Économie et Politique à cinquante ans. Ce n'est pas rien pour une revue militante et qui n'a sûrement pas épuisée sa trajectoire. Fondée par une initiative audacieuse et heureuse du Parti communiste français, son avènement fut fort bien accueilli par les militants et, notamment par les communistes militants à l'entreprise,
en particulier les syndicalistes je ne suis pas trop mal placé pour m'en souvenir. Placée sous le signe de l'économie et de la politique, se situant, explicitement sous le drapeau du marxisme, son existence ne fut pas nécessairement celle d'un fleuve tranquille. La table ronde que, dans sa dernière livraison la revue a consacrée à ces cinquante années ne le cache pas. Vous l'avez lu. Vous l'avez entre les mains. J'en tire, pour ma part, la leçon que la novation en politique, comme en économie, aussi primordiale soit-elle, n'est ni facile, ni nécessairement simultanée. Des échos assez nombreux reçus par la revue établissent que cet examen ouvert et critique a été bien accueilli, tant par les lecteurs actuels que par ceux, nombreux plusieurs sont présents, ici, ce soir qui ont été associée à sa rédaction, à sa vie au cours des cinquante années durant, y compris de camarades qui s'en sont éloignés. J'ai recueilli personnellement plusieurs de ces témoignages et l'indication que cette table ronde, reconnue comme substantielle, n'avait sûrement pas épuisé le sujet. Une demande d’approfondissement, dans la sérénité, existe.
Cet examen permet de mieux évaluer l'apport d'Economie et Politique, les novations qu'elle a cherché à promouvoir. Au milieu d’autres, citons cette novation majeure que constitua la théorie du capitalisme monopoliste d'état, de sa crise, initiée et portée par Paul Boccara . Elle irriguera, notamment après la Conférence Internationale de Choisy-le-Roi de la fin mai 1946, le travail de la section économique et de la revue, servira de points d'appui à la réflexion et à l'activité communiste. Elle permettra notamment de donner de nouveaux fondements théoriques à la nationalisation démocratique et dégager ce concept de la gangue réformiste qui enfermait ses potentialités.
C'est sans doute cette inscription dans le militantisme communiste qui lui valu de disposer au cours de ces cinq décennies d'existence de très nombreux collaborateurs. On a recensé au moins 1500 personnes qui , sous une forme ou sous une autre, ont contribué à sa rédaction. Certains devant adopter des pseudonymes pour échapper à la répression. A sa rédaction furent toujours associés des syndicalistes. Le jeune Henri Krasucki, pas encore Secrétaire Général de la CGT donna dans les premiers numéros de la revue un article sur les procédés patronaux en matière de formes du salaire, alors au cœur des pratiques pour diviser les salariés. La plupart des collaborateurs de la revue participaient activement à la section économique du PCF avec laquelle la revue vivait dans une synergie étroite et bénéfique sans pour autant se priver de l'apport d'autres collaborations particulièrement en ce qui concerne la politique extérieure, les questions agraires, l'action à l'entreprise. Dans les rangs de la section économique et de la revue se sont formés des centaines d'hommes et de femmes. Plusieurs ont accédé à de hautes responsabilités dans le Parti communiste d'autres malgré la répression et les ostracismes de la guerre froide ont finalement accédé à de grandes responsabilités dans l'université ou dans l'Administration. Parmi tous ceux qui ont contribué à l'existence d'Economie et Politique, il y avait des révolutionnaires convaincus et des gens de talent. Je ne les énumèrerais pas craignant par oubli d'être injuste. Je le serais certainement si je ne mentionnait pas la personnalité remarquable de modestie, d'ouverture, d'intelligence, d'humanité, du militant révolutionnaire, dirigeant communiste et syndicaliste que fut Henri Jourdain. Le temps est limité pour dire plus mais je crois savoir que l'historien Claude Willard qui a fait un très beau livre sur et avec Jourdain évoquera, ce soir, son rôle, si éminent.
De ces élaborations fructueuses sont sortis les critères de gestion qui à la vision essentiellement quantitative et étatiste opposaient celle de critères de gestion économiques et sociaux qui permettaient de donner une base sérieuse à l’aspiration autogestionnaire. L’idée de la monnaie commune, en opposition à la monnaie unique, dont on peut mesurer les dégâts, la portée de la révolution informationnelle, l’accent mis sur la maîtrise du crédit et le contrôle des fonds régionaux ont été portés par la revue, souvent seule. Ce qui a permis à l’extérieur de les ignorer, de les dévoyer, de les récupérer pour en nier la portée. N’est-ce pas, ce à quoi on assiste avec la très novatrice proposition de Sécurité d’emploi et de formation. Novatrice et décisive, non seulement parce qu’elle s’attaque frontalement à la tare fondamentale du capitalisme, mais aussi parce que l’emploi conditionne les salaires, les conditions de travail, si malmenés et, plus généralement les rapport s de force dans la société.
Economie et Politique peut être fière de son passé. C’est un acquis robuste, sachons le projeter dans le présent et dans l’avenir. Empruntant à Eluard j’ai envie de dire, en terminant : le «ce qui a été compris existe» et, d’ajouter, mais ne se valide que dans l’avenir. Il faut y penser mais agir pour le permettre. n