Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Délocalisations : mettre en échec le chantage

Le chantage du patronat à la délocalisation tel qu'il a été utilis é chez Bosch, Doux, Sediver … constitue un moyen de pression redoutable pour baiss er le « coût » du travail bien au-delà de ces entreprises et pour obtenir de nouvelles faveurs de l'Etat et des collectivités territoriales.

Des gestions et des politiques qui donnent prise au chantage aux délocalisations

Ces risques de délocalisations prennent racine dans les politiques de mise en concurr ence entr e les salariés et de dum ping social permanent au sein du mar ché unique impu lsée par l'Union eur opéenne et sont aggravés avec l'ouverture de l'Union aux pays de l'Est. Les grands donneurs d'ordre industr iels et de la distr ibution, en exerçant une press ion constante sur les prix de leurs achats, eux auss i, incitent leurs sous-traitants à réper cuter ces baisses sur les salaires, voire à déloca liser toute ou par tie de leur production vers des pays à bas « coûts » salariaux. Les banques, elles auss i, favorisent le mou vement en finançant par le cré dit des déloca lisat ions et des fusions acquisitions d'entreprises à l'étran ger qui sont au cœur des restructura tions internat ionales tout en refusant d’accor der des cré dits efficaces pour des projets d’emploi en France .

En Europe comme dans le monde , il s'agit, sous l'impu lsion des marchés financ iers mond iaux et des multinationales de rédu ire la par t des salaires dans la valeur ajoutée afin de dégager les profits maximum nécessa ires aux opérations financ ières (placements , spécu lation, fusion-acquisitions) , quitte à déprimer à l'éc helle de la planète la deman de globale en faisant press ion sur les salaires et les dépenses sociales. D'où le ralentissement sens ible de la croissance mond iale dans les dernières décenn ies.

Ces politiques sont aggravées , en France depuis les années 1990, par les incitations financ ières de l’Etat sous forme d’exonérat ions de charges sociales patr onales, pour soi-disant favoriser l'inser tion dans l'emploi des salariés non qualifiés. Elles encoura gent, en fait, les entr eprises à la baisse des « coûts » salariaux. Ces politiques ont eu leur déclinaison hyper libéra le avec la ristourne Juppé et leur déclinaison sociale-libéra le avec les aides Aubr y (1). Dans les deux cas, les entr eprises ont été incitées à privilégier les bas salaires au détr iment de l'emploi qualifié, de la formation et de la maîtrise des nou velles techno logies. La loi Fillon pousse la convergence de ces aides jusqu’au bout en programmant leur fusion, à terme , en un dispos itif unique. Après dix ans de ces gest ions et de ces politiques, la France est fragilisée et plus vulnéra ble aux déloca lisat ions sur deux plans : sur le terra in de l'efficacité des entr eprises et sur celui de la deman de adressée aux entr eprises.

  • Sur le terrain de l'efficaci té des entreprises :le choix de rédu ire les coûts de production par la baisse du « coût » salarial de chaque tra vailleur plutôt que : celles des coûts matér iels et financ iers , avec la promot ion de la format ion pour utiliser pleinement les nouvelles techno logies, et d’un autr e cré dit plus efficace a été systémat iquement favorisé. Ce choix régress if s’est tradu it, en France , par le maintien d’un très haut niveau de salariés non qualifiés et sous payés à contr e courant des exigences de notr e temps . Il a con duit à mettr e en concurr ence directe ces salariés avec ceux de pays moins développés et a favorisé le recours aux délocalisations de dumping salarial. Ce choix a auss i encou ragé les entr eprises, notamment des groupes, à orienter une grande p ar t ie d e leurs invest issements et d e leurs recherches à l’étran ger, en premier lieu aux Etats -Unis. Ainsi, l’essent iel des expor tat ions de capitaux concerne ce pays et toute la zone dollar .
  • Sur le terrain de la demand e adressée aux entreprises : sous l'impulsion de la Banque centra le européenne , le rat ionnement du cré dit sur les projets d’emploi et de format ion, son gâchis au profit d’opérat ions financ ières , le freinage, dans l’Union, des salaires et des dépenses sociales, de l'invest issement des entr eprises, des dépenses budgétaires avec le Pacte de stab ilité, ont contr ibué au ralentissement de la deman de et à la croissance molle qui se pérennise en Europe, alors que l’expansion a été autr ement plus rap ide aux Etats -Unis et dans le Sud-est asiatique. Les multinationales eur opéennes se sont redéployées pour la capter dans les autr es zones sou vent dans le cadre de fusions acquisitions, avec de nom breuses délocalisations. C'est pour quoi, comme le constate une enquête (2) de la direction des relations économ iques extérieur es du ministèr e de l'Econom ie et des Finances « la majorité des inve stissements (des entreprises françaises à l'étranger) sont réalisés dans des pays où le coût du travail est équivalent à celui de la France ». Cette étu de constate que « des pays comme l'Allemagne restent compétitifs malgré des salaires plus élevé s que la moyenne mondiale » et que dans les choix d'implantat ion « les facteurs de formation et de disponibilité de main-d’œuvre, de qualité des infrastructures, des autres intrants ou les incitations fiscales, sont dans l'ensemble de premier ordre comparés au bas coûts de la maind’œuvre »

Le chantage du MEDEF

Si le thème des déloca lisat ions de dumping social, qu’il faut com battr e avec des solutions alternat ives, est repris et poussé par le Medef, c’est de toute évidence , pour d'autr es objectifs que la lutte contr e ce fléau.

Alors que les salariés concernés , souvent mis à l'écar t, des décenn ies durant , de toute format ion et ayant auss i consent is de lourds sacr ifices salariaux, se sentent menacés dans leur emploi et dans leur avenir avec ces délocalisations, le Medef s'appuie avec cynisme sur les consé quences dramat iques de sa politique pour pousser encor e plus loin le chanta ge sur les salariés, les collectivités locales et le gouvernement  lui-même .

D'ailleurs , le premier ministre, « accr oché » au mois de juillet par Marie George Buffet qui a mis le gouvernement en demeur e de refuser le chanta ge des déloca lisat ions , est obligé, dans Le Figaro du 28 août , d’appeler les entr eprises « à ne pas faire de chanta ge aux délocalisations ».

Le chantage sur les salariés

Pour exercer son chanta ge sur les salariés, le Medef s'app uie sur la poss ibilité, maintenant ouver te avec la loi Fillon, de conc lure des accor ds d'entr eprise dérogatoires aux accor ds nationau x ou de branc hes, pour remettr e en cause des accor ds d'entr eprise, notamment sur les 35 heures. Il enten d s'appuyer sur de premières brèches, dans un conte xte de concurr ence violente entr e les entr eprises, pour tenter de multiplier de tels accor ds dérogatoires. Audelà son objectif est soit de contra indre les syndicats à un accor d national en imposant ses con ditions dans le cadre des négociations en cours sur les restructurat ions et les reclassements – un tel accor d sera it acté ensu ite dans la loi – soit, en cas d'échec à une révision du Code du tra vail à l’initiative du Parlement . Comme celui-ci doit légiférer d'ici la fin de l'année , le patr onat intens ifie son offens ive. En effet, suite au nouveau gel de six mois des ar ticles de la loi de modern isat ion sociale décidée en juillet dern ier le gouvernement ne peut plus tergiverser et doit revoir la loi. Le Medef ne manquera de mettr e la press ion sur le législateur pour annu ler ces ar ticles de loi, d’initiative commun iste, réviser le Code du tra vail dans le sens prôné par le rappor t Virville ou encor e pour rédu ire plus encor e la por tée de la loi sur les trente-cinq heures. Sur ce dernier point, le faible recours « aux mesur es d'assou plissement » de la mise en en œuvre de la RTT de la loi Fillon par les entr eprises a confirmé que les moyens donnés aux patronat pour mainten ir leur renta bilité étaient déjà présents dans la loi Aubr y et avaient été utilisés . En fait, il s'agit sur tout , sur cette quest ion, d’entr eten ir un débat politicien opposant faussement « gauc he » et droite sur des démar ches for tement mar quées par les idées convergentes sur des options libéra les.

Le chantage sur le gouvernement et les collectivités locales :

Le chanta ge aux délocalisations exercé par le Medef est exploité par le Premier ministre pour rechercher une union sacrée et un consensus autour de sa politique dans le cadre de ce qu'il appelle « un contrat de confiance » (4). Ce contrat de confiance avance des propositions de « réformes de dynamisation » (5), visant , face à la pers pect ive de dépar ts mass ifs à la retra ite d’ici 2010, à mob iliser les chômeurs , les jeunes et les salariés pour alimenter les entr eprises en main-d’œuvre à leurs con ditions .

Ce contrat est auss i décliné pour les entr eprises : JeanPierr e Raffarin qui les appelle à ne pas exercer de chanta ge aux déloca lisat ions leur propose « en contrepartie un cadre fiscal et réglementaire plus favorable » (6). Le cadre réglementa ire concerne le droit du tra vail évoqué plus haut et le volet fiscal le plan Sarkozy « contr e les délocalisations » et autr es mesur es fiscales sur les entr eprises

Les nouveaux cadeaux au patronat

Il s'agit en fait d'une sér ie de mesur es con vergentes , mais dont le mode de présentat ion est lié au débat politique et aux press ions du Medef ou de l’Europe sur le gouvernement . Cer taines mesur es sont avancées au nom de la lutte contr e les déloca lisat ions et d'autr es au titre de la com pensation d'une baisse du plafond ouvrant droit aux exonéra tions de charges sociales. En effet, pour freiner l'inflation des dépenses de prise en charge par l’Etat des exonérat ions sociales patronales (17 milliards d’euros) et rentr er dans les clous du Pacte de stab ilité, le plafond salarial pour bénéficier de ces exonérat ions sera abaissé de 1,7 à 1,6 SMIC dans le budget.

Le plan Sarkozy contre les délocalisations :

Il com porte deux volets : un volet présenté comme visant à freiner les déloca lisat ions, l'autr e devant favoriser les relocalisations d'entr eprise sur le terr itoire.

La mesur e avancée pour prévenir les déloca lisat ions est un nou vel allégement de taxe profess ionne lle ciblé par secteur , terr itoire et zone ident ifiés comme « fragiles », ayant souffert d'accidents industr iels ou de déclin structur el (tau x d'em ploi faible, population act ive en recul). Ces exonérat ions de taxe profess ionne lle sera ient plafonnées à 100.000 € sur trois ans .

Il s'agit, en fait, d'un nou veau cadeau, tenant com pte de la réglementat ion européenne sur les aides aux entr eprises, dont les effets d'aubaine sera ient mass ifs puisque , au nom de quelques entr eprises éventue llement menacées de délocalisation, toutes les entr eprises du terr itoire en profiteraient. De plus, faute de mesur es réellement adaptées aux difficultés d'entr eprise telles, par exemple, que les politiques des donneurs d'ordre ou la sélectivité actue lle du cré dit banca ire, cette exonérat ion risque d'êtr e récupérée par les uns et les autr es sur les sous-traitants bénéficiaires par des con ditions plus drast iques encor e .

Le volet dévolu aux re-localisations , cons idéré comme « politiquement plus fort » (7) visera it à faire revenir des entr eprises avec de nou veaux allègements dura bles de charges sociales en plus des aides fiscales. Le trou noir de la politique des « zones franches » est ainsi recon ver ti en un plus grand trou noir : celui-ci dit des « pôles d’excellence ». Sous prétexte d’excellence , c’est encor e plus de baisse du coût du tra vail qui ne manquera pas d’aggraver l’insuffisance de qualification…

Au tota l le plan Sarkozy contr e les déloca lisat ions coûte rait, en 2005, 1 milliard d’euros. Par ailleurs , les collect ivités terr itor iales sous la double press ion des besoins des populations touchées par les délocalisations et du gouvernement qui les appellera à participer aux côtés de l’Etat aux mesur es proposées devront êtr e à l'offens ive sur des options alternatives efficaces pour rés ister à la deman de d'accom pagnement de ces mesur es libéra les annoncées .

Les autres mesures complémentaires en faveur des entreprises :

Les mesur es fiscales, sous prétexte de lutte contr e les déloca lisat ions, ne seront pas les seuls nouveaux cadeaux faits au patr onat en 2005. Le gouvernement s’appr ête à abaisser auss i le taux de l'impôt sur les sociétés de 35,4 % à 32,4 % sur deux ans ce qui sera sans doute applaudi par les grands groupes comme Total qui ont affichés des profits recor ds au premier semestr e tand is qu'il prolongerait de six mois le dégrèvement de la taxe professionne lle sur les investissements nouveaux qui devait prendre fin en juillet 2005.

Ces deux mesur es sont présentées auss i bien comme une com pensat ion de la réduct ion des exonérat ions sociales que comme une mesur e anti-délocalisation car il s'agirait auss i de pouvoir concurr encer la fiscalité des nou veaux pays entrants , comme les États baltes .

Ces mesur es préparent les grandes man œuvres eur opéennes sur l’harmon isation de la fisca lité des entr eprises cherchant à faire acce pter un nou veau volet de la guerr e économ ique que se livrent les grandes zones économ iques de la planète : celui du dumping fiscal généra lisé en Europe pour l'attract ion des multinationales du monde entier.

Pour une contre offensive face aux délocalisations avec des propositions et des initiatives politiques rassembleuses (9).

La lutte contr e les déloca lisat ions appelle de tout autr es mesur es qui rompent avec toutes les formes de dumping. Pour cela , il faut sécur iser et promou voir les emplois avec une format ion tout au long de la vie de chacun-e, la croissance de la valeur ajoutée produite en développ ant la recherche, les invest issements assoc iés..

Tout de suite, il faut mettr e au cœur des préoccu pations du monde du travail la lutte contr e les délocalisations . C’est le sens de la proposition du PCF d’une prime de rentrée de 300 eur os, pour les familles aux salaires faibles et moyens et pour les chômeurs , qui sera it financée notam ment par un prélèvement de 8% sur les cré dits des banques accor dées aux entr eprises pour délocaliser.

Dans chaque cas, comme le propose le PCF, les salariés, les populations, leurs élus pourra ient :

  • Exiger des pr éfets des moratoires susp ensifs pour examiner des solutions alternat ives aux délocalisations .
  • Exiger de faire rembourser par l'employeur toutes les aides publiques dont il a pu bénéficier s'il refuse de négocier.
  • Réclamer la créat ion de Fonds régionaux pour l'emploi et la formation (10) afin d’encoura ger les entr eprises concernées à sécur iser les emplois et les format ions en se modern isant , au lieu de délocaliser.
  • Prévenir les restructurations et les délocalisations :

La lutte contr e les délocalisations destructr ices invite auss i à ce que des dispos itions imméd iates et à plus long terme de sécur isation soient prises concernant tout ceux qui risquent d'êtr e victimes des délocalisations ( mises en format ion avec le maintien à niveau des revenus , moder nisat ions nécessa ires ou l’assurance de bons reclasse ments choisis si nécessa ire, promot ion de nou veaux principes de développ ement en coo pérat ion des filièr es industr ielles et de ser vices en France et en Europe, organisation des coo pérat ions en visant un co-développement des peuples avec nos voisins du Sud et de l'Est et jus qu'à l’échelle de toute la planète) .

Dans ce but, il pourra it êtr e :

  • décrété dans les secteurs les plus exposés aux délocalisations et restructurat ions en Europe un « état de crise manifeste » suspendant l’effon drement des prix et les guerr es concurr entielles pour organiser les coo pérations de par tage des productions et des recherches,  maîtriser les marchés, mob iliser les financements avec une réor ientat ion de la BCE ;
  • mis en place des taxations communes dissuas ives, en fonct ion des différentiels sociaux, sur les impor tat ions de production délocalisées dans les pays à faible coût salarial. Elles alimentera ient un Fonds eur opéen de développement chargé de contr ibuer à l'essor d'une politique de co-développement avec ces pays ;
  • décidé de nou velles aides publiques eur opéennes qui con ditionnera ient des cré dits favorisant l'essor des productions nationales, des emplois et des format ions dans les pays ainsi aidés.

Un développement des bata illes et du rassemb lement , entr eprise par entr eprise, bass in par bass in, région par région et à l’échelle du pays, afin d’obtenir les informations , les moyens d'exper tise et de contr e propositions pour confor ter les luttes déjà engagées, en stimuler de nou velles doit êtr e poursu ivi. Il s'agit ainsi d'ouvrir les voies d’un tout autr e droit social face aux restructurations . ■

  1. La ristourne Juppé et l’aide Aubry sont des exonérations dégressives, maximum au SMIC et déclinant jusqu’à jusqu’au plafond de 1,3 SMIC pour la première et 1,8 SMIC pour la seconde. Elles incitent donc toutes deux à niveler les salaires vers le SMIC. Si les plafonds ont pu varier au cours des années, la logique commune régressive, elle, a été pérennisée.
  2. Délocalisations et investissements français à l’étranger : enquête auprès des missions économiques de la Direction des relations économiques extérieures. Site du Ministère de l’économie et des finances
  3. Voir la lettre de Marie-George Buffet à Jean PierreRaffarin page
  4. Le Figaro du 28 août 2004
  5. idem
  6. Le Figaro du 28 août 2004
  7. idem
  8. Si l’abaissement de 1,7 à 1,6 Smic du plafond salarial ouvrant droit à exonération peut dans un premier temps réduire de l’ordre de 1,2 milliard d’euros, le montant des dépenses inflationnistes supportées par l’Etat pour combler les exonérations (plus de 150 milliards d’euros depuis leur création, soit plus de 1000 milliards de francs), cette mesure encouragera des pratiques perverses cherchant à remettre les salaires exclus des exonérations sous le nouveau plafond, ce qui aurait une incidence en cascade sur toute la hiérarchie salariale.
  9. Propositions pour prévenir et stopper les délocalisations destructrices d’emploi. Economie et politique n°598-599, mai-juin 2004, p 19
  10. Ces Fonds prendraient en charge une partie des intérêts versés aux banques par les entreprises pour leur crédit à l’investissement. La prise en charge (bonification) serait d'autant plus importante que l'entreprise concernée s'engagerait à maintenir ou créer des emplois et à former ses personnels.

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Par Morin Alain, le 31 juillet 2004

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