Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Indemnisation des licenciements abusifs : de la flexi-sécurité à la flexi-impunité

« Interrogeons-nous : qui accepterait le plafonnement des réparations dues à la victime d’un accident de circulation causé par un chauffard au prétexte qu’il faudrait alléger les charges des compagnies d’assurance ? Un plafond pour la perte d’un bras, un plafond pour la perte d’un proche... »

 

Se conformant aux annonces du Premier ministre, la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’examiner le projet de loi « Macron » a très vite adopté, le jeudi 11 juin, un amendement du gouvernement plafonnant la réparation des licenciements injustifiés. Une réforme passée en force, un séisme pour la justice sociale.

Économie et Politique a choisi de publier cette tribune du mercredi 17 juin de la Filpac-CGT.

Lorsqu’il n’y a pas de rupture conventionnelle, une incertitude demeure avec les prud’hommes puisqu’il n’existe pas de plafond aux montants d’indemnisation prononcés », a expliqué Manuel Valls qui prétend que « renforcer la prévisibilité des décisions du juge prud’homal » sécurisera les parties au contrat de travail et, ainsi, lèvera un frein à l’embauche.

Si tel est bien le calcul, aussi contestable soit-il, n’aurait-il pas été plus honnête d’admettre qu’il s’agit exclusivement de sécuriser les employeurs : ne décident-ils pas seuls des embauches comme des licenciements ?

Pour favoriser les premières, il s’agirait donc de leur épargner, par privilège, les incertitudes inhérentes à toute procédure contentieuse. Car l’aléa judiciaire n’est ni réservé aux employeurs ni le fait des seuls prud’hommes, en dépit d’une rhétorique qui relève plus de l’escroquerie intellectuelle que de l’argumentation.

Réparation volontairement bridée

La même rhétorique au demeurant qui, jouant du langage courant, qualifie d’indemnités, souvent perçues comme forfaitaires, les dommages-intérêts, par nature individualisés, auxquels ouvrent droit les licenciements abusifs. Pour qui veut ouvrir les yeux, tout est là : le plafonnement de ces dommages-intérêts doit permettre à l’employeur d’évaluer par avance ce que lui coûtera le licenciement qu’un conseil de prud’hommes – ou, comme souvent, une cour d’appel – jugerait non justifié par une cause réelle et sérieuse.

Car il n’est bien question, ici, que de licenciements abusifs et non de ceux qui sont dûment motivés par une difficulté économique réelle, une réorganisation légitime, ou une faute avérée du salarié.

Le licenciement abusif est celui qui est contraire à la loi. Il constitue une faute de l’employeur. Une faute dont la réparation est ici volontairement bridée. Pourtant le socle protecteur du droit international qui s’impose à la France (Convention 158 de l’Organisation internationale du travail, Convention européenne des droits de l’homme, jurisprudence communautaire) tout comme les principes de la responsabilité civile, imposent la réparation intégrale du préjudice, qu’il soit matériel, moral ou caractérisé par la perte d’une chance. Faudrait-il donc que l’entreprise échappe à la règle selon laquelle « celui qui cause un dommage par sa faute s’oblige à le réparer entièrement » ?

Interrogeons-nous : qui accepterait le plafonnement des réparations dues à la victime d’un accident de circulation causé par un chauffard au prétexte qu’il faudrait alléger les charges des compagnies d’assurance ? Un plafond pour la perte d’un bras, un plafond pour la perte d’un proche…

Injustice et absurde

C’est pourtant bien le même principe qu’il s’agit ici d’appliquer : un plafond pour la perte d’un emploi… Ce barème au rabais gommera artificiellement l’étendue du préjudice propre à la situation de chaque salarié. Le juge prud’homal, les yeux rivés sur ses tableaux, ne pourra plus se préoccuper des pièces qui lui seront soumises, des vies qui lui seront confiées, butant sur le plafond empêchant la prise en compte de l’âge, des difficultés de réinsertion, des parcours professionnels brisés, des accusations injustement subies, des atteintes à la santé ou à la vie personnelle et familiale…

À l’injustice s’ajoutera d’ailleurs l’absurde. L’inégalité entre les salariés selon la taille de leur entreprise, d’abord : prime à la manœuvre « d’optimisation sociale » des employeurs qui répartissent leurs activités en filiales de petite taille… et injustice conduisant à n’accorder qu’une misère au salarié âgé qui restera durablement privé d’emploi… L’ancienneté du salarié comme seule variable, ensuite, alors qu’elle ne cesse d’être réduite au fil de carrières de plus en plus accidentées, et qu’en outre le salarié peut se voir licencier après avoir accepté de quitter un précédent emploi stable, victime de promesses non tenues…

Pour justifier ce gâchis en forme de nouvelle et inutile concession au patronat, le gouvernement ne craint pas les contre-vérités. Indemniser les salariés à juste proportion de leurs préjudices nuirait aux embauches ? Non, le poids des condamnations prud’homales ne fait pas chavirer les entreprises en France.

Moins de 2 % des licenciements économiques y sont contestés ; les salariés n’y font pas plus de recours qu’en Allemagne ; le contentieux prud’homal s’érode depuis 15 ans ; les condamnations sont très encadrées par les textes en vigueur et par le paritarisme des prud’hommes. Et l’Organisation de coopération et de développement économiques comme le Bureau international du travail confirment que l’indice de conflictualité n’a pas de répercussion réelle et significative sur les embauches en CDI.

Déni de justice généralisé

Faciliter les licenciements abusifs favoriserait l’emploi ? Le Medef promettait déjà en 2008 qu’assouplir la rupture des contrats allait « fluidifier le marché du travail » : à ce jour, plus d’1,8 million de contrats rompus par rupture conventionnelle, dont 80 % suivies d’une inscription à Pôle emploi. Tarifer à vil prix le coût des licenciements abusifs, c’est le premier pas vers la violation organisée de l’obligation de justifier les licenciements en décourageant les contestations des salariés, qui doivent déjà assumer les frais, les délais et la preuve dans le procès.

Couplée aux délais de justice déraisonnables contre lesquels l’État ne fait rien, au raccourcissement de la prescription en matière prud’homale en 2013, au remboursement à Pôle emploi par les salariés d’une partie de leurs allocations en cas de succès aux prud’hommes, cette réforme est l’atteinte de trop qui organise un déni de justice généralisé.

Persévérance d’un gouvernement « de gauche » appliqué à exaucer les souhaits d’un patronat insatiable. Déconstruction inexorable de notre droit du travail sacrifié aux lois du marché, au prétexte chimérique de créer des emplois. Quels emplois ? La supercherie n’est-elle pas trop criante pour ne pas pousser, enfin, au soulèvement ? ■

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