Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Non à la constitution libérale, Oui à une véritable Europe sociale

La Constitution européenne subordonne le social à une logique économique libérale. Lobjectif central se limite au «marché intérieur la concurrence est libre etnon faussée». Le principe dun «développement durable» est plus que tempéré par celui dune «croissance équilibrée reposant essentiellement sur la stabilité des prix». Linvocation dune «économie sociale de marché» tente de faire oublier quil sagit dune reprise de lidéologie économique néo-classique qui organise une dichotomie entre les prétendues lois du marché qui ne devraient pas être faussées et le social, à part, considéré comme un résidu.

Il faut rappeler que cette expression «économie sociale de marché» a caractérisé la politique du chancelier Erhart en Allemagne fédérale après la Seconde Guerre mondiale, en organisant le financement de laccumulation, de lépargne et des profits privés à partir dun freinage radical des salaires, de la consommation et des dépenses publiques et sociales. Dailleurs, dans la Constitution européenne cette «économie sociale de marché» doit être «hautement compétitive»,comme lentendent les eurocrates, cest-à-dire reposant sur une compétitivité-prix grâce à de bas coûts salariaux . Si lon prétend quelle devrait tendre vers le «plein-emploi», il sagit ici, non pas déradiquer le chômage, mais au contraire de maintenir un taux de chômage dit déquilibre résultant dune flexibilité à la baisse du coût du travail et des «charges sociales». La libre circulation des capitaux comme celle des services, des marchandises, des hommes , ainsi que la liberté détablissement, constituent des dogmes intangibles du libéralisme économique. En revanche, les Etats doivent sabstenir de toute mesure qui entraverait les objectifs de lUnion (ce qui interdit doffice une taxe sur les mouvements de capitaux spéculatifs) et simplement mettre en œuvre les conditions dune «concurrence libre et non faussée». Toute loi qui atténuerait cette injonction serait déclarée nulle, ce qui institutionnalise la primauté du droit européen sur le droit propre à chaque État.

La Charte des droits fondamentaux de lUnion ne constitue nullement une avancée, mais souvent un recul.

Les quelques points positifs sont une reprise de textes internationaux (la Convention européenne des droits de lhomme) ou déléments de certaines Constitutions nationales.

Cest un recul pour les droits des travailleurs, car la liberté de réunion, dadhésion à un syndicat, le droit de grève, le droit dinformation et de consultation, de négociations et conventions collectives, le droit à la protection contre un licenciement injustifié… doivent se faire conformément au droit de lUnion et des législations et pratiques nationales. Il nexiste pas de définition dune durée légale de travail, même si lon parle dune durée maximale de travail. On invoque un droit daccès à un service gratuit de placement (mais celui-ci peut être un service privé) comme un droit daccès à la formation professionnelle et continue, mais il nest pas fait allusion à une formation tout au long de la vie. Le texte reste extrêmement vague sur le droit au repos hebdomadaire et aux congés payés et il ny a évidemment aucune référence à la fixation dun salaire minimum.

La Constitution ninscrit pas de droit formel à obtenir un emploi. Cest un recul sur le Préambule de la Constitution française de 1946 repris en 1958, comme sur la Déclaration européenne des Droits de lhomme (1948), qui stipule que «toute personne a droit au travail». Dans la Constitution européenne, on évoque simplement la liberté de chercher un emploi ou de travailler (sic), tandis que la liberté dentreprise est sacralisée.

Cest un projet de constitution hostile aux droits des femmes. Certes on invoque légalité femmes-hommes concernant lemploi et la rémunération. Mais lutilisation des termes «droit à la vie» dans son contexte renvoie au vocabulaire de tous les opposants acharnés de lIVG. Le droit de se marier et de fonder une famille nest pas assorti dun droit à lunion hors mariage ni au droit au divorce, si bien que le souhait de protéger la famille apparaît passéiste dautant que la conciliation vie familiale-vie professionnelle ne semble reposer que sur les mères.

Il nexiste pas de droit explicite à la protection sociale, ce qui constitue un recul par rapport à la Déclaration universelle des droits de lhomme, qui stipule que «toute personne a droit à la sécurité sociale», ou sur la Constitution française, «tout citoyen dans lincapacité de travailler a le droit dobtenir de la collectivité des moyens convenables dexistence». Dans la Constitution, on évoque un droit à laccès aux prestations sociales et aux services sociaux, mais ces prestations ne relèvent pas forcément dun système solidaire et peuvent être éventuellement assurées par des opérateurs privés (assureurs, fonds de pension…). On fait allusion à un droit daccès à laide sociale ou à laide au logement, mais non au droit à un revenu minimum.

En matière de santé, on évoque une protection de la santé et le droit daccéder à la prévention et de bénéficier de soins médicaux, mais lon renvoie aux législations et aux pratiques nationales sans préciser ce que serait un niveau élevé de protection de la santé. La notion de service public de santé ou de protection sociale est absente, au profit des services dintérêt économique général (SIEG). Ceux-ci sont présentés comme une exception aux principes du marché et de la libre concurrence tout en pouvant être assurés par des entreprises ou opérateurs privés, ce qui remet directement en cause le service public de santé, les hôpitaux publics et tous les systèmes de santé solidaires.

Les quelques points positifs de la Charte doivent être relativisés car sa portée juridique reste limitée. Elle «ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour lUnion» et lon renvoie «aux pratiques et législations nationales». On peut même déroger à la Charte si cela répond à des objectifs dintérêt général décrétés par lUnion et si un projet de loi ou une loi-cadre européenne est jugé porter atteinte à léquilibre financier du système de sécurité sociale dun pays.

Les limites des politiques de lemploi, des politiques sociales et de santé publique. Celles-ci sont soumises aux dogmes de léconomie de marché. La stratégie de coordination pour lemploi affirmant tendre vers le «plein emploi» constitutionnalise en fait la précarité de lemploi. Il sagit pour la main dœuvre de sadapter et la flexibilité devient la norme du travail en institutionnalisant partout le workfare anglo-saxon.

Lharmonisation des systèmes sociaux est renvoyée au m a rché, avec la nécessité de maintenir la compétitivité de lUnion, ce qui conduit à aligner vers le bas les niveaux de salaires et les législations sociales. La directive Bolkestein permettrait aux entreprises dappliquer la législation sociale du pays dorigine du salarié et, évidemment, ceci interdit toute clause permettant de lutter contre le dumping social et le dumping fiscal.

Les États membres restent en principe libres de définir leurs principes fondamentaux de sécurité sociale, mais cela doit être compatible avec les objectifs de la Constitution. Le Comité de protection sociale doit paradoxalement p romouvoir la coopération entre États-membres mais il restera un organisme technocratique, aux pouvoirs limités, éloigné des mouvements sociaux et des élus aux Parlements européen et nationaux. De la même manière, le Comité économique et social, organisme paritaire, ne se voit confier que des attributions limitées et éloignées des citoyens.

Des discours imprécis prétendent viser un niveau élevé de protection de la santé et de santé publique, ainsi que la coopération entre pays membres. Cependant, les services sociaux de santé entrent dans le champ de lunanimité, ce qui ne permettra pas limpulsion susceptible de les harmoniser vers le haut et facilitera, au contraire, la poursuite des politiques régressives.

Limpossibilité de mener des politiques autonomes articulant progrès social et efficacité économique. Aucun État membre cherchant son développement ne pourra mettre en place des politiques originales. Au contraire, on leur impose des thérapies de choc. Ainsi, des mesures sont prévues sils adoptent des mesures de protection et les dérogations ne peuvent être que provisoires pour ne pas perturber le marché intérieur de lUnion. En revanche, on veut mettre fin à toute restriction concernant la liberté détablissement en institutionnalisant un droit à délocaliser vers les pays gardant un niveau de protection sociale et de prélèvements obligatoires bas, avec linterdiction de clauses de sauvegarde contre le dumping social et fiscal sur ces points. Malgré les déclarations récentes, cest le triomphe de la directive Bolkestein et de lAGCS : toutes restrictions à la libre circulation et à la mise en concurrence des services sont interdites.

Cela met en péril les services publics et solidaires de santé et de sécurité sociale, et cela peut conduire à linterdiction de fabriquer et de mettre à disposition des médicaments génériques. Les pays qui passeraient outre se verraient imposer des mesures de redressement. Du même coup, les coopérations entre pays riches et pays pauvres concernant la santé pourraient se voir interdites.

Les Etats membres doivent conduire leur politique économique pour contribuer à la réalisation des objectifs de lUnion (économie de marché, concurrence libre et non faussée, etc.). Ainsi la politique économique et monétaire doit-elle viser la stabilité des prix, et la compétitivité-prix impose-t-elle la réduction des coûts salariaux et des charges sociales. Il nest pas question de croissance, demploi, ni de développement humain et social.

Les grands objectifs de politique économique (GOPE) sont fixés par le Conseil sur recommandation de la Commission, le Parlement nen étant quinformé. La Banque centrale e u ropéenne (BCE) est sacralisée, elle définit et met en œuvre la politique monétaire de lUnion. On assiste à un magistral transfert de souveraineté des États vers le Conseil et vers la BCE en matière de politique économique et monétaire. Sous limpulsion de la Commission, le Conseil doit surveiller la conformité de la politique des États membres avec les orientations de la Constitution. La réduction des dépenses publiques et sociales et des déficits est inscrite dans la Constitution, le financement des déficits publics par la création monétaire est interdit, ce qui contraint les Etats à recourir aux marchés financiers. En cas de déficit excessif, les États subiront sanctions, amendes, révision des aides de la Banque européenne dinvestissement (BEI), accroissement des taux dintérêt sans avoir voix au chapitre.

Tandis que le commerce libre, et la fuite en avant dans les dépenses militaires dans le giron de lOTAN et des Etats-Unis sont proclamés valeurs suprêmes au détriment de la politique industrielle et des coopérations, on organise une Europe supra-nationale corsetée par des institutions technocratiques et dominatrices. Le Conseil, la Commission et la BCE vont gouverner au détriment du Parlement européen. La Cour de justice serait linstrument de la Constitution libérale en imposant sanctions et obligations aux États. En outre, on ne pourra plus modifier cette constitution, car les procédures prévues sont longues et rigides, en raison notamment de la règle de lunanimité et de la ratification par tous les pays membres. Il convient donc de travailler à rassembler pour le NON à cette Constitution libérale en faisant monter des alternatives précises pour une autre construction européenne.

(1) Une tout autre compétitivité fondée sur des qualifications et laccroissement des dépenses pour les êtres humains pourrait être au contraire mise en avant.