Les dirigeants chinois entendent garder la maîtrise de la transition vers une économie mixte de marché d’un nouveau type. Ils s'appuient pour cela sur la force du sentiment national chinois, avec l'étatisme et ses défauts, jusqu’aux atteintes aux libertés. Cette très forte volonté nationale est contredite par une ouverture au marché mondial dominée par les grandes puissances capitalistes et les multinationales.
Depuis 1978, la croissance moyenne a été de 10% par an (1). Avec un Pib de 1 410 milliards de dollars en 2003, la Chine est devenue la sixième économie et le quatrième exportateur mondial, devant la France. Le XXVIème congrès du Parti communiste chinois (PCC) a fixé un nouvel objectif
: le quadruplement du Pib en vingt ans. En mars 2004, avec la révision constitutionnelle, de nouvelles garanties légales ont été accordées pour l’initiative privée. C’est le développement du commerce extérieur qui a servi de locomotive à la modernisation et à l’effort de transition vers une économie de marché. Cela s’est fait au prix d’une fort e polarisation de la croissance autour de grands centre s industriels et des provinces côtières qui, aujourd’hui, concentrent 89% du commerce extérieur et accueillent 84% des investissements directs étrangers (IDE). Cette croissance polarisée a été initiée dans les années 1980, à partir des industries traditionnelles (textile et habillement) puis, dans les années 1990, à partir des produits électriques et électroniques. Cela s'est opéré moyennant une participation c roissante de la Chine à la segmentation internationale capitaliste des processus productifs. (2)
Loin de maîtriser l'ensemble de ces processus, la Chine s'est faite progressivement spécialiser dans l'assemblage de pièces et de composants importés. Ainsi, en 1999, ce sont 85% des exportations de machines électriques et 80% de celles d'instruments de précision qui étaient issus d'opérations internationales d'assemblage. (3)
Pour s'ouvrir aux potentiels du marché mondial, les autorités chinoises ont cherché à attirer capitaux, technologies et savoir-faire en favorisant le développement des activités internationales d'assemblage. Désormais, les industries extraverties assurent plus de la moitié des exportations chinoises.
Simultanément, les multinationales implantées au Japon et chez les «quatre dragons» (dont beaucoup d'américaines ou à capitaux mixtes américains et/ou japonais), attirées par les très bas coûts salariaux, ont délocalisé en Chine la partie la plus intensive en main d'œuvre des industries textiles, puis électriques et électroniques qu'elles contrôlaient. Les filiales des multinationales localisées au Japon ou dans les «quatre dragons» fournissent à la Chine près de 70% des importations pour la production des marchandises exportées. Elles réalisent plus des deux tiers du commerce d'assemblage de la Chine.
Les progrès très rapides qu’elle a enregistrés en ce domaine vis à vis de ses principaux partenaires (Japon, Etats-Unis, UE(4)) dans les années 1990 et, plus encore, au début des années 2000 ont donc été assurés, pour l'essentiel, par des industries extraverties dominées par les filiales de multinationales étrangères. A la fin des années 1990, les entreprises à capitaux étrangers étaient responsables d'environ un quart de la production industrielle chinoise, mais de 70% dans le matériel électrique et électronique.
Les autorités chinoises ont certes encouragé ces processus, mais en essayant de les maîtriser et en refusant de se laisser dominer.
Si l’industrialisation se porte encore, de façon dominante, dans des secteurs à haute densité de main-d’œuvre (textile, habillement, cuir, ameublement etc.), les autorités chinoises ont cherché également à l’orienter de plus en plus vers la production de produits à haute valeur ajoutée (téléphonie, ordinateurs, satellites etc.) ; et cela selon un schéma en trois étapes : assemblage de composants en sous-traitance de sociétés étrangères ; échange de technologies avec des «joint-ventures» ; rachat des participations de la société étrangère et constitution d’une société entièrement chinoise disposant des capacités de conception et de p roduction. Ce schéma a prévalu, par exemple, pour la filiale de téléviseurs de Thomson et pour la division de téléphones portables d’Alcatel, rachetées par TCL.
Les autorités chinoises ont cherché à promouvoir de véritables champions nationaux. Désormais, ceux-ci sont encouragés, à partir de leur marché domestique, à s’implanter progressivement sur les marchés européens, asiatiques et nord américains. C’est le cas d’entreprises comme Hair (électroménager), TCL (téléviseurs), Huawei (équipements de télécommunications), Konka ou Changong (téléphones mobiles).
Les dirigeants chinois le répètent : «la mondialisation capitaliste s’impose à nous, nous ne l’avons pas choisie !» Ils redoutent un processus conduisant à une dépendance économique, base pour une tutelle politique.Le refus de retomber sous l’emprise de grandes puissances étrangères les amène à chercher les moyens de compter et de peser dans la mondialisation pour des raisons économiques (partage des coûts et des résultats de recherche-développement, accès aux qualifications, aux technologies, aux capitaux et aux marchés etc.) mais aussi pour des raisons politiques de maîtrise et d’indépendance.
L’exemple récent (6) du rachat de la division PC d’IBM par le groupe informatique chinois Lenovo pour 1,75 milliards de dollars est emblématique. Il utilisera la marque IBM pendant cinq ans pour asseoir son essor mondial et renforcer son leadership sur son marché.
Cette phase nouvelle d’expansion de grands groupes nationaux dans les secteurs informationnels vient conclure la période des années 1980–1990, au cours de laquelle les autorités chinoises, pour tenter de maîtriser l’ouvert ure au monde nécessaire au décollage industriel de la Chine, ont multiplié les initiatives :
ouverture de zones spéciales avec fiscalités incitatives et réglementations modulées ; développement intensif des entreprises à capitaux mixtes ; ancrage du yuan (Rmb) au dollar, pour éviter des pertes de change et soutenir les exportations dans les années 1990.
De même, les autorités chinoises ont refusé d’ouvrir le pays d’un coup, en cherchant à limiter la dépendance de la production nationale aux exportations et au marché financier, en prenant appui sur le crédit bancaire.
Enfin, face à la progression des disparités régionales dues à ce type d’industrialisation, elles ont mis en œuvre, à partir des années 1990, des programmes de développement vers l’ouest, avec de très gros eff o rts d’infrastructures (autoroutes, voies ferrées, oléoducs, gazoducs, centrales électriques, thermiques et nucléaires, ponts etc.).
Les années 1980–1990 ont donc permis à la Chine de mettre le pied à l’étrier de l’achèvement géographique de la révolution industrielle.
Celles-ci ferait écho, elle, aux exigences de la révolution informationnelle, avec une expansion mondiale de groupes nationaux qui ont cependant toujours à assumer l’essor et la couverture de leur marché. La Chine est appelée ainsi à dépasser le statut d’un simple «atelier d’assemblage» pour les pays riches.
Cette nouvelle phase s’annonce, à son tour, très ambivalente. Les pressions et l’attirance capitalistesvont redoubler au travers des gestions, des financements et des coopérations internationales. Le recours au marché financier pourrait prendre le pas sur la préférence actuelle pour le crédit bancaire. Les tentatives d’enrôlement des groupes chinois dans la guerre économique mondiale, pour la rentabilité financière, ne manqueront pas de se renforcer.
Cela accentuerait les contradictions avec les besoins sociaux de développement impérieux auxquels devront faire face les dirigeants chinois. Et leur volonté d’indépendance nationale, liée en partie à ces besoins et aux luttes qu’ils engendrent, pourrait être mise à rude épreuve par les gestions et alliances des groupes internationalisés, s’ils se contentent de mettre en œuvre les façons de faire capitalistes. Ils peuvent être amenés, au contraire, à innover face aux besoins de sécurisation et de promotion de l’immense multitude des populations, à commencer par les chômeurs et les paysans.
Cela pourrait alors renvoyer à la question cruciale du réemploi des réserves en devises accumulées du fait des excédents extérieurs.
Ne pourraient-elles pas servir de base pour un crédit p a rtagé permettant la constitution de réseaux mondiaux de joint-ventures pour des coopérations de co-développement visant une sécurisation de l’emploi, de la formation et de tous les moments de la vie ?
Et ne serait-ce pas une voie possible de dépassement des contradictions engendrées à la fois par le développement des exportations industrielles, au travers des spécialisations que tentent d’imposer les multinationales et, à la fois, par son attractivité pour les délocalisations ? Contradictions qui peuvent causer de terribles dégâts pour l’emploi dans le monde.
N’est-ce pas d’ailleurs, ces questions qui montent, au Nord comme au Sud, avec la levée des quotas d’importations pour le textile dans l’OCDE avec la fin des accords multifibres ?
Cela renvoie aussi nécessairement à une transform ation profonde des orientations chez les partenaires de la Chine, notamment l’UE, avec l’exigence d’un autre rôle de la Banque Centrale Européenne(BCE), de l’euro et d’une maîtrise sociale du marché intérieur européen.
Selon Goldman Sachs (7), la Chine représente 40% de la consommation mondiale de charbon, 40% de celle du coton, 30% de celle d’acier, de zinc, d’aluminium, de plomb ou de cuivre, 30% de celle de maïs, de soja, de blé et 20% de celle de fioul. Et, en 2004, elle serait à l’origine de près de la moitié de la croissance de la demande mondiale de pétrole. Cet énorme besoin d’importation de matières premières, industrielles notamment, renvoie à plusieurs facteurs.
Il s’agit de l’effort d’équipement du territoire engagé dans le courant des années 1990, pour réduire la grave fracture entre l’est et l’ouest engendrée par la polarisation de la croissance industri elle.
Entre 1997 et 2002, plus de 500 000 km de routes et près de 20 000 km d’autoroutes ont été construits, tandis que dix aéroports auront été bâtis entre 2002 et 2005 (8) . Ce fut aussi l’explosion du logement avec la croissance urbaine et l’exode rural. Entre 1995 et 2002, le nombre de m2 par habitant et passé de 8,1 à 22 m2.
Ce mouvement se poursuivra avec les Jeux olympiques de 2008 et l’exposition universelle de Shanghaï en 2010. Selon la Commission du plan, la Chine engagerait pour environ 1 milliard de m2 de constructions nouvelles par an, et rénoverait environ 1,6 milliard de m2 de logements. Simultanément, il est question de lancer un nouveau programme de rénovation des réseaux électriques en milieu rural extrêmement déficients.
L’autre facteur de soutien de la demande d’importation de la Chine en matières premières est l’essor de la demande de consommation des ménages, encore très freinée cependant. Il s’agit de potentiels de croissance bridés par le sous-développement. La consommation par tête est respectivement de 100 kg, 3 kg et 2,4 kg pour l’acier, l’aluminium et le cuivre, très loin derrière les EtatsUnis, l’Europe et le Japon où ces niveaux de consommation par têtes sont respectivement de l’ordre de 700 kg, 5 kg et 10 kg.
Il s’agit de l’évolution de la structure de la consommation des ménages avec l’essor de couches moyennes et d’entrepreneurs. La demande de biens d’équipement ménager grossit mais aussi et surtout d’automobiles dont la production a bondi de près de 80% en 2003. Cela concerne aussi les biens alimentaires avec le choc entre, d’un côté, la progression de consommations à base de blé liée à l’ occidentalisation des standards de vie d’une partie des urbains et, d’un autre côté, le recul, l’insuffisance des rendement agricoles. L’ampleur prise par la demande d’importations de matières premières exprime aussi des fragilités et des insuffisances d’efficacité du système productif et de la croissance de ce pays. Cela concerne l’agriculture, mais aussi les activités minières, alors même que la Chine recèle environ 12% des réserves minérales de la planète (3ème rang mondial).
Elle a acquis une position telle sur les marchés mondiaux de matières premières que leur conjoncture dépend, dans une large mesure, de l’évolution de la demande chinoise. Depuis les années 1990, l’explosion des importations chinoises de matières premières n’a pas cessé de prendre de l’ampleur. Depuis 2002, cela s’est conjugué, avec le redémarrage de la demande des pays de l’OCDE, Etats-Unis en tête. Ces derniers en demeurent très fortement consommateurs, particulièrement de pétrole. Mais cela s’est conjugué aussi avec le vif essor de la demande des autres pays émergents.
Cela, alors que les groupes capitalistes dominant ces secteurs ont très insuffisamment développé les capacités de production. Les prix de marché étaient alors très en deçà des niveaux de rentabilité financière exigés par leurs actionnaires et les marchés financiers. Ces multinationales ont préféré rationaliser leurs outils de production, licencier du personnel et engager d’énormes ressources dans des prises de contrôle, des placements financiers et, de plus en plus, dans le rachat de leurs propres actions pour en accroître le rendement. Le vif essor de la demande d’importation de matières premières de la Chine est entré en collision avec la régulation capitaliste aveugle rationnant alors l’offre mondiale. D’où l’envolée des prix pesant sur la croissance des pays capitalistes eux-mêmes. Il est de bon ton de rendre la Chine seule responsable de ces déséquilibres.
C’est oublier la responsabilité des logiques capitalistes qui cherchent à la dominer ainsi que celle des groupes industrialo-financiers qui, avec leurs critères de gestion, dominent les marchés mondiaux de matières première; sans parler des gâchis énormes de moyens naturels et matériels associés au type de croissance des pays riches. Les fortes hausses des cours de matières première -relatives sur le long terme– pèsent donc aussi sur la poursuite de la croissance chinoise comme facteur de «surchauffe».
Les dirigeants chinois sont conscients du risque pour leur indépendance économique et en matière d’inflation importée. Ils sont aussi conscients des atouts nouveaux pour la négociation internationale que leur confère le rôle centrale de la Chine sur les marchés de matières premières, industrielles notamment. Cela paraît d’autant plus probable que les ressources naturelles peu ou pas exploitées de leur pays sont considérables et permettent d’anticiper un rôle de plus en plus important des productions chinoises en ces domaines aussi.
Ainsi, l’Etat chinois a l’intention de taxer les exportations de métaux et de minerais afin d’en réserver la production en priorité aux industriels locaux, de calmer les surchauffes sectorielles.Cela a eu immédiatement pour effet de faire flamber les cours sur les marchés mondiaux de l’aluminium, de l’étain et du zinc. Il faut prendre la mesure des efforts nouveaux déployés pour multiplier des coopérations mutuellement avantageuses, échappant en partie à la domination des marchés, avec d’autres pays en développement producteurs de matières premières comme le Brésil, l’Argentine, Cuba ou encore certains pays africains.
Ils favorisent ainsi la relance de la pratique de contrats de long terme, dans le cadre de protocoles d’Etat à Etat conditionnant les rapports entre entreprises nationales. Cela marche de pair – et c’est nouveauavec la volonté de décourager fiscalement les entreprises utilisant exclusivement les marchés spot. C’est ainsi qu’en 2004, la Chine a signé une série de ces conventions nouvelles, avec le Brésil et l’Argentine, principaux acteurs du Mercosur, eux-mêmes en délicatesse avec les Etats-Unis.
Les autorités chinoises n’ont pas hésité à mobiliser une part i e des énormes réserves en devises dont dispose leur Etat pour financer le lancement d’investissements d’infrastructures de transport, de télécommunications et de logements dans ces pays afin de sécuriser et promouvoir ce nouveau bilatéralisme dont chaque partie prenante a besoin face à l’étouffante hégémonie nord-américaine et à la domination des marchés mondialisés.
La Chine est entrée de plain-pied dans l'industrialisation, ce dont atteste la transformation de son économie et l'urbanisation très rapide.
Ce processus s'est accompagné, au cours des années 1990, d'une progression vive de la part des IDE dans le PIB et dans l'investissement, quoique plus progressivement que dans les autres pays émergents d'Asie. Mais, ce type de croissance a engendré de graves inégalités sociales et territoriales. Il est surtout très insuffisamment créateur d’emplois.
Les effets d'entraînement des entreprises extraverties pour le développement des capacités industrielles et technologiques des entreprises entièrement chinoises «ont été décevants» (9). Bien sur, le contenu local des exportations d'assemblage à partir de la Chine continentale (intégration) a augmenté: le rapport des exportations (après assemblage)/importations (pour assemblage) est passé de 1.2 en 1993 à 1.5 en 2000.
Cependant, l'exemple du matériel électrique, emblématique de l'essor des exportations des années 1990, montre que cette «intégration» serait due, avant tout, à l'augmentation des échanges entre filiales de multinationales étrangères implantées en Chine, au lieu d'un approvisionnement croissant auprès des entreprises chinoises elles-mêmes. C'est dire le poids pris par les multinationales étrangères dans le commerced'assemblagechinois. Elles assurent les trois quarts des exportations d'assemblage en 1999, contre 56% seulement en 1993 (10). De plus, les exportations «ordinaires» (hors assemblage) de la Chine présentent une structure relativement stable par produits (11). Autrement dit, la diffusion du progrès technologique des industries extraverties à l'ensemble du tissu industriel chinois est beaucoup plus lente que ne l'exigent les besoins de développement et de maîtrise du pays.
Les exportations «ordinaires» de la Chine restent donc confinées à des productions traditionnelles (habillement, produits chimiques, produits agricoles), tandis que le dynamisme du secteur exportateur reste surtout entre les mains des filiales des multinationales étrangères : «Les entreprises entièrement chinoises ont perdu du terrain à la fois sur le segment des exportations ordinaires et sur celui des opérations d'assemblage». (12)
Face aux besoins sociaux de développement, la croissance chinoise, quoique rapide, est très insuffisamment créatrice d’emplois et s’accompagne d’un essor insuffisant des qualifications et du niveau culturel. Le taux de chômage officiel «dans les bourgs et les municipalités» se maintient autour de 4,7% en 2004, (+ 0,2% sur 2003).En fait, le taux de chômage effectif serait supérieur à 10% de la population active, voire à 15% dans les grands villes.
La création d’emplois est insuffisante face à l’arrivée massive de main d’œuvre sur le marché du travail, en raison de : l’exode rural accentué par le creusement des inégalités villes/campagnes; l’arrivée des jeunes sur le marché du travail; la destruction d’emplois engendrée par les restructurations des entreprises d’Etat.
Le besoin de lutter contre le chômage et pour l’essor de toutes les capacités humaines paraît d’autant plus criant que l’industrie tend à s’y développer de façon dualiste, accentuant les inégalités villes/campagnes et, à l’intérieur des villes, entre chômeurs et populations bénéficiant de l’industrialisation.
D’un côté, existent des secteurs très compétitifs, intégrés aux circuits internationaux de production et d’échange, dominés par les filiales de multinationales étrangères. Ils se sont développés surtout le long de la côte, dans des mégapoles, flanquées de zones économiques spéciales aux droits sociaux très restreints. Il s’y constituent des couches moyennes commençant à se tertiariser et un gros prolétariat urbain.
D’un autre côté, il y a le secteur traditionnel d’exportation dominé par des entreprises entièrement chinoises, qui tendent à prendre du retard. Surtout, on trouve le secteur «fermé», tourné vers l’intérieur, constitué notamment d’entreprises d’Etat et du secteur agricole, avec la population la plus nombreuse, et confronté à l’immense défi d’une modernisation qui ne fasse pas exploser le chômage. La croissance chinoise, dominée dans une large mesure par les capitalistes, a certes contribué, en partie, à développer des capacités humaines, mais en polarisant un développement inégal.
Cela concerne énormément de monde, ce qui permet l’essor d’une demande intérieure solvable, un progrès des qualifications, ainsi que l’avancée de nouvelles aspirations sociétales et démocratiques. Mais ce mouvement demeure très minoritaire en regard de l’immense masse des populations confrontées au sous-développement, contraintes à l’exode vers les pôles urbains où l’offre d’emplois et de qualifications, bien qu’en croissance, demeurent insuffisante.
Bien sûr, la Chine est l’un des rares pays à remplir officiellement l’objectif du millénaire pour le développement (OMD) des Nations-Unies en matière de réduction de la pauvreté extrême (13). On est passé ainsi d’un total de 280 millions de personnes concernées en 1990 à 97 millions en 1999. (14)
Mais le contenu social de la croissance actuelle est insuffisant pour «briser le noyau dur de la pauvreté extrême» surtout localisé dans les régions rurales. (15) En même temps, l’entassement de populations croissantes dans les centres urbains fait exploser les problèmes de logement, d’éducation, de santé, d’environnement, d’accès à l’énergie, d’infrastructures etc. Cela tend à changer la nature de la pauvreté ordinaire. Elle devient de plus en plus liée au chômage et non pas seulement aux aléas climatiques et à l’insuffisant rendement agricole.Cela rend plus aigu le besoin d’un réel système de protection sociale (chômage, santé, famille etc.). Mais la construction d’un tel système s’avère à la fois urgente et extrêmement difficile. D’un côté, en effet, la restructuration des entreprises d’Etat, l’insuffisance des revenus paysans poussent au déversement de populations croissantes sur le marché du travail ; tandis que, d’un autre côté, la politique de «l’enfant unique» peut préparer une base en emplois insuffisante pour un système de retraites par répartition, alors que le vieillissement des Chinois s’accélère. Du reste, des fonds de pension anglo-saxons commencent à explorer, en pratique, les potentiels de développement de retraites individuelles par capitalisation chez les couches moyennes et dirigeantes.
Au problème du chômage, dans l’immédiat, vient s’ajouter le problème des retraites donc, tandis que demeure si difficile l’accès aux soins, à l’école, à la culture, au logement etc. Bref, en liaison avec l’insécurité de l’emploi et de la formation, il y a un besoin formidable des Chinois de sécurisation de tous les moments de leur vie, avec, là aussi, le creusement d’inégalités et la différenciation des aspirations, mal supportés, entre les couches moyennes et dirigeantes émergentes et la masse colossale des paysans, ouvriers et chômeurs. n
Les canons gestionnaires dominants dans les entreprises renvoient aux c ritère de rentabilité capitaliste, faute d’altern ative pour le moment. Le thème de la «compétitivité», mesurée à l’aune du seul coût salarial de l’emploi, a le vent en poupe dans les régions les plus développées. Ainsi, le recours aux technologies informationnelles, peut contribuer à creuser bien plus encore l’écart entre le besoin de créations d’emplois nouveaux et le nombre et la qualité des emplois effectivement créés, tandis que deviendrait encore plus criante l’insuffisance de formation.
Face à l’ampleur des licenciements, dans les années 1990, les autorités chinoises ont été contraintes de prendre des mesures de sécurisation. La notion de «salariés sans poste de travail» (24) a été créée. Ceux-ci ne sont plus dans l’emploi, car il a été supprimé par l’entreprise où ils travaillaient. Mais ils continuent d’être aux effectifs de celle-ci jusqu’à la fin de leur contrat de travail, percevant une «allocation vitale de base» versée par l’employeur. Initialement conçu pour sécuriser le revenu et la fo rmation du travailleur licencié en vue de son reclassement, ce dispositif s’est trouvé débordé par l’effondrement des taux de réemploi.Il est d’ailleurs appelé à disparaître dans la perspective de la création d’un véritable système unifié de protection sociale du chômage. Simultanément, les autorités chinoises ont essayé de développer des systèmes d’incitations plus ou moins inspirés des politiques d’emploi conduites notamment en Occident : réduction des taxes pour les entreprises qui embauchent des travailleurs privés d’emploi, exemptions fiscales de trois années pour les «salariés sans poste de travail» créant leur propre activité etc.
Dans de nombreuses localités, surtout à Shanghai, les autorités régionales ont créé directement des milliers d’emplois dans les services sociaux et à la personne, en liaison avec la montée de nouveaux besoins et aspirations des populations urbaines : gardiennage d’immeubles, aide à la circulation, aide maternelle,soutien des personnes âgées, nettoyage des lieux publics et des espaces verts. Mais tout cela ne fait pas le compte face aux gestions d’entreprises et à un développement sous contrainte des exigences capitalistes. Aussi, les autorités chinoises pourraient être obligées d’entreprendre une nouvelle phase de recherche et d’innovation dans le domaine de l’emploi et du traitement du chômage qui pourrait impliquer plus la responsabilité des entreprises. C’est ainsi que certaines inflexions seraient déjà repérables concernant la gestion des licenciements. (25)
Les autorités chinoises tendraient désormais à mettre en avant que «les débauchages doivent être précédés d’un reclassement et du versement intégral des salaires et des indemnités dus par l’employeur». De même, les migrants feraient l’objet d’un nouveau regard, tant leur rôle est devenu important pour le fonctionnement de l’économie. Leur extrême précarité est devenue explosive. La protestation qu’elle engendre peut converger avec celle des privés d’emploi. Aussi, la question de la sécurisation de ces populations va se poser fortement avec l’exigence de statuts protecteurs, d’un accès au logement, aux services sanitaires et sociaux, à l’éducation et à la formations, à des revenus décents. Simultanément, grandit le besoin d’une sécurisation et d’une extension des droits des salariés dans les entreprises, alors que se multiplient des conflits sur les salaires mais aussi face aux décisions de licenciements.
L’enjeu d’un progrès du syndicalisme s’affirme. Cela se pose dans les entreprises multinationales implantées en Chine. Cela ne va pas sans soulever des contradictions avec les exigences d’attractivité qui font prévaloir chez des dirigeants locaux et des cadres d’entreprises membres du PCC, le souci d’une compétitivité par de bas coûts salariaux. Les autorités centrales chinoises accordent une importance nouvelle à l’activité syndicale à l’entreprise. Des efforts sont déployés pour inciter à l’implantation de syndicats dans celles à capitaux étrangers. Un amendement a même été voté à la loi sur les syndicats introduisant la pratique du mandatement et poussant à l’inscription sur une «liste noire» des entreprises réfractaires à l’activité syndicale. La mise en pratique de ces nouvelles dispositions se heurte aux liens tissés depuis plus de vingt ans entre dirigeants d’entreprises, entrepreneurs et dirigeants politiques locaux lesquels, au nom de la concurrence avec d’autres villes et de l’attraction des capitaux, peuvent fermer les yeux, accorder des passe-droits, sans parler de corruption.
Quoi qu’il en soit l’enjeu d’une sécurisation et d’une promotion de l’emploi et de la formation, base d’une sécurité nouvelle de tous les moments de la vie de chacun-e, paraît être au cœur des défis de la décennie qui vient. Il peut poser en pratique et avec force la question de la conquête de nouveaux droits et pouvoirs des salariés et de leurs organisations, de même que celle d’un rôle nouveau d’impulsion des cadres du PCC dans les entreprises pour de nouvelles gestions d’efficacité sociale.4