Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Derrière les mauvaises surprises de la conjoncture, la persistance d’une crise systémique



Au printemps dernier, les prévisionnistes faisai ent preuve d’une assurance dont on avait perdu l’habitude : le monde entier était, espérait-on, en train de renouer avec une « croissanc e partagée ».

Sur la base des dernières données alors connues , celles de la fin 2003 et du premier trimestr e 2004, la croissance amér icaine renoua it avec les chiffres de la présidence Clinton et des grandes espérances dans la « nouvelle économ ie ». Elle recommença it à créer des emplois. Même le Japon semb lait sor tir de la longue stagnation où il était plongé depuis le krach bours ier et immob ilier de 1990. Comme l’ensem ble de la zone Pacifique, il bénéficiait du dynamisme de l’économ ie chinoise. La vieille Europe, c’està-dire, à peu de choses près, la zone euro, resta it encor e un peu à la tra îne, mais elle manifesta it de nets signes de reprise.

En cette rentrée , plusieurs mauvaises surpr ises rendent la conjonctur e beaucou p plus incer taine. Contrairement aux attentes , le PIB amér icain n’a progressé que de 0,7 % (soit 2,8 % en rythme annue l) au deuxième trimestr e 2004, tiré vers le bas par l’aggravation du déficit extérieur et par un ralent issement de la consommat ion des ména ges. Plus grave peut-êtr e, les créat ions d’emplois sont presque stoppées en juin et juillet, retirant à George W. Bush tout espoir de répar er avant les élections les dégâts enr egistrés dans ce domaine depuis son arr ivée à la Maison-Blanc he. Même déce ption au Japon, où la croissance n’a pas dépassé 0,4 % (soit 1,7 % en rythme annue l) au deuxième trimestr e, après avoir atte int 6 % en rythme annue l aux deux trimestr es précé dents , et où le chômage a remonté en juillet.

TABLEAU 1 taux de croissance du PIB en pourcentage

Moyenne annue

lle

Variation par rapport au trimestre précédent

 

2001

2002

2003

2003

 

 

 

2004

 

T1

T2

T3

T4

T1

T2

France

2,1

1,1

0,5

0,2

-0,4

0,8

0,5

0,8

0,8

Allemagne

0,8

0,2

-0,1

-0,4

-0,2

0,3

0,3

0,4

0,5

Espagne

2,8

2,0

2,4

0,5

0,7

0,6

0,7

0,6

Italie

1,7

0,4

0,4

-0,2

-0,1

0,4

0

0,4

0,3

Pays-Bas

1,4

0,6

-0,9

-0,5

-0,6

0,1

0,5

0,6

-0,2

Zone euro

1,6

0,9

0,5

0

-0,1

0,4

0,4

0,6

0,5

Royaume-Uni

2,3

1,8

2,2

0,2

0,7

0,9

1,0

0,7

Union européenne

1,7

1,1

0,9

0,1

0,0

0,5

0,5

0,6

0,6

États-Unis

0,8

1,9

3,0

0,5

1,0

1,8

1,0

1,1

0,7

Japon

0,4

-0,3

2,5

0,0

1,0

0,6

1,8

1,6

0,4

Chine

7,5

8,3

9,1

 

Source : Banque de France, Zone euro, principaux indicateurs économiques et financiers, FMI

Effet de la hausse du pétrole ? Celle-ci n’est-elle pas, plutôt , la consé quence des désé quilibres d’une croissance pilotée par les multinationales et la recherche de la renta bilité maximale (voir les ar ticles de Y. Dimicoli et A. Vigier) ?

« Trou d’air » passa ger, comme l’a affirmé le président de la Banque centra le amér icaine, Alan Greens pan, ou annonce d’une rechute prochaine de l’act ivité, comme le craignent les analystes les plus pess imistes de Wall Street ? Au-delà des indicateurs conjonctur els imméd iats , on doit plutôt cons idérer que, de façon dura ble, la croissance risque de rester « molle », les phases de reprise de l’act ivité se heurtant très vite à des contra dictions et à des désé quilibres qui révèlent la pers istance d’une crise structur elle de surac cumu lation du capital.

 

Graphique 1 Emploi salarié non agricole aux États-Unis

(millions d’emplois)



Source : Bureau of Labor Statistics

Les événements les plus impor tants se passent , comme toujours , aux États -Unis. Pas seulement parce que l’économie amér icaine est la plus grande du monde mais parce que le système de l’économ ie mond iale est configuré, en quelque sor te, pour favoriser l’accumu lation des profits aux États-Unis, en tirant par ti des ressour ces du monde entier. Les groupes amér icains att irent les produits industr iels, la main-d’œuvre et la matière grise par tout où ils se trouvent sur la planète . Le financement du déficit croissant de la balance des paiements amér icaine qui en résu lte exige des entrées mass ives de capitaux en provenance , eux auss i, de l’étran ger. Ce financement est rendu poss ible par le statut du dollar, référence de tout le système monéta ire interna tional, qui donne aux États -Unis le privilège de s’endetter dans leur propre monna ie. Cela a permis la for te croissance des profits, de l’act ivité et de l’emploi (essent iellement dans les ser vices) pendant la présidence Clinton , sur tout à par tir de 1995, lors qu’on a parlé de « nou velle économ ie » pour désigner l’es pérance d’une croissance rap ide et dura ble fon dée sur les gains de productivité procurés par les nouvelles techno logies de l’informat ion. Un gonflement sans précé dent des prix des titres financ iers a stimulé la consommat ion des ména ges amér icains les plus riches et poussé les entr eprises à invest ir mass ivement . Toute fois, le krach bours ier du printem ps 2000 et la réces sion qui lui a succédé ont révélé que la hausse des profits et l’abondance du cré dit avaient en réalité entra îné des investissements excess ifs, aux États-Unis et dans le reste du monde . C’est cette suraccumu lation de capital matér iel et financ ier qui, de façon asse z class ique, a causé la récess ion de 2000-2001, par ticulièrement violente aux États -Unis, dans les secteurs qui s’éta ient le plus développés jus quelà, la finance et les techno logies de l’informat ion. La reprise enr egistrée depuis deux ans pourra it laisser penser que cette suraccumu lation est apurée ; mais plusieurs facteurs indiquent que le mal est plus profond.

D’abord, la « reprise sans emploi » s’accom pagne d’une montée de la pauvreté aux États-Unis mêmes . 35,9 millions d’Amér icains (12,5 % de la population) étaient cons idérés comme pauvres en 2003, 1,3 million de plus que l’année précé dente , et 45 millions de personnes (15,6 % de la population) étaient dépour vues d’assurance maladie.

Ensuite, la reprise a été le résu ltat d’une politique écono mique extrêmement expansionniste. Allégements d’impôts pour les plus riches et dépenses militaires ont por té le solde des finances publiques d’un excédent de 1,6 % du PIB en 2000 à un déficit de 4,6 % du PIB en 2003 : privilège du dollar aidant, les États-Unis n’ont pas besoin d’un « pacte de stab ilité » limitant (en principe) les déficits à 3 % pour conser ver la cré dibilité de leur politique monéta ire aux yeux des marchés.

 

Graphique 2 solde des finances publiques aux États-Unis,

en pourcentage du PIB

 

Précisément , la politique monéta ire, elle auss i, a réa gi dès les premiers signes de dégradat ion de la conjonctur e financière. Le taux du mar ché monéta ire, représentat if de la politique de la Réser ve fédérale, a baissé de près de 5 points en 2001 et il est encor e exceptionne llement bas aujourd’hui. Compte tenu de cette stimulation, l’étonnant aura it été que la deman de ne repar te pas. Mais que va-t-il se passer maintenant que les allégements d’impôts sur les hauts revenus ont produit leurs effets et que les taux d’intérêt ont commencé à remonter (la Réser ve fédérale a relevé ses taux d’un demi-point au cours de l’été) ?

Ensu ite, l’en dettement croissant des agents privés jus qu’en 2001, puis l’en dettement public engen dr é par les déficits budgétaires a fait gonfler la dette extérieure des États-Unis à un rythme accé léré (graph ique 3) com bien de temps le reste du monde fera-t-il asse z confiance au dollar pour acce pter cette ponct ion de l’économ ie la plus puissante sur l’épargne et sur la créat ion monéta ire de tous ses par tena ires ? La réponse à cette quest ion se trouve, pour une par t essent ielle, sur l’autr e rive du Pacifique.

L’Extrême -Orient const itue en effet le deuxième pôle déterm inant de l’économ ie mond iale. Par millions , les paysans et les anciens ouvriers du secteur public chinois affluent vers le mar ché du tra vail en pleine expans ion du secteur capitaliste . Ce flot de main-d’œuvre à bon marché,

Graphique 3 dette extérieure des États-Unis

(milliards de dollars)

Graphique 4 Flux de capitaux étrangers en direction des États-Unis (milliards de dollars)

Source : US Department of Commerce – Bureau of Economic Analysis      

des invest issements étran gers qui facilitent l’usa ge des techno logies modernes , et un cré dit dispensé de façon peu sélect ive produisent une croissance très rap ide (9,1 % en 2003 ) q u i s’accom p agne d’un surp lus d ura b l e d u commer ce extérieur. Cette dynamique n’est pas facile à piloter. D’un côté , elle risque de s’emballer, et les autor ités chinoises, appr ouvées par le FMI, s’efforcent de freiner la deman de. D’un autr e côté , elle ne doit s’arrêter à aucun prix, si l’on veut éviter une explosion du chômage et l’effondrement du système financ ier lors qu’une grande par tie de ses clients , privés de débouc hés, se révéleront inso lvables ( selon les sour ces , l’évaluat ion des « créances douteuses » des banques chinoises varie déjà entr e 20 et 40 % du PIB). En atten dant, l’expans ion rap ide de l’industrie chinoise ouvre des débouc hés à ses voisins, et en par ticulier à la Corée du Sud et au Japon qui lui fourn issent des équipements .

La deman de chinoise contr ibue ainsi à expliquer les signes d’amé liorat ion de la conjonctur e observés au Japon après des années pendant lesquelles des taux d’intérêt à 0 % et une débauc he de dépenses publiques (en 2003, le déficit des administrat ions publiques a atte int 7,7 % du PIB, et la dette publique 154,6 % du PIB) semb laient impu issants à sor tir la deuxième économ ie mond iale de la stagnation. Les évolutions qui se manifestent de par t et d’autr e du Pacifique ont des liens étr oits entr e elles. D’un côté , c’est avec l’Asie du Sud-est, et en par ticulier avec la Chine, que le commer ce extérieur des États -Unis est le plus déficitaire. D’un autr e côté , ce sont de plus en plus des capitaux asiatiques, et en par ticulier des capitaux publics, ceux des ban ques centra les, qui financent ce déficit. Les flux de capitaux privés, en par ticulier sous forme d’invest issements directs (prises de contrô le d’entr eprises amér icaines par des capitaux étran gers) ont reculé ces dernières années , révélant la vulnéra bilité de l’hégémon ie financ ière amér icaine. Ce sont les banques centra les d’Asie et d’Europe qui ont pris le relais, parce qu’elles ne souha itent pas une dépréciation exagérée du dollar : elle portera it atte inte à la com pétitivité de leurs expor tat ions , et elle com por te le risque , au cas où elle devien dr ait incontrô lable, d’une désta bilisat ion de l’ensem ble des relations monéta ires internat ionales.

Et l’Europe, dans ce paysage ? Il y a quinze ans , deux événements histor iques s’y sont produits dans le domaine économ ique : l’absorption de l’ex-RDA par l’économ ie allemande de l’Ouest , dans des con ditions politiques et monétaires (la conversion des marks-est en marks-ouest à un taux irréa liste ) qui con duit aujourd’hui à un échec qui « plombe » manifestement la conjonctur e de la première puissance économ ique eur opéenne ; et le début de la préparat ion du passa ge à la monna ie unique, avec en par ticulier la libération tota le des mouvements de capitaux. Depuis ce temps , les principales économ ies de la zone eur o affichent des performances médiocres en termes de croissance , et franchement mauvaises en termes d’emplois, qui reflètent pour une par t leur statut subor donné face à l’hégémon ie amér icaine.

L’attract ion exercée par les États-Unis sur les capitaux à la recherche de renta bilité tire à la hausse les taux d’intérêt à long terme dans tous les pays où les capitaux peuvent circuler librement . Ainsi, au cours de la dernière décenn ie, alors qu’aux États-Unis les taux « réels » à long terme (c’està-dire les taux d’intérêt diminués de la hausse des prix) ont été le plus sou vent inférieurs au taux de croissance de l’économ ie, c’est l’inverse qui s’est produit presque toujours en Europe (cf. graph ique 5). Cela signifie que rar es sont , chez nous , les projets d’investissements créateurs d’emplois dont les pers pectives de renta bilité peuvent rivaliser avec les placements sur les mar chés financ iers . Une grande par tie des financements distr ibués par les banques eur opéennes est ainsi as pirée dans des opérat ions financ ières, en particulier dans celles qui contr ibuent à financer les déficits amér icains ; mais ces financements font crue llement défaut à la croissance eur opéenne . Sor ties de capitaux et déloca lisat ions minent l’emploi et répandent la misère et le déses poir dans les régions industr ielles et les quar tiers populaires.

On obs er ve (voir tab leau page suivante) que l’écar t entr e le taux d’intérêt réel et le taux de croissance est par ticulièrement for t dans le pays où la conjonctur e est la plus médiocre, l’Allema gne. Les taux réels de marchés ont toujours été par ticulièrement élevés dans ce pays. Cela n’était pas un obst acle à la croissance tant que le finance ment du « capitalisme rhénan » était assuré par des relations très étr oites entr e le système banca ire et les entr eprises, petites et grandes , selon une forme de coo pérat ion qui donna it la priorité à la renta bilité de grands groupes et limitait la dépendance de l’économ ie envers les marchés financ iers . On peut émettr e l’hypothèse que depuis une quinzaine d’années deux choses ont changé : d’une par t, ce mode de financement a été largement mis en cause par la press ion des marchés financ iers , qui s’exerce sur les entr eprises et sur les banques alleman des comme sur celles du monde entier. Les échecs de la place financ ière de Francfort (pour tant au cœur du marché de l’eur o avec la présence de la BCE), dans la concurr ence contr e Londres et Euronext (qui regroupe Paris, Amster dam, Bruxelles et Lisbonne ) en sont peut-êtr e un témo ignage supp lémenta ire. D’autr e par t, les entr eprises alleman des tendent , depuis plusieurs années déjà, à investir à l’étran ger plutôt que sur le terr itoire national, rendant la conjonctur e de l’économ ie alleman de plus mau vaise que celle de ses principales multinationales (1). Celles-ci cons idèrent désorma is que l’économ ie alleman de n’a plus les moyens de financer son « modè le social », et le chance lier Schröder s’est montré prêt à sacr ifier son propre parti social-démocrate pour mener à bien les réformes qui rendront les salariés alleman ds auss i dépendants du marché du tra vail et auss i peu protégés que ceux des pays anglo-saxons.

Graphique 5 Taux réels de rendement des emprunts d’État à dix ans (ligne) comparés au glissement annuel du PIB (barres verticales) dans quelques grands pays (%)

États-Unis                                                                                                   

Japon                                                                             

France                                                                                                   

          

Allemagne

 

Zone euro                                                                                          

 

Grande-Bretagne

 

Source : Banque centrale européenne

Par contraste , l’act ivité économ ique en France , ou en Espa gne, paraît nettement plus soutenue , même si elle reste modeste en com paraison des États -Unis ou de la Grande -Bretagne. On observe ainsi qu’une monna ie unique, donc un taux de change unique et une politique monéta ire unique, ne se tradu isent pas par un rappr ochement des conjonctur es des principales économ ies de la zone eur o. C’est là plutôt un facteur de natur e à com pliquer la politique économ ique : pour dégager les moyens économ iques de constru ire une « Europe sociale », il faudrait pouvoir tenir com pte, de façon différenciée, de la situat ion de chaque pays. Mieux, il fau drait tenir com pte de la situat ion de chaque entr eprise et de chaque bassin d’emploi, et financer de façon sélective les invest issements qui contr ibuent à créer des emplois et à élever le potent iel des tra vailleurs , quitte à découra ger les investissements destructeurs d’emplois et les placements financ iers .

Il faudrait donc remettr e en cause , non seulement les principes actue ls de la construct ion monéta ire eur opéenne , mais auss i les critèr es de gest ion des entr eprises, et la press ion qu’exercent sur ces gest ions les immenses capitaux financ iers qui exigent des taux de profit de plus en plus lourds à suppor ter pour l’appareil productif. Comme l’avançait déjà Yves Dimicoli à un moment où toutes les illusions sur la « nou velle économ ie » n’éta ient pas encor e dissipées, les effor ts déployés par les groupes, en par ticulier amér icains, pour mettr e la révolution informat ionne lle au ser vice de la renta bilité du capital ont bien accé léré la croissance de la productivité du tra vail aux États-Unis mais au pr ix d’une suraccumu lat ion d e ca pita l matér iel (cf. graph ique 6) et financ ier qui pèse sur l’efficacité globale de l’économ ie (2). Contra irement à ce qu’écr it Patr ick Artus, directeur des étu des économ iques de la Caisse des dépôts, le capitalisme n’est pas « devenu fou (3) » : il se com porte conformément à sa logique profonde ; mais c’est cette logique même qui commence à app ara ître « folle » en regard du besoin immense de par tager entr e tous les êtr es humains les dépenses , les informat ions , les financements et les pouvoirs pour favoriser le développement de tous .

Graphique 6 – Une mesure de l’efficacité du capital matériel aux États-Unis

(PIB / stock d'équipements non résidentiels et de logiciels en volume, indice 100 en 1929)

 

Source : US Department of Commerce – Bureau of Economic Analysis

Pour assur er la renta bilité des capitaux accumu lés, il fau dr ait augmenter encor e la par t des profits dans les richesses créées ; mais l’exploitation accrue des salariés, la précar isation des emplois, la press ion sur les salaires, le démantè lement des systèmes de protect ion sociale minent la capacité de l’économ ie à produire ces richesses . Ces politiques ne peuvent pas êtr e poursu ivies indéfiniment sans se heur ter à des limites et à des rés istances . Les exigences de renta bilisat ion des capitaux entr etiennent donc des tens ions déflationnistes dangereuses . Cependant, souten ir l’accumu lation financ ière par une créat ion monétaire profitant en priorité aux marchés financ iers , comme les grandes banques centra les l’ont fait jusqu’à présent , ne peut pas êtr e une solution dura ble. Des liquidités qui ne corr espondent pas à des créat ions d’emplois et de richesses réelles créent un désé quilibre dont la montée des prix du pétrole est peut-êtr e un symptôme . Dans la hantise que ces pressions à la hausse des prix en viennent à enclenc her une accé lérat ion des salaires qui menacera it les profits des multinationales, les banques centra les amér icaine et britannique ont commencé à relever leurs taux d’intérêt . On s’attend à des gestes de même natur e de la par t de la Banque centra le eur opéenne . Cette man œuvre est dangereuse car elle peut précipiter plusieurs mécan ismes qui menacent l’économ ie mond iale, par exemple une désta bilisation du dollar due au déficit extérieur amér icain, un « atterr issage » br uta l de l’économ ie chinoise, ou un krach immob ilier (voir enca dré : A quoi ser t le cré dit ?).

 

Graphique 7 taux d’intérêt à court terme (%) représentatifs de la politique des principales banques centrales

Ces risques soulignent le besoin de solutions alternat ives suffisamment rad icales p our s’atta q uer au x causes profondes de la crise, en donnant la priorité au financement des dépenses pour les hommes , et en faisant donc reculer progress ivement les critèr es de gest ion et de financement capitalistes . Il existe donc un lien profond entr e la maîtrise des risques économ iques et la construct ion de rassem blements capables de répondr e à la crise politique qui secoue , en par ticulier, les démocrat ies eur opéennes .

  1. D’après un sondage de la Chambre de commerce et d’Industrie allemande, 43 % des entreprises envisageraient d’investir à l’étranger en 2004, alors que ce pourcentage ne dépassait pas 30 % il y a cinq ans (Les Échos du 31 août 2004).
  2. Yves Dimicoli, « ‘Nouvelle économie’ ou nouvelle phase de la crise systémique ? », La Pensée, n° 323, juillet-septembre 2000.
  3. La Tribune du 30 août 2004.

A QUOI SERT LE CRÉDIT ?

Selon le ministre allemand des Finances, « le principal frein à un développement économique encore plus soutenu » dans son pays est l’insuffisance du crédit. « La moitié environ des entreprises en Allemagne investiraient davantage si les conditions de financement étaient plus souples (1) ». Pourtant, l’Allemagne fait partie d’une zone monétaire où le crédit ne manque pas. Depuis la création de l’euro, sa progression a pratiquement toujours été supérieure à la limite fixée par la Banque centrale européenne (BCE) elle-même.

De fait, « les craintes exprimées par ses détracteurs les plus virulents, parfois confirmées par des déclarations stéréotypées, peuvent laisser croire que la BCE est obnubilée par la seule évolution des prix. Mais, dans son action, elle a su, conformément à son mandat, tenir compte du besoin de stabilisation de la conjoncture (2) », écrivaient les économistes Patrick Artus et Charles Wyplosz que le Conseil d’Analyse économique avait chargés, en 2002, d’évaluer son action.

Le problème est que les crédits qu’elle a ainsi laissé mettre à la disposition de l’économie européenne ne vont guère aux entreprises qui investissent pour créer des emplois et, lsurtout, ne servent en rien à les encourager dans ce sens. Entre le troisième trimestre 1997 et le quatrième trimestre 2003, les créances du système bancaire sur l’ensemble des agents économiques de la zone euro — autrement dit, les moyens de financements mis à la disposition des enreprises, des particuliers et des administrations publiques — ont augmenté au rythme moyen de 6,40 % par an. Dans la même période, le produit intérieur brut, c’est-à-dire la meilleure approximation disponible de la richesse créée chaque année par l’économie des douze pays de la zone, n’a augmenté que 3,94 % par an. Après correction de l’inflation, sa croissance moyenne n’a même été que de 1,93 %, tandis que les critères de financement des entreprises encourageaient celles qui délocalisent et détruisent des emplois.

À l’échelle de l’économie mondiale, le phénomène est sans doute encore plus marqué. La croissance américaine repose sur un crédit très bon marché, favorisé par le faible niveau des taux de la Réserve fédérale. Mais il y a plus. Les banques centrales asiatiques et européennes, en achetant sans cesse des titres américains pour empêcher ou limiter la hausse de leurs monnaies vis-à-vis du dollar, injectent de grandes quantités de monnaie dans l’économie mondiale, sans aucune garantie quant à l’efficacité économique de ces financements. Une remarque suffira sur ce point : investis en bons du Trésor américains, ces fonds servent donc d’abord à financer les énormes dépenses militaires de l’administration Bush. Résultat, les banques centrales alimentent l’inflation financière et immobilière. Tout s’est passé, en effet, comme si l’excès de monnaie qui avait gonflé le prix des actions jusqu’en l’an 2000 avait reflué, après la chute des Bourses, vers le marché immobilier, y faisant monter les prix sans création de richesses réelles supplémentaires, le faible niveau des taux d’intérêt nominaux encourageant les agents économiques à s’endetter pour acheter des logements. Si cette « bulle immobilière » venait à se dégonfler, ces millions de propriétaires fortement endettés seraient confrontés à la fois à une diminution de la valeur de leur patrimoine, à une remontée des taux d’intérêt et, peut-être, à un baisse de leur revenu, voire à la perte de leur emploi : voilà le scénario d’une catastrophe économique planétaire possible. Même si cette catastrophe peut être évitée dans les années qui viennent, il n’en restera pas moins que le crédit alimente, depuis des années, l’accumulation de capitaux financiers qui exigent toujours plus de rémunération, épuisant la capacité de l’économie mondiale à créer des richesses utiles. Cette distribution aveugle de crédits pose un problème aux autorités monétaires elles-mêmes. En novembre 2002, Ben Bernanke, membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine, livrait une réflexion sur les instruments dont les banques centrales disposeraient pour combattre une déflation (un cercle vicieux dans lequel la faiblesse de la demande entretient une baisse des prix qui ne débouche jamais sur une reprise des affaires : c’est ce qu’on a connu au Japon pendant la plus grande partie des quinze dernières années). Ses propos mettaient en évidence la nécessité de traiter de façon différenciée les crédits aux entreprises et les placements en fonds d’État, qui peuvent servir de réserves financières sans être liés à des opérations productives particulières. Plus récemment, des auteurs de la Banque des Règlements internationaux (3), du Fonds monétaire international (4) et de la Banque de France (5) ont mis en évidence le risque qu’une politique monétaire conforme aux normes de Maastricht, c’est-à-dire assurant de façon crédible la stabilité des prix, puisse encourager, en réalité, l’instabilité financière et les crises, en ouvrant la voie à l’inflation financière. Cette prise de conscience souligne, à l’inverse, la pertinence des propositions avancées de longue date par les économistes communistes, en faveur d’un crédit sélectivement orienté vers le financement des investissements créateurs d’emplois et vers les dépenses de formation et la maîtrise des nouvelles technologies.

Ce débat a cessé d’être purement théorique. D’un côté, le mouvement social commence à exiger des moyens (en particulier au niveau local et régional avec des fonds régionaux d’intervention pour l’emploi) pour contrôler l’usage des fonds publics et, par-là, influencer l’usage des profits des entreprises et l’orientation des crédits bancaires pour qu’ils servent davantage à l’emploi, à la formation, aux nouvelles technologies. De l’autre côté, sous l’empire de la nécessité, les banques centrales s’intéressent aux modalités de financement des entreprises : la Banque du Japon a mis en place en 2003 un dispositif de financement direct des PME qui a sans doute contribué au redressement de l’activité observé depuis lors. La Banque centrale européenne, quant à elle, s’interroge aujourd’hui sur la possibilité d’élargir à l’ensemble de la zone euro les procédures de refinancement des crédits bancaires aux entreprises, base technique indispensable de toute politique sélective du crédit, mais en usage aujourd’hui seulement en France et, à un moindre degré, en Allemagne, en Autriche et en Espagne. Tout incite donc les citoyens à s’intéresser à l’usage de l’argent, et en particulier du crédit bancaire. ■

Graphique 8 – Variation des prix de l'immobilier entre 1997 et 2004

  1. L’Agefi du 26 août 2004.
  2. Patrick Artus, Charles Wyplosz, La Banque centrale européenne, rapport du Conseil d’Analyse économique, La Documentation française, 2002.
  3. Claude Borio et Philip Lowe, « Asset prices, financial and monetary stability: exploring the nexus », BIS Working Papers, n° 114, 2002.
  4. Garry J. Schinasi, « Les banques centrales doivent-elles veiller à la stabilité des marchés financiers ? », Bulletin du FMI, 9 février 2004.

5 Jean-Stéphane Mésonnier, « Le ‘paradoxe de la crédibilité’ en question », Bulletin de la Banque de France, février 2004.