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Faut-il mettre en place un prélèvement de l’impôt à la source ?

Jean-Marc Durand Membre de 
la commission économique 
du PCF Dominique Lefebvre Député PS 
du Val-d’Oise, vice-président de la commission 
des Finances
 

Le débat sur le prélèvement de l’impôt à la source a été relancé au prétexte qu’il simplifierait le recouvrement. Qu’en pensez-vous ?

 

Jean-Marc Durand L’argument massue des partisans du prélèvement à la source est en effet la simplification du recouvrement, mais aussi sa sécurité et la régularité des rentrées fiscales. Ce ne sont que des prétextes. En matière de simplification et de régularité des recettes, il existe aujourd’hui deux outils particulièrement efficaces. D’une part, la déclaration préremplie, qui simplifie les choses pour les contribuables comme pour l’administration. D’autre part, la mensualisation du recouvrement de l’impôt sur le revenu et des impôts locaux, adoptée par beaucoup de contribuables et qui permet d’assurer une régularité des rentrées fiscales.

 

Dominique Lefebvre Le prélèvement à la source simplifiera certes le recouvrement de l’impôt sur le revenu (IR), mais il simplifiera surtout la vie de nos concitoyens et c’est une vraie et bonne raison de le faire. La France est d’ailleurs, avec la Suisse et Singapour, le seul pays développé à ne pas l’avoir mis en place, bien qu’on en parle depuis plus de quarante ans. Il est temps de s’y mettre. Aujourd’hui, les contribuables payent chaque année l’impôt dû sur les revenus de l’année précédente, soit par prélèvement mensuel (50 %), soit pour les autres par tiers provisionnels en février et mai et, pour le solde, en septembre. Or, chaque année, les revenus d’un tiers des foyers fiscaux baissent pour diverses raisons (retraite, arrêt d’activité, chômage, maladie, etc.) et cela crée des difficultés de paiement. C’est la première raison des difficultés pour nos concitoyens, bien plus que les changements dans la composition du foyer fiscal ou la perte d’avantages fiscaux. Avec le prélèvement à la source, les Français payeront l’impôt sur leur revenu de l’année et la mensualisation sera généralisée. Cela veut dire que le prélèvement s’adaptera au revenu. Si votre taux moyen d’imposition est de 5 %, les services fiscaux prélèveront chaque mois 5 % de votre revenu, que vous gagniez 1 200 euros ou que vous gagniez 2 000 euros. Outre que les contribuables connaîtront dès le début de l’année les règles fiscales, alors qu’elles sont actuellement votées à la fin de l’année, l’impôt sera davantage prévisible. Même si, en raison des spécificités de l’IR (la conjugalisation, la familialisation et la personnalisation de l’impôt), il faudra toujours faire a posteriori une déclaration – aujourd’hui largement préremplie par les services fiscaux – et qu’il y aura toujours une régularisation au final, cette dernière sera bien moins importante et donc plus supportable.

 

Cette mesure semble minimale. Est-elle si anodine qu’elle n’y paraît concernant la fiscalité ?

Dominique Lefebvre Changer le mode de prélèvement n’est pas en soi une réforme fiscale parce que cela ne change pas le mode de calcul de l’impôt. Cette réforme n’est cependant pas simple à faire, car il faut garantir la confidentialité des données fiscales de nos concitoyens, ce qui est un impératif constitutionnel absolu, comme garantir l’égalité devant l’impôt, notamment entre salariés et non-salariés. Des solutions existent comme dans les autres pays qui l’ont mise en œuvre. Et il faudra surtout choisir les modalités de ce prélèvement, soit comme la CSG par l’employeur, soit par le système bancaire. Il faudra enfin régler la question de la transition, car il n’est pas possible de payer une année deux fois l’impôt, cela ne serait pas supportable socialement et économiquement, et l’État ne peut pas non plus perdre une année de recettes. Mais, au final, cela permettra dans l’avenir de réformer plus facilement cet impôt pour le rendre plus juste, qu’il s’agisse de remettre en cause des niches fiscales ou de rapprocher l’impôt sur le revenu et la CSG.

Jean-Marc Durand Les effets du prélèvement à la source ne seraient pas anodins. D’abord, seuls les revenus salariaux seraient concernés car faciles à suivre et à appréhender. Et la facture serait salée. Nous aurions à payer la même année l’impôt de l’année N-1 et l’impôt de l’année N. S’ajoutent à cette situation des questions touchant à l’évolution de l’architecture de la fiscalité des personnes et du financement de la protection sociale. Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu est simple en présence d’un contribuable célibataire, sans personnes rattachées à son foyer fiscal et ne percevant que des salaires de la part d’un seul employeur. Il l’est nettement moins lorsque le foyer fiscal est composé de plusieurs personnes encaissant des revenus de sources différentes. Seule une modification de l’architecture de l’impôt sur le revenu, notamment en supprimant le quotient familial, permettrait de limiter les difficultés mais avec un gros impact sur les ménages (9 millions de foyers fiscaux seraient perdants selon un rapport de 2013 des services de Bercy). Au-delà d’une transformation de l’architecture de la fiscalité des personnes, c’est toute la cohérence et toute l’organisation des prélèvements fiscaux et sociaux que cela viendrait bouleverser. Par le moyen qu’il offre de rendre les prélèvements à la fois plus indolores et moins transparents, le prélèvement à la source représente le support logistique idéal à un processus visant à remplacer les cotisations sociales, tout particulièrement la part patronale, par de l’impôt des particuliers et donc à une fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG. Ce serait aussi le moyen d’économiser sur le dos des agents des finances jusqu’à supprimer 1 500 emplois. Enfin, les entreprises devenant collectrices de cet impôt, on peut s’interroger sur leur diligence à le reverser au Trésor public. La fraude à la TVA en donne un avant-goût. Et s’ajoute une question de confidentialité. Objectivement le prélèvement à la source représente un danger autant pour le devenir des prélèvements fiscaux et sociaux que pour les citoyens, dont l’impôt personnel augmenterait à coup sûr.

Article paru dans le journal l'Humanité du 12 juin 2015

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