Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le wagon France sur les rails de la « croissance molle »

La France est embourbée dans la « croissa nce molle ». La progression du chômage de masse confirme les hypothèses posées dans ces colonne s (Econom ie & Politique, mai-juin 2002 , n°574-575). Le débat politique s’en ressent, Jacques Chirac voulant faire de 2004 « l’année de mobilisation pour l’emploi ». Mais, dans un contexte européen très chahuté, la France est mise en difficulté par les options libérales de baiss es des dépenses sociales, de cadeaux pour les patrimoines et de privatisation.

Voilà trois années consécut ives que l’act ivité demeur e atone (1,2% en 2001, 0,8% en 2002, 0,5% en 2003).

2003 aura été une année de quasi récess ion. En 2004, l’avance du Pib devrait restée au voisinage de 2%. Le gouvernement parle de 1,7%. Quoiqu'il en soit, c'est la pers pective d'une croissance molle qui se profile. L'OCDE sou ligne que, si aucun incident ne se produit, la conjonctur e frança ise s’amé liorera it lentement «jusque dans les premiers mois de 2005». Cette hypothèse semb lait confirmée par l’est imation précoce de la croissance frança ise au premier trimestr e 2004. Elle sera it de 0,8% après 0,6% sur les deux trimestr es précé dents . Ce rebond semb le êtr e dû au maintien tout relatif de la consommat ion des ména ges. Les incer titudes sont toute fois lourdes à cause des pertes de pouvoir d’achat, d’un chômage de masse élevé et d’un environnement extérieur géopolitique plus que troublé.

Cette langueur tient avant tout , remar que l'OCDE, au fait que le marché du tra vail «ne devrait réa gir qu’avec lenteur à la reprise de la deman de». Pour tant , les ajustements ont été violents en 2003. 52 000 emplois nets ont été détru its. Il faut remonter à la récess ion de 1993 pour retr ouver des chiffres d’une telle ampleur. Le taux de chômage est de 9,8% en février 2004 après 9,9% en décem bre 2003, ce recul devant beaucou p aux radiations de l’ANPE et au durcissement des con ditions d'indemnisation des chômeurs . L’em ploi aura été la grande variable d’ajustement . De mars 2003 à mars 2004, le nom bre de chômeurs a augmenté fortement (+2,6% au sens du BIT mais +3,4% selon l’ancien décom pte officiel). Les jeunes sont par ticulièrement touchés (+4,8% au sens du BIT) et par ticulièrement les femmes de moins de 25 ans (+6%). C’est l’industr ie frança ise qui a été le plus touchée avec la destruct ion nette de 23 000 emplois par trimestr e, soit une diminution de -2,3% en glissement annue l. A elles seules, les industr ies de biens intermé diaires détru isent 12 000 emplois nets . Alors qu’il représente un tiers des effectifs industr iels, ce secteur détru it de l’emploi depuis le deuxième trimestr e 2001. La méta llurgie et la trans format ion des métau x sont par ticulièrement touchés , comme la chimie, le car ton, l’électr onique et les com posants électr iques.

La croissance française ne suit pas.

Depuis son arr ivée à Matignon en mai 2002, Jean-Pierr e Raffarin a basé son scénar io de conjonctur e sur l’hypothétique espoir d’accr ocher le « wagon » France à la reprise mond iale. Autrement dit, l’activité en France serait tôt ou tard tirée, via les exportations, par les deux locomot ives, EtatsUnis et Chine. Le gouvernement Raffarin III com pte sur « le retour de la croissance » pour « maîtriser nos déficits excessifs et les rédu ire sous la limite des 3% du PIB ». Avec la faiblesse de la croissance , l'objectif de 3,6% affiché cette année et, plus encor e, celui du retour sous les 3% en 2005, notifié à la Commission de Bruxelles, paraissent difficilement réa lisab les.

Il exprime cependant la volonté acharnée de respecter les engagements eur opéens et de rendre attract ive la place financ ière de Paris. Sarkozy enten d multiplier les signes de gestion « en bon père de famille » vis à vis des créanc iers de l’Etat frança is avec un objectif maintenu de 0% de croissance en volume des dépenses publiques . Et, comme ses prédécesseurs à Bercy, il ouvre une nou velle saison de chasse aux dépenses avec le gel de 7 milliar ds d’euros de cré dits et accé lère le trans fer t du plus de charges possible sur les régions , les départements et les communes publiques. On voit dors et déjà les problèmes posés par la « loi organique sur l’autonom ie financ ière des collect ivités locales ». A ce propos, des inquiétu des existent chez les élus, y com pris largement dans les rangs de l’UMP. Bercy tente de reporter les déficits publics sur les collect ivités locales au risque de creuser plus encor e les inégalités terr itoriales et d’asphyxier la croissance . Pour Nicolas Sarkozy, il s’agit de rassur er les marchés financ iers , notamment les grands « investisseurs » internat ionau x. Dans l'imméd iat et comme ses prédécesseurs le gouvernement n'hésite pas à brader le patrimoine public pour bouc her les trous du budget, comme on le voit avec la privatisation décidée de la Snecma qui ouvre la porte à une prise de contrô le par l'amér icain Genera l Electr ic. Les grands fonds internat ionau x détiennent une majorité de la dette publique qui s’élève à 992,1 milliar ds d’eur os, soit 63,7% du PIB. Cette dernière ne cesse d’enfler sous le double effet d’une conjonctur e par ticulièrement dégradée et d’une très grande inefficacité des dépenses/r ecettes publiques . Entre le premier trimestr e 2003 et le premier trimestr e 2004, la dette publique a augmenté de 94,6 milliar ds d’euros. La hausse est de 153,4 milliards d’euros depuis fin 2001 (1). Les besoins de financement de l’État sont cons idéra bles mais le scénar io de croissance de Raffarin a été mis à mal par la hausse de l’eur o face au dollar, d’où l’affichage volontar iste de Nicolas Sarkozy. Le gouvernement tente de com bler ainsi le différentiel de croissance avec les États-Unis, zone beaucou p plus attract ive que l’eur oland.

Le denier moteur de croissance interne , la consommat ion des ména ges, s’essou ffle peu à peu. Leurs dépenses ont connu une progression de +1,7% entr e 2002 et 2003 alors que ce rythme était de +1,8% entr e 2001 et 2002. Nicolas Sarkozy préten d alors souten ir la consommat ion par une série de mesur es, noto irement insuffisante com pte-tenu de l’évolutions de l’emploi, des salaires et du pouvoir d’achat. Une étu de de l’OFCE évalue à 0,1% la hausse de la consommat ion effective tota le suite à l’exonérat ion des intérêts d’emprunts des cré dits à la consommat ion. Il faut noter par ailleurs que l’inflation est inégale selon les biens et ser vices et touchent de manière différenciée les caté gories de population. En avril, la hausse des prix pour les loyers ou l’eau a été de 2,6% (en glissement annue l). On note par ailleurs la flam bée actue lle des prix pétroliers (+3,6% pour le seul 1er trimestr e 2004 ) qui ne manquera pas de péna liser les ména ges modestes . Pour ces derniers, 2003 aura été une année noire. La progression de leur pouvoir d’achat aura frôler zéro (+ 0,6%) et leur revenu dispon ible brut (RDB) aura connu sa progress ion la plus faible depuis 1996.

Du côté de l’offre, c’est-à-dire des entr eprises, 2003 aura été celle de la réduct ion de la dette au prix de restructu rat ions et de destruct ions d’emplois mass ives. Toute fois, leur endettement reste impor tant . De plus, les groupes ont repor té leurs exigences de baisse des coûts pour rétab lir leur renta bilité sur les PME. Celles-ci sont confrontées à des difficultés grand issantes notamment en raison d’une plus grande sélectivité des banques qui accor dent beaucou p plus facilement des cré dits pour des opérat ions financ ières que pour des invest issements créateurs d'emplois et de formation. Cela a perm is aux grandes ban ques frança ises de réaliser d’énormes bénéfices en 2003 (Société généra le : 2,5 milliards d’eur os, + 78,4 % ; BNP Paribas : 3,8 milliards d’euros, + 14%) ! Du cou p, l’invest issement contr ibue négativement à la croissance pour la deuxième année consé cutive (-1,7% en 2003 après –3,8% en 2002). Ces con ditions de financement ne s’amé liorent pas avec l’actue lle remontée des taux d’intérêt à long terme (+5% en avril).

Désorma is, l’objectif de gestion des grandes entr eprises, est de privilégier l’auto financement , notamment par émissions d’actions, ce qui ne peut manquer de fragiliser plus encor e l’emploi, les salaires et les dépenses sociales. Dans ce conte xte, les grands groupes tirent leur épingle du jeu. Leurs restructurat ions violentes contr e l'em ploi ont débouc hé sur une for te reprise de leurs profits (+1,5% par trimestr e) et relevé leur renta bilité dès le milieu de l’année dernière. Leur taux de marge s’est amélioré en cont inu depuis le deuxième trimestr e 2003 et par consé quent la part des salaires dans la valeur ajoutée recule. Le gouvernement poursu it le sout ien au profit avec la mise en déclin du seul impôt sur le capital des entr eprises existant en France , dans la voie ouver te par le gouvernement Jos pin, ce qui avait cer tes augmenté les profits mais n'avait eu aucun effet mesurab le pour l'em ploi. Au contra ire, ces profits faciles sont utilisés mass ivement pour les placements financiers . Les opérat ions de croissance externe ont été relancées (retour des fusions-acquisitions) ainsi que la fuite des capitaux. Sur les deux premiers mois de 2004, les sor ties nettes de capitaux (38,5 milliar ds d’eur os) sont multipliées par deux et demi par rappor t aux deux premiers mois de l’année précé dente . Ces capitaux se dirigent essent iellement hors de la zone eur o.

Problème de l’emploi et de la formation dans l’industrie

C’est dans ce conte xte que le patronat frança is relance le débat sur la productivité apparente du tra vail en éludant le débat sur la productivité du capital. Le Medef, et son équivalent dans le secteur industr iel, le Groupement frança is des industr ies (GFI) enten dent promou voir les com portements de gestion les plus archaïques pour accr oître la rentabilité : la diminution des effectifs salariés et l’augmentat ion de la durée du tra vail, la diminution des dépenses pour développer les capacités humaines. Cela légitimera it d’une par t les suppr ess ions mass ives d’emplois et d’autr e par t, le désen gagement des entr eprises du financement de la protection sociale et de la format ion profess ionne lle. Or, les problèmes d’efficacité de la production dont souffrent l’économie frança ise sont d’abord liés à l’insuffisance des qualifications, des dépenses pour la recherche-développement , pour la format ion. Il faudrait, au contra ire envisager une autr e manière de faire croître la productivité, dans le cadre de la révolution informat ionne lle. Il con viendrait d’augmenter les dépenses pour développer les hommes et de rédu ire les coûts financ iers et en capital matér iel.

Cela renvoie d’ailleurs à tout le débat sur la « désindustrialisation » et les délocalisations . Une partie du patronat et du gouvernement s’en ser vent pour instrumenta liser l’angoisse des salariés. Au nom de la lutte contr e ces phénomènes , le gouvernement just ifie la multiplicat ion des aides aux patrons, sans contrô le ni contr epartie comme on le voit avec les récentes mesur es Sarkozy. Il ne s’agit pas de nier les problèmes réels qui sont à l'origine de ces débats. Il n'y a pas de désindustr ialisat ion de la France mais une très for te baisse de l'emploi industr iel. La DATAR sou lignait récemment que, de 1978 à 2002, la valeur ajoutée industr ielle a augmenté de 2,5 % par an, et que la par t de l’industr ie dans l’économ ie est restée quasiment stab le. Par contr e, sur la même période, l'industr ie frança ise a perdu 1,5 millions d'emplois en liaison avec les straté gies des groupes. C’est la consé quence des énormes gains de productivité réa lisés avec les nouvelles techno logies pour la renta bilité financière. C’est donc un problème très grave d'emploi dans l'industr ie mais auss i dans les ser vices et non pas une « désindustr ialisation ». Et ce phénomène ne renvoie pas seulement à des enjeux industr iels, il exprime avant tout la nocivité de la domination du système de production par les groupes, la renta bilité financ ière, les gestions capitalistes .

Face à cela, il faut se garder de s’en tenir à une vision défensive de protect ion de l'industr ie telle qu'elle est . Il y a au contra ire un besoin de contr e offensive, à partir des exigences de sécur isation de l'emploi et de la format ion, pour le développ ement d'une industr ie nou velle visant d'autr es buts sociaux, d'autr es financements , d'autr es rappor ts aux ser vices et à la société, d'autr es gestions et coo pérat ions. Cette autr e voie est d’autant plus urgente que les besoins de développement humain grand issent comme jamais.

1. voir l’étude de la Banque de France, « Les comptes financiers de la Nation 2003 : désendettement des entreprises et croissance de la dette publique », 12 mai 2004.