Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Hôpital 2007 ou la privatisation rampante du service public hospitalier

À grand renfort de communica tion, la réforme hospitalière, pompeusement appelée plan Hôpital 2007, est présentée comme une nécessité à ne pas refuser sous peine de se voir taxer de retardataire ou de rétrograde.

Le développement d’un argumenta ire libéra l à propos de l’organisation hospitalière s’inscr it dans un mouvement plus généra l concernant les changements du système de santé . Ce plan cons idère la res ponsa bilisation des acteurs comme une panacée et s’inscr it dans la persp ect ive d e l a nou velle gouvernance . Le désengagement croissant de l’État du secteur hos pitalier a favorisé, en effet, l’essor d’un discours gest ionna ire ar ticulé autour du conce pt d’hôpital-entr eprise. Ce dernier ne permettra vraisemb l a b lement p as d e sor tir de la crise actue lle, mais il risque au contra ire d e l’agg ra ver. Le p lan Hôpital 2007 cour onne une vingta ine d’année d e réformes li b éra les et const itue une vér itab le

remise en cause de l’hôpital public. Mais, plus gravement , le désen gagement de l’État de ses missions de santé publique préfigure une privatisation plus inquiétante .

La remise en cause du statut public des hôpitaux

La littératur e économ iq ue est en va hie d e p uis d e nom breuses années par la notion de contrat . L’hypot hèse principale repose sur l’existence d’asymétr ies d’informations. Ainsi, les agents n’aura ient-ils pas le même niveau d’informat ions . La contractua lisat ion doit, selon les écono mistes libérau x, rédu ire le com por tement opp or tuniste des agents en incitant ceux qui possè dent l’informat ion à la par tager. Elle doit s’appliquer à un double niveau, entr e l’agence régionale de l’hos pitalisation et la direction de l’éta blissement (cont ractua lisat ion externe) et entr e la direction et les médec ins (cont ractua lisat ion interne) . La contractua lisat ion externe doit enca drer les relations entr e les hôpitaux et leur tute lle. L’idée est d’inciter le directeur d’éta blissement à collaborer pleinement avec l’Agence . Depuis l’ordonnance du 4 septembr e 2003, les éta blissements passent un contrat d’objectifs et de moyens avec les

agences régionales de l’hos pitalisat ion (ARH). En échange de poss ibilités nou velles d’invest issements , ils doivent res pecter les contra intes budgéta ires émises par les agences . Pour ses par tisans , la contractua lisat ion est synonyme de soup lesse et de rap idité. Mais dans les faits, les agences mènent une politique de restr iction budgétaire et restructur ent les p et its éta b lissements . L’éta pe suivante sera de mettr e en concurr ence les éta blissements sur un type de pathologie afin de privilégier les plus productifs. Dans l e même or dr e d’id ées , les d i rect ions d’éta blissement passer ont avec leurs ser vices , regrou pés désorma is en p ôle d’act ivités , d es contrats d’o b ject ifs por tant sur l’act ivité, la qualité et les finances (cont ractua lisat ion interne) . Ici la logique est d’inciter les praticiens à coo pérer avec les directions. La circulaire du 13 février 2004 prévoit clairement la mise en œuvre d’une délégation de gest ion et d’une politique d’intér essement . Toutefois, les chefs de pôle élus par leurs confrèr es ne pourr ont pas déterm iner leur projet eux-mêmes . Ils const ituer ont une nou velle caste mandar inale, sélectionnée non plus sur ses com pétences méd icales, mais sur son aptitude à respecter les décisions administrat ives . Plus gra ve encor e , le ministèr e d ivise gest ionna ires et médec ins pour mieux régner. Enfin, la tar ificat ion à l’act ivité const itue le dernier volet de la réforme . Pour ses par tisans , cette techn ique de gest ion privée doit permettr e de res ponsa biliser les acteurs . Mais cette méthode présente des risques . Elle favorise les pratiques d’écréma ge et de sélection des malades. En ce sens elle est sacr ificielle : elle privilégie les jeunes par rappor t aux vieux, les for ts par rappor t aux faibles. Elle avanta ge implicitement les malades à faibles coûts face à ceux atte ints de pathologies plus lour des. D’autr e par t, la tar ificat ion à l’act ivité ne permet pas de garant ir la qualité des soins dans la mesur e où les éta blissements se feront concurr ence sur les prix et ser ont donc incités à sacr ifier la qualité des soins. L’exem ple anglais est toujours là pour nous le rappe ler. Cette méthode doit êtr e mise en pers pective avec la réforme du système d’assurance maladie. Les hôpitaux pourr ont, dans un avenir plus ou moins proche, vendre aux réseau x organisés par les assurances privées et les mutue lles des produits de santé . Le plan Hôpital 2007 est présenté par ses par tisans comme une innovation majeure, mais les solutions proposées ont déjà fait l’objet d’expérimentat ions . Dès le milieu des années 1980 Jean de Kervasdoué, directeur des Hôpitaux de 1982 à 1986 et par tisan de la thèse de l’hôpital-entr eprise, a fust igé le cadre par trop rigide de la fonction publique hospitalière et a développé une conce ption gestionna ire de l’hôpital. Cette logique s’est tradu ite dans le décr et du 11 août 1983 par l’instaurat ion de centr es de responsa bilité et par la mise en œuvre d’une direction participative par objectifs. La réforme de 1991, initiée par Gérar d Vincent directeur des Hôpitaux à l’époque et aujour d’hui Délégué généra l de la Fédérat ion hospitalière de France , a encor e accentué cette dérive managériale (démar che marketing, cercles de qualité, projet d’éta blissement ,…). Toutes ces solutions ont échoué. La conce ption strictement gestionnaire de la médec ine a provoqué une réact ion de rejet chez les praticiens et les pouvoirs publics ont évacué trop rapidement les quest ions culturelles. Or ce sont sur elles qu’achoppent les tentat ives de réformes . Les projets d’éta blissements et le management participatif ont, quant à eux, généré de nom breuses déce ptions, bon nom bre de personnes est imant ne pas avoir été écoutées . Ainsi, les mesur es envisagées écar tent-elles les notions essent ielles de la médec ine (con fiance , intimité) pour se foca liser uniquement sur la seule gest ion com ptable de la santé .

La privatisation programmée de l’hôpital public

L’heur e est à la critique de l’État et des ser vices publics. Le plan hôpital 2007 s’inscr it dans cette problémat ique. La mission sur la modern isation des statuts ne propose-t-elle pas à l’État qu’un rôle « d’ar bitre et de garant de la cohérence généra le du dispos itif » ? Dans le même temps , l’un des rédacteurs de ce rappor t, Guy Vallancien va plus loin en affirmant dans les colonnes du Monde du 14 septembr e 2002 « qu’il n’y a pas d’autres solutions que d’abolir le statut public de l’hôpital pour lui permettre l’adaptation au monde moderne de management qui lui fait tant défaut ». Bien sûr cette cam pagne de commun icat ion n’est pas term inée.

Dominique Coudreau, conse iller maître à la Cour des com ptes, ancien directeur de l’ARH d’Île-deFrance et aujourd’hui conse il d’une think tank (l’Institut Monta igne) pr opose d’éten dre encor e le pouvoir des ARH et corré lativement de diminuer le pouvoir de l’État . Gérar d Vincent y va lui auss i de son petit cou plet : « Je suggère même qu’on aille plus loin encore : pourquoi ne pas transformer les hôpitaux publics en établissements privés à but non lucratif, tout en conservant notre mission de service public (continuité des soins, services d’urgence, accueil des plus démunis) ? C’est aux pouvoirs politiques, maintenant de prendre leurs responsabilités. Faute de quoi on arrivera progressivement à un système à l’anglaise ». Ce point de vue est significat if d’une cer taine malhonnêteté inte llectue lle. La réforme mis en œuvre par les libérau x anglais en 1991, devrait ser vir de leçon . Avant cette date, le système fait figur e d’épouvanta il pour les libérau x frança is. Il est financé par l’impôt et met à la dispos ition de l’ensem ble de la population des soins gratu its. Les éta blissements hos pitaliers ont le monopo le des consu ltat ions spéc ialisées et des examens com plémenta ires et sont financés par des mécan ismes d’enveloppe globale. Depuis 1991, le financement public est directement versé à des agences régionales qui sont chargées de les répar tir aux éta blissements après une mise en concurr ence . Les hôpitaux publics sont désorma is privés (NHS Trusts) . Ils vendent des ser vices de soins aux agences ou aux ca binets de grou pes (ca binets de généra listes de plus de 10 000 patients) qui achètent des soins pour le com pte de leurs patients . Mais la réforme a cons idéra blement restr eint les capacités financ ières des éta blissements qui doivent limiter leurs invest issements . Les hôpitaux sont mis en concur rence et restent sous la press ion constante des acheteurs de soins. La diminution des coûts qui en résu lte se fait donc au détr iment de la qualité des ser vices médicaux et favorise l’éviction des malades atte ints de pat hologies lour des et donc coûteuses . Les files d’attente , symbo le de l’ancien système public, n’ont toujours pas disparu . Enfin, le principe de soins gratu its est progress ivement remis en cause . Aujourd’hui, peu de personnes peuvent bénéficier de la gratu ité tota le. À plus ou moins long terme , le plan Hôpital 2007 se tradu ira également par le développement d’une médec ine à deux vitesses . Quasiment sans concer tation, le ministèr e de la Santé poursu it son tra vail de sape . Commencée par Jean-Franço is Matte i, cette opérat ion est poursu ivie par Philippe Douste -Blazy sous la forme d’ordonnance pour éviter toute discuss ion. Elle est straté giquement bien menée dans la mesur e où elle dissoc ie l’assurance maladie, l’hôpital et le système de santé publique. La cam pagne de commun icat ion qui l’accom pagne insiste sur la res ponsa bilisat ion des acteurs comme objectif prioritaire. Dans un avenir plus ou moins proche cette logique devrait se révéler sans issues .

 

  1. L’auteur est maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Dernier ouvrage paru : J. Caudron, J.-P. Domin, N. Hiraux, C. Mills, M. Maric, " Main basse sur l’assurance maladie ", Note de la Fondation Copernic, Paris, Éditions Syllepse, 2003.

  2. Debrosse D., Perrin A., Vallancien G., Rapport de la Mission sur la modernisation des statuts de l’hôpital public et de sa gestion sociale, Paris, ministère de la Santé, 2003.

  3. Vallancien G., " Hôpital public : brisons le grand tabou ", Le Monde, 14 septembre 2002, p. 18.

  4. Interview de Gérard Vincent, L’Express, 27 février 2003, p. 74.

 

 

 

 

 

 

Par Domin jean-Paul , le 30 September 2004

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