Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Chômage, emploi : les faits sont têtus

Dans ses perspectives économiques et financières pour2015 et2016, l’Unedic, s’appuyant sur les résultats provisoires publiés par l’INSEE le 13 mai dernier qui constatent que la croissance a progressé de + 0,6 % au 1er trimestre 2015, en tire la conclusion que « les dernières informations conjoncturelles font état d’une amélioration des perspectives d’activité en France ». Ainsi, sur cette base, le « consensus de économistes de mai a revu à la hausse sa prévision de croissance pour 2015… qui progresserait de 1,1 % ». Est-ce le signe d’une reprise de l’emploi, l’inversion tant annoncée de la courbe du chômage ?

Les estimations de l’Unedic concèdent que l’emploi affilié à l’assurance chômage a reculé de 8000 postes ce même trimestre (au total, depuis le 2e trimestres 2012, 170 000 postes affiliés ont été détruits [1]). Mais « sous les effets conjoints de l’amélioration de la croissance, du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du pacte de responsabilité, les créations d’emploi affilié à l’Assurance chômage reprendraient dès le 2e trimestre 2015 et augmenteraient progressivement jusqu’à la fin de l’année. Au total, sur l’ensemble de l’année 2015, 61000 postes seraient créés…» Ces prévisions sont déjà largement démenties par les deux premiers mois du 2e trimestre !

Des prévisions balayées par les chiffres

Pour Pôle emploi, le premier trimestre 2015 s’est traduit par 13 400 chômeurs de plus en catégorie A (2) et 58 900 en catégorie B (3) et C (4) ! Ce qui va dans le sens constaté par l’Unedic. Mais pour avril et mai, les augmentations sont déjà respectivement de 58 900 et 81 300. Toutes catégories A, B, C confondues, c’est 72 300 chômeurs supplémentaires inscrits à Pôle emploi au 1er trimestre et 123 700 chômeurs supplémentaires sur les deux premiers mois du second trimestre ! Il faudrait un sacré recul du chômage en juin pour confirmer le bilan positif annoncé par l’Unedic ! La Dares traduisait déjà cela en janvier par : « rebond de l’activité, contraction de l’emploi » !!!

Comme quoi, la croissance n’est pas automatiquement synonyme d’emplois. Selon la Banque de France, la croissance française devrait être soutenue par « la baisse du prix du pétrole et du taux de change » de l’euro, la « politique monétaire expansionniste » menée par la Banque centrale européenne et « l’amélioration des marges des entreprises ». Si la baisse du pétrole, très ponctuelle, améliore légèrement le PIB ainsi d’ailleurs que la baisse du taux de change qui donne de l’air aux entreprises exportatrices, cette fragile remontée de la croissance ne se traduit pas automatiquement par des investissements en France, notamment dans les grands groupes dont la production s’est largement mondialisée dans les pays à bas coût social ou les pays de la zone dollar. La politique expansionniste de la BCE se traduit par des prêts à taux extrêmement bas pour les banques mais sans aucune exigence sur l’utilisation de cet argent. Quant à l’amélioration des marges des entreprises, dont le CICE se veut l’élément moteur, c’est surtout une bonne aubaine pour les actionnaires.

Globalement, le constat est effarant. Depuis qu’il est élu, François Hollande a fait plus fort en terme d’aggravation du chômage que M. Sarkozy sur un laps de temps comparatif (3 dernières années de M. Sarkozy, 3 premières années de M. Hollande). Ni le pacte de compétitivité, ni le pacte de responsabilité, ni le CICE n’ont été en mesure du moindre frémissement de reprise de l’emploi.

Le dernier rapport sur le CICE (septembre 2014) résume bien l’affaire dans son titre : « Dans la statistique publique et dans la comptabilité des entreprises, le CICE s’interprète comme une baisse du coût du travail » ! Et c’est bien l’objectif du CICE. Par la baisse du coût du travail, il devait stimuler l’emploi et les investissements ! De fait, il ne débouche ni sur l’un ni sur l’autre. Ce sont les grands groupes qui, avec 35,2 %, en sont les principaux bénéficiaires : La Poste, la SNCF, PSA, Orange, EDF… Or La Poste a supprimé 6 284 emplois en 2014, la SNCF 1 500 postes ; quant aux effectifs de PSA, d’Orange, ils ne cessent de régresser. En fait, ces entreprises empochent les fonds pour mieux rémunérer les actionnaires, au détriment de l’emploi et des salaires, avec des conséquences très lourdes sur la demande. Quant aux PME et TPE, les montants de CICE qu’elles touchent remontent majoritairement à leurs donneurs d’ordres via les renégociations de contrats avec leurs entreprises clientes ou les crédits inter-entreprises octroyés par leurs donneurs d’ordres. Ou alors ils vont financer leur trésorerie pour leur permettre de réduire les risques de manque de liquidités. Au final, ces subventions publiques ne vont ni financer les investissements, ni créer des emplois. Ainsi, de janvier 2013, date de lancement du pacte de compétitivité et du pacte de responsabilité, à janvier 2015, le chômage a augmenté de 312 300 en catégorie A plus 239 600 en catégories B, C (551 900 au total). Le CICE, qui devrait coûter 6,5 milliards d’euros en 2014, pèsera dix milliards dans le budget 2015 de l’État. La mesure devant par la suite monter encore en charge pour atteindre 20 milliards d’euros en rythme de croisière à partir de 2019. Pour quelle efficacité économique et 
sociale ?

Le pacte de responsabilité devait conduire à des négociations, notamment sur la question de l’emploi, dans les branches professionnelles. Un échec ! M. Valls le reconnaît lui-même : « “L’effort est insuffisant” du côté des entreprises… le compte n’y est pas… » « L’État a pris ses responsabilités et tenu son engagement en créant le CICE et le Pacte. Aux partenaires économiques de prendre les leurs, en mettant pleinement à profit leurs nouvelles marges de manœuvre pour investir et pour embaucher et en négociant dans toutes les branches des engagements pour l’emploi et la formation des jeunes, comme le prévoyait l’accord signé le 5 mars 2014 - il y a plus d’un an – par le Medef, la CGPME et l’UPA. »

Naïveté ou duplicité ? Dans notre société pliée aux désirs de la finance, au service des actionnaires, croire ou donner à croire que le patronat, sous la houlette notamment du Medef, va, sans y être contraint, investir et développer l’emploi au-delà du minimum nécessaire pour assurer la pérennité des entreprises et de leur bilan financier est une escroquerie.

Et le bilan est là, perceptible même pour Bercy : d’un côté, pas de croissance d’effectifs dans les entreprises, de l’autre, le manque à gagner pour satisfaire aux cadeaux fiscaux et sur les cotisations sociales a des conséquences négatives sur l’emploi. Comme le montre le texte, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2014 et mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale le 20 juin : «Selon les prévisions établies par le ministère des Finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50milliards d’euros proposé par le Gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7% par an en moyenne entre2015 et2017, et pourrait entraîner la suppression de 250000 emplois à horizon 2017.» Cela signifie que, même si les 190000 emplois prévus par le gouvernement du fait de la baisse des charges des entreprises voyait le jour d’ici 2017, ce que plus personne ne croit, le bilan resterait négatif de 60000 emplois.

Le chômage, la précarité produisent de la pauvreté, de l’exclusion

La précarité de l’emploi touche tout particulièrement les jeunes générations

C’est en 1982, par ordonnance, que le CDI est devenu la norme du contrat de travail (art L1221-2 du Code du travail). Mais depuis 1982, la part des CDD et des autres formes de travail précaire n’a cessé d’augmenter. Les 3/4 des premiers emplois se font en CDD, créant ainsi une perte de repère chez les jeunes. Le CDD devient la norme chez les moins de 25 ans.

Le CDI reste la norme du contrat de travail avec 86% des salariés en CDI (Dares, 3e trimestre 2015). Mais les chômeurs sont pris dans un engrenage de précarité terrible: au 4e trimestre 2014, 86% des embauches s’effectuaient en CDD.

La très grosse majorité des CDD est de courte durée. En 2013, plus de la moitié des CDD n’ont dépassé 10 jours (Dares). Cela conduit les chômeurs à passer d’une catégorie à l’autre (A, B, C) dans l’année avec un taux de rotation important. à titre comparatif, sur 100 emplois en CDI, il n’y a que 10 entrées ou sorties dans l’année alors que pour 100 emplois en CDD, il y a 1000 entrées ou sorties!

C’est ce qui explique la perméabilité entre les catégories A, B, et C de pôle emploi: un mois avec deux CDD de 10 jours (catégorie C) puis rien le mois suivant (catégorie A).

Le temps partiel facteur de pauvreté

CDI et CDD ne veulent pas dire emploi à temps plein. Ainsi, le temps partiel occupe 4,236millions de salariés (en 2012, Dares) dont environ 15% sont en CDD. Cela représente quand même 18,6% des salariés, dont 6,6% des hommes et 30,7% des femmes (82% du temps partiel est féminin). Un tiers des salariés concernés affirme occuper ce temps partiel faute d’avoir trouvé un temps plein.

Part de CDD dans les embauches

Source : Dares, DMMO-EMMO (données 2014 provisoires), n° 38, mai 2015

Conséquence inévitable de cette situation de précarité, l’Insee observe la montée du nombre de travailleurs pauvres en France

Le développement du temps partiel (pour partie contraint) et le morcellement de périodes d’activité sur l’année conduisent une part croissante de travailleurs à vivre avec des ressources très faibles en moyenne, même s’ils ont, à un moment donné, un salaire supérieur au seuil de pauvreté. Le Revenu de solidarité active (RSA) et son volet «activité», mis en place à partir de 2009 pour lutter contre la pauvreté laborieuse, n’a guère modifié la situation, au contraire. Le travailleur pauvre fait désormais partie du paysage français, et il est en progression. Il s’agit, selon la définition française retenue par l’Insee, d’un travailleur ayant travaillé au moins 1 mois dans l’année et dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (50% du salaire médian).

En mars2013, on comptabilisait un million de personnes exerçant un emploi mais disposant, après avoir comptabilisé les prestations sociales (primes pour l’emploi, allocations logement, etc.), d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (moins de 800€ par mois). Ce chiffre atteignait 1,9million si l’on prend en compte le seuil à 60%. «Nous ne considérons que les actifs occupés, et non l’ensemble des personnes qui vivent dans un ménage où la personne de référence est un actif occupé, soit deux millions de personnes au seuil de 50% et le double au seuil de 60% » (Centre d’observation de la société). Le nombre de travailleurs pauvres a grossi de 154000 personnes entre2002 et2012 au seuil de 50%, de 34000 au seuil de 60% du revenu médian. Ces chiffres datent de 2012 et sont donc très largement dépassés avec l’accélération de la montée du chômage.

L’austérité, n’est pas une fatalité.

Ce sombre constat sur la situation de l’emploi montre à l’évidence la nécessité de changer radicalement de cap. Les mesures Hollande visent à réduire le coût du travail, avec son corollaire baisse de la demande alors qu’il faut s’attaquer aux coûts du capital dividendes et intérêts. L’argent doit être mobilisé pour sécuriser et développer l’emploi, développer les salaires se traduisant par une hausse de la demande justifiant l’augmentation de l’offre. Pas l’argent des salariés, de leurs familles, mais l’argent des profits, l’argent des banques. Le crédit bancaire doit être orienté vers une utilisation vertueuse pour un nouveau type de croissance et de développement social et durable.

Quel scandale de voir le Pdg de SFR, déjà endetté de 32 milliards d’euros, être en mesure de proposer 11milliards d'euros pour racheter Bouygues-Télécoms grâce à un emprunt auprès de BNP Paribas, alors que tant de petites entreprises se voient refuser les lignes de crédit nécessaire à leur développement, notamment par cette même banque.

En parallèle avec l’utilisation des crédits, se repose la question de la propriété d’un certain nombre d’entreprises en lien avec un pôle public bancaire et l’intervention des salariés dans les choix stratégiques de l’entreprise.

Alors que «les économies» budgétaires du gouvernement conduisent à des réductions importantes des services publics, il faut au contraire développer pleinement ceux-ci, financés par la création monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Il s’agit de répondre aux besoins de santé, d’éducation, de formation, de transports, aux nouveaux besoins tant de la petite enfance que des personnes âgées… propices tant au bien-être de nos populations qu’au développement économique du pays, les deux étant intimement liés. C’est le sens de notre proposition de la constitution d’un Fonds européen de développement économique, social et écologique. Ce Fonds aurait un double objectif: financer directement les services publics des pays européens et inciter le service bancaire à financer des investissements dans la sphère productive répondant à des critères d’emplois, de formation, de respect de l’environnement. Les besoins existent, l’aspiration à une vie meilleure aussi. Il s’agit de faire monter l’idée que, a contrario de l’austérité, répondre aux besoins c’est très bon pour l’économie. Cette idée doit devenir majoritaire dans notre pays, en Europe, dans le monde. Articulée aux luttes, elle peut mettre un terme à la dictature des marchés financiers.

 

 

(1) Situation financière de l’Assurance chômage. Perspectives pour les années 2015 à 2018.

(2) Catégorie A, sans emploi avec actes positifs de recherche d’emploi.

(3) Catégorie B : activité réduite courte, (moins de 76 heures dans le mois). Actes positifs de recherche d’emploi.

(4) Catégorie C, activité réduite longue (plus de 76 heures). Actes positifs de recherche d’emploi.

 

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