Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Quelle embellie sur le front du chômage ?

Dans sa livraison du 25 février dernier, Pôle emploi annonce la baisse du nombre de chômeurs de catégorie A en janvier 2015. Mise en concordance avec la légère reprise de la croissance française, le gouvernement claironne l’inversion de la courbe du chômage pour 2015 et justifie ainsi ses choix politiques.

Mais la réalité des chiffres est moins glorieuse. Car si la France est en passe de rejoindre les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ce « clan des vainqueurs » est celui des pays où se conjuguent reprise de la croissance et développement des travailleurs pauvres...

La surprise de janvier 2015 (1)

Cela a été une surprise tant la nouvelle s’oppose aux projections établies. Les statistiques de la Dares tirées des données de Pôle Emploi pour janvier 2015 ont montré une baisse des chômeurs recensés en catégorie A. Cette catégorie de chômeurs comptabilise les actifs au chômage inscrits à Pôle emploi faisant des actes positifs de recherche d’emploi et qui sont sans aucune activité. Leur nombre aurait chuté de 19 100 en janvier dernier passant de 3 500 700 en décembre 2014 à 3 481 600 en janvier 2015. De sorte que le « taux de chômage » aurait baissé de 0,5 %.

La prudence a d’abord été de mise pour le gouvernement. Mais la mise en concordance de cette « embellie sur le front du chômage » avec les signes d’un frémissement de la croissance française a donné des ailes. Et après F. Hollande, le gouvernement a promis l’inversion de la courbe du chômage pour 2015, justifiant ainsi son cap…

L’hirondelle ne fait pas le printemps

Pourtant, une étude plus précise des chiffres de la Dares montre qu’en l’état de la politique suivie la fin du tunnel en matière de chômage n’est pas pour demain.

Tout d’abord, notons que, comme le rappelle la note méthodologique de la Dares accompagnant les statistiques, la méthode de révision des séries corrigées des variations saisonnières et jours ouvrables a changé depuis 2013. Actualisées auparavant une fois l’an, ces statistiques le sont désormais mensuellement avec des coefficients construits à partir de l’historique des données brutes, et elles sont données avec un mois de retard.

Ce changement de méthode n’est pas sans effet sur le décompte de décembre 2014. Les statistiques brutes de la Dares du 26 janvier 2015 notaient 3,496 millions de chômeurs de catégorie A pour décembre 2014, quand celles corrigées du 25 février 2015 en ont ensuite comptabilisé 3,500 millions. Ce qui a pour effet de modifier le différentiel de demandeurs d’emploi de catégorie A entre décembre 2014 et janvier 2015. En effet, si l’on en reste aux données brutes, la baisse du nombre de chômeurs de catégorie A en janvier n’est plus de 19 100 mais de 14 800 (3,481 millions – 3,496 millions). Certes, ce nombre montre une diminution des chômeurs de catégorie A, mais d’une l’ampleur de moindre importance.

Ensuite, il convient de noter que si l’hirondelle ne fait pas le printemps, une variation positive sur un mois ne fait pas non plus une tendance de long terme. Entre janvier 2014 et janvier 2015, la variation du nombre de chômeurs de catégorie A est de + 4,8 %. Ils étaient 3,3219 millions, ils sont désormais 3,4816 millions. Soit 159 700 personnes de plus en une année. Le chômage ne montre donc pas de signe de ralentissement, il continue d’augmenter.

C’est d’ailleurs ce que constatent la majeure partie des rapports officiels d’institutions nationales ou internationales. Ainsi, dans sa dernière note de conjoncture publiée en décembre 2014, l’INSEE prévoyait une nouvelle augmentation du taux de chômage pour le 1er semestre 2015, malgré une légère reprise de l’emploi insuffisante à absorber la progression de la population active. De son côté, dans ses prévisions financières de janvier 2015, l’Unedic anticipait une aggravation du chômage en 2015 tablant alors sur 104 000 demandeurs d’emplois sans activité supplémentaires en métropole. Quant aux institutions internationales, si l’OCDE a bien révisé ses prévisions de croissance pour la France, elle ne voit pas de sortie du chômage au mieux avant 2016. Et l’OIT qui a rendu publiques ses prévisions le 20 janvier dernier ne table pas sur une diminution du chômage avant 2 ans.

Une évolution inquiétante mais confirmée des travailleurs pauvres

Enfin, et c’est le plus important, cette baisse du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A masque une autre évolution des statistiques du chômage : l’explosion du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie C en janvier 2015.

Cette catégorie C de chômeurs recense les personnes inscrites à Pôle emploi et faisant des actes positifs de recherche d’emploi mais ayant travaillé plus de 78 heures au cours du mois. Avec les inscrits de la catégorie B (2), elle complète le recensement par Pôle emploi des demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (catégories A, B, C). Ces 2 catégories (B et C) recensent des personnes soumises à du chômage partiel ou un temps de travail partiel contraint, elles ne sont pas prises en compte dans le calcul usuel du taux de chômage.

Pourtant, cette prise en compte relativiserait fortement le satisfecit gouvernemental. Si le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie B reste stable entre décembre 2014 et janvier 2015, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie C de métropole a augmenté de 35 000 personnes (+3,4 % en un seul mois) pour atteindre 1,0727 million d’individus recensés. Un chiffre en très nette augmentation sur un an (+12 %) et avec une caractéristique : l’essentiel de la hausse résulte du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi disposant d’un CDI à temps partiel (catégorie C-6 – 90 % des effectifs de la catégorie C) : + 3,5 % entre décembre 2014 et janvier 2015 et + 13,5 % sur un an (janvier 2014-janvier 2015).

Il résulte de cela deux choses.

D’une part, la baisse du nombre d’inscrits en catégorie A est largement absorbée par la hausse des inscrits en catégorie C. Au total, en France métropolitaine, le nombre de demandeurs d’emploi faisant des actes positifs de recherche d’emploi (A + B + C) augmente de 0,3 % entre décembre 2014 et janvier 2015, et de 6,2 % sur une année. Ils sont passés de 5,216 millions en décembre 2014 à 5,232 millions en janvier 2015. Il n’y a donc pas de baisse du nombre de demandeurs d’emploi en France et donc pas de baisse réelle du chômage.

Une conclusion confirmée par l’ensemble des données statistiques de la Dares. Si le nombre de demandeurs d’emploi de moins de 25 ans de catégories A, B, C diminue légèrement entre décembre 2014 et janvier 2015 (- 0,2 % ; - 1 300 personnes), le nombre de ceux de 50 ans et plus continue de croître (+0,6 % ; + 6 900). En un an, les moins de 25 ans augmentent de 2,5 % et les plus de 50 ans de 9,9 % confirmant les chiffres du chômage de longue durée (+9,3 %) pour les personnes inscrites à Pôle emploi depuis plus de 1 an (dont +18,7 % pour les chômeurs de très longue durée : 3 ans et plus).

D’autre part, cette montée du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie C témoigne du développement de la catégorie des travailleurs pauvres sur le marché du travail. Une évolution qui n’illustre en rien une diminution du nombre de chômeurs, mais est l’expression d’une flexibilisation du marché du travail et des contrats de travail dans un contexte de raréfaction de l’emploi stable du secteur privé, que n’ont cessé d’encourager les différentes réformes du code et du marché du travail depuis 10 ans.

En effet, sur l’année 2014 la croissance de 2,1 % des déclarations d’embauches (+2,1 %) a été tirée par les embauches de moins d’un mois (+4 %) (3). L’évolution des déclarations d’embauche de plus d’un mois (CDD ou CDI) a enregistré une baisse de 2 % (1,733 million au 1er trimestre 2014 contre 1,697 au dernier). Certes, le dernier trimestre 2014 a été l’occasion d’une légère reprise de ces embauches de plus d’un mois (+0,6 %) qui semble s’être confirmée au mois de janvier 2015 (+3,7 %). Mais rien n’indique que cette évolution signe un mouvement positif, puisque la tendance de l’emploi privé dans l’industrie, la construction ou le tertiaire est à la baisse (-0,1 % sur le dernier trimestre 2014). Au total, c’est la dégradation de l’emploi stable dans un contexte d’augmentation de l’emploi précaire (seulement 12,6 % d’embauche déclarée en CDI au dernier trimestre 2014, le reste en CDD) qui se confirme. Ce qui pourrait expliquer une partie de la baisse du chômage des jeunes en janvier 2015, très soumis à l’emploi précaire.

L’urgence d’une autre politique

Au-delà des 3,5 millions de demandeurs d’emploi sans emploi, les statistiques de Pôle emploi recensent désormais près de 2 millions de salariés vivant la précarité du travail aléatoire, les petits boulots et le temps partiel imposé.

C’est la concrétisation sociale de la ligne idéologique libérale et patronale. De la rupture conventionnelle de N. Sarkozy à la loi Macron du gouvernement Valls, en passant par la mal nommée loi de sécurisation de l’emploi et ces contrats de compétitivité-emploi, par le CICE et le Pacte de responsabilité, et jusque la future loi sur le dialogue social et le contrat de travail, l’objectif est la flexibilité et la réduction du coût du travail pour l’entreprise en sacrifiant l’emploi, les travailleurs, les territoires et la dépense publique et sociale.

Or l’évolution des chiffres du chômage montre aujourd’hui l’impasse de ces politiques d’austérité à l’œuvre depuis 15 ans. Non seulement les milliards d’argent public accordés aux entreprises n’ont pas permis la création d’emplois, mais ils sont corrélés avec le freinage des dépenses publiques et sociales, pourtant indispensables au développement des capacités humaines. Non seulement la flexibilité et la précarisation de l’emploi n’ont pas amélioré la compétitivité des entreprises, mais elles ont pesé sur leurs débouchés en réduisant la demande intérieure et renforcé la sous-utilisation des capacités de production. Cette politique mène dans le mur. Et la timide embellie de la croissance mondiale, qui commence d’ailleurs à donner des signes d’essoufflement parce qu’elle est sans emplois et sans salaires, ne doit pas créer l’illusion sur les perspectives.

Pour retrouver réellement de la croissance, il est aujourd’hui nécessaire de changer de logiciel de politique économique. Cela implique de cesser de détruire les emplois stables et les investissements publics, et au contraire de les sécuriser, et de s’engager sur la voie d’une nouvelle politique industrielle digne des enjeux de notre temps, en se donnant les moyens de leur financement émancipé des marchés financiers. n

 

 

 

(1) Dares Indicateurs, février 2015, n° 015.

(2) Catégorie B : Demandeurs d'emploi faisant des actes positifs de recherche d'emploi ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois.

(3) Acosstat Conjoncture, n° 207 janvier 2015 et Acoss Le baromètre économique, n°53 février 2015.

 

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