Basé sur la solidarité, la gratuité, l’anonymat et le non-profit, le système transfusionnel fait partie du paysage. Donc peu s’en préoccupent alors que se déroule une opaque bataille de requins.
La « Loi de Santé » a été adoptée le 14 avril par les députés. Dans le projet, l’article 42 débattu et voté le 10 avril, comporte deux points inacceptables pour les donneurs de sang, le « II 2 b » visant à substituer un système « déclaratif » aux contrôles effectués sur les produits sanguins importés, le second « II 3 a » visant à instituer la « commercialisation des produits sanguins ».
Le débat bien lancé par J. Fraysse (FDG) a immédiatement dérapé, le rapporteur et la ministre se saisissant de l’irruption dans une phrase de « l’article 48 » de la Loi Macron qui touche un autre dispositif du système transfusionnel.
Et la ministre a, très habilement, accepté la modification du 1er alinéa contesté pour évacuer le plus grave, « la commercialisation des produits sanguins ». Bref les députés « roulés dans la farine » ont voté l’article 42 et sur la lancée la loi de santé.
Article 42 de la Loi de Santé, article 48 de la Loi Macron, article 71 de la LFSS 2015 (financement de la Sécurité sociale), trois textes de trois lois différentes ont été présentés par le gouvernement depuis octobre 2014. Il est très important de voir le lien qui existe entre eux et qui correspond à une stratégie gouvernementale. Rien n’est laissé au hasard. Il s’agit de faire table rase de principes liés à l’existence de services publics travaillant pour la santé publique dans un cadre « hors commerce, hors profit ». Cette spécificité française a pour origine une loi de 1952 interdisant le commerce du sang, confortée par la forte argumentation de « l’Avis » du Comité d’Éthique du 2 décembre 1991.
D’une façon générale, les progrès médicaux entraînent une utilisation de plus en plus large des produits sanguins. Aussi, depuis l’apparition du 1er « Médicament Dérivé » (le « Facteur VIII » pour les hémophiles), des multinationales se sont constituées pour exploiter ce nouveau « marché » pesant des milliards d’euros. Aux possibilités multiples des dérivés sanguins s’ajoutent désormais des produits « recombinants », puis les « thérapies géniques ». Les possibilités de profits sont immenses... que rendent impossibles nos actuels principes « éthiques ». Le système transfusionnel éthique français est une aberration pour la majorité des élites politiques totalement alignées sur le libéralisme européen marchand. Il faut donc détruire tout cela, mais dans l’opacité la plus totale car l’immense majorité de la population française est attachée à l’éthique. Pour sa part, le mouvement des donneurs de sang (2850 associations fédérées) exerce sa vigilance et s’oppose à la commercialisation des produits sanguins, prélude à la commercialisation de tous les éléments du corps humain préconisée par des textes de l’OCDE comme de la Commission européenne (1).
Il vise le LFB (Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies) établissement public (1 600 salariés en France). Son activité consacrée à la production de « Médicaments dérivés du sang » issus des protéines contenues dans le « plasma » obtenu par le « fractionnement » des poches de sang ou par « plasmaphérèses » des donneurs bénévoles s’élargit désormais aux thérapies géniques et bientôt aux produits « recombinants ».
L’article 48 supprime simplement deux alinéas du Code de santé publique actuel. Que disent ces deux alinéas ?
– Son capital est détenu en majorité par l’État ou par ses établissements publics.
– Ses activités […] sont exercées exclusivement par une filiale créée à cet effet. Le capital de cette filiale est détenu, directement ou indirectement, majoritairement par l’État ou par ses établissements publics.
Si elle n’autorise pas la privatisation du LFB, la loi Macron en supprime tout obstacle légal. Sans doute le ministre pensait-il que la suppression de ces quelques mots passerait inaperçue aux yeux des intéressés, les donneurs de sang. Elle ne méritait même pas que la ministre de la Santé en soit informée. Cette dernière a découvert le pot aux roses en étant interpellée – à notre demande – par de nombreux parlementaires.
Devant les députés, y compris de son camp, M. Macron a dû justifier son projet par le besoin d’investissements du LFB, en particulier d’une nouvelle usine à hauteur de 250 millions d’euros, « avec des fonds propres », « provenant de BPI France ». « Cette ouverture du capital a seulement pour objet d’investir. »
De son côté, Mme la ministre de la Santé pressée de questions a fait distribuer un argumentaire aux députés. Elle y affirme : « L’article 48 ne conduit donc pas à une privatisation du LFB […] L’ouverture du capital du LFB reste donc, en tout état de cause, limitée à hauteur de 49 % », comme s’il était anodin qu’ultérieurement les 49 % en question se transforment en actionnaires privés se gavant de dividendes issus du don bénévole de sang.
à son tour, le PDG du LFB qui n’est issu ni du monde médical ni de la mouvance donneurs de sang a justifié la modification dans une lettre ouverte aux parlementaires, disponible sur le site internet de « L’Usine Nouvelle ».
La bienveillance des autorités qui veulent ainsi fournir les moyens du développement au LFB, un bijou industriel il est vrai, est en fait éminemment suspecte. Explications :
‒ Depuis 2011, le LFB est victime d’une campagne de « retraits de lots » (de MDS) au prétexte de « suspicion de maladie de Creutzfeld Jakob sporadique » (MCJs) qui à ce jour a fait détruire les « lots » en question à hauteur de 18 millions d’euros.
‒ Le « retrait » d’un « lot » d’«Immunoglobulines anti-HBs » (traitement de l’Hépatite B) en avril 2014 a entraîné un surcoût de 3,9 millions d’euros pour la Sécurité sociale (2).
‒ Chaque décision de « retrait de lot » est annoncée publiquement, répercutée par agences et presse médicale à l’ensemble des acteurs de santé en France et à l’étranger, portant à chaque fois un coup à la crédibilité et à l’image du LFB, dont les concurrents commerciaux se gaussent de la mauvaise qualité des produits. Mais… la France est le seul pays au monde à persister dans cette déclaration de suspicion que TOUS les pays développés ont supprimée, aucune étude au monde n’ayant trouvé une contamination MCJs par un produit sanguin.
Il s’agit donc bien, d’un côté de discréditer et mettre volontairement en difficulté le LFB et de l’autre préparer l’établissement public à sa privatisation partielle une fois que la nouvelle usine construite sur fonds publics dégagera des excédents substantiels.
Articles 48, 71 et 42 complémentaires
Il faut bien voir que cet assemblage d’articles de trois lois différentes s’inscrit dans le contexte français :
‒ Où les produits sanguins sont toujours pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale. D’où l’acharnement des multinationales et de leurs soutiens à transformer le système en « marché », toujours solvable grâce à la Sécurité sociale et l’hospitalisation publique.
‒ Sur la lancée de la loi HPST de Mme Bachelot visant à transformer la santé en marchandise.
Donc, après des années de procédures contre les institutions françaises, et une décision de la Cour de justice européenne (le gouvernement actuel n’a pas contesté) que le Conseil d’État a confirmée, l’article 71 de la LFSS 2015 ouvre le « marché » d’une spécialité, le « plasma thérapeutique » (380 000 transfusions/an) à la multinationale Octapharma, dont le produit « Octaplas » sera distribué aux hôpitaux… par l’EFS (3) service public de la transfusion !
Et l’alinéa « II 3 a » de l’article 42 de la loi de santé vient couronner les objectifs du gouvernement en inscrivant : « la commercialisation des produits sanguins labiles » (4) et des médicaments dérivés du sang.
La défense du modèle transfusionnel français (5), pilier de la santé publique, c’est maintenant ; elle nous concerne tous. n
(1) La marchandisation de la santé se développe dans un contexte mondialisé qui est bien décrit par une sociologue canadienne Céline Lafontaine dans un livre Le corps marché. Sang, tissus, cellules, ovocytes ont vocation à devenir source de plus-value dans ce que l’OCDE comme la Commission européenne qualifient de « Bioéconomie » par l’exploitation technoscientifique du vivant… humain.
(2) Obligeant à acheter le produit de substitution à une firme allemande se fournissant auprès des populations US défavorisées qui vendent leur plasma.
(3) Établissement français du sang.
(4) Dont la durée de conservation donc d’utilisation est très limitée.
(5) Le modèle transfusionnel français est préconisé par l’OMS pour les pays en développement qui veulent se doter d’un système de santé moderne. L’OMS a créé pour cela une « journée mondiale du Don de Sang » le 14 juin.
L’EFSc’est un établissement public de 9 800 salariés, qui assure l’autosuffisance nationale avec 152 sites de prélèvements et 40 000 « collectes mobiles ». Il approvisionne 1900 hôpitaux et cliniques. En 2013, 2 833 351 poches de « sang total », plaquettes et plasma ont été recueillies auprès de 1 625 735 donneurs. L’EFS assure aussi des recherches dans le domaine des thérapies cellulaires et tissulaires. |
Utilisation des transfusions1) Traitements post-cancéreux, après les chimiothérapies. 2) Maladies hématologiques. 3) Chirurgie. 4) Médecine hospitalière. Les accidents, tous compris, consomment moins de 1%. |
Les Médicaments dérivés du sang traitent en moyenne 500 000 malades/an en France. Le LFB produit une gamme de 21 médicaments utilisés pour 80 pathologies graves, parfois rares. Ils sont utilisés : – pour corriger les déficits immunitaires héréditaires et congénitaux, les déficits acquis, certaines maladies auto-immunes ; – pour traiter et prévenir les déficits de coagulation, hémophilie A et B, déficit Von Willebrand... ; – en anesthésie réanimation (albumine humaine, fibrinogène) ; – ainsi que pour produire le sérum anti-tétanique, l’Immunoglobuline Anti-HBs (Hépatite B), le traitement d’une pathologie pulmonaire «le déficit Alpha 1 Antitrypsine» et l’Immunoglobuline «Anti-D» en prévention de «l’allo-immunisation maternofoetale». |
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