Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La question de la dette des hôpitaux publics

L’explosion de la dette hospitalière pose en 2014 un problème majeur de survie à l’hôpital public. Les instances de contrôle comme la Cour des comptes, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (Mecss) s’en émeuvent, feignant de le découvrir. C’est un des aspects les plus tordus de la politique de santé de ces dernières années. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Qui a décidé quoi ? Dans quel but ?

Rappel historique

Le financement de l’hôpital public est le fruit de l’histoire. Il a une structure profonde qui a du sens et toute modification de ce financement a des conséquences bien au-delà des simples mesures budgétaires. De façon sommaire, on peut dire que l’État est le propriétaire de l’hôpital public. Il en est également le dirigeant car c’est lui qui a la maîtrise de la politique de santé. Le budget de fonctionnement est globalement assuré par l’Assurance maladie ainsi que par les assurances complémentaires et marginalement par les usagers. On peut dire que c’est ainsi qu’est prise en charge toute la partie médicale. Quant à l’investissement, c’est le propriétaire qui paie. Et s’il demande des choses particulières d’intérêt public, il les finance aussi : exemple les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC).

Rappelons que l’hôpital public a d’abord eu une mission sociale avant même que la médecine moderne n’existe et ne se développe au xxe siècle. Cette mission sociale a parcouru les siècles et est la véritable origine de la mission de service public de l’hôpital. On en trouve par exemple la trace dans l’intitulé de « l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris » où l’assistance précède la référence hospitalière. Au ive et au ve siècles les maisons d’hospitalité apparaissent, créées par l’Église pour accueillir les malheureux, malades ou trop âgés, ou encore les pèlerins. Progressivement, les institutions hospitalières sont de plus en plus surveillées par la Royauté pour des raisons d’ordre public. François 1er crée le Grand Bureau des Pauvres, qui avait pour mission de coordonner l’activité des hôpitaux du royaume et confère aux officiers royaux l’administration hospitalière. En 1551 : Henri II instaure une taxe communale, le droit des pauvres, pour rééquilibrer les comptes hospitaliers. En 1662 : Louis XIV demande la création, dans chaque ville importante, d’un hôtel-Dieu et d’un hospice pour y recevoir et « renfermer les pauvres, vieillards, vagabonds, enfants orphelins et prostituées ». Les hôpitaux sont confisqués aux congrégations religieuses en 1790 et un décret du 23 messidor de l’an II (1794) nationalise les hôpitaux. Le 7 octobre 1796, la situation des hôpitaux étant devenue plus critique qu’auparavant, le Directoire remet aux communes la gestion des hôpitaux. C’est là l’origine de la place particulière des maires dans les conseils d’administration des hôpitaux publics, qui sera abolie par la loi HPST sous Sarkozy. C’est donc la période révolutionnaire qui place l’hôpital sous le contrôle de la République et qui en confie la gestion centrale à l’État. Le budget public (fiscalité) assure les besoins matériels. Avec la création de la Sécurité sociale en 1946, le financement de l’activité hospitalière va se modifier. Si une part non négligeable va continuer de relever du budget de l’État, le financement des soins médicaux va progressivement être assuré par les cotisations sociales. Ce budget est devenu très important au fur et à mesure du développement de la médecine. L’hôpital utilisait plus de 50 % du budget de l’Assurance maladie il y a peu. Aujourd’hui, il n’en consomme plus que 42 % environ.

Le premier texte qui bouleverse cet équilibre ancien est l’Ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé ainsi que des procédures de création d’établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux soumis à autorisation. En particulier elle instaure de nouveaux modes de financement des investissements et du fonctionnement des hôpitaux avec le recours désormais autorisé au bail emphytéotique administratif étendu aux immeubles et aux biens meubles et l’ouverture du marché des grands hôpitaux au partenariat public-privé, véritable formule d’affermage des hôpitaux à des constructeurs en contrepartie du paiement d’un loyer mensuel par l’hôpital. Dans un contexte de maîtrise comptable des dépenses de santé opérée par le tournant politique des années 1990, cette privatisation du financement des hôpitaux apparaît comme un ballon d’oxygène avec, en contrepartie, une hypothèque pour l’avenir de la politique hospitalière de plus en plus favorable aux grandes concentrations. Ce financement à crédit a été la base du plan de rénovation hospitalière dénommé plan Hôpital 2007 porté par F. Mattei alors ministre de la Santé, qui ouvrait une option d’endettement bancaire des hôpitaux publics à hauteur de 10 milliards d’euros.

Lors d’une communication (1) en avril 2014 à la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, la Cour des comptes a parlé d’un emballement de la dette hospitalière et a signalé un triplement en dix ans mettant le secteur hospitalier en situation critique. Tout est dit, sauf les causes de cette situation. Le rapport souligne à juste titre une « responsabilité au premier chef » des pouvoirs publics. Mais il ne dit mot sur le ralentissement de la croissance économique induisant une perte de recettes potentielles de la Sécurité sociale, ni sur les choix d’austérité des politiques publiques au nom de la résorption des déficits et des dettes publics, et encore moins sur l’accompagnement des gouvernements successifs des politiques de restriction salariale et de flexibilisation de l’emploi et du marché du travail qui affaiblissent l’évolution des salaires à l’origine du ralentissement de ces recettes. Au fond, le rapport s’intéresse aux symptômes de l’hôpital public, mais pas aux causes de ses difficultés. Pas étonnant dans ces conditions que l’objectif défini soit la réduction de la dette hospitalière, et non l’accroissement des recettes de l’hôpital. Et pas étonnant non plus que la voie suivie mène à l’échec et à l’affaiblissement de l’offre publique.

La dette à moyen et long terme des établissements publics de santé (EPS) a triplé en dix ans, pour atteindre 29,3 milliards d’euros à la fin 2012, soit 1,4 % du PIB. Après des années de croissance annuelle supérieure à 15 %, un début de ralentissement peut être observé depuis 2010, le taux de progression de la dette à moyen et long terme des EPS étant revenu à 6 % en 2012. La dette hospitalière globale dans les comptes nationaux atteignait 32,4 milliards d’euros à la fin 2012, soit 1,6 % du PIB. Elle représentait 17 % de celle des administrations publiques locales au sens de l’INSEE en 2012, contre 9 % en 2002. La durée résiduelle de la dette s’établissait fin 2012 à 18,5 années. Cette valeur moyenne recouvre des durées de vie résiduelles nettement plus longues pour une partie de l’encours : en 2012, 27 % de l’encours avait une durée de vie résiduelle supérieure à 25 ans, et 4 % supérieure à 30 ans. Le reste de l’encours, soit 47 % du total, est composé en majorité d’emprunts à taux variable.

Le niveau atteint apparaît critique. Le service de la dette atteignait 4,1 % des produits d’exploitation fin 2011, alors que le taux de marge brute non aidée des établissements publics de santé, qui doit également financer des investissements annuels incompressibles, s’élevait à 5,1 %. Sans amélioration de la marge brute des hôpitaux, ou sans octroi d’aides financières extra-tarifaires, le poids actuel de l’endettement met donc les hôpitaux dans l’incapacité de financer à l’avenir leurs investissements courants.

Les besoins d’investissements hospitaliers étaient considérables d’autant plus que l’État n’avait pas procédé aux investissements nécessaires depuis des années. Il suffit de voir l’état des bâtiments pour comprendre la situation. La possibilité pour les établissements depuis l’autorisation voire l’encouragement à l’endettement ouvrait des perspectives à court terme pour répondre aux besoins. Nous avons assisté alors à une politique d’investissements massifs fondée sur l’emprunt.

Cette progression spectaculaire trouve pour l’essentiel son origine dans le cadre des plans nationaux Hôpital 2007 et Hôpital 2012 que nous avions été les seuls à dénoncer. Dès lors est apparue une contradiction évidente : les investissements ont été calibrés en fonction des besoins et non en fonction des capacités des établissements à répondre à un modèle financier. C’est ce que la Cour appelle : « non prise en compte suffisante des considérations d’efficience » et « viabilité économique insuffisante ». À l’instar du plan Hôpital 2007, engagé en 2002, qui a fortement contribué à la hausse de l’endettement hospitalier en encourageant le recours aux crédits bancaires, le plan Hôpital 2012 a favorisé le financement des investissements par la dette, les aides au remboursement des emprunts prenant le pas sur les aides en capital, plus consommatrices de ressources de l’assurance-maladie intégrées dans l’ONDAM de l’année. Les deux plans hospitaliers ont privilégié le recours à l’emprunt par rapport aux aides en capital, dans des proportions qui se sont accrues au fur et à mesure que le nombre et le montant des opérations retenues dépassaient les objectifs initiaux. Les subventions en capital, versées à partir du Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP), lui-même alimenté par une dotation de l’assurance maladie, devaient initialement représenter 1,5 milliards d’euros dans le plan Hôpital 2007 ; 4,5 milliards d’euros d’investissements devaient être financés par ailleurs par 430 millions d’euros d’aides annuelles en fonctionnement, destinées à couvrir les charges d’intérêts et d’amortissement des emprunts contractés par les hôpitaux. La sélectivité insuffisante des opérations aidées du fait notamment des multiples priorités définies par les pouvoirs publics qui se sont superposées sans procédure rigoureuse a entraîné un gonflement de la part financée par l’emprunt. Celle-ci a été en définitive près de trois fois supérieure aux objectifs initiaux.

Les gestionnaires hospitaliers, poussés par le principe de la tarification à l’activité (travailler plus pour gagner plus, n’est-ce pas ?) et une conception entrepreneuriale, ont eu une vision exagérément optimiste de l’accroissement de l’activité des établissements publics et de sa traduction en termes de recettes de nature à fausser les perspectives de financement. Ce parti pris n’a intégré cependant ni les ré-allocations qui devaient être effectuées entre les établissements de santé dans une logique de convergence tarifaire (plus d’1,2 milliard d’euros de financements a été ainsi redistribué entre les hôpitaux comme conséquence du passage à la tarification à l’activité), ni la compensation de la hausse globale de l’activité par une baisse régulière des tarifs des séjours hospitaliers. Le ralentissement de la progression de l’ONDAM, qui atteignait 4 % en 2003, pour revenir à 3,9 % en 2007, et s’établir à 2,5 % en 2012 (2), n’a pas été anticipé dans les projections financières produites à l’appui des projets d’investissement financés par l’emprunt. Les recettes de la Sécurité sociale se contractant ne pouvaient assurer ces financements, d’autant plus qu’elles n’ont jamais été prévues pour cela. Enfin la T2A tend un piège terrible puisqu’elle est à enveloppe fermée. Dans tous les cas il était impossible de dégager du financement pour la dette sauf à supprimer des services et du personnel : n’était-ce pas cela le véritable objectif du pouvoir ?

Enfin, n’oublions pas que cette dette était une bonne affaire pour les banques en crise : un gros emprunteur dont la dette est sans risque puisque garantie en dernier recours par l’État. D’ailleurs, la forte croissance de l’endettement hospitalier a été facilitée par la suppression quasi totale des contrôles sur les emprunts des hôpitaux publics par les ordonnances de 2005 supprimant la délibération des conseils d’administration sur l’emprunt puis par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » de juillet 2009 qui a considérablement renforcé en ce domaine les pouvoirs propres des directeurs d’établissements. Il fallait « un » chef unique par établissement ! Ce n’est qu’ensuite que la situation, au tournant des années 2010, a conduit les pouvoirs publics à encadrer le recours des établissements publics de santé à l’emprunt en subordonnant ce dernier à l’autorisation des agences régionales de santé pour les hôpitaux les plus endettés. Les modalités de soutien aux opérations des hôpitaux ont alors été revues en privilégiant désormais les aides en capital par rapport aux aides à l’endettement, et en fixant un objectif de taux de marge brute d’exploitation aux établissements publics de santé souhaitant mener à bien un projet d’investissement. On ne peut qu’être d’accord avec le retour à l’aide en dotation de capital par l’État et qu’être opposé à cette idée qu’un hôpital puisse dégager des bénéfices pour porter ses emprunts alors que rien dans le financement hospitalier par la Sécurité sociale n’a été conçu pour cela. Les tarifs hospitaliers n’ont jamais été élaborés en tenant compte de faire supporter le budget investissement par le budget fonctionnement. La marge brute non aidée des hôpitaux publics s’élevait à 5,1 % de leurs produits d’exploitation en 2011. Elle devait couvrir un service de la dette qui représentait à lui seul 4,1 % des produits d’exploitation. Elle ne suffisait donc pas, en l’état, pour financer sans aides complémentaires les investissements courants incompressibles du secteur hospitalier.

La Cour parle de rigueur absolue ! Elle dit que le recours à l’endettement doit être réservé aux projets économiquement viables. Qu’est-ce que cela veut dire en matière hospitalière et de service public ? Et les malades, sont-ils « économiquement viables » ? On est dans un monde absurde. La Cour devrait relire Schopenhauer qui remarquait que la vie est une entreprise qui ne couvre pas ses frais.

Les dettes non financières et les ruptures de trésorerie

Cette situation s’est accompagnée d’un gonflement des dettes non financières entraînant des tensions de trésorerie récurrentes. En 2011 et 2012, les tensions sur la trésorerie de certains hôpitaux se sont traduites par une hausse de leur dette non financière (notamment de leur dette sociale). Parmi les dettes fiscales et sociales, les dettes vis-à-vis de l’URSSAF connaissent un fort accroissement en 2011 (+ 19 %, à 584 millions d’euros), puis diminuent légèrement en 2012 (- 1,8 %, à 576 millions d’euros). Les dettes vis-à-vis de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui couvre les fonctions publiques territoriale et hospitalière, se sont également significativement accrues en 2011 : les montants figurant dans les comptes des établissements ont augmenté de 24 % pour atteindre 283 millions d’euros, avant de revenir à 262 millions d’euros en 2012.

Certains établissements de santé sont proches de la rupture de trésorerie. Les réticences des banques à accorder des crédits à court terme au secteur hospitalier se sont traduites par le non renouvellement de certaines lignes de crédit et par l’abaissement des plafonds d’emprunt, certains établissements de santé se trouvant de ce fait confrontés à une véritable impasse. La Cour des comptes déclare que « l’expérimentation d’émission de billets de trésorerie par les trois plus importants établissements publics de santé, dotés d’une surface financière et d’une organisation administrative suffisantes, serait à cet égard souhaitable ». On peut douter de telles propositions qui laissent penser que la seule gestion par des techniques financières est de nature à régler des problèmes d’insuffisance de ressources. De ce point de vue les hôpitaux ont déjà donné !

Nous avons toujours proposé que les hôpitaux (mais aussi la Sécurité sociale) puissent directement s’adresser à la Caisse des dépôts pour leurs opérations sans passer par les banques privées qui se contentent d’aller chercher auprès des banques centrales les fonds dont elles ont besoin pour les re-prêter aux structures publiques et empocher au passage des bénéfices « illégitimes » qui ne font qu’aggraver la situation des emprunteurs. À la suite de la crise financière de 2008 puis du démantèlement de Dexia, l’intervention de la Caisse des dépôts et consignations et les financements de la Banque européenne d’investissement et de l’Agence française de développement ont permis d’éviter une trop forte contraction des crédits bancaires offerts aux hôpitaux. La montée en puissance de la Banque postale collectivités locales, opérationnelle depuis février 2013, devrait consolider la part des intervenants publics dans les financements hospitaliers.

La Cour reconnaît d’ailleurs que « si l’action des pouvoirs publics a permis d’éviter un assèchement des financements, les hôpitaux demeurent pénalisés par le niveau élevé des marges bancaires qui leur sont appliquées. Le lancement d’émissions obligataires groupées des centres hospitaliers universitaires a répondu à un souhait de diversifier les ressources de long terme des hôpitaux et d’en réduire le coût, en s’inspirant de la démarche initiée par l’AP-HP. Le développement de ce mode d’appel aux marchés financiers ne peut être envisagé qu’avec prudence. » Et même avec méfiance. Non seulement ce recours aux marchés ne réduira pas les prélèvements financiers ; bien au contraire, il va les renforcer. Mais surtout, il ouvre la voie à une pénétration massive des fonds de pensions dans le pilotage des gestions hospitalières. De sorte que la rentabilisation financière de l’investissement de ces fonds de pension pourrait alors primer définitivement sur les objectifs sanitaires de l’hôpital public.

Les problèmes de trésorerie générés par ces difficultés s’aggravent du fait des lignes de trésorerie coûteuses, dont le renouvellement est souvent problématique. D’après les données de la DGFip, 201 établissements avaient recours en 2011 à des lignes de crédits de trésorerie, soit un cinquième d’entre eux. Cette part est en augmentation (seuls 115 établissements étaient concernés en 2003), et recouvre désormais toutes les catégories d’hôpitaux. Il s’ensuit des facilités de crédit accordées désormais avec réticence par les banques. Les banques justifient leur attitude plus restrictive par leur perception du risque hospitalier, ternie par quelques incidents de paiement en 2012 : le centre hospitalier de Briançon a ainsi été menacé d’une procédure d’inscription en impayé à la Banque de France par la Société générale, ainsi que d’une procédure en référé de la banque Dexia. L’évolution du cadre prudentiel constitue un autre argument : les lignes qui ne sont que partiellement utilisées sont, en effet, fortement pénalisantes pour le respect du ratio de liquidité (Liquidity Coverage Ratio) prévu par les accords de Bâle III (dont l’entrée en vigueur a cependant été repoussée à 2015). La prudence des prêteurs se traduit en premier lieu par une diminution des disponibilités, et en second lieu par un renchérissement des marges bancaires. Les mises en réserve de crédits finançant les missions d’intérêt général et des aides contractuelles (MIGAC) ont donné lieu à des déblocages tardifs, en fin d’exercice, de ces dotations qui complètent les financements tarifaires. Le passage en 2013 à une régulation tarifaire reposant sur l’octroi d’un complément de dotation en fin d’année en l’absence de dépassement des objectifs de progression de la dépense, fait peser un aléa supplémentaire sur la date et le niveau des versements de l’assurance maladie effectués en fin d’exercice.

Les banques ont été malhonnêtes avec les hôpitaux

Les hôpitaux ont été nombreux à souscrire des emprunts structurés, assortissant une bonification initiale des taux d’intérêt d’un risque d’accroissement important des charges financières au cours d’une deuxième phase. Les emprunts les plus risqués, interdits par la charte de bonne conduite signée par les banques en 2009 à l’issue de la mission de médiation confiée par le Premier ministre à M. Éric Gissler, représentaient fin 2012 près de 1 milliard d’euros, soit 4 % de l’encours total des établissements publics, et étaient concentrés sur moins d’une centaine d’établissements de santé. Les encours à risque élevé (interdits ou classés parmi les plus élevés par la charte) atteignaient 2,5 milliards d’euros, soit 9 % de l’encours total. Un examen des encours de la Société de financement local (SFIL), héritière de la majeure partie des encours de Dexia, montre que 19 % des créances de cette banque sur les hôpitaux peuvent être qualifiés de « structurés sensibles », soit une proportion équivalente de celle constatée pour les collectivités locales (20 %).

Alors que de nombreux contrats ont déjà basculé en phase de majoration des taux d’intérêt, le coût de sortie des emprunts structurés apparaît extrêmement élevé ; près d’1 milliard d’euros fin 2012 pour sortir des emprunts hors charte, les indemnités de remboursement anticipé atteignant 1,4 milliard d’euros pour l’ensemble des emprunts à risque élevé. À partir de la clôture des comptes 2013, les hôpitaux devront progressivement mettre en œuvre un provisionnement de ces emprunts structurés.

La Cour parle de « sensibiliser » les hôpitaux aux risques bancaires : on se moque du monde. Il faut interdire ces pratiques et l’État à la responsabilité de sortir les hôpitaux de l’ornière dans laquelle certains se trouvent de son fait.

La Cour fait des recommandations bien ambiguës qui refusent de sécuriser les financements des hôpitaux publics

1. Réserver le financement des investissements par l’emprunt exclusivement aux projets permettant aux établissements publics de santé d’atteindre un taux de marge d’au moins 8%. Non seulement c’est impossible en l’état, presque personne ne sera au rendez-vous, sauf à amplifier la concentration hospitalière et à développer ses activités commerciales pour générer des ressources extra-sanitaires (n’est-ce pas d’ailleurs ce que propose la loi Macron ? ! ?). Mais surtout cela n’a pas de sens sanitaire : le taux de marge est donné par le rapport bénéfice brut/VA indiquant ainsi le partage de la valeur ajoutée produite par l’entreprise. Quel sens cela peut-il avoir pour un établissement hospitalier public ? Qu’appelle-t-on « bénéfice brut » pour un établissement public hospitalier et comment est-il construit au regard des missions de service public hospitalier ? De plus, les variations des taux de marge sont souvent expliquées par les variations du coût du travail, et bien moins par les variations de prix des productions ou de la demande tout autant déterminants dans la définition du bénéfice brut. Or avec la T2A, les prix des prestations varient d’un exercice sur l’autre, et souvent à la baisse. De même, avec les déremboursements des soins et l’explosion des prix des mutuelles, les usagers réduisent leur demande de soins, y compris hospitaliers en préférant repousser au dernier moment leur hospitalisation. De sorte qu’en fin de compte, sans peser sur le coût du travail, et donc sur l’emploi des personnels de santé, le « taux de marge » des établissements ne pourra atteindre le niveau requis pour déclencher leur capacité d’emprunt bancaire ainsi définie, bloquant de fait leur possibilité de modernisation pour répondre aux besoins de prise en charge de haut niveau des malades… Une telle recommandation de la Cour, qui ne s’accompagnerait pas d’une remise en cause de la politique de réduction de la dépense publique et sociale, aboutirait en pratique à la mort de l’hôpital public ! C’est à l’État d’assumer l’investissement par les moyens qu’il jugera utiles et ce n’est pas le taux de marge qui doit conditionner cet investissement : ce sont les besoins !

2. Généraliser à l’ensemble des établissements publics de santé l’obligation de construire un plan prévisionnel de trésorerie sur six mois glissants. Comment imaginer des établissements sans plans de trésorerie ? Que ne l’a-t-on fait plus tôt ?

3. Permettre l’expérimentation par les trois plus grands centres hospitaliers régionaux de l’émission de billets de trésorerie. Cette proposition est contradictoire avec la volonté de réduire la pression financière sur les établissements hospitaliers. Un billet de trésorerie est un titre de créance négociable émis par une entreprise à la recherche de liquidités. Si les établissements hospitaliers peuvent émettre des billets de trésorerie pour leur gestion à court terme, cela aura pour conséquence un accroissement des prélèvements financiers par des tiers et donc de leur dette à court terme. Non aux expérimentations dangereuses qui videront les caisses de ces établissements !

4. Définir au niveau central une démarche d’ensemble claire et organisée de désensibilisation des emprunts structurés souscrits par les établissements publics de santé, faisant apparaître les priorités et les modalités de la sécurisation des encours des hôpitaux. Non, il faut arrêter toute cette mécanique absurde : la seule sécurisation, c’est la sortie des emprunts.

5. Envisager pour le secteur hospitalier la création d’un dispositif spécifique de soutien partageant l’allègement du coût de la neutralisation des risques attachés aux emprunts structurés entre les banques et les emprunteurs. Nous préférons une démarche qui affranchisse clairement les établissements de ce boulet.

6. Obliger les directeurs des établissements à présenter annuellement au conseil de surveillance la stratégie de gestion de la dette de l’établissement, précisant, le cas échéant, la démarche de sécurisation des emprunts structurés, avant transmission à l’agence régionale de santé pour approbation. Retour à une démarche démocratique de décision collective et abolition de la Loi HPST sur ce point !

Les partenariats public/privé ont été un échec particulièrement coûteux

L’obligation depuis 2012 de retracer intégralement dans les comptes hospitaliers les engagements pris dans le cadre des différentes formes de partenariats public-privé (PPP) pour mieux mesurer les charges en résultant pour les établissements, a conduit en effet à inscrire 1 149 millions d’euros supplémentaires au bilan des EPS. La Cour constate que ces PPP, introduits à l’occasion du plan 2007, ont été conçus sans prudence, sans méthode de contrôle, sans clarté, sans expertise suffisante des directions d’hôpital, et ont abouti à des contentieux au coût exorbitant. L’hôpital sud-francilien tant souhaité par Sarkozy et par Valls est un exemple édifiant !

Les établissements considérés comme fortement endettés au sens du décret de 2011 sont plus nombreux parmi les centres hospitaliers régionaux et universitaires et les centres hospitaliers gros et moyens, dont ils représentent près de la moitié (respectivement 48 % pour les CHR- CHU, 49 % pour les hôpitaux ayant un chiffre d’affaires supérieur à 70 millions d’euros, et 43 % pour ceux dont le chiffre d’affaire est compris entre 20 et 70 millions d’euros), tandis qu’ils sont moins nombreux parmi les anciens hôpitaux locaux, les petits centres hospitaliers et les anciens hôpitaux psychiatriques. Un examen plus détaillé révèle que certains établissements dépassent de très loin les seuils fixés par le décret de 2011, tels le CHU de Saint-Étienne qui a une durée apparente de dette de 18 ans, un taux d’endettement de 61 % et un taux de dépendance financière de 82 %, ou le centre hospitalier intercommunal André Grégoire à Montreuil (Seine-Saint-Denis) qui a une durée apparente de dette de 15 ans, un taux d’endettement de 96 % et un taux de dépendance financière de 77 %.

La Cour affiche enfin maintenant une préférence pour les aides en capital

Pour les opérations supérieures à 50 millions d’euros, qui relèvent désormais du comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO) et doivent faire l’objet d’une contre-expertise du commissariat général à l’investissement (CGI), une doctrine d’allocation des aides à l’investissement a été précisée en mai 2013. Cette dernière tend à limiter l’accroissement de la dette en privilégiant les aides en capital par apport aux aides en exploitation qui favorisent le recours à l’emprunt (elles allègent le service de la dette pendant la durée d’amortissement de l’emprunt). L’aide pourra ainsi être attribuée à hauteur de 80 à 100 % sous forme d’aide en capital pour les établissements les plus endettés, la proportion d’aide en capital diminuant avec le taux d’endettement, pour être ramenée 20 % lorsque ce taux est particulièrement faible.

Pour notre part nous considérons que l’apport en capital doit être le seul chemin de l’investissement hospitalier. Quant à l’idée du financement par la dette réservé aux projets économiquement efficients, ceci est absurde : encore une fois, la logique comptable prévaut sur la logique des besoins des patients, et ceux qui ont prôné il y a dix ans l’emprunt bancaire avec le succès qu’on connaît donnent des leçons ! Ils n’ont qu’un mot à la bouche : productivité hospitalière dont la vie des patients serait la matière première et les conditions de travail des personnels la variable d’ajustement ! En ce sens, l’atteinte à terme d’un taux de marge non aidée de l’ordre de 7 à 8 %, permettant de couvrir un service de la dette à hauteur de 5 % et de financer des investissements courants représentant de l’ordre de 3 % des produits d’exploitation, est désormais considérée comme indispensable par le ministère de la Santé pour pouvoir contracter de nouveaux emprunts destinés à financer un investissement. Ils sont indécrottables !

Et aujourd’hui ?

Enfin, dans une interview à la Lettre d’ESE (3), le directeur général de l’offre de soins, estimait que « les comptes hospitaliers peuvent être considérés comme étant à l’équilibre ». Tel ne semble pas être l’avis de la Fédération des hôpitaux de France. Elle juge en effet, sur la base de l’enquête annuelle lancée auprès de ses adhérents, que le résultat du compte principal des établissements (soit la différence entre les ressources et les dépenses liées aux activités de soins) accuse un déficit en hausse par rapport à l’année dernière, de l’ordre de 300 millions d’euros contre 142 millions d’euros en 2012. Elle reconnaît, comme la DGOS, que la cession d’actifs ainsi que la bonne tenue des budgets annexes permet de ramener ce déficit à 66 millions d’euros. Mais la FHF souligne que « seul le compte de résultat principal traduit avec objectivité la situation financière des établissements hospitaliers publics ». Et elle « regrette cette dégradation due pour l’essentiel à la politique tarifaire 2013 des pouvoirs publics qui a favorisé les cliniques au détriment des hôpitaux du service public ».

Conclusion

L’hôpital public est devenu en 10 ans une proie pour le capitalisme financier et le malade a été oublié. Le personnel aussi. Le texte de la Cour des comptes d’ailleurs ne dit mot de la finalité de l’hôpital, ni sur les causes (politiques publiques d’austérité et pratiques d’austérité salariale dans l’entreprise) qui l’ont conduit dans les difficultés auxquelles il est confronté actuellement. Pire, le rapport encourage les pratiques de gestion qui peuvent achever définitivement notre système hospitalier public.

Pourtant, personne ne nie aujourd’hui le besoin d’une réforme de l’hôpital public pour le faire entrer dans le xxie siècle et lui permettre d’affronter les défis technologiques et sanitaires qui s’annoncent. Oui, une réforme d’ensemble du financement de l’hôpital public s’impose en fonctionnement comme en investissement. Mais cette réforme ne se fera pas en affaiblissant les structures hospitalières actuelles, au contraire. n

 

évolution de la dette à moyen et long termes des EPS en Md€

 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Encours de la dette

9,8

10,9

12,0

13,5

15,9

18,9

21,9

24,2

26,5

29,3

Évolution N/N-1

10 %

11 %

10%

13 %

18 %

19 %

16 %

10 %

10 %

10 %

Source : direction générale des finances publiques et direction générale de l’offre de soins.

 

(1) Intitulé « La dette des établissements publics de santé  », ce rapport de la Cour des comptes de près de 140 pages (incluant des annexes) a été réalisé à la demande conjointe de la commission des affaires sociales et de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) de l'Assemblée nationale.

(2) Le PLFSS 2015 prévoit un ONDAM de 2,1 % pour les établissements publics de santé (3 % pour la ville !).

(3) La Lettre n° 380 du 27 juin.

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