Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Derrière les allégements de cotisations sociales patronales, l’enjeu du financement de la protection sociale

Cotisation ou impôt ? Le marqueur de gauche

 

A intervalles réguliers revient au devant de la scène médiatique le débat sur le financement de la protection sociale bien qu’il soit abordé de façon biaisée et jamais présenté comme tel. Cette fois-ci, c’est à l’occasion du référé adressé par la Cour des comptes au gouvernement à propos du bilan 2013 « du pilotage et du suivi des allègements généraux de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en tant qu’instruments de la politique de l’emploi ».

 

Dans le document transmis aux trois ministères de l’Économie et des Finances, de la Santé et de l’Emploi, la Cour des comptes tente une présentation et une analyse des effets de la politique d’allégements des cotisations sociales patronales sur les bas salaires en matière d’emplois. Puis, sous forme de recommandations, elle formule un certain nombre de remarques et de préconisations dont la reprise par les ministres concernés du débat sur le mode et les moyens de financements de la protection sociale. Comble d’un heureux hasard, c’est à ce moment précis que ressurgit publiquement l’hypothèse d’une fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG. S’il faut reconnaître un mérite à ce plan de communication c’est de réactiver une réflexion nécessaire sur le financement des budgets publics et sociaux et, finalement, de faire remonter en bonne place dans le débat politique une problématique centrale dont la résolution constitue un des marqueurs essentiels d’une politique de gauche.

La pratique des exonérations de cotisations sociales patronales : « une trappe à bas salaires »

Quelques chiffres tout d’abord qui montrent l’ampleur atteinte par un tel dispositif. En 2013, 1,49 million d’employeurs ont bénéficié des allégements de leur part de cotisation sociale et cela concerne 10,65 millions de salariés. Sur une population active de 28,6 millions, cela donne un aperçu de l’importante place qu’occupent les bas salaires en France sur l’échelle des rémunérations expliquant pour une large part l’état des finances des budgets publics et sociaux, et plus globalement de l’ensemble de notre économie.

Ce dispositif d’exonérations mis en place début des années 1990 au prétexte de favoriser l’emploi des moins qualifiés a vu ses objectifs élargis à partir de 2003 dans le sens d’une politique générale de réduction du coût du travail pour devenir la plus importante niche sociale des années 2000. En 2013, elle atteint 20,64 milliards d’euros et l’évolution de ce système selon un mode dégressif jusqu’à 1,6 fois le SMIC revient à alléger le coût réel du salaire minimum de 18 % par rapport à son coût nominal.

Alors qu’une nouvelle phase de la politique de réduction du coût du travail se met en place avec le pacte de responsabilité dont le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ‒ 40 milliards d’euros) est une première étape devant être suivie par la disparition des cotisations patronales à la branche famille ainsi que par la suppression de la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés) au premier janvier 2017, la Cour des comptes appelle avec raison à faire un point précis du coût de ces mesures et de leur impact réel sur l’emploi.

Mais le moins que l’on puisse dire est que ses observations générales sont plus que mesurées. Si son constat souligne le manque d’outils et de données fiables permettant de mesurer la retombée des allégements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en termes de créations d’emplois, son adresse aux décideurs politiques se borne à demander la mise en œuvre d’instruments d’analyse supplémentaires se gardant bien de pointer la légèreté de pratiques aboutissant à la distribution de milliards d’euros d’argent public. Par contre son travail de rapprochement entre la montée en charge des dispositifs d’allégements et le tassement de l’échelle des rémunérations au cours des années 2000, est intéressant. La Cour des comptes observe en effet que le phénomène « de trappe à bas salaires » tel que le décrit la théorie économique, trouve ici une traduction concrète. Si cette observation n’a rien pour nous réjouir, elle valide cependant l’analyse que le PCF avait faite dès l’instauration d’un tel dispositif qui joue objectivement contre l’emploi qualifié, contribue à miner le potentiel industriel et productif national, alimentant plutôt que ne les combattant les délocalisations.

Face à un niveau d’alerte pour le moins sérieux, on serait en droit de s’attendre à des préconisations qui soient à la hauteur des questions soulevées. Or, on se retrouve dans un cas de figure finalement assez classique lorsqu’il s’agit des prises de position de la Cour des comptes. C’est la montagne qui accouche d’une souris ; constatation d’autant plus vérifiée lorsqu’il s’agit d’un avis exprimé sur des choix d’obédience libérale, voire ultralibérale comme c’est le cas de la réduction du coût du travail.

Des préconisations limitées et une interprétation ministérielle inquiétante

Deux recommandations sont finalement transmises au gouvernement. L’une demande que l’analyse du coût des allégements généraux de cotisations sociales soit affinée et qu’il y ait une meilleure anticipation des coûts futurs. L’autre préconise de mettre en place les outils permettant d’apprécier sur la période 2006-2014 les effets des dispositifs cumulés (allégements sur les bas salaires, CICE et pacte de responsabilité), proposant que le pilotage de cette action soit confié au comité de suivi du CICE.

Certes il serait appréciable de disposer de données plus fiables en matière de coût et d’efficacité réels des dispositifs de réduction des charges sociales patronales. Mais à la lumière de l’évolution des chiffres du chômage au cours de ces dernières années et de ces derniers mois, il paraît difficile d’y déceler une retombée positive pour l’emploi. Pas besoin de longs discours et de longues études pour établir ce constat !

Cette béance n’aura pas échappé aux ministres Sapin, Touraine et Rebsamen qui vont s’employer à la combler par une interprétation et des propositions qui, comme on pouvait le craindre, risquent d’aggraver encore le déséquilibre budgétaire de la protection sociale en poursuivant la perversion de son mode de financement.

Ainsi les ministres, contrairement à la Cour des comptes, voient dans la pratique des allégements de cotisations sociales patronales un moyen efficace de lutte contre l’exclusion du marché du travail des individus peu qualifiés, n’hésitant pas à présenter comme un handicap à leur embauche l’existence en France d’un niveau de SMIC qu’ils jugent élevé. Sans nul doute que les smicards apprécieront…

Mais le clou de la réponse ministérielle est la solution avancée pour résoudre les difficultés de gestion engendrées par la diversité et la superposition des dispositifs d’allégements en vigueur. N’y allant pas par quatre chemins ils entérinent le fait que la politique de réduction du coût du travail fait consensus et doit être considérée comme un choix durable. Ainsi, pour eux, il coule de source que le meilleur moyen de dépasser ces problèmes de gestion est la traduction concrète de cette politique de réduction du coût du travail dans le droit commun des cotisations sociales et donc par l’instauration d’un barème de cotisations sociales patronales. Si les difficultés qui pourraient découler d’une complexification de la lecture des prélèvements sont évoquées, elles ne vont pas jusqu’à remettre en cause le projet principal.

Par un beau tour de passe-passe le gouvernement aurait ainsi trouvé le moyen de faire éclater la structure des prélèvements sociaux patronaux et de briser l’esprit même qui présidait à la création de la Sécurité sociale dont le mode de financement est la clé de voûte. Ce serait une évolution particulièrement grave constituant une attaque majeure contre notre système de protection sociale et sans doute un acte qui pourrait s’avérer fatal. Cela tendrait vers la banalisation d’une protection sociale à deux vitesses qui avec la généralisation du tiers payant, même s’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, pousserait à une sorte de protection sociale à l’anglo-saxonne, c’est-à-dire un niveau de protection minimum pour tous et le reste pour ceux qui peuvent se le payer auprès d’assurances privées.

Cette proposition combinée au retour dans le débat public de l’idée d’une CSG progressive et d’une fusion de cette dernière avec l’impôt sur le revenu consacrerait un vrai basculement du financement de la protection sociale. De cotisations calculées sur les salaires et prélevées sur la valeur ajoutée on passerait à une fiscalisation par la contribution des personnes. L’instauration d’une CSG progressive et sa fusion avec l’IR constitueraient au cas d’espèce, le moyen de faire payer par les contribuables les 20 à 25 milliards d’allégements de cotisations sociales patronales gravés dans le marbre par leur « barémisation ». Ce serait du pain béni pour le gouvernement qui à l’aube de 2017 pourrait ainsi annoncer une baisse de sa dépense publique et satisfaire aux objectifs de 3 % de déficit des traités européens.

Les modes de financements des budgets publics et sociaux : la marque de gauche

Financer de façon distincte le budget de la protection sociale et celui de l’État et des collectivités territoriales, l’un par des cotisations calculées sur les salaires, prélevées sur la valeur ajoutée et modulées en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée en tenant compte des branches d’activité, l’autre par la fiscalité, sont des principes modernes qui demeurent totalement adaptés à l’évolution actuelle de la société. Derrière ces principes sont en effet des questions concrètes touchant particulièrement à la mise en œuvre d’une nouvelle maîtrise publique et sociale de la gestion des entreprises comme des services et des institutions publics.

Financer la protection sociale par des cotisations est un des vecteurs de la socialisation de la gestion des entreprises. C’est permettre aux salariés de prendre en charge directement la gestion d’une partie de la richesse qu’ils produisent en même temps que d’intervenir sur un élément important de leur vie, leur santé, celle-ci contribuant largement à entretenir leurs capacités de production. Pour être pleinement démocratique cette intervention dans la gestion de la protection sociale doit prendre appui sur l’élection des représentants des salariés aux caisses de Sécurité sociales.

S’obliger à un financement des budgets publics (État et collectivités territoriales…) par l’impôt, c’est se poser la question de l’efficacité des prélèvements fiscaux donc de leur architecture, de leur rôle et de leur rendement. C’est se doter des moyens pour réaliser une meilleure répartition de la richesse afin de mieux financer le développement des services publics, facteurs de créations d’emplois publics mais aussi de développement économique global et donc contribuer aussi au budget de la protection sociale par les cotisations sociales ainsi générées.

Si un lien doit être établi entre les prélèvements fiscaux et les cotisations sociales il s’agit bien de celui-ci. Un lien porteur d’un projet de croissance réelle car fondé sur la satisfaction des besoins sociaux à l’opposé de prélèvements globalisés dont l’objectif premier est de contraindre la dépense publique et sociale. C’est très clairement ce que sous-tend le projet de fusion entre la CSG et l’IR ; à plus forte raison si le nouveau type de prélèvement qui en résulterait devait prendre le relais d’un abandon massif de la contribution patronale au financement de la protection sociale. n

 

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