Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’assurance chômage, dans l’impasse

La situation de crise que connaît la France depuis 2008 a fait exploser le niveau du chômage : 1 983 100 demandeurs d’emploi (catégorie A) recensés en février 2008,  2 696 300 en avril 2011, 3 303 200 en décembre 2013 et 3 496 400 fin 2014. Le niveau de la croissance ne permet pas de créer suffisamment d’emploi pour inverser la courbe du chômage, malgré la promesse affichée par le président de la République. Les politiques d’emploi semblent inefficaces pour espérer retourner la situation, qu’il s’agisse de la politique industrielle, des aides publiques versées aux entreprises ou des emplois aidés, rien n’y fait.

Certaines catégories de la population sont plus touchées que d’autres. Particulièrement les jeunes et les seniors dont le taux de chômage a cru de 12,3 % en 2013 et de 10,4 en 2014. Le Medef, qui n’a de cesse de vouloir reculer l’âge de départ en retraite, continue d’exclure prématurément les plus de 50 ans du marché du travail.

Négociations 2014

C’est dans ce contexte que se sont engagées les négociations sur le renouvellement de la convention d’assurance chômage au premier trimestre 2014. Elles ont abouti à un accord national interprofessionnel le 22 mars et la convention d’assurance chômage du 14 mai 2014 a été agréée par le gouvernement.

Les services de l’Unédic avaient livré les éléments du débat, en chiffrant à 4,4 milliards d’euros le déficit annuel du régime et à 18 milliards le déficit cumulé. Le coût de la précarité pour l’assurance chômage a été évalué à 8,3 milliards et celui des seules ruptures conventionnelles à 4,4 milliards d’euros (chiffreage 2012).

Comme à son habitude, la partie patronale a refusé de mettre un euro de plus dans la machine de l’assurance chômage. Il ne lui restait plus dès lors qu’à réduire les droits des chômeurs pour rester dans le cadre de l’enveloppe financière. Ses propositions ont entraîné une économie de 1,2 milliard d’euros sur le dos des demandeurs d’emploi.

Les propositions de la CGT ont consisté à la fois à mieux indemniser les demandeurs d’emploi dont la moitié passe à travers les mailles du filet de l’Unedic, et à s’attaquer aux principales causes du déficit du régime en luttant contre la précarité :

Durée d’indemnisation: La CGT a proposé d’augmenter la durée maximale d’indemnisation à trente mois, toujours sur la base « d’un jour travaillé équivaut à un jour d’indemnisation ». Et jusqu’à soixante mois pour les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans. Les primo-demandeurs d’emploi devaient ouvrir des premiers droits après deux mois de travail, le temps de travail ayant servi à leur première indemnisation étant réutilisable pour une seconde.

Montant de l’indemnisation: La CGT a proposé qu’il ne puisse jamais être inférieur au seuil de 80 % du SMIC. Les systèmes en cours pour les primo-demandeurs d’emploi sont compliqués et insuffisants : ANI Jeune, CIVIS, garanties jeunes… Nous avons proposé un dispositif qui couvre tous les primo-demandeurs d’emploi, composé d’une allocation d’un montant égal à 80 % du SMIC et d’un accompagnement renforcé. Un demandeur d’emploi entrant en formation devait bénéficier d’une allocation équivalente à l’ARE pendant toute la durée de sa formation.

Formation: La CGT a proposé qu’un demandeur d’emploi s’inscrivant à Pôle emploi et pouvant justifier d’au moins vingt-quatre mois de travail dans les cinq dernières années dans son ou ses précédents emplois, sans avoir eu de formation durant cette période, puisse bénéficier d’un droit à une formation diplômante ou qualifiante, ouvert sur les douze premiers mois d’indemnisation à Pôle emploi. Cette formation devant être financée à hauteur de 50 % par l’OPCA de branche dont dépendait le demandeur d’emploi lorsqu’il travaillait. L’entreprise, Pôle Emploi, la région… abondant la partie restante. Par ailleurs, nous avons proposé la portabilité du CIF, les demandeurs d’emploi ayant acquis un droit au CIF devant pouvoir le mettre en œuvre après une rupture de leur contrat de travail.

Droits rechargeables: Nous avons proposé que les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi et indemnisés par le régime d’assurance-chômage puissent bénéficier d’un compte rechargeable qu’ils pourraient activer à la fin de leurs droits ouverts en tenant compte des éléments suivants : 1 jour de travail égal à 1 jour de droits ; une période de référence d’activation du droit rechargeable équivalente à la durée de l’ouverture du droit ; le demandeur d’emploi, au bout d’un mois de travail consécutif, doit pouvoir demander le recalcul de son taux pour déterminer le niveau de son indemnisation, les périodes de formation, de maternité et de maladie étant neutralisées.

Chômage de longue durée: La CGT a proposé le rétablissement de l’AER, l’allocation équivalent retraite, supprimée en 2010. Ainsi que la revalorisation de l’ASS, l’allocation de Solidarité Spécifique destinée aux demandeurs d’emploi qui ont épuisé leurs droits à l’assurance chômage et travaillé au moins cinq ans au cours des dix dernières années : versée sous conditions de ressources, son montant s’élève actuellement à 483 euros seulement ! Nous avons proposé de la revaloriser à hauteur de 80 % du SMIC, en facilitant les conditions pour en bénéficier.

Ruptures conventionnelles: La CGT a proposé que l’employeur verse à l’Unedic une somme proportionnelle aux indemnités de rupture du contrat et variable suivant l’âge du salarié : 10 % avant 50 ans, 15 % entre 50 et 55 ans, 20 % après 55 ans. La rupture conventionnelle ou le départ volontaire d’un contrat à temps plein concerne actuellement un allocataire sur dix. Plus souvent des hommes que de femmes (51,8 % contre 48,2 %), avec des niveaux de diplômes plus élevés que la moyenne. Les ruptures conventionnelles et les départs volontaires sont applicables uniquement aux contrats à durée indéterminée, d’où des durées d’affiliation à l’assurance chômage relativement élevées : 80,1 % de durées d’affiliation supérieures à deux ans, contre 46,7 % pour l’ensemble.

Taxation des contrats courts et à temps partiel: La CGT a proposé de taxer les contrats courts (CDD et intérim), en fonction de leur durée, en portant la cotisation patronale à : 9 % pour les contrats de moins d’1 mois ; 7 % pour les contrats de 1 à 2 mois ; 5 % pour les contrats de 6 à 12 mois. Seuls les contrats conclus pour le remplacement d’un malade, d’un salarié en congés de maternité, en congé parental ou en formation échappant à cette taxation. Les contrats supérieurs à 12 mois ou en CDI restent au taux normal de 4 %. Nous avons proposé également de taxer les contrats à temps partiel de moins de 24 heures hebdomadaires sur la base d’un temps plein, la surcotisation salariale étant prise en charge par l’employeur. Nous avons proposé enfin qu’un salarié reprenant une activité réduite puisse cumuler son salaire avec des allocations, dans la limite du SMIC pour ceux dont l’indemnisation est inférieure à ce niveau et du montant du dernier salaire pour les autres. Ce cumul étant possible pour une durée de quinze mois maximum, sauf pour les plus de 50 ans où il n’y aurait pas de limites.

Et maintenant ?

Les propositions de la CGT n’ont malheureusement guère trouvé d’échos dans l’accord national interprofessionnel du 22 mars non signé par la CGT et encore moins dans la convention d’assurance chômage du 14 mai 2014.

Quels premiers enseignements pouvons-nous en tirer un an plus tard ? Les droits des chômeurs sont toujours aussi malmenés. Un demandeur d’emploi sur deux reste en dehors de toute indemnisation et la durée moyenne du chômage ne cesse de croître pour atteindre 539 jours. Le nombre des ruptures conventionnelles continue d’augmenter, notamment chez les seniors : l’Unedic a tendance à financer à la place de l’État les pré-retraites d’hier ! La précarité coûte toujours plus cher au régime d’assurance chômage : la taxation de la précarité, revendiquée depuis des lustres par la CGT, a commencé à trouver un début de concrétisation dans la convention de 2014…, mais en laissant de côté la majorité des contrats courts, comme les CDD de moins d’un mois, les contrats d’intérim, à temps partiel, etc. Non seulement l’effet dissuasif n’existe pas pour les employeurs qui usent et abusent du recours aux contrats précaires, mais encore la mesure n’a rapporté au budget de l’Unedic que la moitié de ce qui était prévu ! Les droits rechargeables étaient une revendication de la CGT, mais la manière de les mettre en œuvre pénalise 500 000 demandeurs d’emplois selon une note de l’Unedic. La CGT avait pourtant formulé des propositions au cours des négociations, qui étaient de nature à éviter l’écueil auquel sont confrontés un certain nombre de demandeurs d’emploi aujourd’hui. Ces propositions restent toujours valables, mais la difficulté tient au fait que le patronat refuse de modifier l’équilibre financier de l’accord du 22 mars 2014 : c’est la quadrature du cercle !

La CGT réaffirmera ses ambitions pour la prochaine convention qui devrait débuter au début sous peu. Il faut toujours gagner une meilleure indemnisation, un allongement de celle-ci pour les chômeurs en fin de droits et ils sont de plus en plus nombreux dans ce cas. Mieux indemniser, mieux accompagner, mieux former pour retourner plus vite sur le marché du travail, tel est l’objectif.

Les enjeux demeurent autour de l’équilibre entre les dépenses et les recettes de l’assurance chômage. Le Medef entend réduire toujours plus sa participation au financement du régime au nom de la compétitivité des entreprises. Tandis que la CGT estime que les entreprises doivent assumer les conséquences de leurs politiques d’emploi. Ce n’est pas à la société de les supporter. n

 

Négociation déloyale

Les propositions formulées par la CGT au cours des négociations sur la convention d’assurance chômage ont vite été balayées d’un revers de main. Même les remarques que nous avons faites sur l’application des droits rechargeables ou les évolutions concernant les annexes 8 et 10 (intermittents du spectacle) n’ont trouvé aucun écho du côté patronal comme de certaines organisations syndicales d’ailleurs.

La dernière séance de négociations entre le 20 et le 22 mars a été entachée d’irrégularités. Des suspensions de séance interminables, des chiffrages présentés aux uns mais pas aux autres, des négociations de couloir au cours desquelles le patronat a pu choisir ses interlocuteurs, en évinçant la CGT, la CGC et la CFTC.

À 0 h 15, le 22 mars, après plus de 12 heures de suspension de séance, un texte a été mis sur la table par le représentant patronal qui a indiqué qu’il n’était pas amendable. Ce texte est devenu l’accord national interprofessionnel du 22 mars 2014.

La CGT considère que ces méthodes sont d’un autre âge et a décidé de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Elle a donc saisi la justice en demandant l’annulation de l’accord du 22 mars et de la convention du 14 mai 2014 pour cause de déloyauté dans la négociation. D’abord en référé, ensuite devant le TGI, enfin devant la cour d’appel qui a débouté la CGT sur ses demandes. Elle devra prendre la décision ou pas de se pourvoir en cassation. Parallèlement, un recours en Conseil d’état a été engagé pour demander l’annulation de l’agrément ministériel.

Cette démarche n’a d’ores et déjà pas été vaine, puisque les « partenaires sociaux  », au cours de la réunion sur l’agenda social du 23 février 2015, sont convenus de mettre en place un groupe de travail politique en vue de préciser les règles et les conditions de la négociation nationale interprofessionnelle. Ses conclusions sont attendues pour la mi-avril. Souhaitons qu’elles soient le prélude à l’élaboration d’une vraie réforme des règles de la négociation interprofessionnelle.

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