Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La crise AREVA et la politique du pouvoir

Les mauvais résultats 2014 d'AREVA ont relancé les interrogations sur la stratégie d'affaiblissement du nucléaire français et son cautionnement par les pouvoirs publics, ainsi que son rôle dans le processus de privatisation d'EDF. Les conséquences pourraient en être dangereuses pour le pays.

1 - Historique jusqu’à la crise

Areva est un groupe industriel à l'histoire très récente. Né en septembre 2001 de la fusion des entreprises Cogema, Framatome, CEA-Industrie et Technicatome, il est alors devenu le premier acteur mondial. A ce jour, il est le seul à intervenir sur l'ensemble de la chaîne nucléaire. Ce modèle intégré, constitué lorsque Lionel Jospin était premier ministre, est remis en cause par les décisions récentes du gouvernement et du président de la république.

Entre 2002 et 2012, la droite a progressivement transposé les directives européennes, visant à déréguler les marchés de l’énergie, à créer les conditions d’une concurrence et d’un accès progressif du capital privé aux profits de cette filière. EDF et GDF ont été séparées. L’éclatement d’EDF entre la production d’électricité et la distribution de l’électricité est programmé. Il s’agit de permettre à des opérateurs privés de produire et vendre de l’électricité dans des conditions rentables. La loi NOME pousse à une hausse du prix de l’électricité, payée par le consommateur. Cette politique libérale comprend aussi la constitution de transnationales de base française, à partir d’entreprises publiques dont les finalités de services publics ont été remises en cause. Pour le marché de l’énergie électrique et gazière, les groupes AREVA, EDF et GDF se sont déployés à l’international de façon indépendante, voire concurrentielle. En 2010, le rapport Roussely déplorait l’absence de coopération entre AREVA et EDF lors des appels d’offre internationaux de centrales nucléaires : « L’échec aux Émirats Arabes Unis a surtout montré les limites de l’organisation des acteurs français face à une demande nouvelle de primo-accédant. L’issue aurait pu être différente si, dès qu’a été connue la position des Émirats, il y avait eu une analyse objective de la demande, débouchant sur une proposition d’offre sous pilotage d’EDF ».

Le rapport Roussely préconisait aussi que « La filière nucléaire doit atteindre une compétitivité attractive pour l’investissement Privé ». Plusieurs extraits du rapport anticipent les déclarations récentes d’Emmanuel Macron se prononçant pour une compétitivité d’AREVA et de l’électronucléaire français. « Les investisseurs privés sont aujourd’hui très réticents. Le caractère très capitalistique du nucléaire ne devrait pas être un élément dissuasif en soi. Une centrale nucléaire se prête a priori de manière idéale à des financements longs du fait de sa stabilité économique une fois en service : pas d’aléa climatique, coûts marginaux et d’exploitation faibles, fourniture en base, outil fiable. Une comparaison avec l’industrie pétrolière montre bien que ce n’est pas le montant des investissements, ni même l’inflation rapide de leurs coûts, qui pose un problème aux investisseurs privés pour s’engager dans le nucléaire. Une réflexion sur le financement du nucléaire conduit nécessairement à se poser la question « le nucléaire est-il une industrie comme les autres ? ». S’il ne fait aucun doute que l’ouverture au financement privé est une tendance lourde, il n’en reste pas moins que le nucléaire dispose de caractéristiques propres (risques, règles de sûreté et de sécurité, lien avec les questions de défense,…). En outre, l’État reste en France, comme dans de nombreux pays, le garant du nucléaire. Vouloir créer les conditions économiques d’un financement privé du nucléaire n’est pas un choix idéologique mais un principe de réalité : c'est la mesure la plus sûre de la compétitivité de notre industrie. Son développement ne se fera plus par un vaste programme national piloté par l’État ».

Si les orientations de principe du pouvoir actuel sont dans la continuité des recommandations du rapport Roussely établi pendant la présidence Sarkozy, le choix de remettre en cause le modèle intégré d’AREVA est plus récent.

2 - La politique immédiate du pouvoir

Entre 2010 et 2015, la conjoncture a évolué en défaveur de l’électronucléaire, en Europe et aux USA. L’économie européenne est en stagnation. Le capital financier, ayant de plus de plus de mal à se valoriser sur l’économie réelle, est fébrile et peu enclin à des investissements à long terme. Aux USA, le boom des gaz de schiste remet à plus tard une éventuelle relance de la construction de centrales nucléaires. Fukushima, le non redémarrage de la plupart des centrales Japonaises et l’arrêt des centrales Allemandes, ont réduit l’activité d’AREVA « combustibles et retraitement » à l’export. La construction de nouvelles centrales a surtout lieu en Asie, notamment en Chine. L’industrie Russe capte aussi une part importante des autres possibilités de commande (Finlande, Vietnam, RSA,..). Dans ce contexte, AREVA a un chiffre d’affaires en baisse (8,5 milliards d’euros) en dessous du minimum prévu de 10 milliards, aussi bien sur ses activités liées au combustible que sur la construction de centrales. Et l’enlisement du chantier de l’EPR Finlande nuit à sa crédibilité de constructeur mondial.

Depuis 2013, une campagne médiatique s’est focalisée sur l’affaire douteuse voire scandaleuse d’Uramin, sur le surcoût de l’EPR Finlande et le résultat comptable négatif de 2014. Un fil conducteur de cette campagne est d’expliquer les difficultés d’AREVA essentiellement comme le résultat de l’incompétence d’une direction. L’ancienne PDG d’AREVA « Anne Lauvergeon » est le bouc émissaire idéal. Donner à penser que le groupe AREVA ferait n’importe quoi est devenu un axe médiatique, notamment avec la question de la cuve de Flamanville, puis récemment sur les soupapes de pressuriseur. Il suffit qu’un examen soit en cours entre AREVA, EDF et l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), à propos d’un écart technique, pour qu’une médiatisation en donne une vision catastrophiste. Alors qu’établir des justifications particulières, pour certaines pièces en limite de critères, est une constante depuis le début de l’électronucléaire dans les années 1970. En fait, les règles de qualité (directives ESPN) imposées progressivement par l’administration française depuis 2005 sont de loin les plus exigeantes du monde (c’est l’explication de l’écart de la cuve de Flamanville).

Contrairement à la vision unilatérale, il n’y a pas que des erreurs dans les choix opérés par la direction d’AREVA. Depuis 2010, en son sein et dans celle d’EDF, les orientations générales du rapport Roussely sont un guide des feuilles de route. Les médias et le gouvernement passent sous silence une information importante. AREVA a beaucoup investi depuis 2005 pour renouveler ses équipements amont et aval du combustible. Jusqu’en 2012, l’investissement se montait à plus de 2 milliards par an soit de l’ordre de 20% du chiffre d’affaires ce qui est considérable. Le plan de la direction prévoit encore 1 milliard annuel pendant 3 ans, soit encore plus de 10 % du chiffre d’affaires. Ces investissements très lourds vont permettre à notre pays de répondre à ses besoins de combustibles pendant une cinquantaine d’années, et d’être un exportateur. Lorsque la conjoncture sera plus favorable à l’électronucléaire (hausse du pétrole, réchauffement climatique,…), AREVA redeviendra rentable. Mais, l’État n’assure pas son rôle d’actionnaire, ce qui a conduit AREVA à un endettement insupportable.

Le gouvernement et le président de la république mettent à profit le besoin de financement d’AREVA pour engager un abandon du modèle intégré et démanteler AREVA en vue d’offrir au capital privé les activités les plus lucratives. L’ingénierie générale d’AREVA est vouée à s’inclure dans EDF. La prise en main par EDF d’une filiale issue d’AREVA NP est une phase transitoire. Comme cela a déjà eu lieu avec Alsthom, le pouvoir n’exclue pas la prise de contrôle de certaines activités industrielles issues d’AREVA, par des transnationales de base étrangère. De même, le groupe ENGIE (nouveau nom de GDF) est pressenti pour acquérir l’activité services d’AREVA. S’il se réalise, ce charcutage éclatera des collectifs de travail, en leur imposant de traiter leurs rapports dans le cadre contractuel du droit des affaires et de la propriété intellectuelle. Pierre-Franck Chevet, le président de l’ASN a déclaré que « La situation d’Areva est préoccupante en matière de sûreté nucléaire et la phase de transition dans laquelle le groupe est engagé présente aussi des risques ». Manifestement, le pouvoir n’a pas comme fil conducteur principal l’amélioration de la sûreté de l’électronucléaire français. Comment alors comprendre la signification de la loi de transition énergétique, quant à l’évolution du parc nucléaire de centrales ?

3 - Loi de transition énergétique et projet libéral

L’intervention du pouvoir sur le devenir d’AREVA a lieu au moment où la loi de transition énergétique se finalise. Bizarrement, aucune analyse ne cherche à identifier un lien entre les deux choix politiques. L’objectif de réduire la consommation d’énergie à base de composants carbonés favorise un consensus. La loi se caractérise par l’intention volontariste de développer les énergies renouvelables, filière beaucoup plus attractive pour le capital financier avide de placements avec rentabilité à court terme, et sans contrainte forte en termes de règles de sûreté. Pour les libéraux, l’électronucléaire a l’inconvénient de nécessiter une forte implication de l’État pour contrecarrer les dérives découlant inéluctablement du capital privé, tandis que les renouvelables sont beaucoup plus compatibles avec la privatisation et la mise en concurrence. Dans l’immédiat, cette orientation bute sur une difficulté, à savoir que l’électricité éolienne coûte nettement plus chère que celle du nucléaire. Le rapport de l’ADEME, d’avril 2015, tombe à point nommé dans la situation politique. Son parti pris est de montrer coûte que coûte que l’abandon de l’électronucléaire à partir de 2050, par un recours aux renouvelables, ne serait pas si problématique que cela. Il se prononce aussi pour la concurrence « libre et non faussée », montrant ainsi que son rapport s’inscrit dans l’objectif d’une libéralisation complète du marché de l’énergie. Comme par hasard, sa critique est marginale dans l’espace médiatique. Un consensus se dessine en faveur d’un effort pour que la France accède aux technologies du stockage de l’énergie (rapport du conseil économique et social).

Un aspect de la loi de transition énergétique a donné lieu à une hésitation. Imposer une réduction à 50% de l’électricité nucléaire à la date rapprochée de 2025 est une mesure aux conséquences particulièrement lourdes si elle s’applique. Elle conduirait à renoncer à la possibilité de prolonger les centrales à 60 ans de vie, ceci alors que l’ASN a défini les mises à niveau post Fukushima le permettant avec une sûreté accrue (grand carénage…). Une nouvelle hausse du coût de l’électricité en découlerait. D’autre part, la construction des EPR modifiés (NM), en remplacement des vieux réacteurs, serait repoussée d’au moins 10 ans (de 2020 à 2030 au moins). Une telle situation entraînerait objectivement un démantèlement du potentiel industriel national. Le Sénat avait voté pour un report de l’échéance de 2025 par sagesse. Son retour dans le projet final voté par le Parlement est-il seulement une opération politicienne en direction d’EELV ? En fait, la politique de libéralisation du marché de l’énergie avance en se camouflant derrière un débat sur les technologies. Réduire dès 2025 à 50% le parc nucléaire est en apparence de bons sens suite à Fukushima, mais la concurrence sur les prix de marché de l’électricité tendra à dégrader la sûreté des centrales. Avec le contenu de la loi de transition énergétique votée par le Parlement, nous sommes donc loin de l’objectif d’une production d’électricité 100% publique et sécurisée.

Une politique non libérale de l’énergie devrait aborder les défis de l’avenir, en tenant compte des caractéristiques de notre pays résultant de son histoire. Son parc nucléaire et son industrie associée sont un acquis. L’EPR dans sa version initiale a certes des difficultés de mise au point, ce qui est classique dans une phase prototype. Une fois l’optimisation de l’EPR terminée, la France doit disposer d’un des modèles de centrales de génération 3+, parmi les plus sûrs du monde. Un autre est en cours de mise au point (modèle Américain - Japonais Westinghouse-Toshiba nommé AP1000). La France ne doit donc pas gâcher son acquis industriel, sous la pression des lobbies libéraux instrumentalisant la crainte du nucléaire.

L’application des préconisations post Fukushima de l’ASN, aux centrales françaises de génération 2 ayant bientôt 40 ans de vie, permettrait de prolonger leur fonctionnement jusqu’à 60 ans. Le prix de l’électricité serait ainsi moins lourd pour les consommateurs. L’amélioration de la sûreté serait d’autant mieux acquise que les travailleurs d’AREVA et d’EDF et de toute la filière, peuvent exercer leur métier dans de bonnes conditions, sans être soumis à l’exigence d’une rentabilité maximale. Une gestion vigilante et sereine de notre parc nucléaire n’exclut pas un effort national pour développer les technologies du stockage de l’électricité et celles de la régulation des mix énergétiques (assurer une fourniture électrique en réponse aux besoins, en compensant les intermittences de certains modes de production d’électricité). A l’opposé de l’approche irréaliste du rapport de l’ADEME, l’effort national pourrait respecter les étapes et le temps nécessaires à la création d’une industrie nationale. La mise au point d’un système de régulation de la fourniture d’électricité composée par des technologies renouvelables complémentaires pourrait aussi se réaliser dans les secteurs géographiques éloignés des centrales nucléaires (outre-mer,…). L’expérience plus précoce d’autres pays ne bénéficiant pas de l’acquis d’un parc nucléaire important serait aussi utile pour nos choix du futur. Les énergies renouvelables peuvent être une part significative du mix énergétique, à condition que leurs développements s’inscrivent dans la reconstruction d’un service public de l’énergie. Ce choix se joue notamment dans les modalités d’une transition énergétique, en combattant son dévoiement par le libéralisme.

 

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