Sur les injonctions du Medef, la droite au pouvoir franchit une étape supplémentaire dans son offensive permanente pour l’augmentation du temps de travail. La loi Fillon avait déjà, de facto, permis aux chefs d'entreprise de rester ou de revenir aux 39 heures sans augmentation de salaire grâce à la déconnexion entre les exonérations de cotisations sociales patronales et le respect des 35 heures. Certains d'entre eux ne s'en sont pas privés avec le chantage aux délocalisations. Avec la nouvelle réforme, ce ne sont pas seulement les 35 heures qui sont supprimées, l'offensive patronale porte beaucoup plus loin, c'est le retour à la situation d'avant 1936 qu'ils veulent imposer.
En portant le contingent d'heures supplémentaires à 220 heures par an la durée du travail peut passer à 40 heures par semaine sur simple décision du patron.
Par accord d'entreprise conclu avec un syndicat minoritaire, ou même avec un salarié isolé mandaté, la durée du travail pourrait atteindre 44 heures en moyenne par semaine. L'objectif fixé par Raffarin restant la durée européenne de 48 heures. En deux ans la durée annuelle de 1600 heures pourrait être ainsi portée jusqu'à 2068 heures. Le repos compensateur (de 20 à 100% selon les situations) pour ces heures supplémentaires est, en plus purement supprimé. Le paiement n'est même pas garanti puisque les heures supplémentaires pourront être affectées à un compte épargne temps.
Le projet du Medef et de la droite : travailler plus pour gagner moins
Afin de neutraliser les salariés, voire même de les rallier à leur projet, le patronat et le gouvernement martèlent un slogan aussi simpliste que faux : «travaillez plus pour gagner plus». La plupart des médias et des économistes libéraux le répètent stupidement.
Il s’agit d’une grossière tentative d’intoxication : les millions de salariés qui sont restés à 39 heures, tout ceux qui font beaucoup plus dans le bâtiment, la restauration, les transports, la maintenance… ceux qui subissent le chantage aux délocalisations ne gagnent pas plus que les autres, le plus souvent ils gagnent même moins. Les Conseils de Prud’hommes sont débordés par les demandes de salariés réclamant le paiement de leurs heures supplémentaires.
« Travailler plus pour gagner plus» c’est aussi une insulte et un mépris pour les 4 millions de salariés totalement privés d’emploi, pour les 2 millions de salariés en temps partiel contraint, pour les 2 millions de salariés précaires qui ne travaillent qu’une partie de l’année.
Tous ces travailleurs aimeraient tant travailler plus pour gagner plus.
Ceux qui font des heures supplémentaires ponctuellement ont certes un supplément de salaire à ce moment, lorsque ces heures sont déclarées et payées, ce qui est loin d'être toujours le cas, la non déclaration des heures supplémentaires étant même la méthode la plus répandue de travail illégal. Mais même lorsqu'elles sont payées, le salarié n'est jamais certains de ses ressources puisque c'est toujours le chef d'entreprise qui décide des heures supplémentaires. Jamais le salarié.
Pour les travailleurs qui seraient soumis à un horaire comportant de manière structurelle des heures supplémentaires le piège est plus habile. Dans le meilleur des cas les salaires augmenteraient dans l'immédiat mais cette augmentation serait prise en compte dans la négociation des salaires, que ce soit à l'embauche ou lors des négociations annuelles. En quelque sorte les actionnaires investiraient et amortiraient très vite.
Dans le meilleur des cas car on risque aussi de voir se multiplier les chantages à l'emploi comme chez Bosch, Chausson et Doux : augmentation du temps de travail sans un sou sur les salaires.
Si le patronat et le gouvernement étaient soucieux des salaires cela se saurait. Or la France est devenue un pays de bas salaires et de profits élevés. La part des salaires dans la valeur ajoutée ne cesse de diminuer. Le gouvernement avec le plan Borloo multiplie les emplois précaires et sous-payés.
Avec l’augmentation du temps de travail le chômage ne peut que se maintenir et s’aggraver ; les premières victimes seront les intérimaires auxquels les patrons préfèreront les heures supplémentaires. Cela pousse à plus de concurrence entre travailleurs entraînant une pression à la baisse sur les salaires.
En fait, au bout du compte, le programme c’est «travaillez plus pour gagner moins.»
L'offensive pour l’augmentation du temps de travail est engagée par le patronat dans chaque pays d’Europe. Raffarin et Larcher visent explicitement le maximum européen pour autoriser les entreprises à dépasser le contingent annuel d'heures supplémentaires augmenté à 220 heures. Le maximum européen est actuellement de 48 heures par semaine. Les dirigeants européens prévoient d’annualiser ces 48 heures et de recourir à la pratique britannique de «l’opting out» qui permettrait par le «libre choix» de l’employeur et du salarié d’aller bien au-delà. L'objectif final étant dans une Europe livrée à la concurrence sauvage que la durée du travail ne connaissent plus de limites fixées par la loi mais dépende uniquement du contrat. Autrement dit le libéralisme le plus débridé du 19ème siècle.
Des lois Aubry insuffisantes
Les lois Aubry ont été un incontestable progrès avec l’adoption de la durée légale du travail à 35 heures. Une large majorité des salariés passés aux 35 heures se disent satisfaits des conséquences positives sur leurs conditions de vie. Mais une majorité aussi large se plaint des effets négatifs sur les conditions de travail en raison de l'intensification du travail causée par l'annualisation et l'insuff isance des embauches. D'autre part sur 26 millions d'actifs moins de 11 millions ont profité d'une durée de travail portée à 35 heures. Les autres sont soit en sous emploi, soit restés à 39 heures ou soit victimes de sur-travail. Sans compter que, sur les 11 millions, nombreux sont ceux qui se sont vus privés de leurs pauses, sorties du temps de travail, et maintenant de leurs temps de voyages professionnels.
C’est d’ailleurs en raison de ces larges concessions aux exigences patronales que les députés communistes ont, en 1999, voté contre les articles de la loi qui conduisaient à plus de flexibilité et d’intensification du travail comme l’annualisation ou les forfaits. Ces députés avaient également présenté d’autres propositions pour l’obligation de création d’emploi, les salaires et d’autres financements.
Ce qui a coûté ce ne sont pas les 35 heures mais les exonérations de cotisations sociales voulues par le Medef: 17 milliards d’euros d’exonérations chaque année pour une dépense trois fois moindre en salaires des personnes embauchées à la suite des accords. Avec les réformes successives le Medef réalise une opération financière qui dépasse toutes ses espérances : suppression des 35 heures et retour possible aux 44 heures en moyenne, annualisation, forfaits jours, modération salariale, le tout en conservant les exonérations de cotisations. A côté de cela les braqueurs de banque font figure de gagne petit.
On ne peut dans ces conditions en rester à une posture de défense des 35 heures assimilées au lois Aubry.
Construire une RTT créatrice d’emplois
La réduction du temps de travail demeure une aspiration massive des citoyens pour vivre mieux. On ne peut continuer à citer les seuls chiff res officiels du chômage pour rendre compte du nombre de personnes victimes du sous emploi. Il faut y ajouter ceux qui, découragés, ne sont pas inscrits, ceux à temps partiel contraint, les précaires qui ne travaillent qu'une partie de l'année. On arrive ainsi 8 millions de personnes, une sur trois, privées d’emploi ou en sous emploi. Pour faire reculer ces maux, outre la relance de la croissance et des salaires, des mises en formation massives et la baisse de l’intensification du travail, la réduction du temps de travail est incontournable pour contribuer à lutter contre le chômage. Pour la faisabilité et la crédibilité de tous ces objectifs sociaux, la question du financement comme celle des pouvoirs dans l'entreprise sont stratégiques. Il s’agit ainsi de construire une avancée vers un système de sécurité de l’emploi ou de la formation
La réduction du temps de travail pour toutes et tous
La priorité c’est les 35 heures effectives pour toutes et tous y compris dans les PME et pour les cadres, avec la perspective des 32 heures qui sont la moyenne du temps de travail quand on prend en compte tout le sous emploi et le sur emploi. Il faut donc revoir tout ce qui dans la loi Aubry 2 a permis aux patrons de tricher et d’intensifier le travail :
annualisation : la modulation devrait être limitée aux secteurs d’activité où cela se justifie par une forte saisonnalité comme le tourisme ou l’agriculture,
pauses : il faudrait redéfinir le temps de travail pour y inclure 30 minutes de pauses et tous les temps de voyages professionnels,
les heures supplémentaires devraient être réservées aux seuls cas de surc roîts imprévisibles d’activité,
le forfait jour qui a permis de maintenir les cadres à des horaires de plus de 48 heures doit être abrogé,
pour emp
êcher les fraudes patronales et garantir le paiement des heures effectuées le contrôle doit être renforcé, sous la forme par exemple d'un pointage automatisé.
Former pour embaucher
La réduction du temps de travail réelle entraîne des besoins d’embauche très importants ce qui renforce les besoins déjà immenses de formation dus à la révolution informationnelle et appelle le doublement des moyens consacrés à la formation. On pourrait à cette fin redéployer une partie des sommes consacrées actuellement en pure perte aux exonérations des cotisations sociales patronales, doubler la participation financière des entreprises et solliciter les banques.
La priorité des financements devrait concerner d’abord les personnes qui n’ont aucune qualification ou une qualification insuffisante. Outre l’orientation des fonds publics il faudrait pour cela mutualiser davantage les fonds des entreprises destinés au financement de la formation.
Quant aux Comités d’entreprise, ils pourraient aussi ê t re investis de pouvoirs d’élaboration et de décision sur le plan de formation de l’entreprise.
Salaires
A partir d’un Smic porté à 1400 euros se pose la question de la reconnaissance des qualifications dans le salaire comme le demande la CGT dans son projet de sécurité sociale professionnelle. Par l’instauration de barèmes de salaires minima par grands niveaux de qualifications, reconnues par les diplômes ou la validation des acquis de l’expérience professionnelle, les salaires pourraient aussi progresser en fonction d’un déroulement de carrière opposable aux employeurs successifs.
Financer l’emploi et la formation
Les exonérations massives de cotisations sociales depuis plus de 20 ans ont fait la preuve de leur inutilité et de leur nocivité pour l’emploi.
Les sommes englouties dans les exonérations doivent être réaffectées à une nouvelle politique du crédit. Les entreprises bénéficieraient de taux d’intérêt abaissés et de la prise en charge par ces fonds publics de tout ou partie des charges d’intérêt en fonction des engagementschiffrés portant sur l’emploi et la formation.
En même temps le mode de calcul des cotisations pour la protection sociale pourraient être réformé en prenant en compte le rapport entre les salaires et la valeur ajoutée de l’entreprise afin de privilégier ainsi les entreprises qui investissent dans l’emploi, la formation et les salaires.
De plus, les créations d’emploi permettraient d’injecter dans l’économie des salaires supplémentaires et améliorer le financement de la protection sociale. Une partie des emplois créés par la réduction du temps de travail est ainsi auto financée.
Des pouvoirs nouveaux pour garantir les conditions de travail et les embauches.
Trop de travailleurs se plaignent de devoir faire aujourd’hui en 35 heures ce qu’ils faisaient auparavant en 39 heures. Les accords de RTT ont créé tout au plus 400 000 emplois. C'est l'insuffisance de la création d'emplois ajoutée à l'annualisation qui a provoqué l'intensification du travail. Cette expérience montre qu’on ne peut faire dépendre la question de l’emploi du bon vouloir et des pleins pouvoirs des chefs d’entreprise dont le seul critère est la satisfaction des exigences des marchés financiers.
Dans ce domaine, comme dans d’autres, les travailleurs et leurs représentants devraient être dotés de pouvoirs d’intervention nouveaux afin qu’ils puissent responsabiliser socialement les entreprises en s’appuyant sur des critères de gestion pour l’emploi, la formation, la protection de l’env i ronnement et la satisfaction des besoins des populations. Dans le cadre de ces critères les Comités d’entreprise devraient être dotés de prérogatives nouvelles allant, sous contrôle public, jusqu’au pouvoir de décision. n