Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L'urbanisme au service des profits capitalistes

La loi dite « de sécurisation de l’emploi », le Pacte de responsabilité, la réforme des collectivités territoriales, tous ces choix politiques servent une orientation commune : les profits d’aujourd’hui seraient la croissance de demain, et donc il faut les sécuriser.

Le projet de loi Macron prolonge la démarche et l’accentue. En ouvrant une nouvelle phase de libéralisation et de déréglementation de l’économie comme de la société française, il entend « libérer l’activité », c’est-à-dire offrir de nouvelles perspectives de profits au capital, au détriment de tous.

Dans ce grand saccage social et économique, l’urbanisme et le logement social ne sont pas oubliés.

La philosophie gouvernementale prend racine dans la doxa libérale. La loi dite «de sécurisation de l’emploi» s’est donnée pour ambition de réduire le coût du travail des entreprises en affaiblissant les pouvoirs des salariés dans l’entreprise. Le Pacte de responsabilité s’est donné pour finalité de financer la baisse du coût du travail par la réorientation de la dépense publique et sociale au profit des entreprises. La réforme des collectivités territoriales vise à réorganiser les institutions républicaines et les territoires pour les mettre au service de la valorisation capitaliste des grands groupes et non plus de la réponse aux besoins sociaux et des territoires. Tous ces choix politiques reposent sur le même dogme: les profits d’aujourd’hui seraient la croissance de demain, et donc il faut les sécuriser.

Le projet de loi Macron prolonge la démarche et l’accentue. En ouvrant une nouvelle phase de libéralisation et de déréglementation de l’économie comme de la société française, il entend «libérer l’activité», c’est-à-dire offrir de nouvelles perspectives de profits au capital, au détriment de tous. Et pour cela, toutes les perspectives de profits pour les grands groupes sont visées. Il poursuit la déréglementation du droit du travail: travail du dimanche et en soirée, nouvel affaiblissement des juridictions prud’homales, dépénalisation du délit d’entrave… Il ouvre une nouvelle phase de privatisations explicites ou larvées des entreprises publiques: armement, aéroports, CHU, transport par autocars, barrages hydrauliques… Il déréglemente les professions du droit et du chiffre pour en baisser les coûts et y développer la concurrence internationale…

Dans ce grand saccage social et économique, l’urbanisme et le logement social ne sont pas oubliés. Sur les 106 articles du projet de loi, 12 ont directement trait à une libéralisation des politiques d’urbanisme et de construction du logement social.

Des mesures en matière de logement pour «libérer les profits des entreprises»

3 articles (23, 24, 25), qui d’ailleurs s’articulent entre eux, portent plus particulièrement sur le logement.

Le premier (article23) renforce la construction des informations territorialisées sur la mobilité des locataires dans le parc social, à la fois son niveau et ses freins. Alors que les constructions de logements sociaux sont largement insuffisantes au regard des besoins exprimés et des objectifs fixés par les politiques publiques (objectif: 150000 logements sociaux par an; 102000 réalisés), le projet de loi propose de construire une information qui permettrait alors de donner du grain à moudre à ceux qui considèrent que le parc social n’est dévolu qu’aux ménages les plus pauvres et qu’il doit inclure de la rotation dans ses bénéficiaires.

Et plutôt que de construire ces logements sociaux, le projet de loi propose de modifier le code de l’urbanisme afin de développer dans les opérations de construction et de réhabilitation la part des logements intermédiaires. Ceux-ci pourraient représenter 30% du total d’une opération immobilière. C’est l’objet du second article (article24).

Or qu’est-ce qu’un logement intermédiaire? C’est un logement non HLM, qui bénéficie d’aides publiques, qui doit être occupé comme résidence principale par des ménages à revenus plafonnés mais supérieur au plafond du logement social, et dont le loyer n’excède pas un certain plafond défini par décret en fonction de sa localisation mais dépasse celui d’un logement social. En bref, avec un loyer décoté de 20% en moyenne par rapport au marché, les logements intermédiaires sont des logements principalement destinés aux salariés des couches moyennes de la population.

Alors pourquoi développer le logement intermédiaire plutôt que le logement social en augmentant le plafond des revenus ouvrant droit au logement social? Pour deux raisons.

La première, parce que soutenir la construction de logements intermédiaires revient ni plus ni moins qu’à soutenir encore plus le logement privé aidé, contre le logement social, et à développer les bailleurs privés ou les filiales HLM, contre les organismes HLM. En outre, l’encouragement à la construction de logements intermédiaires renforcera la réorientation de la construction de logements à loyers limités au détriment des logements très sociaux.

La seconde, parce qu’autoriser dans les projets d’urbanisme et les PLH jusqu’à 30% de logements intermédiaires, cela revient à organiser la spatialisation de la construction de logements à loyers maîtrisés dont les entreprises sont demandeuses.

En effet, comme le notaient déjà les deux rapports du Credoc sur le logement (1) dès 2011, 2 rapports commandités par le Medef, les coûts des logements et des loyers impactent les stratégies de mobilité et de revendications salariales des salariés des entreprises en zones denses, au point que 40% des entreprises s’en trouveraient affectées dans leurs coûts ou leur compétitivité! Dans un contexte de métropolisation des territoires, où la densification va engendrer des coûts croissants du logement, encourager la construction de logements à loyers maîtrisés reviendrait à réduire les coûts de gestion de l’emploi des entreprises.

Cette proposition de réduction des coûts des entreprises par une maîtrise des loyers d’habitation des salariés n’est pas en soi négative, mais dans un contexte de réduction de la dépense publique et de suppression des contre-pouvoirs salariaux dans et hors l’entreprise elle peut s’avérer mortifère. Non seulement une telle réorientation de l’effort de construction se fera au détriment des populations les plus défavorisées. Mais en l’absence de contrôle social de la gestion de ces logements et des gains potentiels réalisés par les entreprises, il est fort probable que cette politique du logement à loyer maîtrisé pour les salariés ne servent pas in fine à limiter les revendications salariales et sociales dans l’entreprise en devenant un outil de la gestion sociale de l’emploi de l’entreprise, et donc à accroître ses profits capitalistes.

Reste que pour parvenir à ces fins, le projet de loi annonce (article25) une ordonnance pour l’été 2015 qui, d’une part, reconfigurera le zonage territorial de la construction de logements intermédiaires aujourd’hui circonscrit et modifiera le statut des bailleurs du logement social afin de leur permettre d’engager des programmes de construction de logements intermédiaires, et d’autre part, qui redéfinira les relations entre propriétaires bailleurs et locataires dans l’intérêt des propriétaires comme l’indique l’étude d’impact associée au projet de loi (raccourcissement du délai de congé pour vente, sécurisation du paiement des loyers en cas de colocation, rapprochement du régime de location des logements nus de celui des meublés…).

Déréglementation et réduction de la maîtrise publique de l’urbanisme

En matière de règles d’urbanisme, le projet de loi prévoit pas moins de 3 ordonnances visant chacune à «simplifier» les procédures d’information et d’autorisation délivrées par les services de l’État, au grand bonheur des investisseurs.

Ainsi, afin de favoriser les investisseurs de projets dits d’installations classées il s’agit par exemple de projets éoliens, de méthanisation ou hydroélectriques – le projet de loi prévoit que les porteurs de projet pourront bénéficier sur tout le territoire national des procédures d’autorisation unique (article26) et de certificat de projet (article27), si «ces projets présentent un intérêt majeur pour l’activité économique [...]».

L’autorisation unique rassemble, outre l’autorisation ICPE elle-même, le permis de construire, l’autorisation de défrichement, la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées et l’autorisation au titre du Code de l’énergie dans un même document. Donnée en temps limité par les services de l’État au moment du dépôt du projet, sur la base des informations fournies dans le projet, elle se substituera à l’ensemble des autorisations actuelles nécessaires tout au long du processus de réalisation du projet, et de fait à tout contrôle. En quelque sorte, l’autorisation unique servira de quitus à l’engagement du projet jusqu’à son terme. Y compris dans le cadre de projets potentiellement problématiques pour l’environnement.

De la même manière, le certificat de projet obligera les services de l’État à fournir l’ensemble des éléments administratifs et formalités nécessaires au porteur du projet pour le réaliser. Ce certificat de projet engagera la responsabilité de l’État si les délais et procédures sont dépassées ou si les informations fournies sont erronées.

En organisant ainsi la disparition des contrôles publics sur les projets durant tout leur réalisation, la généralisation de l’autorisation unique et du certificat de projet va donc assurer au porteur de projet une visibilité de sa rentabilité à court terme et de ses perspectives de profits, facilitant la mobilisation des investisseurs financiers. En réalité, ces deux outils vont assurer un transfert du risque du porteur de projet et de ses financeurs vers l’État et les territoires.

Cette philosophie du «0 risque pour l’investisseur», l’article28 du projet de loi la généralise à tous les projets de construction et d’aménagement. En effet, s’il ne reprend pas explicitement les outils des articles26 et27, il annonce une ordonnance en 4 volets permettant d’accélérer l’instruction et la délivrance des autorisations de projets de construction, d’alléger les contrôles des autorités environnementales sur ces projets, de limiter l’information et la faculté de décision citoyenne sur les projets, et de restreindre le pouvoir d’opposition et de sanction des projets par le juge administratif.

Concrètement, pour accélérer la réalisation des projets, le nombre et les délais des autorisations pour ces projets seront réduits, et les pouvoirs de décision des maires et du juge administratif seront transférés au préfet en cas d’opposition. Pour limiter les contrôles des autorités environnementales sur les projets, l’ordonnance prévoit deux types de mesures: d’une part, les évaluations des risques environnementaux seront unifiées dans des procédures uniques et en amont de la réalisation des projets, et d’autre part, les pouvoirs des autorités environnementales seront réduits et la règle de désignation des membres de ces autorités sera revue dans un sens plus en adéquation aux objectifs économiques (sic!). Pour limiter l’intervention citoyenne, l’ordonnance prévoit de réduire la participation citoyenne aux seuls projets à portée environnementale, mais cette participation du public sera inscrite dans une procédure unique d’enquête publique simplifiée portant sur plusieurs projets. Enfin, en cas de litige sur des projets avec incidence environnementale, dans l’intérêt de l’environnement et de la sécurité juridique des porteurs de projets, nous dit le texte, l’ordonnance propose d’en accélérer le règlement par un aménagement des compétences et pouvoirs des juridictions administratives… En bref, sauf situation exceptionnelle, tous les projets de construction et d’aménagement des territoires pourront rapidement être menés à leur fin sans difficultés et aux moindres coûts administratifs et environnementaux réels. Là encore, les investisseurs seront sécurisés, y compris au détriment possible des territoires et de l’environnement.

Et comme si ces 3 ordonnances annoncées ne suffisaient pas, l’article29 du projet de loi réduit tous les risques financiers pour les investisseurs liés à la démolition des constructions en cas d’infraction aux règles de l’urbanisme. En effet, alors qu’il suffisait de l’annulation du permis de construire par le juge pour obliger à démolir lorsque les constructions dérogeaient aux règles de l’urbanisme ou d’utilité publique, cet article introduit une double condition supplémentaire: l’annulation du permis de construire par le juge et avoir construit dans des zones protégées ou à risques. Nul doute qu’en zone urbaine, cette encouragement à construire même en dehors des règles sera entendu…

Assurer les profits des entreprises du numérique à très haut débit

Pour originales qu’elles soient, les dispositions des articles31 à33 du projet de loi ne trahissent pas sa philosophie. Afin d’assurer sans coûts et le plus rapidement possible l’arrivée dans les chaumières françaises de l’image ultra-haute définition introduite par les majors du numérique américain (Netflix…), ces 3 articles bousculent les rythmes des assemblées de copropriétaires et obligent la mise à disposition de cet objectif des infrastructures de réseaux.

Ainsi, l’article31 dispose que dans les immeubles non équipés du très haut débit, si l’assemblée générale des propriétaires doit avoir connaissance des propositions d’installation de la fibre optique par un opérateur quelconque, le Conseil syndical doit pouvoir de droit se prononcer sur les différentes propositions. Ce renforcement du pouvoir du Conseil syndical (structure très restreinte) en matière d’installation de la fibre optique va permettre de passer outre les réticences de certains propriétaires sur le sujet. En même temps qu’elle va permettre de faciliter le pouvoir de négociation des opérateurs.

Dans le même esprit, l’article32 annonce une ordonnance obligeant la mise à disposition sans coût des réseaux d’immeubles et de lieux publics aux opérateurs de la fibre optique. Une décision qui invalide de fait toute tentative de contrôle monopolistique ou toute rente de situation pour les détenteurs d’infrastructures de réseaux, et prépare la meilleure profitabilité aux opérateurs du numérique.

En guise de conclusion

 

Les dispositions relatives à l’urbanisme et au logement contenues dans ce projet de loi relèvent de la même logique que celles concernant les privatisations ou les professions réglementées. Il s’agit à chaque fois d’organiser la sécurisation de la profitabilité des grands groupes et investisseurs, au mépris des besoins sociaux et environnementaux, en dérégulant.

De telles mesures ne favoriseront pas une sortie de crise. Elles ne libéreront pas l’activité, ni n’encourageront l’investissement productif. Ce projet de loi ne relancera pas la croissance. Il ne fera que plaire aux marchés. Car ce n’est pas d’une sécurisation des profits financiers des grands groupes dont a besoin l’économie française et européenne, mais d’une sécurisation de l’activité réelle. Elle n’a pas besoin de plus de libéralisme et de déréglementation, elle a besoin d’une sécurisation de la demande des ménages, et donc de l’emploi, et d’une sécurisation des conditions de financement de l’investissement productif des entreprises, et donc d’un financement émancipé des marchés financiers. Ce qui implique de rompre avec les politiques d’austérité conduites jusqu’à présent par ce gouvernement.

Ce projet de loi Macron est donc une nouvelle occasion de marquer le débat sur le fond et sur les choix à opérer. Des forces considérables de toutes natures s’opposent à ce texte et peuvent se rassembler pour lui faire échec. Cette bataille est une nouvelle occasion de construire une perspective pour une véritable politique alternative de gauche.

 

 

(1) « Les répercussions directes et indirectes de la crise du logement sur l'emploi », CREDOC, rapport n°273, mars2011; et « Les problèmes de logement des salariés affectent 40% des entreprises », CREDOC, étude n° 280, avril 2012.

 

 

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