Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Aimer l’entreprise

A l’université d’été du Medef, M. Valls a proclamé : « j’aime l’entreprise ». Il a été applaudi à tout rompre par une assistance qui, à juste titre, a compris : « j’aime le patronat et j’entends le servir, y compris en pressurant beaucoup plus les salariés et leurs familles ».

Le pacte de responsabilité, qui transfère 40 milliards d’euros vers les profits, au prix d’un effondrement des dépenses de services publics et de protection sociale, n’a rien d’un « cadeau au patronat », a-t-il tonné, car « une mesure favorable aux entreprises, c’est une mesure favorable pour le pays tout entier » !

Stupéfiante affirmation qui confond volontairement les entreprises et les patrons, la création de richesses et l’accumulation de profits et de capitaux, et ramène la dépense publique sociale à un gâchis sur lequel économiser.

Pourquoi de tels dénis de réalité ? Mais parce que « sans employeur, il n’y a pas d’emplois » ! Vieille lune de la vulgate capitaliste qui veut faire prendre les patrons pour des donneurs d’emploi, ce qui justifierait tous les sacrifices !

Bien sûr l’entreprise est le lieu de la création de richesses, à l’origine des profits, des salaires, des cotisations sociales et d’une part des impôts. Mais, pour faire créer ces richesses, les patrons achètent sur le marché du travail, où ils sont maintenus en surnombre, des salariés qui, par contrat de travail fondamentalement précaire, délègue à « l’employeur » le pouvoir de leur extorquer une partie de la valeur qu’ils créent et de l’utiliser pour accumuler profits et capitaux. C’est sur cette plus-value et avec l’appel au crédit bancaire qu’est financé l’investissement. C’est sur elle que, en rivalité avec les prélèvements publics et sociaux (cotisations et impôts) si nécessaires au développement de toute la société, sont rémunérés les actionnaires et les créanciers (dividendes et intérêts).

Le chômage, qui maintient une « armée de réserve » sur le marché du travail, permet une pression permanente sur le taux de salaire et offre aux patrons la possibilité d’accroître la plus-value extorquée aux salariés en allongeant le temps de travail, en accroissant l’intensité du travail… L’ANI qui a débouché sur l’adoption d’une loi prétendument de « sécurisation de l’emploi » a consisté à accroître considérablement les pouvoirs patronaux sur les salariés et l’emploi.

Les salariés sont les acteurs les plus essentiels de la création de richesses. Et aujourd’hui bien plus qu’hier, car avec la révolution informationnelle, leurs savoirs, leurs savoir-faire, leurs compétences, leur créativité, leurs motivations, leurs capacités à coopérer tendent à devenir le facteur de production n° 1, devant l’investissement matériel.

Ne voit-on pas aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, l’importance prise par les dépenses de recherche et de formation, par le progrès des qualifications, tandis que tend à s’imposer la pratique de « l’intéressement » ? Ne voit-on pas l’importance prise par « les ressources humaines » dont les directions dans les entreprises s’acharnent à intégrer les salariés aux choix de gestion dont les patrons ont le monopole, alors même que ces choix, centrés sur la rentabilité financière, épuisent, divisent, démotivent les salariés et, de plus en plus, les rejettent vers le chômage et la précarité ?

Les technologies de la révolution informationnelle permettent d’économiser énormément le travail direct des salariés et le travail indirect contenu dans les moyens de production. Cela pourrait permettre de réduire fortement le temps de travail, d’en changer le contenu, de libérer du temps pour que les salariés se forment tout le long de leur vie, se cultivent, développent toutes leurs capacités et s’épanouissent avec les leurs dans d’autres activités.

Mais, utilisées pour la rentabilité financière, pour faire rendre le maximum de valeur aux actionnaires et payer toujours plus d’intérêts aux banques et aux marchés, ces nouvelles technologies dans les entreprises tendent à détruire beaucoup plus d’emploi qu’elles ne permettent d’en créer.

Les choix d’investissement, monopole patronal, tendent ainsi de plus en plus à accroître le chômage, à raréfier la demande salariale et, donc, les débouchés nécessaires pour que la production de richesses supplémentaires associée à ces investissements arrive à s’écouler.

Si les salariés sont, plus que jamais, au cœur de l’offre productive, ils sont aussi au cœur de la demande qui sert de débouché à cette offre. Dans un pays où plus de 90 % de la population active est salariée, les salaires versés constituent le socle principal de la consommation et de l’investissement logement des ménages.

Mais cela est vrai aussi des revenus de remplacement dont, particulièrement, les retraites. Celles-ci, grâce au système de répartition et à son financement à partir de la richesse produite par les salariés dans les entreprises, via les cotisations sociales, solidarise les générations de salariés, soutiennent la demande intérieure et libèrent du temps pour des activités sociales choisies des retraités, si indispensables désormais avec l’allongement de la vie.

Enfin, il faut mesurer combien les salariés des services et de la Fonction publics sont au cœur, à la fois, du progrès d’efficacité de l’offre des entreprises et du soutien de la demande adressée à ces entreprises.

Aujourd’hui, la santé, l’éducation, la petite enfance, les services aux personnes âgées, la recherche, le logement social, les transports collectifs, l’énergie, la protection de l’environnement, la culture… sont essentiels pour la productivité.

Par exemple, sans la Sécu, sans l’hôpital public, dans quel état serions-nous, quand on voit les énormes coûts sociaux qu’engendre le rationnement des soins ? Dans quel état seraient les salariés et leurs familles, et que serait leur efficacité au travail s’ils étaient en mauvaise santé ? Bref, la Sécu et les services publics de santé sont des facteurs essentiels de productivité.

En même temps, dépenser plus et mieux pour construire plus d’hôpitaux publics, de centres de santé, créer beaucoup plus d’emplois publics dans ce secteur permettrait de soutenir la demande intérieure et de mieux répondre aux besoins populaires.

Et cela est vrai pour tous les services publics, nationaux et locaux, sans lesquels, aujourd’hui, les entreprises ne pourraient plus produire efficacement.

On mesure alors ce que comporte de destructif, d’anti-économique et d’anti-social, le « pacte de stabilité européen » et combien, au contraire, on aurait besoin d’une grande relance des services publics, avec une réforme de la fiscalité et l’obligation pour la BCE de les financer par création de monnaie, via un Fonds européen ad hoc, au lieu de réserver celle-ci au soutien des marchés financiers.

Or, la prétendue « politique de l’offre » de Hollande-Valls, qui s’inscrit dans le « pacte de l’euro+ », le Pacte de stabilité et le pacte Merkel-Sarkozy, baisse le « coût du travail » (salaires + cotisations « patronales ») et sabre dans les dépenses de services publics pour accroître les profits disponibles dans les entreprises.

C’est là la mise en œuvre du tristement célèbre « théorème de Schmidt » naguère encensé par Giscard d’Estaing, puis par Mitterrand, qui affirme que « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » !

On voit le résultat ! Le chômage explose et la précarité prolifère comme une lèpre ! La consommation et l’investissement logement des familles sont à la peine, nombre de salariés, confrontés à une insécurité sociale devenue aiguë, se serrent la ceinture et mettent le plus possible de côté. L’investissement des entreprises, celui de l’État et des collectivités locales s’effondre. La France ne cesse de se désindustrialiser et les services qu’elle développe sont souvent de qualité insuffisante avec une main d’œuvre surexploitée, mal formée, mal payée. Le commerce extérieur est dans le rouge indiquant combien la « politique de l’offre » mine notre compétitivité. La croissance est stagnante, ce qui tend à raréfier les recettes publiques, d’où l’accentuation des déficits et dette publics que la politique de Hollande-Valls prétend pourtant endiguer sous les regards sourcilleux de Bruxelles.

La France est au bord de la déflation car elle croule sous un gigantesque coût du capital. Les seuls dividendes et intérêts payés, en 2012, par les entreprises non financières représentaient un prélèvement de 298,6 milliards d’euros soit 30 % de leur valeur ajoutée ! C’est le double de leurs cotisations sociales effectives (157,9 milliards d’euros). C’est même bien supérieur à leurs dépenses d’investissement matériel (197,4 milliards d’euros) !

En 1980, ce coût du capital absorbait 14 % de la valeur ajoutée des entreprises non financières, puis 21 % en 1999 et 29 % en 2012 !

C’est à cela que conduit le soutien à des entreprises guidées par le seul but de rentabilité financière, sous le monopole de gestion de patrons qui n’ont de compte à rendre qu’aux actionnaires et aux banquiers.

Mais attention, il faut distinguer entre les grands groupes et les PME. Les premiers ont vu leurs bénéfices nets bondir de 22 % au 1er semestre, si l’on excepte le résultat exceptionnellement négatif de BNP-Paribas. Ils disposaient fin 2013 de près de 160 milliards d’euros de trésorerie. C’est eux qui canalisent la plus grande part des quelque 200 milliards d’euro annuels de fonds publics et versent d’énormes dividendes à leurs actionnaires. Ils se soucient de l’emploi, des populations, de l’avenir des territoires comme d’une guigne et, d’ailleurs, les politiques gouvernementales les déresponsabilisent totalement.

Et puis il y a les PME, les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont écrasées par les grands groupes, surtout si elles se trouvent dans les chaînes de sous-traitance et sont pressurées par les banques, alors qu’elles constituent le gros du tissu productif français et de l’emploi. Ce sont elles qui constituent le gros des faillites, lesquelles ont augmenté de 1,8 % sur un an, avec 63 000 dépôts enregistrés. Est-ce cela aimer les entreprises ?

Ce ne sont pas les «charges sociales» qui détruisent les PME, mais les charges financières du crédit, la prédation des grands donneurs d’ordre et la boulimie de dividendes de leurs actionnaires.

Allions-nous pour changer le comportement des banques. Celles-ci, sur la base des dépôts mensuels en compte courant quasi-gratuits des salaires, pensions, allocations et retraites, disposent du pouvoir de créer de la monnaie, via le crédit aux entreprises. Asservies aux exigences de rentabilité financière de leurs actionnaires, elles rationnent le crédit à l’industrie, aux PME, tandis qu’elles prêtent à bon compte pour les opérations financières, les investissements pour supprimer des emplois et baisser les salaires, les délocalisations, la spéculation !

Et les énormes profits bancaires ne servent en rien à développer les 300 000 salariés des institutions financières. Au contraire, ceux-ci sont de plus en plus soumis à des traitements inhumains poussant, comme ailleurs, jusqu’au suicide sur le lieu de travail !

Travaillons à solidariser salariés des banques et de l’industrie pour que leurs luttes poussent à transformer les relations banques-entreprises.

En France celles-ci sont particulièrement désastreuses, comme sont désastreuses les relations groupes-PME. Les unes et les autres sont à l’origine d’un Coût du capital exorbitant, véritable cancer qui mine notre système productif. C’est lui qu’il faut combattre au lieu de baisser le « coût du travail » !

D’ailleurs, ce qui fait la force de l’industrie allemande ce ne sont pas de bas coûts salariaux, mais des relations banques/entreprises beaucoup plus efficaces et des relations beaucoup moins prédatrices entre groupes et PME.

Les banques sont trop essentielles pour les laisser aux mains des actionnaires privés. La monnaie, le crédit sont des biens publics communs. Il faut donc que les banques assument une grande mission de service public du crédit. C’est pour cela que nous proposons de créer un pôle financier public à partir de la CDC, de la Banque publique d’investissement (BPI), au lieu que celle-ci serve de béquille à la finance, de la CDC, de la banque postale, des banques mutualistes et coopératives, et avec des banques nationalisées.

Mais, il s’agirait à partir de ce pôle public de changer les règles du crédit pour les investissements matériels et de recherche des entreprises : plus ceux-ci programmeraient d’emplois et de formation correctement rémunérés, d’augmentation des salaires et plus serait abaissé le taux d’intérêt du crédit jusqu’à 0 %, voire en dessous (non remboursement d’une partie du prêt). Cela permettrait de bousculer la BCE dont le refinancement des banques devrait être transformé selon les mêmes principes.

Ce nouveau crédit, on peut en faire avancer les règles tout de suite par la lutte et le débat, dans toutes les régions dirigées par des Conseils à majorité de gauche : en exigeant la création de Fonds publics régionaux contrôlés par les élus et saisissables par les salariés et les populations. Ils pourraient être les fondations décentralisées du pôle public bancaire et financier que nous appelons de nos vœux.

En même temps, on peut exiger un audit citoyen de toutes les aides publiques aux entreprises et les conditionner à la création d’emploi et de formation.

On mesure, alors, le besoin de nouvelles entreprises publiques et à capitaux mixtes. Il faut s’opposer radicalement aux privatisations, faire la chasse à la culture de rentabilité financière qui aujourd’hui pollue leurs états-majors et conquérir, pour leurs salariés, de nouveaux droits sociaux et des pouvoirs d’intervention permettant de réorienter les gestions. Ces entreprises devraient, avec de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale, sécuriser l’emploi, la formation, les revenus de leurs salariés et inciter les entreprises privées qui coopèrent avec elles à s’engager sur cette voie et se responsabiliser au plan social, territorial et environnemental. Elles devraient, dans le cadre d’une planification stratégique (économique, sociale et écologique), contribuer au redressement productif national, à la cohérence des filières industrielles et de service et à de nouvelles relations économiques et commerciales internationales.

On sait combien les multinationales à base française jouent aujourd’hui un rôle prédateur, alors qu’elles mobilisent d’extraordinaires capacités humaines et matérielles, d’énormes ressources financières sans avoir de compte à rendre autrement qu’à leurs gros actionnaires. Il faut que les salariés de ces groupes disposent de nouveaux droits et pouvoirs, y compris un droit de veto sur les suppressions d’emploi pour pouvoir contre-proposer des solutions permettant de baisser les coûts de l’entreprise par la baisse du coût du capital et non du travail.

Ces grands groupes, dont la fiscalité devrait être radicalement réformée, pour les contraindre à assumer une responsabilité sociale et environnementale, devraient être poussés à transformer la construction européenne.

Aujourd’hui celle-ci est réduite à un grand marché sur lequel les multinationales, appuyées par les États, font s’entre-déchirer les Européens dans une véritable guerre civile économique sous la surveillance d’une BCE qui ne se préoccupe que de soutenir les marchés financiers.

Les grands groupes, de concert avec la BCE, doivent réorienter leurs pratiques pour faire de l’Europe une construction sociale, écologique et pacifique ! Et cela peut commencer ici et maintenant par la lutte avec des propositions rassembleuses.

Ce sont les salariés qui, par leurs luttes pour les salaires, l’emploi, le développement des qualifications avec la formation, l’essor d’investissements efficaces financés par un bon crédit, vont apprendre aux petits marquis de la finance ce qu’aimer l’entreprise veut dire ! n

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