Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’économie et le droit

On retient généralement comme apport essentiel de Marx le rôle déterminant de l’infrastructure économique sur toutes les formes de superstructures qui en dépendent. Mais trop souvent une lecture simplifiée omet ce qu’il dit de l’action en retour de la superstructure sur l’infrastructure par l’action transformatrice. Or c’est dans cet aller-retour incessant que se construit la relation du droit et de l’économie.

On retient généralement, à juste titre, comme un apport essentiel de Marx le rôle déterminant de l’infrastructure économique sur toutes les formes de superstructures qui en dépendent.

Il en est ainsi de la conscience du rapport de l’être humain à la société et à la nature, et de l’action qui en résulte.

Mais trop souvent une lecture simplifiée a omis ce qu’il dit, à non moins juste titre, de l’action en retour de la superstructure sur l’infrastructure par l’action, modificatrice sinon transformatrice, qu’y exerce la façon dont les hommes en déduisent leur comportement et leur gestion de ce que leur offre à gérer cette superstructure.

Or nous arrivons à une période où le développement des forces productives génère dans les rapports de production une combinaison contradictoire entre la crise d’infrastructure du capitalisme mondialisé et la conscience issue du double résultat sur la superstructure que sont le développement de l’alphabétisation et des communications.

Il en résulte une situation de nature à renverser le rapport d’influence respective de l’infrastructure et de la superstructure, pour une transformation de la première par l’action de la seconde.

En termes plus simples, la question est posée de l’inversion du rapport de l’être humain à la société et à la nature, c’est-à-dire de la vieille définition classique de l’objectif, voire de la raison d’être du communisme.

Et ici, alors, se fait la rencontre du juridique et de l’économique.

En effet, on résume trop souvent le Droit aux droits.

Pourtant « les » droits ne sont que des dispositions protectrices contre l’absolutisme d’un pouvoir supérieur, en quelque sorte la panoplie de protection du bétail humain, au même titre que les libertés, dont Marx encore disait qu’elles n’auront plus de sens quand elles auront laissé la place à la maîtrise.

« Le » Droit a pour rôle de définir des rapports de pouvoir. Même un contrat entre deux personnes définit les pouvoirs mutuels qu’elles se reconnaissent l’une vis-à-vis de l’autre.

Cela est si vrai que les deux Pactes des Nations unies du 16 décembre 1966 ont pour semblable article 1er le rappel du principe fondamental du droit international qu’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

C’est sous cette approche que doit être revisitée l’histoire du droit, au moins dans la période des deux millénaires écoulés.

Prenons par commodité (ou par lâcheté ? ou par modestie et prudence, dans les limites de nos connaissances) l’exemple de la France.

Mais avant d’entreprendre la visite, tenons compte de ce qu’il y a deux fonctions du droit, qui ne s’opposent pas mais se complètent : la fonction organisatrice et la fonction légitimatrice.

Pendant des siècles va être en vigueur un droit d’encadrement où l’être humain est objet de pouvoir, et même de propriété. La déterminante économique est la féodalité, et la fonction légitimatrice va être le droit divin.

Mais cela explose avec la Révolution de 1789.

La déterminante économique est le passage à l’économie mercantile de ce qu’on pourrait appeler le capitalisme de masse de la bourgeoisie, qui va générer un droit légitimateur contradictoire.

Pour s’affranchir de la féodalité, elle a besoin d’un droit légitimateur de libération ; et comme elle a besoin du soutien populaire, elle le formulera en termes universels. Cela donne la Déclaration des droits de l’homme. Et comme elle doit aussi affirmer son droit au pouvoir, la Déclaration est aussi celle des droits du citoyen.

Mais elle a aussi besoin d’exercer son pouvoir économique sur le peuple. Donc tout le droit d’organisation va être fondé sur le droit de propriété.

Cependant, le développement de l’économie industrielle demande une main d’œuvre alphabétisée, d’où l’école obligatoire, ce qui va produire un retour en force des contradictions de la superstructure sur l’infrastructure économique.

La classe dominée et exploitée prend au mot le droit légitimateur de libération, ce qui va donner, dès la moitié du xixe, la lutte pour le passage des droits civils et politiques aux droits économiques et sociaux, mais aussi un siècle et demi de luttes pour un contenu de souveraineté populaire de la démocratie, et un combat pied à pied pour en conquérir des mises en œuvre dans le droit d’organisation.

Nous avons alors une superstructure déchirée en affrontement de deux pouvoirs antagonistes de maîtrise sociale,

C’est alors que va intervenir une nouvelle détermination de la superstructure politique et juridique par l’évolution de l’infrastructure économique. Le capitalisme financier en voie de concentration n’a plus que faire des besoins anciens de libération humaine de la bourgeoisie marchande de masse, qui au contraire l’entravent.

Et ce sera la Ve République, sous le mot d’ordre gaulliste « finies la lampe à huile et la machine à voile ». Sous le couvert d’un droit légitimateur de modernité et d’efficacité, on bouleverse le droit d’organisation, au bénéfice de sa centralisation et de sa bureaucratisation, et on va se débarrasser du droit de légitimation en légitimant le privilège au droit d’organisation.

Et l’opération va être facilitée par le fait que l’évolution de l’infrastructure, avec le développement des forces productives et la révolution scientifique et technique, va secréter une idéologie moderniste et techniciste favorisant la délégation de pouvoir et l’expertocratie.

Mais en même temps le capitalisme centralisé doit se libérer des contraintes que lui a imposées le contre-pouvoir social. Le libéralisme d’hier se libérait du pouvoir féodal d’en haut, aujourd’hui il se libère du pouvoir social d’en bas.

Nous arrivons donc à l’étape ultime où s’impose l’inversion de la maîtrise sur l’infrastructure, où tous les ingrédients idéologiques produits par les affrontements antérieurs commandent cette inversion et en proclament la légitimité mais où l’enjeu devient de savoir qui des antagonismes en présence aura le dessus : ceux qui combattent pour imposer leur infrastructure face aux conquêtes de légitimité de la superstructure, ou ceux qui utiliseront ces acquis de légitimité pour inverser l’infrastructure.

Il a fallu un pouvoir pour proclamer des droits, un pouvoir pour en assurer l’application, un pouvoir pour définir les instruments de pouvoir et pour les faire fonctionner, pour instituer les comités d’entreprise, les nationalisations.

Encore ce pouvoir avait-il ses propres critères de légitimité non pas seulement dans ses objectifs mais dans ses modalités.

Lorsque le capitalisme centralisé passa à son mode de gestion par un droit bureaucratique centralisé, il se trouva des économistes se réclamant du marxisme pour s’en féliciter, au motif que ces structures seraient toutes prêtes pour les mettre au service d’une gestion socialiste. L’exemple des États socialistes n’y était certainement pas étranger, et on sait ce qu’il en est advenu.

Aujourd’hui, au plan de la superstructure, les énoncés du droit de légitimité sont parvenus à leur apogée, avec la Charte des Nations unies qui proclame le droit des peuples à leur libre disposition, et fait de leur État l’instrument de mise en œuvre de ce droit, le transformant ainsi de pouvoir régalien en service public.

Mais cette proclamation n’a pas encore réussi à modifier le droit d’organisation pour faire que ce droit légitimateur soit effectif dans le domaine de la gestion de l’économie.

Les accords de Bretton Woods, en effet, ont réservé l’organisation économique du monde aux institutions financières internationales qui sont contraires à ce droit légitimateur, et il reste aux peuples à mener le combat qui mette le droit organisateur en conformité avec le droit légitimateur, c’est-à-dire à remplacer les institutions financières par des coopératives de gestion des biens communs de l’humanité dans l’intérêt commun de satisfaction des besoins.

Plus simplement, il ne peut pas y avoir de transformation de l’économie sans pouvoir sur l’économie ni donc en faisant l’impasse sur les moyens de pouvoir que sont les acquis juridiques de légitimité et leurs conséquences dans le droit d’organisation, mais aussi sur les moyens de pouvoir pour y parvenir. n

On retient généralement comme apport essentiel de Marx le rôle déterminant de l’infrastructure économique sur toutes les formes de superstructures qui en dépendent. Mais trop souvent une lecture simplifiée omet ce qu’il dit de l’action en retour de la superstructure sur l’infrastructure par l’action transformatrice. Or c’est dans cet aller-retour incessant que se construit la relation du droit et de l’économie.

 

 

On retient généralement, à juste titre, comme un apport essentiel de Marx le rôle déterminant de l’infrastructure économique sur toutes les formes de superstructures qui en dépendent.

Il en est ainsi de la conscience du rapport de l’être humain à la société et à la nature, et de l’action qui en résulte.

Mais trop souvent une lecture simplifiée a omis ce qu’il dit, à non moins juste titre, de l’action en retour de la superstructure sur l’infrastructure par l’action, modificatrice sinon transformatrice, qu’y exerce la façon dont les hommes en déduisent leur comportement et leur gestion de ce que leur offre à gérer cette superstructure.

Or nous arrivons à une période où le développement des forces productives génère dans les rapports de production une combinaison contradictoire entre la crise d’infrastructure du capitalisme mondialisé et la conscience issue du double résultat sur la superstructure que sont le développement de l’alphabétisation et des communications.

Il en résulte une situation de nature à renverser le rapport d’influence respective de l’infrastructure et de la superstructure, pour une transformation de la première par l’action de la seconde.

En termes plus simples, la question est posée de l’inversion du rapport de l’être humain à la société et à la nature, c’est-à-dire de la vieille définition classique de l’objectif, voire de la raison d’être du communisme.

Et ici, alors, se fait la rencontre du juridique et de l’économique.

En effet, on résume trop souvent le Droit aux droits.

Pourtant « les » droits ne sont que des dispositions protectrices contre l’absolutisme d’un pouvoir supérieur, en quelque sorte la panoplie de protection du bétail humain, au même titre que les libertés, dont Marx encore disait qu’elles n’auront plus de sens quand elles auront laissé la place à la maîtrise.

« Le » Droit a pour rôle de définir des rapports de pouvoir. Même un contrat entre deux personnes définit les pouvoirs mutuels qu’elles se reconnaissent l’une vis-à-vis de l’autre.

Cela est si vrai que les deux Pactes des Nations unies du 16 décembre 1966 ont pour semblable article 1er le rappel du principe fondamental du droit international qu’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

C’est sous cette approche que doit être revisitée l’histoire du droit, au moins dans la période des deux millénaires écoulés.

Prenons par commodité (ou par lâcheté ? ou par modestie et prudence, dans les limites de nos connaissances) l’exemple de la France.

Mais avant d’entreprendre la visite, tenons compte de ce qu’il y a deux fonctions du droit, qui ne s’opposent pas mais se complètent : la fonction organisatrice et la fonction légitimatrice.

Pendant des siècles va être en vigueur un droit d’encadrement où l’être humain est objet de pouvoir, et même de propriété. La déterminante économique est la féodalité, et la fonction légitimatrice va être le droit divin.

Mais cela explose avec la Révolution de 1789.

La déterminante économique est le passage à l’économie mercantile de ce qu’on pourrait appeler le capitalisme de masse de la bourgeoisie, qui va générer un droit légitimateur contradictoire.

Pour s’affranchir de la féodalité, elle a besoin d’un droit légitimateur de libération ; et comme elle a besoin du soutien populaire, elle le formulera en termes universels. Cela donne la Déclaration des droits de l’homme. Et comme elle doit aussi affirmer son droit au pouvoir, la Déclaration est aussi celle des droits du citoyen.

Mais elle a aussi besoin d’exercer son pouvoir économique sur le peuple. Donc tout le droit d’organisation va être fondé sur le droit de propriété.

Cependant, le développement de l’économie industrielle demande une main d’œuvre alphabétisée, d’où l’école obligatoire, ce qui va produire un retour en force des contradictions de la superstructure sur l’infrastructure économique.

La classe dominée et exploitée prend au mot le droit légitimateur de libération, ce qui va donner, dès la moitié du xixe, la lutte pour le passage des droits civils et politiques aux droits économiques et sociaux, mais aussi un siècle et demi de luttes pour un contenu de souveraineté populaire de la démocratie, et un combat pied à pied pour en conquérir des mises en œuvre dans le droit d’organisation.

Nous avons alors une superstructure déchirée en affrontement de deux pouvoirs antagonistes de maîtrise sociale,

C’est alors que va intervenir une nouvelle détermination de la superstructure politique et juridique par l’évolution de l’infrastructure économique. Le capitalisme financier en voie de concentration n’a plus que faire des besoins anciens de libération humaine de la bourgeoisie marchande de masse, qui au contraire l’entravent.

Et ce sera la Ve République, sous le mot d’ordre gaulliste « finies la lampe à huile et la machine à voile ». Sous le couvert d’un droit légitimateur de modernité et d’efficacité, on bouleverse le droit d’organisation, au bénéfice de sa centralisation et de sa bureaucratisation, et on va se débarrasser du droit de légitimation en légitimant le privilège au droit d’organisation.

Et l’opération va être facilitée par le fait que l’évolution de l’infrastructure, avec le développement des forces productives et la révolution scientifique et technique, va secréter une idéologie moderniste et techniciste favorisant la délégation de pouvoir et l’expertocratie.

Mais en même temps le capitalisme centralisé doit se libérer des contraintes que lui a imposées le contre-pouvoir social. Le libéralisme d’hier se libérait du pouvoir féodal d’en haut, aujourd’hui il se libère du pouvoir social d’en bas.

Nous arrivons donc à l’étape ultime où s’impose l’inversion de la maîtrise sur l’infrastructure, où tous les ingrédients idéologiques produits par les affrontements antérieurs commandent cette inversion et en proclament la légitimité mais où l’enjeu devient de savoir qui des antagonismes en présence aura le dessus : ceux qui combattent pour imposer leur infrastructure face aux conquêtes de légitimité de la superstructure, ou ceux qui utiliseront ces acquis de légitimité pour inverser l’infrastructure.

Il a fallu un pouvoir pour proclamer des droits, un pouvoir pour en assurer l’application, un pouvoir pour définir les instruments de pouvoir et pour les faire fonctionner, pour instituer les comités d’entreprise, les nationalisations.

Encore ce pouvoir avait-il ses propres critères de légitimité non pas seulement dans ses objectifs mais dans ses modalités.

Lorsque le capitalisme centralisé passa à son mode de gestion par un droit bureaucratique centralisé, il se trouva des économistes se réclamant du marxisme pour s’en féliciter, au motif que ces structures seraient toutes prêtes pour les mettre au service d’une gestion socialiste. L’exemple des États socialistes n’y était certainement pas étranger, et on sait ce qu’il en est advenu.

Aujourd’hui, au plan de la superstructure, les énoncés du droit de légitimité sont parvenus à leur apogée, avec la Charte des Nations unies qui proclame le droit des peuples à leur libre disposition, et fait de leur État l’instrument de mise en œuvre de ce droit, le transformant ainsi de pouvoir régalien en service public.

Mais cette proclamation n’a pas encore réussi à modifier le droit d’organisation pour faire que ce droit légitimateur soit effectif dans le domaine de la gestion de l’économie.

Les accords de Bretton Woods, en effet, ont réservé l’organisation économique du monde aux institutions financières internationales qui sont contraires à ce droit légitimateur, et il reste aux peuples à mener le combat qui mette le droit organisateur en conformité avec le droit légitimateur, c’est-à-dire à remplacer les institutions financières par des coopératives de gestion des biens communs de l’humanité dans l’intérêt commun de satisfaction des besoins.

Plus simplement, il ne peut pas y avoir de transformation de l’économie sans pouvoir sur l’économie ni donc en faisant l’impasse sur les moyens de pouvoir que sont les acquis juridiques de légitimité et leurs conséquences dans le droit d’organisation, mais aussi sur les moyens de pouvoir pour y parvenir. n

 

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