Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Directive Bolkestein et décision du Conseil constitutionnel :

un cocktail explosif contre l’emploi, les salaires et les droits sociaux

Ce qu’on appelle les ser vices représentent 70% de l’activité économ ique et des emplois et plus de la moitié de l’activité du secteur privé (plus encor e dans les PME).

Le dumping social organisé

Les prestat ions de ser vice à l’intér ieur de L’Union Européenne sont libres et régies par une directive datée de 1996. Cette directive au nom de la libre concurr ence entr e entr eprises organise une concurr ence entr e tra vailleurs poussant au dumping social sur les salaires réels et sur les cotisations sociales et fiscales. Cependant elle com por te encor e un cer tains nom bre de garde fou pour se prémun ir des pires consé quences . En par ticulier la loi du pays d’accueil est obligatoire pour ce qui concerne notamment les salaires minima et la durée maximum du tra vail. Et sur tout chaque Etat reste libre d’imposer tout ou par tie de ses autr es règles de droit du tra vail aux entr eprises inter venantes étran gères et de mettr e en place les mesur es de contrô le adéquates . La France a, quant à elle, décidé qu’une part très impor tante de notr e droit du travail s’applique aux prestat ions de ser vices étran gères : toute la législation sur la durée du tra vail et les repos, tout ce qui concerne les salaires y com pris la mensua lisat ion, les class ificat ions et l’indemnisation des arrêts maladie..., la France conser vant auss i ses moyens de contrô le sur la durée du tra vail et le paiement des salaires (1). Rien par contr e sur le droit syndical, le licenc iement , l’accès aux Prud’hommes …. Le projet de direct ive sur les ser vices dite direct ive Bolkeste in casse ce com promis. En effet elle institue un principe nouveau appelé « loi du pays d’origine » : a priori c’est le droit social (protect ion sociale et droit du travail) du pays fourn isseur qui s’appliquera it (article 16). On conser verait seulement de la directive de 1996 le droit minimum, pour l’essent iel les salaires minima et la durée maximum du travail (article 17). Mais les Etats ne pourra ient plus décider de l’application des autr es règles du droit national ce qui aggrave cons idéra blement les risques de dumping social. De plus le contrô le se fera it dans le pays d’origine, le pays d’accue il ne pouvant plus rien vérifier même pas le bulletin de salaire ; dans ces con ditions le res pect des salaires minima et de la durée maximum du tra vail devient illusoire ; on conna ît déjà des chantiers tra ités à 1000 eur os pour 60 heur es par sema ine, donc bien en dessous du smic. La directive Bolkenste in aura it pour effet de régulariser les fraudes actue lles et de faciliter le non res pect des quelques droits maintenus . On imagine les consé quences dr amat iques d’un tel dispos itif sur l’em ploi et sur les salaires. Consé quences d’autant plus exacer bées que depuis le 1er mai 2004 dix nou veaux pays à bas salaires peuvent inter venir en France pour effectuer des prestat ions de ser vices. Rien n’inter dirait à une entr eprise frança ise d’installer une filiale en Europe de l’Est (ou en Angleterr e), de recruter des tra vailleurs via cette filiale et de venir tra iter à prix cassés en France . Rien n’inter dirait d’ailleurs à cette filiale de recruter dans les mêmes con ditions au raba is des tra vailleurs de France privés d’emplois. Ce sera ient les sinistr es méthodes des pavillons de com plaisance appliquées à la moitié de l’act ivité économ ique. Ce sera it autoriser des salaires beaucou p plus bas pour les tra vailleurs immigrés.

Le Conseil Constitutionnel devance les exigences des libéraux

La France pourra it théor iquement rés ister juridiquement à cette directive en arguant de notr e principe de la terr itor ialité des lois nationales d’ordre public ou du principe de l’égalité de tra itement entr e tra vailleurs . Mais le Conse il Const itut ionne l vient d’ôter tout espoir de ce côté . En effet dans une décision du 10 juin 2004 le Conse il décrète que les seules direct ives qu’elle censur era sont celles contra ires à une dispos ition « expresse » de la Const itution. Hormis les règles de fonct ionnement des inst itut ions, nos textes const itutionne ls de base sont formés de principes hérités de la Révolution et de la Libérat ion qui sont aujourd’hui presque tous universe llement reconnus , aucun législateur eur opéen n’osera it proposer un texte heur tant de front et clairement un de ces principes. Mais le droit const itut ionne l est beaucou p plus riche, il est auss i formé de lois ayant acquis la force de principes (le Préambu le de 1946 donne explicitement valeur const itut ionne lle à ces principes) , de l’inter pr état ion donnée aux principes par le Conse il d’Etat, la Cour de Cassat ion ou le Conse il Constitutionnel….Dans sa décision du 10 juin le Conse il Const itut ionne l déclare en substance que face au droit eur opéen tout cela ne com ptera plus, il faudra un ar ticle précis de la Const itution pour s’opposer aux directives de Bruxelles. Par exem ple le principe de la terr itor ialité des lois d’ordre public n’est pas écrit dans la const itut ion mais figur e dans le code civil, le principe de l’égalité de tra itement dans le code du tra vail, par consé quent , selon le point de vue du Conse il, ils ne pourra ient êtr e utilisés pour résister à la directive Bolkeste in. On voit qu’il est extrêmement dangereux de croire que le Conse il aura it sauvegardé l’essent iel en brandissant la Const itut ion comme garant ie contr e les agressions capitalistes de la Commission de Bruxelles. C’est en fait le contra ire, le Conse il parle de la Const itution mais pour l’ignor er, il renonce à son devoir de protect ion des lois fondamenta les de la République, il invente une Const itution peau de chagrin pour faire place nette devant les exigences des libérau x eur opéens de tous bords. Il valide par avance la directive Bolkeste in pour favoriser les profits financ iers , baisser les salaires et mainten ir un niveau de chômage élevé.

On peut dans cette affaire êtr e tenté par un débat de juristes , par l’examen savant des textes. Ce sera it mépr iser la sou vera ineté populaire. Depuis la Révolution frança ise c’est le peuple qui est souverain pour le choix des inst itutions . Les textes fon damentau x, les orientat ions essen tielles de la République n’ont pas besoin de la lectur e éclairée de spéc ialistes ; la Déclarat ion des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le Préambu le de la Const itut ion de 1946 sont suffisamment cour ts et explicites pour que tous les citoyens en saisissent la por tée. Par exemple l’ar ticle II de la Déclarat ion de 1789 stipule que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » et l’ar ticle VI que « la loi est l’expression de la volonté générale » : personne ne peut souten ir que les Français aura ient renoncé à la souveraineté nationale à l’occasion des débats et consu ltat ions relatives à l’Europe, aucun dirigeant politique n’a jamais donné cette significat ion aux différents tra ités , même les plus chauds par tisans des tra ités success ifs ont toujours juré leurs grands dieux que la sou vera ineté

nationale éta it préser vée. Aucune inst itut ion ne p eut d onc a pr ès cou p décréter le contra ire en affirmant que l e Peu p l e n’avait p eut êtr e r ien vu mais que le renoncement à cer tains de nos principes figur e imp lic itement dans les

traités. Le renoncement aux principes de la souveraineté nationale supposera it d’ailleurs une révision de la Const itution. Ecar ter l’application d’une par tie de la Const itut ion contr e la volonté populaire, comme le fait aujour d’hui le Conse il Const itut ionne l, cela s’appelle un cou p d’Etat.

Tout faire pour le retrait de la directive Bolkestein

Il est vraiment urgent de tout faire pour le retra it de la directive Bolkeste in. Le gouvernement frança is annonce qu’il a deman la mod ificat ion de ce texte. Dont acte . Mais on ne peut, vu le danger gravissime, en rester à des appr oximations. Le gouvernement doit dire publiquement les deman des précises qu’il formu le. L’affaire mérite un débat national. Au minimum la France doit conser ver le droit d’imposer l’ensem ble de la législation du tra vail nationale à toute entr eprise inter venant sur le terr itoire et garder les moyens de contrô ler l’applicat ion de ces règles. Il reste d’autr e par t poss ible d’exploiter, comme l’Allema gne l’a fait, le délai de 5 ans pour la liber des prestat ions de ser vices en provenance des nouveaux membr es de l’Union et de mettr e à profit ce délai pour bâtir une char te sociale de droits sociaux alignés sur les meilleurs droits. C’est le moyen de conc ilier liber de circulation des tra vailleurs avec des garant ies salariales contr e le dumping social.

1. Articles L 341-5 et D 341-5 et suivants du Code du travail.