Le contenu et la méthode de l’« accord » dicté par Merkel et Schäuble à la Grèce suscitent l’indignation dans toute l’Europe. Ce diktat ouvre une nouvelle phase dans le bras de fer sur l’utilisation de l’argent des Européens et, donc, sur l’euro et la politique de la Banque centrale européenne (BCE). Si une bataille a été perdue, il n’est pas question de déposer les armes. Nous soutenons Alexis Tsipras, qui a choisi la stratégie la plus propice à poursuivre le combat, alors qu’on voulait l’enfermer dans un choix entre trois impasses catastrophiques :
– la soumission aux exigences extravagantes des créanciers ;
– l’effondrement immédiat du système bancaire et la sortie de l’euro ;
– la sortie prétendument ordonnée de l’euro préconisée par Schäuble, et même par certains à gauche.
Les conséquences d’un « Grexit »
Un « Grexit » signifierait une dévaluation estimée au minimum à 40 % et donc une perte de pouvoir d’achat de 40 % et une augmentation du coût de la dette de 40 %. Elle n’apporterait aucun gain de compétitivité dans un pays où les salaires ont déjà baissé de 25 % et où l’appareil productif n’est pas capable de répondre à un surcroît de demande. En revanche, cela aurait pour effet immédiat une hausse des prix importés donc plus d’austérité salariale, une dette privée plus chère, des difficultés accrues pour financer les investissements et, finalement, une soumission encore plus forte à la finance. Avec Aube dorée au bout du processus. Par ailleurs, un « Grexit » déclencherait des assauts spéculatifs massifs pour faire sortir d’autres pays de la zone euro, à commencer par l’Italie (2 070 milliards d’euros de dettes), l’Espagne (966 milliards d’euros), le Portugal (219 milliards d’euros) et, probablement, la France ensuite. On entrerait dans une course sans fin de chaque pays aux dévaluations compétitives, antisalariales et déflationnistes renforçant encore la guerre économique pour prendre des parts de marché au détriment des partenaires européens. Au total, « ordonnée » ou pas, la sortie de l’euro, avec ses effets sociaux catastrophiques obérerait les espoirs de changement, non seulement en Grèce mais dans toute l’Union européenne. La dureté de l’affrontement crée la tentation de déserter la bataille en imaginant d’illusoires « plans B » qui se ramènent à accepter un « Grexit ». Au contraire, rien n’est plus urgent que d’amplifier le combat avec le peuple grec et son gouvernement pour une tout autre utilisation de l’argent des Européens.
Après le vote du 14 juillet, que constate-t-on ?
Schäuble n’a atteint aucun de ses deux objectifs : la Grèce n’est pas sortie de l’euro et le gouvernement Tsipras n’a pas été renversé. Par ailleurs, plusieurs voix s’élèvent pour dire que l’« accord » du 13 juillet, contraire à tout bon sens économique, n’est pas viable et que la dette publique grecque doit être impérativement restructurée.
Cette situation doit nous conduire à cibler maintenant la bataille sur le développement de l’économie grecque et donc sur les responsabilités de la Banque centrale européenne pour le financer.
Dans l’immédiat, puisque la Grèce est dans la zone euro, la BCE doit assurer la liquidité des banques grecques en augmentant suffisamment le plafond des liquidités d’urgence et en en diminuant le coût. Il est intolérable que chaque Grec ne puisse retirer de son compte que 420 euros par semaine ! Il est intolérable que les PME continuent d’être asséchées !
La Grèce ne peut s’en sortir que si les euros créés massivement par l’Euro-système servent à développer son potentiel économique et humain, au lieu de dilapider des milliards d’euros à engraisser les créanciers. Cela signifie :
– investir pour redresser le potentiel productif et pour créer les emplois dont les 25 % de chômeurs ont besoin ;
– construire une administration efficace (en commençant par la collecte de l’impôt) ;
– relancer tous les services publics, particulièrement les hôpitaux et l’enseignement ;
– restructurer et alléger la dette publique.
Il est indispensable que la Grèce puisse recevoir tous les fonds annoncés, y compris les fonds structurels non utilisés, et qu’elle puisse en disposer pour relever ces défis. C’est un enjeu démocratique fondamental.
On peut en dire autant, à des degrés divers, pour tous les pays de la zone euro. Face aux blocages exprimés par les dirigeants allemands au service du grand capital financier, il faut faire tout autrement en Europe au lieu de proposer, comme l’a fait François Hollande, une fuite en avant vers un fédéralisme renforcé et une fragmentation de la zone euro accentuant les dominations. Il faut cesser d’utiliser l’argent des Européens pour l’austérité et pour la finance et mettre en cause la Banque centrale européenne. La France (avec l’Italie, l’Espagne, la Belgique…) devrait proposer de créer un fonds européen pour tous les pays membres de l’euro pour financer le développement des services publics, de l’économie et de l’écologie en Europe. Ce fonds serait une première étape vers un fonds européen pour le développement intercalé entre la BCE et les États, que le PCF revendique avec le Parti de la gauche européenne. Cette institution financière publique serait financée par la BCE comme l’y autorise le traité de Lisbonne (article 123.2). Elle émettrait des titres publics que la BCE achèterait avec une partie des 1140 milliards d’euros qu’elle s’est engagée à créer, le 22 janvier dernier, pour stimuler l’économie européenne. Ce fonds serait géré démocratiquement avec des critères explicites de création d’emplois et de développement des services publics dans chaque pays. Il pourrait être une première étape vers la réorientation radicale et graduelle de la BCE et donc de l’Europe. Cela appelle une vraie bataille de masse.
Article publié dans le Journal L'Humanité
Par Boccara Frédéric, Dimicoli Yves , Durand Denis , Rauch Frédéric , Commission économique nationale du PCF , le 28 juillet 2015
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