Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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« Et maintenant, l'Europe sociale »?

RÉFÉRENDUM SUR LA CONSTITUTION EUROPÉENNE

L'annonc e par le Président de la République, le 14 juill et dernier, de la tenue d'un référendum sur le projet de Constitution européenne, à l'automne 2005 , a relancé avec force le débat, à gauche, sur la substance et la portée de ce texte. Si le PCF a, le jour même de son adoption par les chefs d'Etat et de gouvernement des « vingt cinq », clairement pris position, au nom d'« une grande ambition pour l'Europ e », contre ce traité « qui repren d et pérenni se to utes le s orient ations et le s str uctures de l'Europ e li bér ale » (18 /6/2004 ), de vives confrontations opposent, au Parti socialiste, les porte parole des courants minoritaires, favorables au « non », à la plupart des dirigeants engagés dans une laborieuse pédagogie du « oui ».

Franço is Hollan de a tout d'abord cru pouvoir botter en touche en refusant de lier les discuss ions sur le projet de Const itut ion à celles sur les préoccu pations quotidiennes des França is en cette rentrée -pouvoir d'achat ; 35 heur es ; ser vices publics… « Quand les gens m'interpellent -a-t-il plaidéc'est là-dessus et non pas sur notre position sur un référendum européen lointain ». Des militants lui ont auss itôt rappe lé que leur par ti venait tout juste de mener cam p agne sur l e thème : « Et ma intenant , l'Eur o p e sociale ! »… De fait, avec le chanta ge aux déloca lisat ions, le recul de l'em ploi, la réforme de l'assurance maladie, le changement de statut d'EDF, les « assou plissements » à la loi des 35 heur es, les dégrèvements d'impôts et de cot isations sociales accor dées aux plus grandes entr eprises, parallèlement au rat ionnement des dépenses sociales et à l'abaissement des coûts salariaux… toute ressemb lance entr e la politique de MM. Raffarin, Schröder, Blair ou Berlusconi n'est pas que for tuite ! C'est bien de la conce ption de l'Europe qu'il s'agit.

Ce fil rouge de l'Europe libéra le app ara ît encor e plus nettement quan d les instances communauta ires s'invitent directement dans les débats nationau x, comme la Commission – qui a rappe lé publiquement , le 22 juin dernier, avoir « demandé à l'Etat français de supprimer (à EDF) son statut d'établissement public » –, ou encor e la Banque centra le européenne , qui a reproché, le 1er juillet de cette année , aux salariés de la zone euro de « travailler, en moyenne, beaucoup moins d'heures par an qu'ailleurs », appelant à des hausses de salaires inférieur es au taux d'inflation et insistant sur l'exigence de « réformes structurelles » donnant plus de flexibilité au marché du tra vail et plus de concurr ence sur le marché des biens et des ser vices, car, selon le Président de la BCE,

« tout ce qui va dans le sens d'une plus grande flexibilité (…), d'une plus grande productivité va dans la bonne direction ». C'est bien parce que le projet de Const itut ion synthétise tout ce système libéral que sa mise en échec est si impor tante pour le com bat en faveur d'une autr e société et d'une autr e Europe.

« La charte, les pouvoirs du Parlement, l’économie sociale de marché »

Cela n'a pas em pêché la plupar t des "ténors " du PS de se relayer pour voler au secours du tra ité const itut ionne l, le lyrisme des formu les com pensant la faiblesse des arguments . « Il faut ratifier ce texte car, pour la première fois, il dessine l'Europe que nous voulons: une Europe politique et sociale » osent , par exem ple, Ber trand Delanoë et Dominique Strauss -Ka hn (le Mon de-3/7/2004) ! A l'app ui de cette thèse audacieuse , les auteurs de cette tribune citent plusieurs dispos itions du projet de Const itut ion de natur e très différente . Je m'arrêtera i sur trois d'entr e elles, les plus couramment mises en avant par les par tisans du nou veau tra ité. La char te des droits fondamentau x d'abord : outr e cer tains ar ticles for t discutab les – comme le « droit de travailler » en lieu et place du « droit au travail »… – (article II-15), rappe lons qu'en vertu de l'ar ticle II-51, cette fameuse char te « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l'Union »… L'extens ion des pouvoirs du Parlement eur opéen, ensu ite : elle est indiscutab le, mais ces pouvoirs ne s'exercent que dans le cadre de la Const itut ion et notamment de ses orientat ions libéra les. Ainsi, l'ar ticle III-46 va-t-il jus qu'à édicter comme règle const itut ionne lle que « le Parlement européen (…) s'efforce de réaliser l'objectif de libre circulation des capitaux (…) dans la plus large mesure possible » ! La référence à « l'économie sociale de marché » enfin… Il sera it plus honnête de replacer cette formu le – qui, en elle-même , n'engage à riendans son conte xte : le même ar ticle (I-3) pr écise ainsi qu'il s'agit d'un « marché unique où la concurrence est libre et non faussée », véritab le credo libéra l qui struc tur e tout le projet. Il est significat if que, parmi les « objectifs de l'Union », figure la « concurrence libre et non faussée »  mais aucune référence aux ser vices publics ni même aux « services d'intérêt économique général ».

Un « oui » assorti d’« exigences »

D'autr es dirigeants – parmi les quels Harlem Désir, Pierr e Maur oy, Franço is Rebs amen … – tout en reprenant les mêmes citations, assor tissent leur « oui » d' «exigences » : en par ticulier, celle de voir mise en place, après l'adoption de la Const itut ion, « une nouvelle Conven tion (qui devra) s'engager sur un traité social » ! Cela rappe lle bigrement l'affirmation de Jacques Delors quelques jours avant le référendum sur Maastr icht: « Votez oui et on se remettra au travail tout de suite sur l'Europe sociale ». C'était en 1992… Il va falloir trouver autr e chose, cette fois-ci, pour convaincre les indécis.

D'autr es, enfin, citent volontiers la déclarat ion de John Monks, le nou veau Secréta ire généra l de la Confédérat ion eur opéenne des syndicats , qui est ime que « la Constitution européenne représente un pas en avant pour les travailleurs», et se félicite notamment de la « référence au plein emploi ». Cette position a franchement de quoi surpr en dre de la par t d'un dirigeant syndical. Il prend ses responsa bilités . La gauc he doit prendre les siennes en rappe lant, par exemple, que le Conse il eur opéen des Chefs d'Etat et de gouvernement s'est engagé dès mars 2000, dans « l'Agen da de Lisbonne », à réaliser le « plein emploi »… en 2010. Quatr e ans plus tar d, la Commission elle-même a dû admettr e qu'en fait de marche vers le plein emploi, la zone eur o a détru it, l'an dernier, 200.000 emplois de plus qu'elle n'en a créé ! « Lisbonne » devait faire la démonstrat ion qu'il est poss ible de faire du social par la voie libéra le. Il est temps de tirer les leçons de l'expérience . Mettons en débat à l'échelle de l'Union l'idée d'une bata ille d'envergure pour une sécur ité d'emploi et de format ion pour toutes et pour tous , conçue comme un processus nourr i par une multitude d'objectifs intermé diaires – allant de l'act ion pour une bonne indemnisation des chômeurs à celle pour des fonds régionau x pour l'emploi et la format ion – et accom pagné par l'exigence croissante d'une réor ientat ion en profondeur des missions et du mode de fonct ionnement de la Banque centra le eur opéenne .

Quelles possibilit és de révision ?

Le débat se faisant progress ivement plus exigeant , le Premier secréta ire du PS vient d'enrichir son discours d'un argument supp lémenta ire destiné à prévenir la tentat ion du

« non » auprès des hésitants : « les possibilités de révisions ou d'avan cées » du tra ité existera ient en tout état de cause , une fois celui-ci adopté, sans qu'il faille pour cela passer sous les four ches cau dines des 25 Etats membr es. Et ce « grâce au droit d'initiative reconnu au Parlement européen , au droit de pétition accordé aux simples citoyens et aux coopérations renforcées permises aux Etats membres » en ver tu du projet de Const itut ion (inter view de Franço is Hollande au « Nouvel Obser vateur » 26/8/2004. Ségolène Royal a repris la même idée dans « le Monde » 27/8/2004). Laissons répondr e le texte du traité en quest ion. « (…) Le Parlement européen (…) peut soum ettre au Cons eil des projets tendant à la révision du traité (…) Si le Conseil européen (…) adopte à la majorité simple une décision favorable à l'exa men des modifications proposées, le Président du Conseil européen convoque une conventi on (qui) examine les projets de révision et adopte par cons ensus une recommandation à l a Conférence des re pré sent ant s des gouver nement s des Etats membr es (…) (Celle-ci arrête) d'un commun accord le s mod ific ations à app or ter au tr aité (…) Les amendement s ( devront êtr e) ratifié s par to us le s Etats membr es (…) Si, à l'issue d'un délai de deux ans, (…), les qu atre cinquièmes des Etats membr es ont ratifié le dit tr aité et qu'un ou plusieurs Etats ont rencontré des difficultés pour procé der à cette rat ification, le Cons eil europ éen se saisit de la question » (article IV-7). A qui fera-t-on croire que c'est à tra vers ce labyrinthe, qui commence et finit par les 25 chefs d'Etat, que l'on peut raisonnab lement espérer trans former le contenu de la Const itut ion, une fois celle-ci adoptée?

Qu'en est-il, à présent , du « droit de pétition accordé aux simples citoyens »? « La Commission peut, sur initiative d'au moins un million de citoyens de l'Union issus d'un nombre significatif d'Etats membres, être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridiqu e de l'Union est nécessaire aux fins de l' app lic a tion de la Const itution. » (article I-46). Il s'agit là d'une dispos ition intér essante , mais qui se situe explicitement dans le cadre de l'« applicat ion de la Const itut ion », et non de sa révision !

Enfin, à quelles con ditions le projet de Const itut ion autorise-t-il des « coopérations renforcées » entr e plusieurs Etats membr es qui sera ient décidés à suivre un autr e chemin que les autr es ? « L'autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par une décision (…) du Cons eil des ministre s su r pro pos ition de l a Comm iss ion après approbation du Parlement europ éen. » (article III-325). On le voit: la marge de man œuvre est plutôt étr oite ! En outr e, les Etats deman deurs doivent représenter « au moins un tiers des Etats membres » (article I-43). Et sur tout , les « coopérations renforcées » ne sont poss ibles que « dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union » (article I-43), ce qui exclut notamment les règles de concurr ence , la politique monéta ire pour les Etats de la zone eur o ou la politique commer ciale commune … Rien que cela.

On con viendra que les es poirs de « révisions ou d'avancées » par ces biais sont ténus , et guèr e de natur e à dissuader ceux qui aspirent à une « autr e Europe » de rejeter ce projet de Const itut ion. ■

 

Par Wurtz Francis, le 31 juillet 2004

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