Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Enjeux de la Recherche, enjeux de société

 

Olivier Gebuhrer

Aux luttes massiv es de la communau des chercheurs du printemps dernier, focalis ées sur les problèmes budgétaires et l’emploi scientifique, a succ édé un processus complexe appelé Etats Généraux de la Recherche, largement décentralis é, associant de nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs dans la plupart des grands centres universitaires du pays ; il n’est pas encore temps de tirer un bilan global mais des lignes de force s’esquiss ent avec assez de clarté pour qu’on puiss e déjà les mettre en perspective.

La loi de finances 2004 était pour toute la recherche frança ise une catastr ophe avec une régress ion accen tuée de l’effor t public, à laquelle s’ajouta it la trans -

format ion d’emplois statuta ires en CDI et des recrutements en CDD. La levée de bouc liers couvait depuis longtemps et elle se manifesta avec éclat et résu ltats tempora ires sérieux : le gouvernement recula in extremis, changea de Ministre, rétab lit les emplois statuta ires, débloqua des cré dits d’urgence . Il ne put pas non plus tenir sur la ligne initialement prévue d’un faux débat national fictif, aux lignes arrêtées à l’avance . Tout cet édifice bascu la dans un cul de basse-fosse .

Mais les enjeux étaient et demeur ent cons idéra bles et si les luttes qui conjuguèrent dans le conte xte difficile de la crise de la représentat ion politique et syndicale, assoc iations nou velles de Chercheurs et ense ignants -Chercheurs et organisations syndicales class iques, mar quèr ent des points sur des exigences imméd iates , on peut dire dès à présent qu’aucune des forces en présence n’était réellement préparée à mener le débat national au niveau nécessa ire. Cela vaut auss i pour le gouvernement dont les idées fondamenta les ne varièrent pas – et pour cause – mais qui fut et demeur e inca pable de la moindre initiative de natur e à solliciter l’ensem ble de la société sur un ensem ble de questions qui engagent l’avenir pour au moins une décenn ie. Appliquant sans état d’âme les orientat ions meur trières visant à imposer à marche forcée un remo delage com plet de la société frança ise dans les canons du « libéra lisme » sans rivage, le gouvernement se focalisa sur les as pects suivants :

  • Trans format ion des grands Organismes de recherche publics en agences de moyens :

C’est par ce moyen déjà envisagé sous le gouvernement de la gauc he plurielle avec C. Allègre comme fer de lance , que l’on enten d poursu ivre la diminution de l’investissement public et corré lativement un amoindrissement significatif du contrô le et de l’initiative parlementa ire.

  • Liquidation pure et simple des acquis démocrat iques permettant une par ticipation effect ive de la commu nauté scientifique dans le plura lisme et la variété de ses com posantes et sens ibilités .
  • Mise en extinction sous une forme ou une autr e de l’emploi scientifique statuta ire et généra lisat ion tous azimuts de la précar ité.
  • Concentrat ion du financement public sur quelques programmes déclarés straté giques et ar ticulés sur le rendement des capitaux à cour t terme .
  • Renforcement sans pr écé dent des ca deau x fiscau x hors de toute transpar ence et de tout contrô le effect if pour les entr eprises au titr e de l’invest issement Recherche-Développement .
  • Mise en concurr ence des éta blissements de recherche et d’ense ignement supér ieur sur les format ions , sur les financements par le biais de la fausse décentra lisation Raffarin.
  • Renforcement sans précé dent du pilota ge état ique.
  • Intégration forcée dans les normes imposées par la Commission eur opéenne préludant et anticipant l’applicat ion d’une Const itution dont les présu pposés interdisent toute dispos ition contra ire ou implicitement non-conforme aux dogmes de la marchandisation et de la concurr ence effrénée des capitaux.

Tout cela fait une réforme d’une grande cohérence , sans doute . Mais celle-ci souffre dès l’origine d’une tar e qui la ren d ca duque avant même une promu lgation dont le scénar io n’est pas écrit.

A tra vers les canau x multiformes engen dr és par les mutat ions techno logiques , cultur elles, soc iéta les , les citoyennes et les citoyens enten dent doréna vant pouvoir peser directement sur les enjeux et les choix scientifiques et techno logiques. On peut tra iter cette as piration sur le mode mineur et ouvrir la porte à des gadgets variés, croire ou feindre de croire que, à titre individuel, les citoyennes et citoyens ne sont intér essés que par des réponses ponctue lles à de menues inquiétu des. On peut croire ou feindre de croire que les catastr ophes industr ielles comme celle de AZF, ou les quest ions du clonage humain, ou celles liées aux éventue ls changements climatiques, à la pollution, aux pandémies, pour ne citer que quelques unes des préoccu pations actue lles focalisent l’attent ion pour une période éphémèr e, qu’elles se tra itent sur le mode de la mise en spectac le télévisuel ou médiatique. Ceux des responsa bles politiques –à droite comme à gauc he – qui font ce raisonnement se trompent d’époque et de diagnost ic ; il peut cer tes s’écou ler des années avant que ces quest ions qui sont au cœur ou qui décident pour par tie de l’organisation de la société humaine, ne cristallisent en projet politique alternat if et cré dible ; mais elles const ituent , prises dans la masse , l’un des fondements d’une citoyenneté nou velle, beaucou p plus large et universe lle que celle prenant sa sour ce dans l’ident ificat ion de classe même si celle-ci n’en dispara ît pas pour autant .

Et de ce fait, cette dimens ion là, assoc iée à une mutat ion histor ique de la conce ption de l’human ité est la pierr e de touche de toute réforme enten dant constru ire l’avenir ; elle devrait const ituer le centr e de la réflexion de toute politique alternat ive ; et quoi qu’il advienne , les choix politiques seront jugés sans cesse davanta ge à l’aune de la prise en com pte sans trom pe l’œil de cette dimens ion. Sans chercher à cou vrir l’ensem ble du champ, on peut affirmer que toute réforme progress iste de notr e dispositif de recherche devrait com por ter les volets suivants :

  • Un réseau d’instances nouvelles :

Commencer à répondr e à la tendance histor ique soulignée ci-dessus suppose un changement très profond dans la conce ption même du rôle de l’État ; dans son souffle, la libérat ion de l’occu pant nazi, dont il ne ser t à rien d’intensifier la célébration si son essence même en est perdue, s’accom pagna d’idées qui réalisèr ent une forme d’alchimie entr e les formes nouvelles de planification mises en œuvre à l’Est de l’Europe et celles de la magnification nationale sous l’égide gaullienne ; elles permirent à la France de se situer d’emblée au premier rangs des nations relevant la tête après la catastr ophe ; mais faute d’exercice plura liste de la vision critique, ces formes singulières dans l’ensem ble des pays capitalistes s’oss ifièrent ; elles le firent d’autant plus que les forces sociales et politiques acharnées à com battr e la dimens ion démocrat ique de la reconstruct ion nationale relevaient la tête et ne s’accommo daient même plus des traces de cette période. Sa liquidation programmée prit du temps ; les déclarat ions de F. Fillon au printem ps en pleine bata ille sur les retra ites , selon lequel « les França is étaient maintenant mûrs pour les réformes » (sous-enten du d’inspiration libéra le) indiquaient clairement que pour la droite, l’heur e était enfin venue .

Mais il n’est pas quest ion pour ces forces là de conce voir que l’inter ventionnisme état ique puisse êtr e le moins du monde amoindri, y com pris sur des quest ions qui font tous les jours la preuve qu’elles ne peuvent pas faire l’objet de décisions réser vées à un petit nom bre de responsa bles. Ainsi pour ces for ces , les or ientat ions scient ifiques devraient êtr e du ressor t quasi exclusif du Conse il des Ministres !

Or c’est d’une autr e affaire qu’il s’agit :

Il faut conce voir un réseau d’instances nouvelles prenant app ui sur ce que l’on pourra it appeler un parlement de la science , placé auprès des assem blées parlementa ires et qui sera it à la fois vraiment représentat if de l’ensem ble de la société, et doté de pouvoirs d’invest igation et de saisine éten dus pour tra iter en cont inu de l’inter face entr e développement scientifique et techno logique et développement social ; sera ient du ressor t de cette instance notamment la discuss ion des grandes orientat ions budgétaires, la coo pérat ion internat ionale.

Cette instance nationale s’app uiera it, en aval, sur un réseau d’instances régionales ayant la même com position ayant pour vocat ion auss i bien de scruter avec finesse les beso ins au plus pr ès des populations et des citoyens (enne s) que de contr ibuer aux orientat ions de l’instance nationale, en amont sur une instance eur opéenne conçue selon les mêmes principes.

Le progrès scientifique ne peut plus s’accommo der d’une rencontr e nationale décenna le ; la société refuse que son avenir soit pour par tie réglé sans son inter vention directe ; la capillarité de la consc ience citoyenne est une donnée d’aujour d’hui ; les forces de progrès sera ient avisées d’en prendre pleinement la mesur e.

  • Des coopérations fondées sur l’échange et la mise en commun des potentiels

Qu’il s’agisse de coo pérat ions industr ielles, de coo pérat ions entr e Laborato ires scient ifiques et entr eprises industr ielles ou ser vices, on voit bien quels bénéfices pour la société dans son ensem ble sera ient tirés par une conce ption qui s’arrac herait à la mise en concurr ence , au-delà même des économ ies de moyens matér iels cons idéra bles.

  • Une contribution nouvelle des entreprises à l’effort de recherche

Il faut le dire sans détours : aucun progrès même par tiel n’est poss ible si n’est pas revue en profondeur la contr ibution des entr eprises et ser vices à l’effor t de recherche ; les aspects fiscau x notamment doivent êtr e com plètement revisités ; il faut tirer la leçon de l’échec absolu des cadeaux fiscau x (Crédit d’Impôt Recherche (CIR)) qui ne con duisent au mieux nom bre de grou pes industr iels ou de PME à profiter de façon tempora ire de la manne état ique sans bénéfice aucun pour l’em ploi scient ifique ni pour les programmes , lors qu’ils ne se soldent pas par une délocalisat ion pure et simple de la R&D.

Nous l’avons dit d’entrée : ce qui précè de ne saura it const ituer l’ensem ble des éléments d’une politique nouvelle en matière de recherche et de choix techno logiques, mais sans eux, on peut êtr e assuré que les éléments const itut ifs de la crise du printem ps ne pourr ont que rebon dir, et contr ib uer à alimenter mut ilat ions et d om inat ions nou velles ; il faut oser emprunter une autr e voie. ■