Votre décision d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ce projet de Modification du Titre XV de la Constitution, confirme votre détermination à adapter la Constitution française au projet de Constitution européenne libérale, avant même que nos concitoyens aient pu s’exprimer par référendum. Rien n’obligeait en effet le gouvernement à privilégier la voie parlementaire.(…)
Le Premier ministre se garde bien de relever combien, dans les termes mêmes, notre Constitution diffère de manière significative du traité constitutionnel européen.
N’est-il pas éclairant que des expressions absentes de notre Constitution occupent une place prépondérante dans la version européenne? Ainsi en est-il des mots «banque», que l’on trouve 176 fois, «marché» (88 fois), «concurrence» (29 fois), «libéralisation» ou «libéral» (9 fois),
«capitaux» (23 fois), sans oublier les références à l’OTAN ou la reconnaissance explicite du lock-out, cette arme de chantage patronal contre la grève. En revanche, les termes «fraternité» et «laïc» sont purement et simplement ignorés par le projet de Constitution européenne. (…) Le projet de Constitution européenne se révèle pourtant pour ce qu’il est : un carcan libéral, une machine de guerre au service des marchés financiers ; une combinaison dangereuse de principes, de réglementations et de non-dits – je pense par exemple aux textes d’interprétation de la Charte des droits fondamentaux qui en videront le contenu déjà insuffisant. (…) Une loi de la libre concurrence absolue et du primat de la compétitivité des coûts qui, non seulement se trouve érigée en principe suprême, mais dont l’application pratique est détaillée par le menu. (…) Le traité regorge de prescriptions pour éteindre toute espérance d’alternative aux choix économiques, politiques et sociaux qu’exigent les intérêts du grand patronat, des fonds spéculatifs, des catégories les plus insolemment riches, bref des possédants. (…)
Rien n’est joué pourtant. Et vous pouvez compter sur les députés communistes et républicains pour engager toutes leurs forces en faveur de l’information et du rassemblement de nos concitoyens.Voilà pourquoi nous revendiquons l’organisation prioritaire d’un grand débat citoyen, national. C’est l’urgence de l’heure.(…)
Chacun doit pouvoir juger sur pièce, et constater que l’essentiel des dispositions fondamentales de l’Europe libérale est repris et conforté par ce texte. De l’indépendance de la Banque centrale européenne pour mener un monétarisme sans contrôle à la prédominance de la concurrence sur l’intérêt général, en passant par la consécration du pacte de stabilité et donc des politiques publiques restrictives, c’est sur la voie de l’Europe de l’Acte unique et de Maastricht que l’on veut nous enfermer. Les Françaises et les Français n’ont rien oublié du référendum de 1992. Les forces que vous représentez tentent d’apporter un prolongement durable à cette étape tant contestée. D’autant plus durable d’ailleurs que la Constitution européenne, si elle est adoptée, le sera, je cite, «pour une durée illimitée».(…) L’inquiétude gagne les rangs du gouvernement. Les considérations et les circonvolutions ne peuvent masquer que c’est l’Europe du Baron Seillière et consorts que vous préparez en écornant le droit constitutionnel français. (…)
Le bonheur reste pourtant une idée neuve en Europe. Une idée qui situe le futur des peuples loin, très loin des projets réducteurs de révision constitutionnelle française et de Constitution européenne, auxquels nous opposons un double NON porteur de lucidité, d’espérance, de courage et d’allant.
*extraits de l’intervention prononcée le 26 janvier 2005 à l’Assemblée nationale concernant la révision de la Constitution française.