Du 30 novembre au 11 décembre 2015, Paris accueillera la Conférence mondiale sur le climat. Cette « COP21 » devrait réunir les 195 pays qui ont participé à la conférence préparatoire de Lima en décembre 2014. à Paris doit être pris l’engagement ferme de réduire les émissions de gaz à effet de serre(GES) de 40 % d’ici 2050. Cet engagement doit succéder à celui du protocole de Kyoto sur lequel ne s’engagèrent que très peu de pays avec des objectifs limités et rarement tenus ces dernières années. Le chiffre retenu à Lima doit permettre de limiter le réchauffement à plus 2° C par rapport à la température d’avant le développement industriel. En France, quoique nous fassions, la hausse moyenne de la température d’ici 2050, devrait, selon les prévisions du groupe d’experts environnementaux sur l’évolution du climat (GIEC), être supérieure de 0,6 à 1,3° C à celles que nous avons connues entre 1976 et 2005. La hausse moyenne des températures estivales serait de 2° dans le sud du pays par rapport à cette même période. On imagine alors que les orages d’automne favorisés par le réchauffement de la Méditerranée seront bien plus dévastateurs que ceux de l’automne 2014. D’où l’impérative nécessité d’agir pour freiner le réchauffement tant qu’il est encore possible de le faire.
Lutter efficacement contre le réchauffement climatique nécessite de repenser le fonctionnement de l’économie au niveau planétaire. Il faut rendre les activités économiques deux à trois fois moins gourmandes qu’aujourd’hui en énergies fossiles. On ne peut aboutir à un tel résultat sans remettre en cause la loi du marché spéculatif dans l’économie mondialisée que nous connaissons aujourd’hui. Cela suppose, par exemple, d’en finir avec la théorie des « avantages comparatifs » de David Ricardo pour la conduite de l’économie. Ces trente dernières années, cette vision libérale a servi de justification aux délocalisations des productions industrielles et agricoles. Ces délocalisations ont alimenté et accéléré les opérations de « destruction créatrice », selon la théorie conceptualisée par Joseph Schumpeter comme moteur du développement économique au xxe siècle. Aujourd’hui, cette théorie est toujours préconisée, au nom de l’innovation permanente. Cela débouche sur un processus de production trop gourmand en capitaux au regard de la richesse produite finalement. En témoignent les innombrables fermetures de sites industriels performants en France, dès lors qu’il était plus rentable de produire les mêmes biens dans les pays à bas salaires dépourvus de protection sociale et utilisant une énergie bien plus polluante que chez nous. En France même, la « destruction créatrice » touche désormais les bureaux et les locaux commerciaux. Et elle émet inutilement beaucoup de GES.
Voilà plusieurs décennies, avant même que l’on commence à parler du réchauffement climatique, le secteur industriel était considéré en France comme le principal pollueur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les principales émissions de GES proviennent du mode de vie qui nous est imposé par l’économie libérale. En France, le transport routier comprenant les camions, les bus et les véhicules individuels émet 32 % du CO2, suivi par l’habitat résidentiel et les bâtiments du tertiaire devant l’industrie et l’agriculture. La production d’électricité intervient pour 11 % environ dans nos émissions de C02. Ces faibles émissions sont redevables aux centrales nucléaires qui produisent plus de 70 % de notre électricité.
Alors que l’objectif retenu à Lima pour la conférence de Paris est de réduire les émissions de GES de 40 % d’ici à 2050, Ségolène Royal affirmait, lors de la présentation de son texte de loi sur la transition énergétique, vouloir atteindre cet objectif dès 2030 et diviser nos émissions par quatre en 2050 par rapport à celles de 1990. Mais la ministre affirmait dans le même temps vouloir réduire la production d’électricité d’origine nucléaire à 50 % de notre production totale, ce qui suppose de relancer l’activité des centrales au gaz et au charbon, notamment en l’absence de vent pour les éoliennes et de soleil pour les panneaux photovoltaïques.
Truffé de propos volontaristes eux-mêmes chargés de contradictions, le document qui a servi d’argumentaire au texte de loi que la majorité parlementaire prévoyait de voter au cours de l’hiver 2015 affichait les objectifs suivants : « La diminution de notre consommation d’énergie de 20 % en 2030 et de 50 % en 2050 ; un objectif de performance énergétique de l’ensemble du parc de logement à 2050 ; l’accès de tous à l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages ; le principe de lutte contre la précarité énergétique. »
Nous avons là un condensé des contradictions que l’on retrouve aussi bien dans les conférences internationales sur le climat qu’au sein des gouvernements qui participent à ces conférences. Sous toutes les latitudes, les décideurs politiques retiennent des objectifs de réduction des émissions de GES sans la moindre réflexion sur changements à opérer au niveau des processus de production comme des modes de vie. Or nous avons besoin de clarté sur ces questions. Car il y a urgence. Organisateur d’une conférence dont les climatologues sont unanimes pour affirmer que ses conclusions seront décisives pour les prochaines décennies, la France se doit de faire des propositions précises pour réduire de 40 %, voire plus ses émissions de GES d’ici 2050. Les leviers à activer en priorité concernent la circulation sur route, l’isolation des bâtiments, la conception de l’urbanisme, l’économie circulaire, la conduite de la production agricole, la production énergétique, l’utilité économique et sociale de chaque réalisation au regard de ses émissions de GES.
En France, des millions d’hommes et de femmes perdent des millions d’heures chaque jour dans des bouchons qui se forment matin et soir entre leur lieu d’habitation et la grande agglomération au cœur de laquelle ils vont travailler. Pour commencer à réduire nos émissions de GES dans ce secteur, il faudrait réduire rapidement la circulation sur route de 30 à 40 %. Cela produirait un double effet positif : moins de véhicules et une plus grande fluidité de la circulation. Mais, dans un premier temps, réduire sensiblement la circulation automobile suppose de mettre en place des mesures incitatives, y compris financières, en faveur d’un important développement du covoiturage pour se rendre au travail. Il faut parallèlement rompre avec la loi du marché spéculatif concernant la localisation des activités économiques qui s’agglomèrent de plus en plus au cœur et à la périphérie des grandes métropoles tandis que l’habitat se dissémine à des dizaines de kilomètres aux alentours de chaque grande ville. Car la voiture individuelle devient alors le principal moyen de locomotion. Il ne suffit pas de préconiser la voiture électrique chère à Ségolène Royal pour sortir de cette impasse. Il faut aussi rapprocher le lieu d’habitat du lieu de travail. L’amélioration des transports en commun fait partie de la solution. Mais la tendance actuelle est à leur dégradation. En témoigne leur saturation dans les grandes agglomérations tandis que la loi Macron préconise la relance des autocars dans tout le pays. Pendant ce temps, le fret marchandise quitte le rail pour la route faute d’un entretien suffisant des voies secondaires. C’est notamment le cas pour l’expédition des céréales depuis les coopératives de stockage jusqu’aux ports d’embarquement.
Améliorer l’isolation des maisons et des immeubles, dans le neuf comme dans l’ancien, permettrait d’économiser beaucoup de gaz, de fuel, voire de charbon qui sont des énergies émettrices de CO2. Mais beaucoup de propriétaires de maisons individuelles comme de bailleurs sociaux n’ont pas et n’auront pas demain les moyens d’entreprendre ces travaux. Si l’argent destiné au Contrat investissement emploi compétitivité (CICE) avait été orienté vers l’aide à la rénovation des bâtiments entre 2013 et 2017 au lieu d’être offert au patronat sans contrepartie, le bénéfice pouvait être triple sur la durée : moins d’importation d’énergies fossiles, moins d’émissions de CO2 en provenance de l’habitat, plus d’emplois dans la rénovation des bâtiments.
Des technologies existent aujourd’hui pour construire des immeubles et des maisons à faible consommation énergétique. Il faut que ces pratiques deviennent systématiques pour que les bâtiments produisent tout ou partie des énergies qu’ils consomment. Dans un pays ou l’accès à la propriété demeure une aspiration très forte, il n’est plus possible de continuer les politiques ségrégatives induites par la loi du marché qui éloignent les habitants les plus pauvres de leur lieu de travail pour habiter des maisons rendues énergivores faute de moyens financiers pour les rendre économes en chauffage. La question du logement doit être repensée en France pour réduire son bilan carbone dans les prochaines décennies. Ce qui suppose aussi des choix pertinents de matériaux, à commencer par le bois.
Encore balbutiante et essentiellement ciblée sur le recyclage des papiers, des cartons, du verre et des déchets ménagers, l’économie circulaire avec ce qu’elle comporte de recyclage et de réparations doit être développée en France, notamment dans le secteur des métaux. Souvent promue par des associations caritatives, l’économie circulaire va devenir incontournable au fur et à mesure que vont se raréfier et se renchérir des matières premières comme le fer, le cuivre, le plomb et de nombreux autres métaux. Il s’agit aussi d’une source d’emploi non négligeable avec de la réinsertion sociale.
Selon la manière dont elle est conduite, l’agriculture peut émettre beaucoup de GES ou capter beaucoup de carbone. Les labours systématiques libèrent beaucoup de carbone et consomment beaucoup de carburants. Les utilisations massives d’engrais chimiques et de produits de traitement des cultures sont des facteurs aggravants. La spécialisation outrancière des exploitations de régions comme l’Île-de-France en productions végétales et d’autres, comme la Bretagne, en productions animales est de plus en plus polluante et économiquement inefficace. Les terres céréalières manquent de matière organique, ce qui appauvrit leurs sols. Celles qui concentrent l’élevage ont trop de matière organique à recycler sous forme de lisier, ce qui augment les pollutions. Il est possible de sortir progressivement de cette spécialisation outrancière, de réduire le bilan carbone de la production de nourriture en réduisant le prix de revient des denrées produites.
Pour les grandes cultures céréalières, il convient d’accroître autant que possible les techniques de travail simplifié du sol et le non labour que pratiquent des paysans avisés depuis un quart de siècle. Le non labour réduit la libération du carbone au moment d’implanter une nouvelle culture. Il améliore la vie du sol et favorise le travail des vers de terre qui transforment les débris végétaux en matière organique. Augmenter le pourcentage de matière organique améliore la fertilité des parcelles et permet de réduire les épandages d’engrais. Les plantes cultivées en inter-culture entre deux récoltes sont broyées avant un semis de blé ou de maïs et apportent à ces nouvelles cultures ces engrais verts produits par la photosynthèse sur un sol que l’on ne laisse jamais nu.
Nourrir les herbivores à l’herbe devrait aller de soi, mais c’est de moins en moins vrai. Naturellement omnivores, cela fait des décennies que les porcs ne mangent plus que du grain dans les élevages industriels. Mais l’alimentation des bovins, qu’il s’agisse de vaches laitières où de l’engraissement des bovins de boucherie, est de plus en plus granivore avec des épis de maïs ensilés en même temps que la tige. Après quoi on ajoute encore des céréales concassées et des tourteaux de soja importés dans l’auge des bovins. Le prix de revient de cette alimentation granivore est élevé, son bilan carbone est désastreux.
La bonne méthode consiste à nourrir les bovins, les ovins et le caprins à l’herbe. Surtout que les prairies sont des puits de carbone. Des mélanges appropriés de graminées et de légumineuses (ray-grass, dactyle, trèfles et luzerne) permettent de cultiver l’herbe sans recours aux engrais azotés, lesquels libèrent aussi beaucoup de GES au moment de l’épandage tandis que la fabrication a été coûteuse en gaz naturel. Mais c’est au nom de la réduction de la charge de travail que les éleveurs d’herbivores ont été poussés à utiliser plus de grain. Cela débouche aujourd’hui sur des aberrations comme la « ferme des 1 000 vaches » en baie de Somme.
S’il est possible de réduire l’alimentation granivore des herbivores dans un souci de réduire également les émissions de GES imputables aux élevages, il convient aussi de réduire la consommation de produits carnés dans les pays développés et émergents. Le Français consomme annuellement 86 kilos de viande avec os, 34 kilos de produits de la mer et de l’aquaculture, l’équivalent de 210 œufs et de 371 litres de lait par an quand on additionne le contenu de toutes les préparations qui entrent dans notre assiette. Un régime aussi riche en protéines d’origine animale est incompatible désormais avec la lutte contre le réchauffement du climat. Nous devrons davantage consommer des protéines végétales comme le haricot sec, le pois chiche et la lentille.
Jadis les exploitants familiaux pratiquaient l’agroforesterie sans le savoir quand ils cultivaient le sol de leurs vergers plantés de pommiers, de poiriers, de pêchers, de cerisiers, de noyers ou de châtaigniers. Pour freiner le réchauffement climatique, il faut davantage d’arbres qu’aujourd’hui afin d’absorber du carbone. En France, il s’agit moins de replanter des forêts que des arbres sur les terres agricoles. Qu’ils portent des fruits ou qu’ils soient destinés à devenir du bois d’œuvre, planter une cinquantaine d’arbres par hectare en rangées bien espacées sur des parcelles cultivées ne réduit pratiquement pas les rendements des cultures annuelles, ni la production d’herbe quand il s’agit de prairies. L’arbre enrichit le sol par la tombée annuelle de feuilles et par la remontée des nutriments puisés en profondeur dans la roche mère.
Avant le développement massif des transports routiers, toutes les grandes villes de France étaient entourées de ceintures vertes productrices de cultures maraîchères et fruitières. Elles ont disparu presque partout tandis que les tomates, les courgettes, les melons et les fraises cultivés du côté d’Agadir au Maroc font 3 000 kilomètres dans des camions réfrigérés avant d’atteindre les zones de logistique des distributeurs. Les camions ne passent que le détroit de Gibraltar en bateau. Puis ils reprennent la route à travers l’Espagne pour la France et d’autres pays européens. Recréer des ceintures vertes est donc indispensable pour réduire les émissions de GES. C’est vrai pour toute la France et plus encore pour l’Île-de-France qui compte près de 12 millions de consommateurs. Alors que 49 % de sa superficie est encore composée de terres agricoles, seulement 0,5 % de ces terres sont consacrées au maraîchage et à l’arboriculture fruitière.
Diversifier notre bouquet énergétique est indispensable, tant pour réduire les émissions de GES que pour économiser les énergies fossiles comme le pétrole et le gaz qui sont d’une grande utilité pratique. En optant pour une sortie rapide du nucléaire, l’Allemagne relance ses émissions de GES et fait payer de plus en plus cher la facture électrique aux ménages allemands. En France, la sortie du nucléaire ne peut être que lente et longue compte tenu du nombre élevé de centrales en activité. Si toutefois sortie il doit y avoir dans le courant du siècle en cours. Car des centrales plus économes que celles d’aujourd’hui en uranium et encore plus sûres dans leur conception seront peut-être fonctionnelles dans quelques années. En attendant, la production d’énergie renouvelable ne doit pas être limitée à la mise en place d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Les centrales les plus faciles à mettre en route quand il n’y a ni vent ni soleil sont celles des barrages hydroélectriques. D’Eguzon à Serre-Ponçon, en passant par d’autres sites, nous avons de bons exemples de barrages qui permettent d’écrêter des crues en cas de pluies abondantes et de produire de l’électricité en période de forte consommation sans relancer les centrales au charbon, au fioul ou au gaz. Et il est faux de dire qu’il n’existe plus de sites adéquats en France pour construire des barrages.
La manière dont a été conduit le projet de barrage de Sivens sur un cours d’eau à faible débit pour ne servir qu’à l’irrigation agricole est révélateur d’un manque de réflexion en amont d’un projet. Mais ne déduisons pas de cette erreur que nous n’avons pas besoin de stocker de l’eau en surface pour les prochaines décennies. Des grands pays comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Iran et même les États-Unis vont avoir de plus en plus de mal à s’approvisionner en eau parce qu’ils en ont trop peu stocké en surface et trop pompé dans les nappes phréatiques. Nous ne devons pas commettre cette erreur dans un pays bien irrigué en ruisseaux, rivières et fleuves. Il existe dans nos régions beaucoup de vallées encaissées aux prairies abandonnées par l’agriculture. Sous réserve d’études d’impact dans chaque cas, il est possible de trouver des sites pour produire de l’électricité en alternance avec les éoliennes et disposer de volumes d’eau suffisants pour alimenter les foyers et certaines cultures vivrières en cas de sécheresse. En faisant travailler des hydrologues en amont de chaque projet, nous aurons plus d’eau pour verdir la France afin de la rendre plus résiliente face au réchauffement.
En France, les comportements les plus inconséquents face à la nécessité de lutter contre le réchauffement du climat sont ceux des décideurs politiques et des décideurs économiques. Les premiers sont généralement dépourvus de réflexion prospective et gèrent le court terme le regard fixé sur la prochaine élection. Ils décident ce que leur soufflent leurs conseillers pour passer ce cap. Les seconds décident en fonction de leurs intérêts immédiats dans la majorité des cas, soumis en permanence aux critères de la rentabilité financière la plus immédiate et la plus élevée possible. Même dans les négociations sur le climat, les décisions réputées positives pour freiner le réchauffement sont prises selon des critères de rentabilité financière. Or la lutte pour freiner le réchauffement passe par une réduction massive des gaspillages engendrés par la société capitaliste qui appauvrit chaque jour des centaines de millions de gens dans les pays développés. Désormais les solutions ne jailliront que du débat citoyen car nous devons aussi orienter notre façon de vivre vers moins de consommations superflues proposées par le marché. Et si le Parti communiste français a plus d’atouts que d’autres pour nourrir ce débat, il lui faut désormais bien baliser le chemin de la construction d’une société prenant en charge les enjeux climatiques. C’est aussi un bon tremplin pour rassembler la gauche de la gauche en France.
(*) Journaliste et auteur. Il vient de publier « L’écologie peut encore sauver l’économie », coédité par Pascal Galodé et l’Humanité, un livre de réflexion prospective sur les enjeux climatiques du siècle en cours.
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