Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Ukraine : les dessous économiques d’une nouvelle guerre froide

La situation en Ukraine est-elle le résultat du soulèvement d’un peuple avide de rejoindre l’Union européenne et empêché de le faire par l’impérialisme de son tuteur russe ?

Cette version, qui nous est servie quotidiennement par les médias occidentaux est démentie par de nombreux faits, écrits et déclarations qui montrent qu’il s’agit en réalité d’une stratégie délibérée des États-Unis pour affaiblir un de ses rivaux potentiels au niveau mondial. Même si la Russie n’est plus motivée par les idéaux du socialisme, mais plutôt par un nationalisme grand-russe résurgent, elle reste un acteur dans la lutte pour un monde multipolaire dégagé de l’hégémonie américaine. En cela, elle est pour les États-Unis un ennemi à abattre, dont l’Ukraine est le talon d’Achille avec l’Otan et l’Union européenne pour bras armés.

 

Dès la proclamation unilatérale de son indépendance, les États-Unis se sont immiscés dans la politique intérieure de l’Ukraine. Moins d’un an après l’indépendance, Georges Bush se déplaçait en Ukraine pour y rencontrer le président Kravchouk élu quelques mois plus tôt. Dès le mois de juillet1993, les États-Unis et l’Ukraine signaient un mémorandum de coopération de Défense, et les premiers exercices militaires communs commencèrent en 1995. Dans la deuxième moitié de la décennie 90, l’Ukraine était ainsi le troisième récipiendaire de l’aide financière des États-Unis après Israël, recevant plus de subsides américains que la Russie elle-même, pourtant trois fois plus peuplée (1).

Pourquoi un tel empressement? En vertu de la doctrine élaborée par les néoconservateurs à la chute de l’URSS. Connue sous le nom de «Defense Planning Guidance» ou doctrine Wolfowitz, elle a été révélée dès 1992 par un article du New York Times : «La stratégie des US pour empêcher le développement de ses rivaux» (2). Elle tient en quelques mots: suprématie politique et économique des États-Unis.

Le New York Times écrit notamment : « Le document classifié plaide pour un monde dominé par une superpuissance dont la position peut être perpétuée par un comportement constructif et une force militaire suffisante pour dissuader toute nation ou groupe de nations de contester la primauté américaine. […] Pour perpétuer ce rôle, les États-Unis «doivent tenir suffisamment compte des intérêts des nations industrielles avancées pour les dissuader de contester notre position de leader ou de chercher à renverser l’ordre politique et économique établi », précise le document.

De même peut-on lire sous la plume de Dick Cheney, secrétaire à la Défense puis vice-président de Bush père puis fils: «Le leadership des États-Unis, qui fut essentiel pour le succès de la résolution de la guerre froide, reste critique pour atteindre nos objectifs à long terme dans cette nouvelle ère. Les États-Unis continuent de préférer, dans la mesure du possible, répondre à des menaces hostile à nos intérêts par des efforts de sécurité collective s’appuyant sur les forces de nos alliés et amis. Toutefois, un leadership soutenu américain sera essentiel pour le maintien de ces alliances et pour la protection de nos intérêts dans le cas contraire… Un futur président aura besoin d’options lui permettant de diriger et, si la réaction internationale s’avère lente ou insuffisante, d’agir de façon indépendante pour protéger nos intérêts essentiels.» (3)

C’est un autre théoricien de l’hégémonie américaine, Zbigniew Brzeziński, qui a explicité la mise en œuvre de cette stratégie dans un ouvrage de 1998: Le grand Échiquier (4). Les dernières phrases du chapitre 1 sont significatives: «L’Amérique a acquis une position d’hégémonie globale sans précédent. Elle n’a, aujourd’hui, aucun rival susceptible de remettre en cause ce statut. Qu’en sera-t-il dans un avenir proche?»

La réponse est donnée dès la première phrase du chapitre 2: «Pour l’Amérique, l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie.» La méthode? «Si l’on souhaite élaborer les règles d’actions géostratégiques de l’Amérique, il est indispensable de procéder à l’analyse des principaux acteurs et à une reconnaissance appropriée du terrain. Deux étapes sont nécessaires pour ce faire. En premier lieu, identifier les États possédant une réelle dynamique géostratégique et capables de susciter un bouleversement important dans la distribution internationale du pouvoir. En second lieu, formuler des politiques spécifiques pour contrebalancer les effets néfastes des politiques initiées par ces États; définir les moyens de les associer ou de les contrôler, de façon à préserver et à promouvoir les intérêts vitaux des Etats-Unis.»

Et selon M. Breziński qui sont ces États? «L’Eurasie demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l’Amérique pourrait éventuellement apparaître […] Du point de vue américain, la Russie paraît vouée à devenir un problème: si sa faiblesse exclut de la considérer comme un partenaire, les forces qu’elle conserve ne nécessitent pas l’application de soins d’urgence. Pourtant, les Américains peuvent peser sur le contexte actuel, en définissant un nouveau cadre qui convaincrait les Russes que leurs intérêts dépendent de leurs relations avec l’Europe atlantiste.»

Comment? En maniant à la fois la carotte et le bâton. La carotte, ce furent les aides économiques importantes sous l’ère Eltsine et l’intégration dans les organes de gouvernance économique tels le G8, le GATT, etc. Le bâton, c’est la menace d’affaiblir la Russie en détachant l’Ukraine de la Russie et en favorisant son intégration dans l’Union européenne et dans l’Otan.

Zbigniew Brzeziński est on ne peut plus clair et même prémonitoire sur cette stratégie: «La perte du pivot géopolitique ukrainien réduit les choix géostratégiques de la Russie… L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. Et quand bien même elle s’efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé, et cet empire pour l’essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d’Asie centrale [...] Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’Otan est en cours. À terme, l’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces organisations… Bien que l’échéance soit encore lointaine, l’Ouest pourrait dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d’impulser ce processus.»

 

La carotte a plutôt bien fonctionné sous l’ère Eltsine et au début de l’ère Poutine lors de laquelle l’économie russe avait besoin des capitaux occidentaux pour se relever de la chute de l’URSS. Mais avec le redressement économique (dû notamment aux prix élevés des hydrocarbures) est revenu le sentiment de grande puissance humiliée sous l’ère Eltsine et la volonté de reprendre sa place dans la géopolitique mondiale. Ambition toujours aussi inacceptable pour les États-Unis. Les tentatives de déstabilisation de la Russie ont donc repris de plus belle, avec successivement la révolution orange en Ukraine en 2005 et l’aventure géorgienne menée par Saakachvili en Ossétie du sud en 2008. Aucune de ces deux tentatives n’ont été déterminantes, faute d’un réel soutien populaire. Saakachvili a vu sa popularité s’effondrer et a finalement perdu les élections présidentielles de 2012, quant à Iouchtchenko, leader de la révolution orange, il ne passera même pas le premier tour des élections présidentielles de 2010 qui portent Yanoukovitch au pouvoir.

 

La crise actuelle est donc le dernier avatar de cette stratégie américaine d’éloignement de l’Ukraine, en s’appuyant sur ce que Brzeziński nomme «le vigoureux nationalisme ukrainien» et sa «nette orientation anti-russe». Elle devenait particulièrement urgente pour les États-Unis dans la mesure où V. Poutine avait commencé à déployer une politique extérieure très active en direction des autres BRICS avec notamment l’accord sur la constitution de la «NBD Brics», banque de développement visant à s’affranchir du FMI et de la Banque mondiale dominés par les États-Unis. Or, cette perspective est inacceptable pour les États-Unis et Brzeziński la dénonce violemment dès 1998 : «Désormais, les États-Unis auront probablement à faire face à des coalitions régionales visant à bouter l’Amérique hors d’Eurasie et menaçant ainsi son statut de puissance globale. Un scénario présenterait un grand danger potentiel: la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peut-être l’Iran, coalition “anti-hégémonique” unie moins par des affinités idéologiques que par des rancunes complémentaires.»

 

Dans cette nouvelle crise ukrainienne, ce sont bien les conservateurs américains qui ont été à la manœuvre, et ce comme ils l’ont souvent fait dans le passé au Chili ou en Afghanistan ou encore en s’appuyant largement sur les nationalistes locaux, en l’occurrence les partis d’extrême droite ukrainiens Svoboda et Pravy Sector. Les témoignages d’ingérence directe des États-Unis sont légion. En particulier, le rôle joué par Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État américaine à l’Europe et à l’Eurasie. Durant toute la période de crise, elle n’a cessé d’apporter son soutien aux manifestants de Maidan. On peut ainsi la voir sur plusieurs photographies apportant des cookies aux manifestants. On imagine assez bien quelle aurait été la réaction de États-Unis si Sergueï Lavrov était venu apporter des blinis aux Afro-Américains qui manifestaient récemment contre le racisme de la police américaine… Plus sérieux, dans une conversation téléphonique interceptée, dont la transcription a été publiée par la BBC, on peut aussi l’entendre discuter avec l’ambassadeur des EU en Ukraine de la composition du futur gouvernement ukrainien une semaine avant la destitution de Yanoukovich, choisissant «Yats» (Yatseniouk) plutôt que «Klitsch», pour Premier ministre et terminant par un élégant «Fuck the EU» qui en dit long sur l’estime des États-Unis pour leurs alliés (5).

 

Avec la mise en place du nouveau gouvernement ukrainien, les États-Unis ont même un contrôle direct de la politique économique du pays puisque la nouvelle ministre des Finances est Natalia Iaresko, ressortissante américaine d’origine ukrainienne, qui a fait une partie de sa carrière au département d’État, le ministère des Affaires étrangères américain. Nommée ministre le 2décembre 2014, elle a été naturalisée ukrainienne dans l’urgence, le même jour.

 

Comme souvent dans les régions où ils sont intervenus au nom de la démocratie, les États-Unis ont joué avec le feu en sous-estimant gravement les spécificités culturelles du pays et les résistances populaires que génèrent les ingérences trop voyantes. En l’occurrence, les conservateurs américains ont fait fi de la réalité historique de la partition culturelle et linguistique de l’Ukraine avec un fort attachement des populations de l’est à leur culture russe. Mais cette partition se répercute aussi dans l’économie. L’est est la région la plus industrielle et celle qui contribue majoritairement au PIB du pays. Le PIB par habitant y est trois fois plus élevé que dans l’ouest et les salaires nettement plus importants. C’est dire que les populations de l’est ont vu dans le coup de Kiev une prise de pouvoir par les nationalistes ukrainiens rompant un équilibre qui, jusque là avait permis à l’Ukraine de vivre dans la paix civile malgré ses différences culturelles et linguistiques. Ces craintes ont été confirmées par la première décision du parlement d’interdire la langue russe en Ukraine.

Désormais, les Occidentaux, Américains et Européens ont pris pied comme ils ne l’avaient jamais fait jusque-là dans la politique intérieure de l’Ukraine et, cette fois, cela risque de durer. Au cours des précédents épisodes, en effet, les élections qui avaient suivi les crises avaient toujours conduit à une élimination des acteurs les plus nationalistes et un retour à une gouvernance plus soucieuse des équilibres politiques culturels et linguistiques. Avec l’annexion de la Crimée et les troubles dans l’est, les populations russophones se trouvent exclues ou quasi exclues des processus électoraux et subissent donc de fait les décisions prises par des organes politiques élus essentiellement par les populations de l’ouest. Et bien que les accords de Minsk prévoient une réforme de la Constitution pour donner une plus grande autonomie aux régions de l’est, aucune démarche dans ce sens n’a été entreprise par le pouvoir à Kiev. Une des composantes de la majorité, les néonazi Svoboda ayant même déjà exprimé leur opposition à cette disposition de l’accord.

 

Que vont-ils faire de cette position de force? On peut sans grand risque de se tromper supposer qu’ils vont faire de l’Ukraine un grand terrain de jeu économique pour les groupes occidentaux américains ou européens. Car les entreprises occidentales, notamment américaines, sont déjà très présentes en Ukraine. Et le nouvel accord d’association UE-Ukraine va grandement leur faciliter la vie.

Joe Biden, Monsanto et les autres…

L’Ukraine est connue pour être un pays gazier, notamment un pays de transit, par les canalisations duquel passe le gaz exporté par la Russie en Europe. à ce titre, il est un enjeu économique majeur pour la Russie et pour l’Europe dont les relations ont connu de nombreuses crises (voir encadré). Mais on connaît moins d’autres secteurs tout aussi importants.

L’Ukraine est un pays très bien pourvu en ressources naturelles. Ses ressources minières sont considérables. L’Ukraine a ainsi d’importantes réserves de charbon de bonne qualité (les deuxièmes d’Europe), de fer, de soufre (les premières du monde) et d’autres minéraux plus rares tels le manganèse ou le titane. Certaines de ces ressources ont déjà été privatisées à l’occasion de la «révolution orange». C’est le cas de l’aciérie géante Krivoy Rog, tombée dans l’escarcelle de l’incontournable Mittal.

Ces ressources attirent bien des convoitises de la part des entreprises occidentales. Le rapprochement avec l’UE va leur permettre d’avoir accès à ces ressources, car avant d’être un accord «d’association» l’accord avec l’UE est avant tout un accord de libre-échange (de quelque 2000 pages!), qui prévoit notamment un accès non discriminatoire aux ressources.

Deux secteurs énergétiques constituent un enjeu particulièrement crucial: le charbon et les gaz de schiste.

La production de charbon constitue une alternative à la dépendance au gaz russe. Près de la moitié des centrales électriques du pays fonctionnent avec du charbon. C’est dire que l’Ukraine a un besoin vital de valoriser son charbon. Mais les coûts d’extraction sont élevés en raison de techniques qui n’ont pas été modernisées. Le gouvernement ukrainien envisage donc un programme de restructuration-privatisation qui pourrait s’avérer attractif pour les compagnies occidentales, notamment allemandes. En effet, l’arrêt des programmes nucléaires a redonné au charbon un intérêt économique nouveau qu’il avait perdu au cours des décennies passées. Mais le charbon est produit dans le Donbass, cette région de l’est passée sous le contrôle des séparatistes. Et les annonces du nouveau gouvernement de Kiev ont suscité des réactions virulentes des mineurs du Donbass qui ne sont pas prêts à perdre leur emploi sans réagir.

L’Ukraine possède également deux champs de gaz de schiste l’un à l’est, Yuzivska, l’autre à l’ouest, Olevska. Les concessions ont déjà été attribuées à la compagnie américaine Chevron à l’ouest et aux compagnies Shell et Burisma à l’est. Burisma est la plus importante compagnie énergétique indépendante d’Ukraine fondée en 2002, et il n’est pas sans intérêt de savoir qu’elle est dirigée par H. Biden, fils du vice-président américain et A. Kwasniewski, ancien président de la république polonaise…

Enfin, s’agissant de l’Ukraine, on ne peut pas ne pas évoquer l’agriculture.

Longtemps considérée comme «le grenier à blé de l’Europe», l’Ukraine, avec les riches terres noires agricoles (22% des terres arables en Europe), est idéale pour la croissance des céréales. Ainsi, en 2012, les agriculteurs ukrainiens ont produit plus de 20millions de tonnes de céréales.

La loi ukrainienne interdit aux agriculteurs de cultiver des plantes génétiquement modifiées. C’est sans compter sur le lobbying de Monsanto. En mai2013, Monsanto a annoncé un plan d’investissements de $140millions dans une usine de semences de céréales non OGM en Ukraine, avec le porte-parole de Monsanto en Ukraine, Vitally Fechuk, confirmant : « Nous travaillerons seulement avec des semences conventionnelles parce que ce sont les seules autorisées en Ukraine pour la production et l’exportation.» Mais, en novembre2013, six grandes associations d’agriculteurs ukrainiens avaient préparé un projet d’amendement à la loi, poussant à «créer, tester, transporter et utiliser des OGM dans le cadre de la législation sur les semences génétiquement modifiées». En novembre2013, Monsanto Ukraine a lancé son programme de «développement social» pour le pays, appelé «Panier de grains du futur» (6). Il fournissait une bourse à des villageois ruraux afin qu’ils puissent (selon les mots de Monsanto) «commencer à ressentir qu’ils peuvent améliorer leur situation eux-mêmes au lieu d’attendre une subvention». Le 13décembre 2013, le vice-président de Monsanto (Corporate Engagement), Jesus Madrazo, a dit à la conférence US-Ukraine à Washington D.C. que la compagnie voyait «l’importance de la création d’un environnement favorable [en Ukraine], qui encourage l’innovation et émule le développement continu de l’agriculture. L’Ukraine a l’opportunité de développer encore plus le potentiel des cultures conventionnelles, là où nous concentrons actuellement nos efforts. Nous espérons aussi que, le moment venu, la biotechnologie sera un outil disponible pour les agriculteurs ukrainiens dans le futur» (7).

Il a été entendu, puisque justement l’accord d’association UE-Ukraine dispose dans son article404: «La coopération entre les parties dans le domaine de l’agriculture et du développement rural couvre, entre autres, les domaines suivants: […] promouvoir la production agricole moderne et durable [...], y compris l’extension de l’utilisation de méthodes de production biologique et l’utilisation des biotechnologies, notamment par le biais de la mise en œuvre des meilleures pratiques dans ces domaines.»

Ces choses-là sont dites en termes galants, mais, en invitant l’Ukraine à l’utilisation des «biotechnologies», c’est bien la culture des OGM que l’UE promeut en Ukraine, alors même que la majorité des populations de ses pays membres y sont opposés.

Un scénario à la grecque

Malgré les promesses de lendemain radieux qui accompagnent toujours les extensions de l’Union européenne, l’avenir s’annonce peu réjouissant pour le peuple ukrainien. La troïka est de nouveau à la manœuvre pour un scénario que le peuple grec connaît bien.

Ainsi, pour obtenir un nouveau prêt du FMI, A.Yatseniouk a dû lui remettre un mémorandum (8) dans lequel il s’engage à prendre des mesures d’austérité drastiques parmi lesquelles:

Augmentation des prix du gaz de 285% et de la chaleur de 64%;

Réduction du nombre de fonctionnaires de 3% en 2015;

Réduction du nombre d’établissements d’enseignement supérieur de 802 à 317;

Réduction du nombre d’écoles de 5%;

Recul progressif de cinq ans de l’âge de la retraite;

Ouverture du secteur de la santé au financement privé;

Privatisation de la production d’électricité, etc.

C’est dire que l’avenir du peuple de l’ouest ukrainien s’annonce sous des auspices peu engageants. Quant aux populations de l’est, on peut penser que face à ces projets austéritaires, elles seront peu enclines à revenir au bercail. D’abord parce qu’elles n’ont guère envie de se soumettre à un pouvoir qu’elles considèrent comme fasciste. Ensuite parce que ce serait accepter un programme économique qu’elles rejettent, avec son cortège de privatisations, de fermetures et de licenciements.

Aujourd’hui, nul ne sait comment vont évoluer les événements. Mais le plus inquiétant est sans doute que les américains ne verraient pas d’un mauvais œil la Russie s’embourber dans un conflit coûteux économiquement et politiquement puisque son but initial reste l’affaiblissement de la Russie. N’oublions pas que les stratèges américains considèrent que c’est l’enlisement des Soviétiques en Afghanistan qui a été la cause principale de la chute de l’URSS.

Malheureusement, il n’est pas sûr que V. Poutine, prisonnier lui-même de son nationalisme grand-russe, n’ait l’intelligence d’entamer une désescalade salutaire pour les peuples russe, ukrainien et européens.

 

 

Gaz, transit, Crimée

 

à en croire le «Poutine bashing» auquel se livrent les médias occidentaux, le Président russe serait seul responsable de la dégradation des relations russo-ukrainiennes. En fait, celui-ci n’a fait que poursuivre une politique de fermeté de son prédécesseur Boris Eltsine, pourtant considéré comme «pro-occidental». C’est lui qui, le premier, avait décidé de couper l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine pour défaut de paiement. Il faut dire que pour la Russie, l’Ukraine est un pays clé par lequel transite le gaz à destination de l’Europe. Dans les années 1990, 70 à 80% du gaz Russe exporté en Europe passait par l’Ukraine. La Russie s’est ensuite efforcée de diversifier ses routes d’exportation (Blue Stream par le sud en 2008, Baltic pipe par le nord en 2011), mais plus de 50% de son gaz exporté vers l’Europe transite encore par l’Ukraine, soit un enjeu de près de 50 milliards de $ d’exportations par an.

Les relations russo-ukrainiennes relèvent donc d’un équilibre précaire, l’Ukraine dépendant de la Russie pour son approvisionnement en gaz (de 30 à 50 milliards de m3 par an), mais la Russie dépendant de l’Ukraine pour ses exportations, à laquelle elle paie une redevance de transit légèrement inférieure à 3$ pour 1000 m3 transités.

Dès l’autoproclamation de son indépendance, en 1991, les problèmes gaziers sont apparus entre l’Ukraine et la Russie. En particulier, l’Ukraine s’est très vite révélée dans l’incapacité de régler ses factures de gaz à la Russie. Dès 1995, la dette s’élevait à 3milliards de $ alors que l’Ukraine bénéficiait de prix avantageux (environ 50$ les 1000m3 contre 200 pour les pays d’Europe occidentale). à cette époque, le FMI avait déjà été appelé à la rescousse et M. Camdessus s’était déplacé lui-même à Kiev à la demande de B. Eltsine pour résoudre le conflit. En vain. Le différend s’était finalement résolu par un accord politique plus global portant notamment sur la flotte de la mer Noire – reconnue à 50% propriété de la Russie – et l’utilisation du port de Sébastopol par la Russie pour une durée de 20 ans.

Les relations russo-ukrainiennes sont ensuite restées relativement stables, l’Ukraine continuant de bénéficier d’un prix préférentiel jusqu’à la «révolution orange» de 2004. Le nouveau gouvernement ukrainien s’étant déclaré «économie de marché» et affichant son intention de rejoindre l’Union européenne, la Russie décida de lui appliquer les prix pratiqués avec les autres pays européens.

S’en est suivi une série de crises, quasiment annuelles, l’Ukraine étant périodiquement dans l’incapacité de régler sa facture gazière et la Russie réduisant ses livraisons en conséquence. Le problème est que la structure du réseau de transport de gaz est telle qu’il est impossible de distinguer physiquement le gaz destiné à l’Ukraine du gaz destiné aux pays européens en aval. L’Ukraine avait donc toute facilité de «se servir» au détriment de ces pays, ce qu’elle ne s’est pas privée de faire.

La crise a connu son apogée en janvier2009, quand, refusant les propositions russes, l’Ukraine décida de fermer son réseau de transit vers l’Europe privant ainsi de nombreux pays de leur approvisionnement en gaz pendant plusieurs semaines. Les années suivantes ont vu des négociations difficiles à la veille de chaque hiver mais sans crise majeure. L’hiver dernier a pu se passer normalement grâce à un accord signé en octobre sur la base de 385$pour1000 m3, donc sensiblement inférieur aux prix européens, à la condition de pré-paiement. Toutefois, on peut penser que le conflit va repartir de plus belle, le ministre ukrainien de l’énergie ayant récemment annoncé sont intention de doubler la redevance de transit!

Il est clair que le système de canalisations de transit de gaz intéresse beaucoup les compagnies occidentales, qui ne verraient pas d’un mauvais œil sa privatisation pour s’approprier cette rente, comme l’avait déjà offert Shell dans les années 1990. Elles peuvent compter sur le traité Ukraine-UE pour les y aider, puisque la plus grande partie du traité est en fait le DCFTA (Deep and Comprehensive Free Trade Agreement) traité de libre-échange qui impose à l’Ukraine d’adopter l’acquis communautaire en matière d’échange : libéralisation, concurrence, non discrimination, etc.

(1) Ukrainian Weekly, mars 1995.

 

 

 

Un «vigoureux» nationalisme

Vigoureux, c’est ainsi que Zbigniew Brzeziński qualifie le nationalisme ukrainien. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il l’est. L’insurrection de «Maidan» a été largement récupérée puis dirigée par les composantes les plus extrêmes du nationalisme Ukrainien que sont que sont «Pravy sector» (secteur droit) et «Svoboda» (liberté). Organisés en groupes paramilitaires, ce sont eux qui ont tenu tête aux forces de l’ordre de Yanoukovitch, mais aussi rendu impossible l’accord de sortie de crise pourtant signé par l’Union européenne en février 2014. Et ils en ont été remerciés. Dans le premier gouvernement Yatseniouk, issu du renversement de Yanoukovitch, trois ministres dont le vice-Premier ministre étaient des membres dirigeants de «Svoboda». Gouvernement que les Occidentaux ont reconnu puis soutenu, alors que nul ne pouvait ignorer qu’une de ses composantes essentielles était un mouvement néonazi et violemment antisémite (1).

Arrêtons-nous un instant sur le cas de «Svoboda». Fondé en 1991 sous le nom SNPU (Parti national-socialiste d’Ukraine), avec pour but de «prendre le pouvoir politique en Ukraine pour la construction d’un nouvel État et une nouvelle société» (article1 de ses statuts) et pour analyse : «le SNPU voit dans l’État russe la cause de tous les maux en Ukraine» (article6). Jusqu’en 2004, son emblème était le trident de la Division «Das Reich» tristement célèbre pour le massacre d’Oradour-sur-Glane. En 2004, Oleh Tyahnybok est élu président du SNPU. Le parti entame sa «dédiabolisation». Il change de nom, choisissant celui de «Union panukrainienne “Liberté”» – Svoboda en ukrainien. Il abandonne son iconographie nazie dans l’espoir de paraître plus modéré s’inspirant probablement du succès du Parti de la liberté d’Autriche de Jörg Haider. Il entame enfin des démarches d’alliance avec les autres partis nationalistes ukrainiens plus modérés, notamment le bloc de Arseny Yatseniuk, aujourd’hui Premier ministre.

En 2013, par exemple, le parti Batkivshchyna (Patrie) de Yulia Timochenko, l’UDAR (le parti du boxeur Vitaly Klitschko) et Svoboda se sont associés, entre autres, contre un projet de loi présenté par le Parti des régions (PdR) du président déchu Viktor Ianoukovitch, visant à interdire «les discours haineux et les expressions dégradantes». Ce projet de loi visait à prohiber des mots très insultants comme «youpin», «sale juif» (zhid en ukrainien) et «Russkof» qui ont la faveur des partisans de Svoboda.

Depuis de nombreuses années, la communauté juive d’Ukraine et les parlementaires de la Knesset n’ont cessé de dénoncer le soutien des Occidentaux au parti néonazi Svoboda (2). En vain. En mai2013, le Congrès juif mondial a appelé à l’interdiction du parti néonazi Svoboda. En vain. Oleg Tyahnybok a pu compter sur un soutien sans faille des dirigeants américains, tels John Mac Cain ou Victoria Nuland, ou européens. Une des palmes de la duplicité revient sans doute à Laurent Fabius qui, en 2014, osait déclarer : «Le parti Svoboda est un parti plus à droite que les autres, [mais il n’est pas] d’extrême droite.» [Laurent Fabius, 11mars 2014, France Inter].

 

(1) <http://www.humanite.fr/ukraine-le-parti-svoboda-est-fasciste>.

(2) <http://fr.euronews.com/2012/10/30/ukraine-la-percee-de-svoboda-inquiete-la-communaute-juive/>.

1) Interview d’E. Puissant, «La Jaune et la Rouge», septembre1999.

(2) New York Times, 8mars 1992.

(3) Defense Strategy for the 1990s: The Regional Defense Strategy Secretary of Defense Dick Cheney, January 1993.

(4) Zbigniew Brzeziński, Le grand échiquier, Bayard Éditions, 1998.

(5) <http://www.bbc.com/news/world-europe-26079957>.

(6) <http://monsantoblog.com/2013/12/13/monsanto-ukraine-launching-social-developmenprogram/>.

(7) <http://www.oaklandinstitute.org/press-release-world-bank-and-imf-open-ukraine-western-interests>.

(8) Mémorandum du 27 02 2015 adressé au FMI. <https://www.imf.org/external/np/loi/2015/ukr/022715.pdf>.

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