Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Grèce : quelle assistance à peuple en danger ?

Ensemble pour une nouvelle dynamique politique en Europe

C’est alors que monte la colère du peuple grec face aux manœuvres de Bruxelles que l’agence de notation Moody’s abaisse la note de la Grèce. Raison invoquée : les incertitudes qui pèsent sur un accord entre la Grèce et ses créanciers permettant à celle-ci de faire face aux échéances de remboursement de sa dette.

S’il en était encore besoin, cet événement démontre à quel point les agences de notation constituent un des bras armés des marchés financiers. Face à une stratégie de pourrissement appliquée avec méthode par la BCE, le FMI et la commission de Bruxelles, Moody’s vient jeter de l’huile sur le feu plutôt que d’apaiser les tensions et de donner toutes ses chances à une sortie par le haut des difficultés actuelles.

La note attribuée est Caa2 c’est-à-dire un niveau plus bas encore que précédemment dans la catégorie des obligations présentant un très fort risque de crédit. Elle reste cependant encore au-dessus de ce qui constituerait une situation de défaut. Mais Moody’s de prévenir aussitôt que la note pourrait baisser davantage si les négociations entre la Grèce et le FMI, la BCE et l’Union européenne sur un programme de réformes restaient enlisées.

Pour Moody’s le possible accident politique tenant au caractère incertain des décisions politiques qui seront prises tant au niveau européen qu’en Grèce, représente un risque sérieux d’aggravation d’un défaut de la Grèce sur sa dette. Cela revient à une mise en garde de la Grèce et à inviter ses négociateurs à faire preuve de réalisme, bref à accepter les principales préconisations de la troïka.

C’est un véritable bras de fer qui a lieu entre la Grèce et les institutions européennes. La commission de Bruxelles et la BCE n’ont qu’un objectif : jouer la montre et conduire un processus d’isolement de la Grèce pour la contraindre à passer sous les fourches caudines des politiques libérales qu’elles initient.

Après le passer outre du NON au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel en France, aux Pays-Bas et en Irlande, nous pourrions assister à un nouveau passage en force de la finance contre la démocratie et les peuples. C’est en effet sur des critères humains de justice sociale et non sur des objectifs de rentabilité financière que Syriza a été porté au pouvoir par le peuple grec. Et c’est pour cette raison et pas une autre, que les interlocuteurs européens du gouvernement grec qualifient d’incomplète sa liste de réformes.

Au-delà de la Grèce, l’ensemble des pays de l’Union européenne concerné

Se joue en ce moment une partie très importante qui touche certes en premier lieu la Grèce mais qui concerne également l’ensemble des pays de l’Union européenne. Le crédit d’une alternative à l’austérité en Europe est au centre de l’enjeu. La ligne de partage s’incarne dans le choix entre deux modèles de société. L’un a au cœur une nouvelle maîtrise sociale et publique de l’argent (du crédit et des banques) et de la fiscalité pour impulser un autre mode de production à base de développement des services publics respectueux des hommes (emplois, salaires, nouveaux pouvoirs d’intervention dans les gestions) et de l’environnement. L’autre a pour logique la poursuite d’une dérive financière aggravant l’exploitation et les dominations (chômage, bas salaires, précarité, insécurité sociale et environnementale, racisme, sexisme), confisquant tous les pouvoirs au profit d’une oligarchie financière et des multinationales, avec pour conséquence un profond déni de la démocratie engageant une évolution vers des sociétés autoritaires et un monde de plus en plus violent. En résumé, le choix se situe entre une production de richesses utiles au progrès social et humain et un soutien à la rentabilité financière au service des actionnaires et de la spéculation boursière.

La promotion d’une alternative de progrès en Grèce est inséparable d’une action dans chaque pays de l’Union européenne et sans doute en premier lieu dans les pays du NON de 2005, donc en France, pour sortir des politiques d’austérité. La dimension européenne et mondiale de l’équation libérale qu’il faut résoudre exige que les réponses apportées interagissent sur les différents niveaux d’organisation, de structuration et de mise en œuvre du capitalisme mondialisé.

Laisser le gouvernement grec isolé dans sa volonté de traiter les maux qui rongent son pays (inégalité sociale et fiscale, corruption et fraudes en tout genre, mise en cause des garanties sociales), c’est préparer de bien tristes lendemains. C’est créer les conditions d’une soumission durable aux marchés et à ses valets politiques ainsi que d’une impuissance à promouvoir une alternative crédible et durable.

L’urgence de construire dans le débat et l’action des choix alternatifs, en Grèce, en France, en Europe

La pression exercée par la troïka contre la Grèce s’explique pour une part essentielle par la crainte de cette bande des trois de voir les propositions du gouvernement grec prendre le dessus et finalement sortir victorieuses. Cette expérience populaire ne tarderait pas à gagner d’autres pays, notamment d’Europe du Sud mais aussi l’Irlande dont la situation est en de nombreux points comparable à celle de la Grèce. Dans ce cas, c’est tout le modèle ultralibéral européen qui serait ébranlé jusqu’au point de devoir céder la place à un autre système de développement.

C’est pourquoi l’exposé de propositions concrètes, leur mise en débat et l’engagement d’actions pour en assurer la prise en compte, représentent un objectif fondamental de toute démarche de construction d’une alternative crédible et radicale, capable de déjouer les pièges ou les fausses solutions auxquelles les thérapies du renoncement, la résignation et l’exaspération peuvent conduire.

Sortie de l’euro : une fausse bonne idée

Sur ce registre figure notamment la sortie de l’euro. Une sortie de l’euro qui peut certes être brandie comme une arme contre Bruxelles et la BCE, tant l’Union européenne a à craindre d’un tel scénario, les États-Unis eux-mêmes mettant en garde contre les risques de déstabilisation monétaire mondiale que pourrait faire courir une hypothèse d’éclatement de la zone euro ; mais une sortie dont la principale victime risquerait fort d’être à nouveau le peuple grec.

Qui a le plus à pâtir d’une sortie de l’euro ? La Grèce et les Grecs ou les banquiers et autres financiers que représentent les institutions européennes ? Une sortie de l’euro constituerait, certes, un sérieux coup de semonce pour le monde de la finance et l’empire qu’il compte établir en Europe. Mais des solutions de rechanges existent, comme celle  d’un repli de la zone euro sur un noyau dur de 6 à 7 pays. Les milieux financiers dont Mme Merkel est un des portes parole zélés, n’en font d’ailleurs pas mystère s’en servant même d’élément de pression contre A Tsipras. Certes une telle option comporte des risques sérieux d’éclatement la zone euro et de l’euro lui-même. Néanmoins cette hypothèse même redoutée par les marchés, constituent à leurs yeux un moyen de maintenir leur emprise sur les pays et les peuples de l’Union. Loin de s’accompagner spontanément d’un recul du pouvoir de la finance sur cette région, une telle solution pourrait au contraire s’accompagner de plus lourdes contraintes pour les peuples en entraînant, après la Grèce, d’autres pays en situation de banqueroute, devenus ainsi une sorte de nouvelles colonies, avec toutes les conséquences sociales pour les populations concernées. Il ne faut en effet jamais perdre de vue qu’en pareille situation ce sont toujours les peuples qui paient le prix fort (perte de leurs économies, plus aucune sécurité monétaire bancaire et sociale). Par contre, les marchés financiers n’en seraient pas pour autant détruits, forts du soutien dont ils disposent auprès des institutions politiques et administratives leur permettant de repartir de plus belle dans leur folie financière. La crise des « subprimes » en est une forme d’exemple.

Ainsi, pour le peuple grec, une sortie de l’euro risquerait d’être dramatique. En effet la balance commerciale de la Grèce exprime un déficit endémique avec l’Allemagne – comme c’est d’ailleurs les cas d’autres pays, la France pour ne pas la nommer. Le retour à une monnaie nationale impliquerait de fait une dévaluation de cette monnaie renchérissant le coût des importations vis-à-vis de ce pays. Dans une Grèce avec un appareil productif très faible, avec une fiscalité incapable d’endiguer la recherche de profits des entreprises, dans une Grèce se trouvant avec une monnaie dévaluée en situation de devoir payer plus cher ses importations de matières premières et de produits finis, la seule variable d’ajustement permettant de maintenir la poussée inflationniste qui en résulterait serait les salaires et les droits sociaux dont le niveau est déjà au ras des pâquerettes. Ajoutons à cela que la dévaluation de la monnaie grecque aurait pour conséquence d’alourdir le poids de la dette d’un pays où elle atteint déjà des sommets. Une des conséquences ultimes mais non moins plausible pourrait être alors pour ce pays la banqueroute, un événement duquel ne ressortent jamais indemnes les couches populaires.

Outres les conséquences immédiates et directes sur la vie du peuple grec, la sortie de l’euro en Grèce alimenterait un processus de désertion de la bataille politique engagée avec courage et détermination par Syriza pour un autre euro, une autre BCE et une autre Europe. Dans la situation actuelle de la Grèce, l’heure n’est pas au repliement pas plus qu’à des choix qui pourraient aviver la concurrence mais le temps est au développement de coopérations, de co-élaborations de réponses pouvant faire reculer la domination du capital et de la finance.

Pour des solutions de sortie par le haut

Face à la mondialisation du libéralisme, la construction d’une autre Union européenne fournit un cadre indispensable à la mise en œuvre de politiques autonomes. En ce sens la création monétaire de l’euro représente une base pour une croissance européenne de progrès social et environnemental, suffisamment solide et conséquente pour se sortir des griffes des marchés financiers et de la spéculation.

Il serait cruel et sans doute criminel de laisser le peuple grec résoudre seul cette question. Il en va de la responsabilité du mouvement progressiste européen, et particulièrement de la France, de lancer l’offensive pour une alternative à l’austérité. Cela passe par l’avancée de propositions concrètes.

D’ordre conjoncturel:

Le rachat de titres publics grecs par la BCE hors conditions d’austérité et sans intérêt, ce qui devrait être généralisé aux dettes de l’ensemble des États de la zone euro.

D’ordre structurel:

– Une autre utilisation de l’euro, une autre BCE

Pour acquitter sa dette un pays a besoin de disposer d’argent et cet argent provient des richesses créées. La priorité est donc de soutenir une relance durable de la croissance en Grèce. Cela passe par une sécurisation de l’emploi et de la formation, par le soutien au développement des services publics et d’une production industrielle.

Pour les services publics : un fonds européen de développement économique, social, solidaire et environnemental financé à 0 % par l’argent de la BCE serait créé (le traité de Lisbonne l’y autorise). Il prendrait les titres des États. Ses interventions seraient démocratiquement décidées et contrôlées. Dans ce but, les 1 140 milliards annoncés par M. Draghi pourraient également être les bienvenus.

Pour les entreprises : le financement à bas taux des banques de dépôt par la BCE devrait être assorti d’une condition de financement des crédits aux investissements créateurs d’emplois et de richesses réelles contre les opérations spéculatives et les délocalisations.

– Une réforme de la fiscalité

Le think-tank américain Global Financial Integrity évalue, quant à lui, à 120 milliards d’euros la perte causée par des activités illicites comme la corruption et l’évasion fiscale durant la décennie 2000. À titre comparatif, il convient de rappeler que la dette de la Grèce, de l’ordre de 175 % du PIB, s’établissait en 2014 à 319 milliards d’euros.

En Grèce comme en France ou dans beaucoup d’autres pays de l’Union européenne, il s’agit de mettre en place ou de faire évoluer la fiscalité vers un une fiscalité des entreprises et du capital incitative à une utilisation des bénéfices soutenant des investissements générateurs d’emplois et de formation, combattant l’accumulation du capital et les gâchis qui en découlent.

Il s’agit également d’instaurer une fiscalité des personnes et de la fortune qui soit empreinte d’une réelle progressivité.

L’évolution de la Grèce vers une telle mécanique fiscale renvoie au besoin de coopération fiscale en Europe. Une coopération qui pourrait se présenter sous la forme d’un serpent fiscal européen dont le mécanisme reposerait sur l’existence de taux d’imposition planchers pour les catégories d’impôts directs et progressifs et de taux plafonds pour les impôts à taux proportionnels qui, dans la plupart des cas, taxent la consommation et dont le plus emblématique est la TVA.

Le contrôle de ce mécanisme s’effectuerait dans le cadre d’une commission de la coopération et de la convergence fiscale installée dans chaque État et au niveau européen. Le travail de ces commissions serait placé sous le contrôle des parlements nationaux et européen. Il se matérialiserait par des actions de mise en cohérence des éléments constitutifs de l’assiette des impôts directs et progressifs tels que l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune. Il serait complété par un dispositif consistant à établir et à faire respecter une convention solidaire entre tous les pays de l’Union. Cette convention préciserait que les contribuables (personne physique ou personne morale) dont il serait avéré que l’exil fiscal est guidé par une volonté de défiscalisation se verraient taxer sur le territoire du pays de destination au même taux que dans le pays d’origine. La recette fiscale ainsi obtenue serait répartie entre ces deux pays respectivement à hauteur de un tiers et deux tiers du montant collecté.

L’action comme clé

Création d’un fonds européen de développement social, solidaire et écologique, travail pour une convergence fiscale européenne, voilà deux thématiques à propos desquelles la France devrait proposer tout de suite et dans un premier temps à quelques pays une « coopération renforcée ».

Cela suppose une véritable volonté de construire des luttes convergentes partant des exigences populaires sur l’emploi, les salaires, les services publics. Ainsi pourra se créer le rapport des forces qui rendra possible, progressivement, une émancipation des marchés financiers appuyée sur une tout autre construction européenne.

D’où l’enjeu d’une nouvelle fiscalité incitative à des investissements utiles avec un réel souci de convergence entre les peuples de l’Union européenne et d’une autre utilisation de l’euro par changer la politique de la BCE lui permettant, par une création monétaire commune, de développer l’emploi et les services publics.

à l’évidence les marchés financiers ne sont pas prêts à abandonner leurs juteuses positions. Ce n’est que sous la pression populaire dans les luttes qu’ils reculeront. Il n’y a pas d’autres solutions pour sortir du cancer financier qui gangrène la société, brisant la vie des gens en Grèce, en France en Europe et dans le monde. Il nous faut décider de prendre ces questions à bras-le-corps jusqu’à construire des rassemblements victorieux de toutes les forces sociales, politiques et idéologiques aspirant à de meilleures conditions de vie, aspirant à une Grèce, à une France, à une Europe de progrès social.

De ce point de vue, nous assistons pour l’heure à un déficit de prise de position et d’initiative des pays et des peuples européens. On peut se demander dans une telle situation quelle est la capacité réelle de sensibilisation et d’impulsion du PGE. Quel est le rôle des partis progressistes en Europe face à la question de la dette grecque ? Il y a péril pour la Grèce et le peuple grec. Le cas est on ne peut plus sérieux. Le combat que mène Syriza peut parfois apparaître comme une lutte entre le pot de terre et le pot de fer, même si le plus faible a des atouts en mains ou plus exactement évolue dans un environnement où des éléments de conjoncture peuvent le servir. Cela étant, lorsque le gouvernement grec est conduit à confisquer les avoirs des communes pour acquitter les échéances de remboursement de la dette publique nationale, on peut mesurer que les marges de manœuvre dont dispose Syriza sont de plus en plus limitées. Avec le risque que tout cela ne saurait forcément encore durer très longtemps sans une action massive et déterminée des peuples de l’Union européenne en soutien à leurs frères grecs.

Courant mars, à Athènes, Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, avec Alexis Tsipras, a annoncé le lancement d’une nouvelle dynamique politique européenne avec un projet d’alliance de toutes les forces anti-austérité. Cet appelle s’est concrétisé les 30 et 31 mai par un Forum des alternatives, à Paris. Il avait pour thème principale la solidarité au peuple grec et à l’ensemble des peuples européens. Réussie, cette initiative a réuni des milliers de participants qui ont travaillé et débattu dans de multiples ateliers et forums de discussions. Elle s’est conclue par un appel à une semaine d’actions pour exprimer la solidarité des peuples euorpéens avec le peuple grec marquée par une manifestation le 20 juin 2015. n

 

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