe de trois quarts de représentants des salariés et un quart de représentants des employeurs. Les cotisations sociales étant fonction des salaires versés dans les entreprises, la gestion des caisses aboutissait à la gestion d’une partie du salaire socialisé par les salariés eux-mêmes.
Cependant, à partir des ordonnances de 1967, c’était une gestion paritaire stricte qui était instituée, fondée pour moitié sur les représentants des employés et, pour l’autre, sur les représentants des employeurs, avec l’espoir que l’alliance entre certains des syndicats de salariés et d’employeurs contribue à un fonctionnement plus favorable aux forces dominantes au détriment des forces plus radicales. Ainsi après 1967, les élections des administrateurs disparaissent pour le régime général, excepté celles de 1983 ; en revanche, la plupart des régimes spéciaux ont gardé un système électif (Mutualité sociale agricole, régime des mineurs, des marins-pêcheurs, etc.).
Celle-ci constitue un mixte original et révolutionnaire entre le rapport Beveridge et le système d’assurances sociales allemand construit sous Bismarck de 1883 à 1889. Ce que le plan Laroque explicitait clairement en ces termes : « Nous ferons la politique de Beveridge avec les moyens de Bismarck » [Laroque, 1942]. Ceci signifiait que l’on souhaitait couvrir à terme l’ensemble de la population par un système de sécurité sociale financé par des cotisations assises sur les salaires.
Le rapport Beveridge : Les principes du plan britannique de Sécurité sociale en 1942.
C’est l’œuvre de Beveridge, disciple de Keynes. Les grands principes de ce rapport sont regroupés autour de l’universalité, de l’uniformité et de l’unité, d’où l’expression célèbre des « trois U ».
‒ Principe d’universalité. L’ensemble de la population, active et inactive, doit être couverte pour l’ensemble des risques sociaux, y compris le chômage.
‒ Principe d’uniformité. Les prestations versées doivent être uniformes, donc identiques pour tous à partir d’une situation donnée. Ainsi, l’assurance chômage britannique donne lieu à une indemnité forfaitaire non liée au salaire antérieur. Le risque de ce principe est de se traduire par la faiblesse des prestations, ainsi pour la couverture chômage et les retraites en Grande-Bretagne.
‒ Principe d’unité. Comme le système de protection sociale est financé au départ en principe par l’impôt, la gestion doit être commune pour tous les risques, ce qui aboutit à un système extrêmement centralisé géré par l’État et non par les salariés eux-mêmes. En pratique d’ailleurs aucun système « beveridgien » n’appliquera totalement ce présupposé. En réalité, en Grande-Bretagne, les retraites et le risque chômage sont en majorité financés par des cotisations, tandis que les risques santé et famille le sont par l’impôt. Le système de Sécurité sociale est encore actuellement financé à près de 50 % par l’impôt, mais à 48 % par des cotisations. Paradoxalement et contrairement aux idées reçues, Beveridge était favorable à un financement à terme par cotisations sociales…
Le plan Beveridge s’articulait à une politique de plein-emploi dans la lignée keynésienne, théorisée dans l’ouvrage Full employment in a free society [Beveridge, 1943]. Mais le « plein-emploi » de Keynes et Beveridge signifiait en réalité un taux de chômage compris entre 3 et 5 %.
Le système français empruntait aussi aux assurances sociales allemandes.
Les assurances sociales allemandes ont été créées par le Chancelier Otto von Bismarck : en 1883, l’assurance-maladie, en 1884, l’assurance accidents du travail et en 1889, l’assurance invalidité et vieillesse qui entrera en vigueur en 1891 [Mills, 1994]. Quant à la première loi sur le placement et l’assurance chômage, celle-ci ne fut introduite que bien après Bismarck, en 1925, face au chômage massif apparu après la Première Guerre mondiale. Le système de protection sociale fondé sur un financement par cotisations sociales assises sur les salaires versés dans les entreprises reste le principe de la couverture sociale en Allemagne. En référence, le terme de système « bismarckien » a été gardé pour les systèmes de protection sociale financés majoritairement par cotisations.
Mais la faille de ces systèmes est de ne couvrir en principe qu’une partie de la population, les actifs et leurs ayants-droit. Le plan Laroque faisait le pari de pallier cet inconvénient en visant l’universalité.
Le contenu du plan français de Sécurité sociale
Le plan français de Sécurité sociale s’est inspiré de textes élaborés par le Conseil national de la résistance, à partir des propositions des forces populaires du terrain.
Le dispositif juridique
L’ordonnance du 4 octobre 1945 instituait « une organisation de sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer la capacité de gain et de couvrir les charges de maternité et de famille ».
Quatre lois sont venues compléter ce dispositif en 1946. La première prévoyait la généralisation de la Sécurité sociale à tous les régimes, mais en réalité, la généralisation complète n’interviendra qu’en 1974. La deuxième loi étendait les prestations famille à toutes les populations, mais cette extension complète ne sera réalisée qu’en 1974 également. La troisième loi concernait l’assurance vieillesse qui devait être étendue à l’ensemble de la population, mais cela ne se fera complètement qu’en 1974. Enfin, la quatrième loi visait la création d’un régime général qui devait englober l’ensemble de la population et l’ensemble des risques, donc répondre au principe d’unité. Dans les faits, on en est resté à un régime général des seuls salariés, en raison notamment du souhait des régimes spéciaux qui préexistaient avant 1945 de garder leur spécificité. Mais les problèmes de démographie professionnelle de nombreux régimes spéciaux nécessiteront en 1974 que des mécanismes de compensation soient généralisés à partir du régime général.
Des principes d’universalité et d’unité vers une mixité qui a fait l’originalité du système de Sécurité sociale français
Les principes d’universalité et d’unité
Le principe d’universalité impliquait la sécurité pour les travailleurs et leur famille par la reconnaissance et la couverture d’un certain nombre de besoins sociaux et par l’exercice de droits sociaux nouveaux. Le principe d’unité visait à unifier la pluralité des régimes antérieurs (mutualistes, d’assurances sociales, d’entreprise) dominés par des solidarités professionnelles. Le but était d’instituer une solidarité nationale qui permettrait de dépasser le cadre ancien des solidarités professionnelles, mais on l’a dit les régimes préexistants refusèrent généralement cette unification.
Le financement
Certains pensaient qu’on devait envisager par la suite un financement unique à partir de l’impôt au nom de la solidarité nationale, mais c’est le principe des cotisations sociales liées à l’entreprise qui a été retenu, pour aboutir ainsi à une mixité entre solidarité professionnelle et solidarité nationale.
Échapper au principe assurantiel. L’une des spécificités du système français, bien que financé par cotisations, a été d’échapper au principe assurantiel. Dans un système assurantiel, les prestations sont à la fois fonction du revenu et du risque qui déterminent le montant de la cotisation. Dans la Sécurité sociale à l’inverse, le principe de solidarité veut que chacun cotise en fonction de ses moyens et de sa capacité productive et reçoive en fonction de ses besoins. Cela conduit en particulier à un taux de cotisation uniformément appliqué sur les salaires. Plus le salaire est élevé, plus la contribution est importante, même si l’existence d’un salaire plafond pour les cotisations limitait à l’origine cette logique.
La mixité et l’originalité du système de Sécurité sociale français
Mixité au niveau des objectifs, car la Sécurité sociale visait :
1. La solidarité nationale, c’est-à-dire contribuer à corriger les inégalités sociales avec un effet de redistribution du revenu, mais aussi satisfaire les besoins sociaux quel que soit le niveau de revenu et quelle que soit la capacité contributive.
2. La participation à la reconstruction de l’économie. Les prestations sociales vont permettre d’élargir les débouchés des entreprises à partir de l’accroissement de la consommation individuelle et collective, donc de la demande effective. Mais en même temps, la création du système de santé a permis notamment le développement des hôpitaux publics, ce qui conduisait à passer des commandes auprès d’entreprises des différents secteurs concernés. Ceci agissait sur l’incitation à investir et exerçait un effet de croissance sur la production, le revenu et l’emploi, en accord avec le précepte keynésien d’action sur la propension à consommer, le développement de la consommation par la solvabilisation des besoins, comme celui d’une action sur l’investissement public en escomptant un effet multiplicateur.
La Sécurité sociale va contribuer à un autre type de progression de la productivité du travail : la force de travail peut être renouvelée et développée car elle est mieux formée, mieux entretenue et mieux logée grâce à la politique familiale : elle en est donc plus motivée et plus dynamique. Le système de santé contribue pour sa part à réparer la force de travail, les retraites participent au renouvellement de la force de travail… Il s’agissait ainsi d’une prise en compte globale des besoins sociaux.
Originalité du financement. Le système de protection sociale français restera très longtemps original concernant son financement. Les cotisations sociales vont en représenter 75 % jusqu’à 1998, atteignant même 79 % à la fin des années 70. À partir de 1998, la proportion s’est établie quasiment à deux tiers du financement par cotisations et un tiers par l’impôt. Cette modification participe des difficultés actuelles du financement et de la remise en cause de la protection sociale. La spécificité du financement par cotisations sociales réside dans le fait qu’il s’agit d’un prélèvement sur la valeur ajoutée créée par les salariés. Ce financement est donc branché sur le lieu de la production des richesses et de la croissance réelle de l’économie. Les cotisations permettent le versement de prestations sociales pour le développement de la capacité productive des salariés, alors que la logique du financement par l’impôt est une rupture avec ce principe.
Analyse théorique : Le rôle du système de protection sociale de la régulation à la crise du système économique. Protection sociale et régulation du système économique.
La fonction de régulation de la protection sociale dans la phase d’essor du système économique de 1945 à 1967
Contrecarrer les processus cumulatifs de déséquilibres sociaux et économiques
Couvrir les coûts sociaux liés au type de progression de la productivité du travail. Cette couverture des déséquilibres sociaux et des coûts sociaux de la croissance est une nécessité, en amont et au cœur même du procès de travail. Elle contribue à la reproduction du système économique, à partir de mécanismes de régulation venant contrecarrer les déséquilibres sociaux susceptibles de compromettre la productivité du travail.
Répondre à la « dynamique des besoins sociaux »
Le système de protection sociale participe à la reproduction de la force de travail, en la maintenant en « bon état de marche » et en accroissant sa capacité productive de valeur ajoutée. Les conditions de la croissance d’après-guerre (nouvelles technologies, intensification du travail, production de masse) impliqueront une prise en compte de nouveaux besoins sociaux : qualification, santé, prévention et réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Un meilleur entretien de la force de travail et une meilleure couverture des besoins sociaux
Il contribue à la progression de la productivité du travail total : une partie du coût de la reproduction de la force de travail a dû être assurée grâce à un financement public socialisé. Si le salaire constitue la forme marchande de la reproduction de la force de travail, les transferts sociaux participent à cette reproduction en dehors du salaire. Mais comme le salaire n’est plus la forme unique de reproduction de la force de travail, les excès des économies relatives sur le travail vivant, sur les salaires (corrélativement au gonflement du capital matériel et financier, autrement dit du « travail passé ») sont, partiellement et provisoirement, compensés par le développement des transferts sociaux.
Contrecarrer la suraccumulation du capital, à travers les dépenses et son type de financement, par des formes nouvelles de dévalorisation structurelle
Il constitue une contre-tendance, à la baisse du taux de profit, puisqu’il élargit les profits réalisés et le développement des richesses produites à partir d’une force de travail mieux formée, reposée, mieux logée, bénéficiant de meilleures conditions de travail et de vie, donc plus motivée et plus dynamique. Au bout du compte, ce financement public de la reproduction de la force de travail par un prélèvement d’une partie de la valeur ajoutée créée, permet lui-même le développement de la capacité productive de valeur ajoutée des salariés.
Articuler relance de la productivité du travail et des débouchés intérieurs. Le système de protection sociale articule les gains de productivité du travail à l’élargissement des débouchés intérieurs des entreprises par une vaste solvabilisation de la demande grâce aux transferts sociaux.
Des dévalorisations structurelles originales pour contrecarrer les excès de suraccumulation du capital. Les nouveaux mécanismes de régulation et les transformations des structures après-guerre, grâce à l’extension du secteur public, ont permis de compenser les excès de suraccumulation du capital matériel et financier par des dévalorisations structurelles originales, dans la mesure où le financement public ne participait pas à la course à la valorisation du capital.
Articuler la relance de la consommation et la relance de la production
La protection sociale articule la sphère de la distribution et la sphère de la production, elle élargit la consommation privée et collective, stimule les débouchés des entreprises, donc l’incitation à investir, l’emploi et la production. La promotion du travail vivant devient ainsi moteur du progrès économique et permet des liaisons intimes entre l’extension des prestations et le développement de la productivité du travail. Les prestations participent ainsi à un autre type de développement économique et social. Le financement du système de protection sociale repose sur des cotisations assises sur les salaires versés dans les entreprises, mais permettant en même temps de financer les solidarités, telles notamment les prestations familiales.
Cependant le système de sécurité sociale ne constitue pas un remède obligatoire, ni éternel, aux contradictions du capitalisme. Il reste le produit d’un rapport de forces, politique et social, par nature évolutif. La protection sociale se transforme historiquement en fonction des problèmes concrets à résoudre et des modifications du rapport de forces, entre acteurs économiques, politiques et sociaux.
Ainsi dès la fin des années 1960 et le début des années 1970, les facteurs qui vont déclencher une nouvelle crise systémique de suraccumulation du capital sont à l’œuvre. Face aux politiques libérales d’austérité et aux plans de démolition de notre modèle social, qui en réalité enfoncent dans la crise, montent la nécessité d’une réforme alternative ainsi que la recherche de régulation nouvelle. zzz
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