Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Une croissance, sous pressions capitalistes, contredisant l’exigence de maîtrise nationale et les besoins sociaux

Depuis 1978 et les réformes initiées par Deng Xiaoping, la Chine est engagée dans la transition d'une économie de commande administrée essentiellement paysanne à une économie mixte de marché d'un nouveau type, en voie d'industrialisation et durbanisation accélérée, de plus en plus intégrée aux échanges internationaux. Cette expérience est sans pareille. Les dirigeants chinois sont animés d'un farouche volonté d'éviter un processus similaire à ceux de lURSS et d'autres pays étatistes qui se réclamaient du socialisme.

Les dirigeants chinois entendent garder la maîtrise de la transition vers une économie mixte de marché dun nouveau type. Ils s'appuient pour cela sur la force du sentiment national chinois, avec l'étatisme et ses défauts, jusquaux atteintes aux libertés. Cette très forte volonté nationale est contredite par une ouverture au marché mondial dominée par les grandes puissances capitalistes et les multinationales.

Une formidable pression capitaliste sur la croissance chinoise

Depuis 1978, la croissance moyenne a été de 10% par an (1). Avec un Pib de 1 410 milliards de dollars en 2003, la Chine est devenue la sixième économie et le quatrième exportateur mondial, devant la France. Le XXVIème congrès du Parti communiste chinois (PCC) a fixé un nouvel objectif

: le quadruplement du Pib en vingt ans. En mars 2004, avec la révision constitutionnelle, de nouvelles garanties légales ont été accordées pour linitiative privée. Cest le développement du commerce extérieur qui a servi de locomotive à la modernisation et à leffort de transition vers une économie de marché. Cela sest fait au prix dune fort e polarisation de la croissance autour de grands centre s industriels et des provinces côtières qui, aujourdhui, concentrent 89% du commerce extérieur et accueillent 84% des investissements directs étrangers (IDE). Cette croissance polarisée a été initiée dans les années 1980, à partir des industries traditionnelles (textile et habillement) puis, dans les années 1990, à partir des produits électriques et électroniques. Cela s'est opéré moyennant une participation c roissante de la Chine à la segmentation internationale capitaliste des processus productifs. (2)

Loin de maîtriser l'ensemble de ces processus, la Chine s'est faite progressivement spécialiser dans l'assemblage de pièces et de composants importés. Ainsi, en 1999, ce sont 85% des exportations de machines électriques et 80% de celles d'instruments de précision qui étaient issus d'opérations internationales d'assemblage. (3)

Le double défi de lextraversion industrielle et de lexpansion informationnelle

Pour s'ouvrir aux potentiels du marché mondial, les autorités chinoises ont cherché à attirer capitaux, technologies et savoir-faire en favorisant le développement des activités internationales d'assemblage. Désormais, les industries extraverties assurent plus de la moitié des exportations chinoises.

Simultanément, les multinationales implantées au Japon et chez les «quatre dragons» (dont beaucoup d'américaines ou à capitaux mixtes américains et/ou japonais), attirées par les très bas coûts salariaux, ont délocalisé en Chine la partie la plus intensive en main d'œuvre des industries textiles, puis électriques et électroniques qu'elles contrôlaient. Les filiales des multinationales localisées au Japon ou dans les «quatre dragons» fournissent à la Chine près de 70% des importations pour la production des marchandises exportées. Elles réalisent plus des deux tiers du commerce d'assemblage de la Chine.

Les progrès très rapides quelle a enregistrés en ce domaine vis à vis de ses principaux partenaires (Japon, Etats-Unis, UE(4)) dans les années 1990 et, plus encore, au début des années 2000 ont donc été assurés, pour l'essentiel, par des industries extraverties dominées par les filiales de multinationales étrangères. A la fin des années 1990, les entreprises à capitaux étrangers étaient responsables d'environ un quart de la production industrielle chinoise, mais de 70% dans le matériel électrique et électronique.

Les autorités chinoises ont certes encouragé ces processus, mais en essayant de les maîtriser et en refusant de se laisser dominer.

Si lindustrialisation se porte encore, de façon dominante, dans des secteurs à haute densité de main-dœuvre (textile, habillement, cuir, ameublement etc.), les autorités chinoises ont cherché également à lorienter de plus en plus vers la production de produits à haute valeur ajoutée (téléphonie, ordinateurs, satellites etc.) ; et cela selon un schéma en trois étapes : assemblage de composants en sous-traitance de sociétés étrangères ; échange de technologies avec des «joint-ventures» ; rachat des participations de la société étrangère et constitution dune société entièrement chinoise disposant des capacités de conception et de p roduction. Ce schéma a prévalu, par exemple, pour la filiale de téléviseurs de Thomson et pour la division de téléphones portables dAlcatel, rachetées par TCL.

Les autorités chinoises ont cherché à promouvoir de véritables champions nationaux. Désormais, ceux-ci sont encouragés, à partir de leur marché domestique, à simplanter progressivement sur les marchés européens, asiatiques et nord américains. Cest le cas dentreprises comme Hair (électroménager), TCL (téléviseurs), Huawei (équipements de télécommunications), Konka ou Changong (téléphones mobiles).

Les dirigeants chinois le répètent : «la mondialisation capitaliste simpose à nous, nous ne lavons pas choisie !» Ils redoutent un processus conduisant à une dépendance économique, base pour une tutelle politique.Le refus de retomber sous lemprise de grandes puissances étrangères les amène à chercher les moyens de compter et de peser dans la mondialisation pour des raisons économiques (partage des coûts et des résultats de recherche-développement, accès aux qualifications, aux technologies, aux capitaux et aux marchés etc.) mais aussi pour des raisons politiques de maîtrise et dindépendance.

Lexemple récent (6) du rachat de la division PC dIBM par le groupe informatique chinois Lenovo pour 1,75 milliards de dollars est emblématique. Il utilisera la marque IBM pendant cinq ans pour asseoir son essor mondial et renforcer son leadership sur son marché.

Cette phase nouvelle dexpansion de grands groupes nationaux dans les secteurs informationnels vient conclure la période des années 19801990, au cours de laquelle les autorités chinoises, pour tenter de maîtriser louvert ure au monde nécessaire au décollage industriel de la Chine, ont multiplié les initiatives :

  • ouverture de zones spéciales avec fiscalités incitatives et réglementations modulées ; développement intensif des entreprises à capitaux mixtes ; ancrage du yuan (Rmb) au dollar, pour éviter des pertes de change et soutenir les exportations dans les années 1990.

De même, les autorités chinoises ont refusé douvrir le pays dun coup, en cherchant à limiter la dépendance de la production nationale aux exportations et au marché financier, en prenant appui sur le crédit bancaire.

Enfin, face à la progression des disparités régionales dues à ce type dindustrialisation, elles ont mis en œuvre, à partir des années 1990, des programmes de développement vers louest, avec de très gros eff o rts dinfrastructures (autoroutes, voies ferrées, oléoducs, gazoducs, centrales électriques, thermiques et nucléaires, ponts etc.).

Les années 19801990 ont donc permis à la Chine de mettre le pied à létrier de lachèvement géographique de la révolution industrielle.

Les années 2000 ouvrirent-elles la voie à une nouvelle phase

dinternationalisation de léconomie chinoise ?

Celles-ci ferait écho, elle, aux exigences de la révolution informationnelle, avec une expansion mondiale de groupes nationaux qui ont cependant toujours à assumer lessor et la couverture de leur marché. La Chine est appelée ainsi à dépasser le statut dun simple «atelier dassemblage» pour les pays riches.

Cette nouvelle phase sannonce, à son tour, très ambivalente. Les pressions et lattirance capitalistesvont redoubler au travers des gestions, des financements et des coopérations internationales. Le recours au marché financier pourrait prendre le pas sur la préférence actuelle pour le crédit bancaire. Les tentatives denrôlement des groupes chinois dans la guerre économique mondiale, pour la rentabilité financière, ne manqueront pas de se renforcer.

Cela accentuerait les contradictions avec les besoins sociaux de développement impérieux auxquels devront faire face les dirigeants chinois. Et leur volonté dindépendance nationale, liée en partie à ces besoins et aux luttes quils engendrent, pourrait être mise à rude épreuve par les gestions et alliances des groupes internationalisés, sils se contentent de mettre en œuvre les façons de faire capitalistes. Ils peuvent être amenés, au contraire, à innover face aux besoins de sécurisation et de promotion de limmense multitude des populations, à commencer par les chômeurs et les paysans.

Cela pourrait alors renvoyer à la question cruciale du réemploi des réserves en devises accumulées du fait des excédents extérieurs.

Ne pourraient-elles pas servir de base pour un crédit p a rtagé permettant la constitution de réseaux mondiaux de joint-ventures pour des coopérations de co-développement visant une sécurisation de lemploi, de la formation et de tous les moments de la vie ?

Et ne serait-ce pas une voie possible de dépassement des contradictions engendrées à la fois par le développement des exportations industrielles, au travers des spécialisations que tentent dimposer les multinationales et, à la fois, par son attractivité pour les délocalisations ? Contradictions qui peuvent causer de terribles dégâts pour lemploi dans le monde.

Nest-ce pas dailleurs, ces questions qui montent, au Nord comme au Sud, avec la levée des quotas dimportations pour le textile dans lOCDE avec la fin des accords multifibres ?

Cela renvoie aussi nécessairement à une transform ation profonde des orientations chez les partenaires de la Chine, notamment lUE, avec lexigence dun autre rôle de la Banque Centrale Européenne(BCE), de leuro et dune maîtrise sociale du marché intérieur européen.

Lenjeu décisif des matières premières

Selon Goldman Sachs (7), la Chine représente 40% de la consommation mondiale de charbon, 40% de celle du coton, 30% de celle dacier, de zinc, daluminium, de plomb ou de cuivre, 30% de celle de maïs, de soja, de blé et 20% de celle de fioul. Et, en 2004, elle serait à lorigine de près de la moitié de la croissance de la demande mondiale de pétrole. Cet énorme besoin dimportation de matières premières, industrielles notamment, renvoie à plusieurs facteurs.

Il sagit de leffort déquipement du territoire engagé dans le courant des années 1990, pour réduire la grave fracture entre lest et louest engendrée par la polarisation de la croissance industri elle.

Entre 1997 et 2002, plus de 500 000 km de routes et près de 20 000 km dautoroutes ont été construits, tandis que dix aéroports auront été bâtis entre 2002 et 2005 (8) . Ce fut aussi lexplosion du logement avec la croissance urbaine et lexode rural. Entre 1995 et 2002, le nombre de m2 par habitant et passé de 8,1 à 22 m2.

Ce mouvement se poursuivra avec les Jeux olympiques de 2008 et lexposition universelle de Shanghaï en 2010. Selon la Commission du plan, la Chine engagerait pour environ 1 milliard de m2 de constructions nouvelles par an, et rénoverait environ 1,6 milliard de m2 de logements. Simultanément, il est question de lancer un nouveau programme de rénovation des réseaux électriques en milieu rural extrêmement déficients.

Lautre facteur de soutien de la demande dimportation de la Chine en matières premières est lessor de la demande de consommation des ménages, encore très freinée cependant. Il sagit de potentiels de croissance bridés par le sous-développement. La consommation par tête est respectivement de 100 kg, 3 kg et 2,4 kg pour lacier, laluminium et le cuivre, très loin derrière les EtatsUnis, lEurope et le Japon où ces niveaux de consommation par têtes sont respectivement de lordre de 700 kg, 5 kg et 10 kg.

Il sagit de lévolution de la structure de la consommation des ménages avec lessor de couches moyennes et dentrepreneurs. La demande de biens déquipement ménager grossit mais aussi et surtout dautomobiles dont la production a bondi de près de 80% en 2003. Cela concerne aussi les biens alimentaires avec le choc entre, dun côté, la progression de consommations à base de blé liée à l occidentalisation des standards de vie dune partie des urbains et, dun autre côté, le recul, linsuffisance des rendement agricoles. Lampleur prise par la demande dimportations de matières premières exprime aussi des fragilités et des insuffisances defficacité du système productif et de la croissance de ce pays. Cela concerne lagriculture, mais aussi les activités minières, alors même que la Chine recèle environ 12% des réserves minérales de la planète (3ème rang mondial).

Elle a acquis une position telle sur les marchés mondiaux de matières premières que leur conjoncture dépend, dans une large mesure, de lévolution de la demande chinoise. Depuis les années 1990, lexplosion des importations chinoises de matières premières na pas cessé de prendre de lampleur. Depuis 2002, cela sest conjugué, avec le redémarrage de la demande des pays de lOCDE, Etats-Unis en tête. Ces derniers en demeurent très fortement consommateurs, particulièrement de pétrole. Mais cela sest conjugué aussi avec le vif essor de la demande des autres pays émergents.

Cela, alors que les groupes capitalistes dominant ces secteurs ont très insuffisamment développé les capacités de production. Les prix de marché étaient alors très en deçà des niveaux de rentabilité financière exigés par leurs actionnaires et les marchés financiers. Ces multinationales ont préféré rationaliser leurs outils de production, licencier du personnel et engager dénormes ressources dans des prises de contrôle, des placements financiers et, de plus en plus, dans le rachat de leurs propres actions pour en accroître le rendement. Le vif essor de la demande dimportation de matières premières de la Chine est entré en collision avec la régulation capitaliste aveugle rationnant alors loffre mondiale. Doù lenvolée des prix pesant sur la croissance des pays capitalistes eux-mêmes. Il est de bon ton de rendre la Chine seule responsable de ces déséquilibres.

Cest oublier la responsabilité des logiques capitalistes qui cherchent à la dominer ainsi que celle des groupes industrialo-financiers qui, avec leurs critères de gestion, dominent les marchés mondiaux de matières première; sans parler des gâchis énormes de moyens naturels et matériels associés au type de croissance des pays riches. Les fortes hausses des cours de matières première -relatives sur le long terme pèsent donc aussi sur la poursuite de la croissance chinoise comme facteur de «surchauffe».

Les dirigeants chinois sont conscients du risque pour leur indépendance économique et en matière dinflation importée. Ils sont aussi conscients des atouts nouveaux pour la négociation internationale que leur confère le rôle centrale de la Chine sur les marchés de matières premières, industrielles notamment. Cela paraît dautant plus probable que les ressources naturelles peu ou pas exploitées de leur pays sont considérables et permettent danticiper un rôle de plus en plus important des productions chinoises en ces domaines aussi.

Ainsi, lEtat chinois a lintention de taxer les exportations de métaux et de minerais afin den réserver la production en priorité aux industriels locaux, de calmer les surchauffes sectorielles.Cela a eu immédiatement pour effet de faire flamber les cours sur les marchés mondiaux de laluminium, de létain et du zinc. Il faut prendre la mesure des efforts nouveaux déployés pour multiplier des coopérations mutuellement avantageuses, échappant en partie à la domination des marchés, avec dautres pays en développement producteurs de matières premières comme le Brésil, lArgentine, Cuba ou encore certains pays africains.

Ils favorisent ainsi la relance de la pratique de contrats de long terme, dans le cadre de protocoles dEtat à Etat conditionnant les rapports entre entreprises nationales. Cela marche de pair et cest nouveauavec la volonté de décourager fiscalement les entreprises utilisant exclusivement les marchés spot. Cest ainsi quen 2004, la Chine a signé une série de ces conventions nouvelles, avec le Brésil et lArgentine, principaux acteurs du Mercosur, eux-mêmes en délicatesse avec les Etats-Unis.

Les autorités chinoises nont pas hésité à mobiliser une part i e des énormes réserves en devises dont dispose leur Etat pour financer le lancement dinvestissements dinfrastructures de transport, de télécommunications et de logements dans ces pays afin de sécuriser et promouvoir ce nouveau bilatéralisme dont chaque partie prenante a besoin face à létouffante hégémonie nord-américaine et à la domination des marchés mondialisés.

Le problème principal : le chômage et lemploi

La Chine est entrée de plain-pied dans l'industrialisation, ce dont atteste la transformation de son économie et l'urbanisation très rapide.

Ce processus s'est accompagné, au cours des années 1990, d'une progression vive de la part des IDE dans le PIB et dans l'investissement, quoique plus progressivement que dans les autres pays émergents d'Asie. Mais, ce type de croissance a engendré de graves inégalités sociales et territoriales. Il est surtout très insuffisamment créateur demplois.

Les effets d'entraînement des entreprises extraverties pour le développement des capacités industrielles et technologiques des entreprises entièrement chinoises «ont été décevants» (9). Bien sur, le contenu local des exportations d'assemblage à partir de la Chine continentale (intégration) a augmenté: le rapport des exportations (après assemblage)/importations (pour assemblage) est passé de 1.2 en 1993 à 1.5 en 2000.

Cependant, l'exemple du matériel électrique, emblématique de l'essor des exportations des années 1990, montre que cette «intégration» serait due, avant tout, à l'augmentation des échanges entre filiales de multinationales étrangères implantées en Chine, au lieu d'un approvisionnement croissant auprès des entreprises chinoises elles-mêmes. C'est dire le poids pris par les multinationales étrangères dans le commerced'assemblagechinois. Elles assurent les trois quarts des exportations d'assemblage en 1999, contre 56% seulement en 1993 (10). De plus, les exportations «ordinaires» (hors assemblage) de la Chine présentent une structure relativement stable par produits (11). Autrement dit, la diffusion du progrès technologique des industries extraverties à l'ensemble du tissu industriel chinois est beaucoup plus lente que ne l'exigent les besoins de développement et de maîtrise du pays.

Les exportations «ordinaires» de la Chine restent donc confinées à des productions traditionnelles (habillement, produits chimiques, produits agricoles), tandis que le dynamisme du secteur exportateur reste surtout entre les mains des filiales des multinationales étrangères : «Les entreprises entièrement chinoises ont perdu du terrain à la fois sur le segment des exportations ordinaires et sur celui des opérations d'assemblage». (12)

Face aux besoins sociaux de développement, la croissance chinoise, quoique rapide, est très insuffisamment créatrice demplois et saccompagne dun essor insuffisant des qualifications et du niveau culturel. Le taux de chômage officiel «dans les bourgs et les municipalités» se maintient autour de 4,7% en 2004, (+ 0,2% sur 2003).En fait, le taux de chômage effectif serait supérieur à 10% de la population active, voire à 15% dans les grands villes.

La création demplois est insuffisante face à larrivée massive de main dœuvre sur le marché du travail, en raison de : lexode rural accentué par le creusement des inégalités villes/campagnes; larrivée des jeunes sur le marché du travail; la destruction demplois engendrée par les restructurations des entreprises dEtat.

Le besoin de lutter contre le chômage et pour lessor de toutes les capacités humaines paraît dautant plus criant que lindustrie tend à sy développer de façon dualiste, accentuant les inégalités villes/campagnes et, à lintérieur des villes, entre chômeurs et populations bénéficiant de lindustrialisation.

Dun côté, existent des secteurs très compétitifs, intégrés aux circuits internationaux de production et déchange, dominés par les filiales de multinationales étrangères. Ils se sont développés surtout le long de la côte, dans des mégapoles, flanquées de zones économiques spéciales aux droits sociaux très restreints. Il sy constituent des couches moyennes commençant à se tertiariser et un gros prolétariat urbain.

Dun autre côté, il y a le secteur traditionnel dexportation dominé par des entreprises entièrement chinoises, qui tendent à prendre du retard. Surtout, on trouve le secteur «fermé», tourné vers lintérieur, constitué notamment dentreprises dEtat et du secteur agricole, avec la population la plus nombreuse, et confronté à limmense défi dune modernisation qui ne fasse pas exploser le chômage. La croissance chinoise, dominée dans une large mesure par les capitalistes, a certes contribué, en partie, à développer des capacités humaines, mais en polarisant un développement inégal.

Cela concerne énormément de monde, ce qui permet lessor dune demande intérieure solvable, un progrès des qualifications, ainsi que lavancée de nouvelles aspirations sociétales et démocratiques. Mais ce mouvement demeure très minoritaire en regard de limmense masse des populations confrontées au sous-développement, contraintes à lexode vers les pôles urbains où loffre demplois et de qualifications, bien quen croissance, demeurent insuffisante.

Bien sûr, la Chine est lun des rares pays à remplir officiellement lobjectif du millénaire pour le développement (OMD) des Nations-Unies en matière de réduction de la pauvreté extrême (13). On est passé ainsi dun total de 280 millions de personnes concernées en 1990 à 97 millions en 1999. (14)

Mais le contenu social de la croissance actuelle est insuffisant pour «briser le noyau dur de la pauvreté extrême» surtout localisé dans les régions rurales. (15) En même temps, lentassement de populations croissantes dans les centres urbains fait exploser les problèmes de logement, déducation, de santé, denvironnement, daccès à lénergie, dinfrastructures etc. Cela tend à changer la nature de la pauvreté ordinaire. Elle devient de plus en plus liée au chômage et non pas seulement aux aléas climatiques et à linsuffisant rendement agricole.Cela rend plus aigu le besoin dun réel système de protection sociale (chômage, santé, famille etc.). Mais la construction dun tel système savère à la fois urgente et extrêmement difficile. Dun côté, en effet, la restructuration des entreprises dEtat, linsuffisance des revenus paysans poussent au déversement de populations croissantes sur le marché du travail ; tandis que, dun autre côté, la politique de «lenfant unique» peut préparer une base en emplois insuffisante pour un système de retraites par répartition, alors que le vieillissement des Chinois saccélère. Du reste, des fonds de pension anglo-saxons commencent à explorer, en pratique, les potentiels de développement de retraites individuelles par capitalisation chez les couches moyennes et dirigeantes.

Au problème du chômage, dans limmédiat, vient sajouter le problème des retraites donc, tandis que demeure si difficile laccès aux soins, à lécole, à la culture, au logement etc. Bref, en liaison avec linsécurité de lemploi et de la formation, il y a un besoin formidable des Chinois de sécurisation de tous les moments de leur vie, avec, là aussi, le creusement dinégalités et la différenciation des aspirations, mal supportés, entre les couches moyennes et dirigeantes émergentes et la masse colossale des paysans, ouvriers et chômeurs. n

 

Une question essentielle : la protection sociale contre le

 

chômage

 

 

Les canons gestionnaires dominants dans les entreprises renvoient aux c ritère de rentabilité capitaliste, faute daltern ative pour le moment. Le thème de la «compétitivité», mesurée à laune du seul coût salarial de lemploi, a le vent en poupe dans les régions les plus développées. Ainsi, le recours aux technologies informationnelles, peut contribuer à creuser bien plus encore lécart entre le besoin de créations demplois nouveaux et le nombre et la qualité des emplois effectivement créés, tandis que deviendrait encore plus criante linsuffisance de formation.

Face à lampleur des licenciements, dans les années 1990, les autorités chinoises ont été contraintes de prendre des mesures de sécurisation. La notion de «salariés sans poste de travail» (24) a été créée. Ceux-ci ne sont plus dans lemploi, car il a été supprimé par lentreprise où ils travaillaient. Mais ils continuent dêtre aux effectifs de celle-ci jusquà la fin de leur contrat de travail, percevant une «allocation vitale de base» versée par lemployeur. Initialement conçu pour sécuriser le revenu et la fo rmation du travailleur licencié en vue de son reclassement, ce dispositif sest trouvé débordé par leffondrement des taux de réemploi.Il est dailleurs appelé à disparaître dans la perspective de la création dun véritable système unifié de protection sociale du chômage. Simultanément, les autorités chinoises ont essayé de développer des systèmes dincitations plus ou moins inspirés des politiques demploi conduites notamment en Occident : réduction des taxes pour les entreprises qui embauchent des travailleurs privés demploi, exemptions fiscales de trois années pour les «salariés sans poste de travail» créant leur propre activité etc.

Dans de nombreuses localités, surtout à Shanghai, les autorités régionales ont créé directement des milliers demplois dans les services sociaux et à la personne, en liaison avec la montée de nouveaux besoins et aspirations des populations urbaines : gardiennage dimmeubles, aide à la circulation, aide maternelle,soutien des personnes âgées, nettoyage des lieux publics et des espaces verts. Mais tout cela ne fait pas le compte face aux gestions dentreprises et à un développement sous contrainte des exigences capitalistes. Aussi, les autorités chinoises pourraient être obligées dentreprendre une nouvelle phase de recherche et dinnovation dans le domaine de lemploi et du traitement du chômage qui pourrait impliquer plus la responsabilité des entreprises. Cest ainsi que certaines inflexions seraient déjà repérables concernant la gestion des licenciements. (25)

Les autorités chinoises tendraient désormais à mettre en avant que «les débauchages doivent être précédés dun reclassement et du versement intégral des salaires et des indemnités dus par lemployeur». De même, les migrants feraient lobjet dun nouveau regard, tant leur rôle est devenu important pour le fonctionnement de léconomie. Leur extrême précarité est devenue explosive. La protestation quelle engendre peut converger avec celle des privés demploi. Aussi, la question de la sécurisation de ces populations va se poser fortement avec lexigence de statuts protecteurs, dun accès au logement, aux services sanitaires et sociaux, à léducation et à la formations, à des revenus décents. Simultanément, grandit le besoin dune sécurisation et dune extension des droits des salariés dans les entreprises, alors que se multiplient des conflits sur les salaires mais aussi face aux décisions de licenciements.

Lenjeu dun progrès du syndicalisme saffirme. Cela se pose dans les entreprises multinationales implantées en Chine. Cela ne va pas sans soulever des contradictions avec les exigences dattractivité qui font prévaloir chez des dirigeants locaux et des cadres dentreprises membres du PCC, le souci dune compétitivité par de bas coûts salariaux. Les autorités centrales chinoises accordent une importance nouvelle à lactivité syndicale à lentreprise. Des efforts sont déployés pour inciter à limplantation de syndicats dans celles à capitaux étrangers. Un amendement a même été voté à la loi sur les syndicats introduisant la pratique du mandatement et poussant à linscription sur une «liste noire» des entreprises réfractaires à lactivité syndicale. La mise en pratique de ces nouvelles dispositions se heurte aux liens tissés depuis plus de vingt ans entre dirigeants dentreprises, entrepreneurs et dirigeants politiques locaux lesquels, au nom de la concurrence avec dautres villes et de lattraction des capitaux, peuvent fermer les yeux, accorder des passe-droits, sans parler de corruption.

Quoi quil en soit lenjeu dune sécurisation et dune promotion de lemploi et de la formation, base dune sécurité nouvelle de tous les moments de la vie de chacun-e, paraît être au cœur des défis de la décennie qui vient. Il peut poser en pratique et avec force la question de la conquête de nouveaux droits et pouvoirs des salariés et de leurs organisations, de même que celle dun rôle nouveau dimpulsion des cadres du PCC dans les entreprises pour de nouvelles gestions defficacité sociale.4

  1. 9,5% sur les neuf premiers mois de 2004.
  2. F. Lemoine et D. Ünal-kesenci, "China in the International Segmentation of Production Processes", Document de travail CEPII, 2002-02, mars 2002.
  3. F. Lemoine et D Ünal-Kesenci, "Les Industries extraverties en Chine : sources de dépendance ou de rattrapage technologique ?", La lettre du CEPII, n° 213, juin 2002
  4. En 2003, selon «Le Quotidien du Peuple», le volume total des échanges entre la Chine et le Japon était de 133.58 milliards de dollars (+31.1%). Il était de 126.33 milliards de dollars (+30%) entre la Chine et les Etats-Unis. Il atteignait 125.22 milliards de dollars entre la Chine et l'UE (+44%).
  5. «La Chine et lInde, nouveaux terrains de la globalisation économique»La correspondance économique, Lundi 7 juin 2004.
  6. décembre 2004.
  7. Cité par les Echos Lundi 13 décembre 2004.
  8. «Laugmentation des importations de matières premières par la Chine : quelles conséquences et quels moyens pour les entreprises de se prémunir ?» in «Le dynamisme économique de la Chine : réflexions pour info rmer et défendre les entreprises face à cette nouvelle donnée». Chambre de Commerce et dIndustrie de Paris. Direction des Etudes Juin 2004 et colloque «Quelles places pour lInde et la Chine dans léconomie mondiale ?» COE-CCIP Lundi 6 décembre 2004.
  9. CEPII, mars 2002, op. cit.
  10. ibid.
  11. relevé par le CEPII.
  12. CEPII
  13. réduire de moitié, entre 1990 et 2015 la population vivant avec moins dun dollar par jour.
  14. F.Vergara, «Conjoncture de léconomie mondiale (2003-2004)» in Létat du monde, Annuaire économique et géopolitique mondial, La découverte, 2005.
  15. R.Serra :«Asie du nord-est Chine», in Létat du monde, op.cit. pp.277-284.
  16. Perspectives économiques de lOCDE, juin 2004, p. 184
  17. La propriété est inscrite dans la Constitution chinoise depuis 2002.
  18. En 2003, 21 des 31 provinces ont subi des ruptures dapprovisionnement en électricité.
  19. 263 Ä contre 864 Ä en 2003 selon le FMI.
  20. Il est de 1 dollar par jour, soit 8,2 yuans.
  21. Les prestations versées dans une ville dépendent des cotisations et des disponibilités financières collectives en place. On se reportera notamment à J.L. Rocca : «La question sociale, conditions et contraintes du miracle chinois» in Ramsès 2005. pp. 47-61.
  22. China Daily, Thursday, december 2, 2004.
  23. JL Rocca ibid. p.53.
  24. Les Xiagang Zhigong.
  25. Cf. JL Rocca.
  26. (26) +0,27% sur les dépôts à 5,58%, le 28 octobre 2004.
  27. (27) Paul Boccara y a cependant effectué une mission pour le compte du PCF au cours de laquelle il a rencontré de nombreux hauts dirigeants et conseillers et a été interv iewé par la télévision nationale chinoise.
  28. (28) +35% en 2002 ; + 21% en 2003.
  29. N-N. Ngo : «Le cycle chinois : entre surchauffe et surcapacités».ConjonctureAvril-Mai 2004,n°4, pp 23-40.
  30. la CBRC: China Banking Regulatory Commission.
  31. Actuellement, la valeur du yuan est liée à celle du dollar dans la limite dune bande de plus ou moins 0,3% autour dun taux dancrage de 8,28 yuans pour un dollar américain. La politique monétaire a pour seul objectif le maintien de la parité monétaire : les taux dintérêt ne peuvent être utilisés comme outil de politique économique ; la Banque centrale chinoise doit acheter ou vendre des dollars pour défendre cette parité.