Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Comprendre, convaincre... et agir

C'est en avril 1954 que Econom ie et Politique a été créée par la direction du PCF. Cette décision fut bien accue illie par les militants , en par ticulier ceux qui, sous le drapeau du Par ti, agissa ient dans l’entr eprise et par nom bre de militants syndicaux. Même si cette parut ion com blait un vide, peu nom breux étaient cependant ceux qui, à l’époque, pouvaient appr écier pleinement la por tée et la valeur histor ique de cette décision et son avenir. Il n’était pas d’ailleurs assuré d’avance , Aujour d’hui, il est plus aisé d’évaluer la tra jecto ire parcourue : 50 années d’existence de la revue, c'est-à-dire d’une période d’intenses et rapides événements , de bouleversements majeurs dans l’ordre techno logique, économ ique, politique et culturel, en France et dans le monde , permettent de mieux mesur er la place quelle va occu per.

Ce n’est pas rien qu’un demi siècle d’existence pour une revue militante se réclamant ouvertement de la pensée de Marx, que de franch ir les turbu lences politiques de la société frança ise et de la scène internat ionale qui inclus la décolonisation et l’instaurat ion de la Vème République et est tra versé par les d évelo pp ements économ i q ues contra ires. Ils vont de la phase d’épanou issement en France du ca pitalisme monopo liste d’état , avec, ses contra dictions et ses conflits – et la période n’a rien d’un long fleuve tranquille – à l’entrée , au milieu des années 1970, dans les difficultés aigues de la crise systém ique.

Dans ces premières années d’existence la revue à une démar che plus descr iptive qu’analytique,reflet du retar d du tra vail de recherche théorique prenant peu en com pte, dans leur nou veauté et leur com plexité, les mou vements que nous venons d’évo q uer rap i d ement . Cela ne signifie pas que son app or t à la conna issance de l’économie contem poraine ait été sans portée, sans utilité, sans enrichissements pour la politique et pour l’action du mouvement ouvrier. Une consu ltat ion rap ide des somma ires des premiers numér os le montr e bien

Un premier numéro sp éci al N°5/6, de Juillet / Août 1954, La France et le s tr us ts, que Jacques Duclos, présentera , contr ibuera à asseo ir l’audience de la jeune revue att irant l’attent ion d’un public plus large, tant dans le mou vement ouvrier qu’au-delà de ses front ières, même si l’ana lyse théor ique sur laquelle il se fondait demeura it encor e éloignée du mou vement réel.

Les premières années d’existence vont êtr e affectées par des désaccor ds politiques . Les principaux dirigeants de la revue exprimeront des critiques et des doutes sur l’appréciation de la direction du PCF sur la paupérisation, puis sur l’évolution de la domination amér icaine, sur les contra dictions au sein de la classe dirigeante , les relations au PCF vont se dégrader et entra îner, dans le cadre de pesanteurs liées à une vision ancienne du débat politique et théor ique, des reman iements autor itaires dans la rédact ion et le changement de son directeur (1).

En cinquante années , les équipes qui ont assuré la rédac tion de la revue ont connu des renou vellements , ce qui est dans l’ordre des choses de la vie, y com pris dans la com position du noyau le plus res ponsa ble, mais elles ont tou jours été animées par les principes fondateurs . Elles seront com posées , dans des propor tions cer tes variables, selon les périodes, de dirigeants politiques , de militants , écono mistes de format ion ou non. Ils s’attacher ont à analyser les mouvements de l’économ ie en France , mais auss i en Europe et dans le Monde. En dépit de leurs origines et de leur centr es d’intérêts différents , puisque on y trouve des ouvriers , des employés, des cadres qui y côto ient chercheurs , ense ignants , hauts fonct ionna ires (souvent dotés de pseudonymes pour éviter la répr ess ion) dont cer tains venus de l’Adm inistrat ion écono mique. Tous militants politiques et/ou syndicaux. Ces équipes relativement stab les ac querr ont dans le tra vail collect if une grande homo généité. Constru ite autour de la revue, elle ne dissolvait pas les personna lités , ni n’empêchait les tra vaux personne ls.

C’était, auss i, une remar quable école de format ion théor ique et politique où les stimulants venaient du niveau théor ique élevé des objectifs communs aux par ticipants . Plusieurs d’entr e eux, jouer ont un rôle impor tant à la direction du PCF. D’autr es occu peront des fonct ions res ponsa bles dans le ser vice public, tel, par exemple, Claude Quin, por té à la présidence de RATP qui fut, pendant de longues années , le Rédacteur en chef de la revue.

Publication originale, dont le titre donne bien les ambitions, et la distingue des autr es publicat ions, qu’elles soient commer ciales ou aca démiques. Considérée dans sa longévité, l’originalité de la revue, tient essent iellement à son contenu , à sa capacité à prendre en com pte les situat ions et con ditions de cette période. Econom ie et Politique a toujours cherché à analyser les processus économ ique en par tant de leur racine, sans dogmatisme, ce qui la différenciera de cer taines publications dont le « rad icalisme » proclamé n’a pas résisté à l’épreuve de vérité du rée l. Refusant l’économ isme (2) stér ile ou la fuite dans la techn icité économ ique, elle témo ignera d’une grande constance dans sa volonté d’ar ticuler l’analyse économ ique, en lien avec l’évolution politique, les luttes de classe et dans la recherche d’issues dans la voie d’un réel dépassement du capitalisme. En disant cela personne on ne préten dra que la revue ait été exempte de défauts . Rendre justice à sa qualité, à son effor t n’est pas les ignor er, pas plus que les difficultés qu’elle connut à sa naissance . C’est la période suivante qui fut, selon moi, le temps fondateur de la revue, celui oû elle trouva sa stab ilité, son équilibre et une dynamique qui s’est poursu ivie. Nous sommes encor e quelques uns à pouvoir en témo igner. On ne peut pas, ne pas évoquer, ici, la for te personna lité de Henri Jour dain, qui la dirigera de 1961 à 1972. Sa modest ie, dou blée d’une human ité profonde, ne saura it faire oublier, son rôle cons idéra ble, ses grandes capacités, son au dace, son es prit ant icipateur, son profond attac hement à faire vivre le tra vail collectif. Chaque numér o était alors soum is à un examen – n’ayons pas peur du terme – autocr itique, rigour eux et par ticipant d’un constant souc i de perfectionnement d’un Comité de Rédaction que son attac hement à la revue ne privait pas d’exigences , de débats parfois pass ionnés . La fratern ité réelle, née d’un même com bat, ne s’y confondait pas avec la com plaisance . Si la vie de la revue n’était pas étr oitement subor donnée à la Section Econom ique du PCF, son essor résu ltera , pour beaucou p des tra vaux de celle-ci, elle auss i en plein élan. La revue bénéficiera de ses débats, de ses tra vaux, de son autor ité, sans se priver, pour autant , de concours dépassant ces frontières, par exemple, pour des quest ions sociales, sociétales ou internat ionales. Au nom bre des plus impor tants de ces tra vaux con duits à la Section Econom ique, diffusés par Econo mie et Politique, il faut certainement reten ir ceux de Paul Boccara sur le Capitalisme Monopoliste d’Etat, sa crise et la recherche d’issu es qui mar quer ont cer tainement une éta pe d’un por tée , à bien des égards majeur e, dans le développ ement de la théor ie qui allait fécon der le tra vail économ ique du PCF et de la revue. Ce qui ne signifie pas que les idées nou velles aient été immédiatement acce ptées. La revue jouera néanmoins un grand rôle dans leur diffusion. Les incom préhensions, le black-out médiatique n’empêcheront pas finalement un retent issement dépassant le cham p courant d’audience de la revue, pour tant non négligeable. La publication (3) des textes des inter venants à la Conférence Internationale sur le capitalisme monopo liste d’état , qui se tient à Choisy le Roi, du 26 au 29 mai 1966, am plifièrent cet appr ofondissement et lui donnèr ent une diffusion accrue, y com pris internat ionale qui contr ibua au rayonnement de la revue.

Parmi les inter ventions mar quantes qui jalonnent la vie d’Economie et Politique, on ne saura it négliger l’attent ion qu’elle por ta constamment aux con ditions de vie et de tra vail des salariés qui se tradu iront, dès le N° 2, par une impor tante étu de de Henri Krasuc ki, alors l’un des Secrétaires de l’U.D. de la R. P, et qui por tait sur « salaires et les primes », quest ion alors au cœur de la straté gie patr onale d’exploitation.

Un numéro triple spéc ial (N° 153-154-155) portant sur les besoins, le niveau de vie et le pouvoir d’achat des salariés sera publié, en avril 1967 Cette quest ion sera d’ailleurs tra itée (4) régulièrement dans la revue.

Elle sera l’une des rar es publications à montr er les caractèr es de la crise, son aspect dura ble, son contenu struc tur el et non simplement l’effet d’un mau vais moment conjonctur el, comme le préten dront la plupart des augures officiels et/ou aca démiques, avec son cor tège mass if de chômeurs , la dégradat ion de l’emploi et du tra vail, la montée d es iné galités sociales. Période de nouveaux mou v ements sociaux, dont le plus impor tant sera incontesta blement ce lui de mai 1968. La revue tra itera de ses résu ltats . Un numér o, p u b lié en octobr e 1967 (N° 159 ) , s’ou v r e sur les propositions de nat ion a l i s a t i o n concernant les secteurs clés de l’économ ie frança ise , il compor te une substant ielle étu d e d e Francette Lazar d sur le conce pt démocrat ique de nationa lisat ion. La Revue s’engagera pleinement dans le débat et les com bats sur le programme commun de la gauc he et son contenu .

Elle abordera, au cours du demi siècle, la plupar t des grandes quest ions économ iques et sociales allant de l’impérialisme contem porain à l’inté gration eur opéenne et ell e p u b liera d es étu des mar quantes sur l’Etat, sur la critique des plans officiels et à l’opposé sur le conce pt de planification démocrat ique. Fiscalité, protect ion sociale, p olitiq ue in d ustr ielle, q uest ions agraires, commer ce extérieur, cré dit, pr o blèmes finan ciers et monéta ires, entr e pr ises p ubliques , aména gement du terr itoire, c o n j o n c t u r e , classes soc iales, critèr es de gest ion de l’entr eprise, étu des sur les pays socialistes , mono graph ies sur des monopo les, l’énumérat ion est ingrate , mais ne donne qu’une idée appr oximative, forcément incom plète, de l’éten due du champ cou ver t et de ses rappor ts avec le mou vement réel de la société.

En avril 1977, la Revue annonce le changement de sa présentat ion. Elle n’a pas l’illusion de pouvoir ainsi rédu ire les difficultés de l’accès à l’économ ie, mais elle veut cependant les rédu ire par un effor t de présentat ion, un traitement encor e plus directement br anc hé sur l’actua lité et les débats afin de faciliter la com préhens ion suresdes rappor ts sociaux et économ iques, pour le s mieux tr ansformer. Cela se concrét isera dans les numér os suivants .

Pour ne parler que de ses app or ts les plus récents , comment ne pas citer ses substant ielles contr ibutions sur la Sécur ité d’emploi et de format ion, sur le financement de la Sécur ité sociale.

Ainsi, se poursu it l’effor t d’Economie et Politique que l’on p eut résumer d ans la tr i ple d éterm inat ion d e comprendre le mou vement rée l d e la soc iété , d’en convaincre ses lecteurs et à tra vers eux les masses populaires qui font l’histoire et donc, en consé quence , d’agir pour transformer le monde .

La pr éoccu pation est anc ienne . Elle est aujour d’hui toujours plus actue lle, pour trouver des issues à la crise et faire face aux déc haînements , à la violence des forces conser vatr ices – dans la collusion, de plus en plus patente et étroite, quoi qu’ils en disent, du Gouvernement, des formations politiques de la droite et du MEDEF – poursu ivant effrontément , quelque en soit le prix pour la population française, le remo delage à leurs fins de la société frança ise et des rappor ts internat ionau x. Elle s’inscr it dans l’inser tion dans la mond ialisation capitaliste, génératr ice de destruc tions mass ives des acquis sociaux, sacr ifiés à la guerr e économ ique. Cette entr eprise néfaste d’une bar barie cynique, cherche à masquer ses fins, voudrait annihiler toutes résistances et liquider toutes les aspirations progressistes . Une vaste offens ive idéologique et politique, l’accom pagne con duite sous le dr apeau du « libéralisme » faisant du « marché » le guide suprême au nom duquel est menée l’offens ive liquidatr ice contr e les ser vices et les protect ions sociales. Elle va se placer sous le camou flage des discours de la finitude (fin des idéologies, des classes , d u commun isme , etc …) et pr ésenter comme d es « réformes » (5) salutaires, incontourna bles, de désastr euses contr e les salariés, les retra ités et d’autr es catégories sociales qui vont encor e aggraver la crise. Les élections récentes ont montré leur refus par la grande majorité de la population. Les forces réact ionna ires enten dent ne pas en tenir com pte. Il est nécessaire que les forces populaires manifestent pleinement leur puissa nce sociale. Les forces réact ionna ires ne sont pas invincibles. Une vision claire des objectifs et des moyens est plus que jamais indispensa ble aux mob ilisat ions populaires. A son créneau de critique sociale et de propositions, Economie et Politique sera présente dans les débats et dans les com bats à venir■

  1. On lira avec intérêt sur cette tranche d’histoire importante de la revue les souvenirs de Henri Jourdain dans un dialogue avec l’historien Claude Willard,suivi d’un entretien avec Francette Lazard et Philippe Herzog, publié sous le titre : Comprendre pour accomplir, Editions Sociales, mars 1982.
  2. Le terme pour les marxistes désigne une tendance à rapporter l’explication de tous les phénomènes à l’économie ou la tendance à limiter l’action de la classe ouvrière à l’affrontement sur ce seul terrain. La première version peut être mobilisée par les conceptions réformistes accordées au refus de dépassement du capitalisme et transformer en acception de sa logique, la seconde version débouche sur l’anarcho syndicalisme. Une utilisation polémique du terme, dans les affrontements idéologiques, n’a eu comme résultat que de décourager de l’effort pour comprendre l’économie capitaliste et dissuader de l’action pour la dépasser réellement.
  3. Dans les numéros 145 / 146, où l’on trouve toutes les contributions françaises et étrangères
  4. Notamment sous la signature de Henri Nolleau, pseudonyme de Adrien Poisson, statisticien au Ministère de la Défense. Communiste, il est aussi un militant syndical dans son Administration et, à l’époque, le Trésorier de la Fédération CGT des Travailleurs de l’Etat.
  5. Appartenant au vocabulaire de la gauche, et plus particulièrement à celui des formations social-démocrates dans le monde, le mot de réforme, dévalorisé d’ailleurs par les politiques concrètes de ces formations lorsqu’elles ont accédées au gouvernement dans les dernières décennies, est l’objet, avec l’offensive libérale lancée dans le monde par R. Reagan et Mme. Thatcher, d’une confiscation totalement abusive par la droite conservatrice et réactionnaire. Rien d’étonnant à ce que M. Raffarin et les siens en raffolent.