Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un cocktail de mesures pour la rentabilité des capitaux

Comme le reste du texte, le titre II du projet de loi « pour la croissance et l’activité » comporte un grand nombre de dispositions sur des sujets variés dont la cohérence peut ne pas apparaître au premier coup d’œil. On distingue bien, cependant, que les dispositions soumises au vote du Parlement s’organisent autour de trois axes : mettre davantage l’administration au service de la rentabilisation des capitaux privés, enrôler les salariés – et leur épargne – derrière ces objectifs de rentabilité, mettre en place les bases d’une politique globale de privatisations.

Mettre l’État encore davantage au service de la rentabilité du capital

Au titre du premier axe, on peut ranger l’allégement des contrôles administratifs de la conformité des projets industriels ou agricoles aux règles de protection de l’environnement (articles26 et28). Le projet de loi habilite également le gouvernement à prendre des mesures par ordonnances, par exemple pour limiter l’autonomie des communes en matière d’autorisations d’urbanisme. Un peu gênés, les auteurs de l’exposé des motifs protestent de l’attachement du gouvernement à «un niveau élevé de protection de l’environnement»… mais des actes comme la promotion des transports par autocar pour les pauvres, instaurée par le même projet de loi, suffisent à juger du poids réel de ces paroles.

Dans la même veine, l’article59 habilite le gouvernement à simplifier par ordonnances les règles applicables en matière de concentrations économiques et à «instaurer une véritable procédure de transaction» devant l’Autorité de la concurrence, sur le modèle anglo-saxon, pour «remédier au manque d’attractivité pour les entreprises du dispositif actuel» lorsqu’elles violent le droit de la concurrence… Les mesures figurant aux articles65 à68 en vue, par exemple, de «spécialiser les tribunaux de commerce» visent sans doute à la même «attractivité» pour garantir aux grandes entreprises que des tribunaux locaux ne prendront pas par mégarde des mesures qui feraient obstacles à leurs stratégies.

La même volonté de mettre l’administration davantage au service de la rentabilisation du capital à base française inspire l’article52 qui donne à l’Autorité de sûreté nucléaire la possibilité de se prononcer sur la sûreté des technologies; il ne s’agit pas, comme un esprit naïvement progressiste aurait pu l’imaginer, de mobiliser l’avance technologique française au service de la transition énergétique mondiale, mais bien d’«améliorer le positionnement de la filière nucléaire française face à ses principaux concurrents étrangers».

Enrôler les salariés dans la guerre économique

Lorsque le capital règne, rien ne doit manquer à sa domination, pas même l’adhésion des salariés. C’est le sens de l’article34 qui encourage les attributions gratuites d’actions, «puissant instrument d’intéressement des salariés à l’augmentation de la valeur de leur société» (il s’agit de la «valeur» pour les actionnaires: il importe de le préciser mais les auteurs du projet de loi et de son exposé des motifs ne le font pas, tant la chose, pour eux, va de soi). En substance, les gains des salariés bénéficiaires d’actions gratuites ne seront plus imposés à l’impôt sur le revenu mais selon le régime des plus-values mobilières, plus favorable; la contribution sociale salariale spécifique sera supprimée et le taux de cotisation patronale sera ramené de 30% à 20%. D’autres avantages fiscaux sont prévus pour les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise.

D’autre part, le gouvernement se réclame des travaux du COPIESAS (Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement régime de l’épargne salariale) pour réaménager (articles36 à40) le régime de l’épargne salariale en vue de favoriser le PERCO (plan d’épargne retraite collectif) qui, contrairement au plan d’épargne d’entreprise, peut être mis en place sans l’accord des organisations syndicales. Des initiatives parlementaires sont annoncées pour introduire d’autres mesures, plus substantielles, au cours du débat à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le projet de loi. Le gouvernement prétend qu’il vise à puiser dans l’épargne salariale des sources supplémentaires de financement pour l’investissement et la croissance. Compte tenu de l’ampleur, non négligeable, mais encore modeste (100milliards d’euros, à comparer aux 900milliards de crédits bancaires aux entreprises) des sommes en cause, ce n’est sans doute pas son objectif principal: comme dans le cas de la distribution d’actions gratuites, il s’agit de faire dépendre davantage les revenus des salariés des résultats financiers de l’entreprise et de les associer à la recherche de la rentabilité plutôt qu’à la création de valeur ajoutée et au développement de l’emploi qualifié.

Mettre en place, sans le dire, les moyens d’une vaste politique de privatisations

Un aspect majeur du projet de loi réside dans l’ensemble des dispositions tendant à favoriser les privatisations. Venant après celle de Toulouse-Blagnac, la privatisation des aéroports de Lyon et de Nice (article49) justifie de nombreuses critiques. Il en va de même, dans le domaine stratégique des armements terrestres, avec la fusion, prévue à l’article47, de Nexter, filiale du GIAT, avec le groupe privé allemand KMW (Krauss Maffei Wegmann). Simultanément, la perspective de la privatisation de SNPE est confirmée. «Quels seront les choix stratégiques, industriels et financiers, décidés par les dirigeants de la future société dont les considérations ne seront guidées que par la rentabilité immédiate?», interroge la CGT de Nexter. «Quels sous-ensembles seront intégrés, où seront-ils fabriqués? Pourquoi ne pas avoir garanti l’avenir du blindé en France?»

Il faut souligner que la loi Macron inscrit ces opérations concrètes dans un contexte plus vaste. La simplification du régime des contrats de concession par voie d’ordonnances, prévue dans l’article57, va dans le sens d’une banalisation des services publics. Tout aussi lourd de conséquences pourrait être l’article42 qui autorise les hôpitaux à créer des filiales pour «faciliter leurs relations avec des partenaires industriels extérieurs». Sachant la détresse financière actuelle de la plupart des hôpitaux, on imagine le type de gestion du système de santé qui est ainsi encouragé!

Tout cela est parfaitement cohérent avec la «simplification du cadre juridique de l’intervention de l’État actionnaire» prévue dans les articles45 et46, qui porte notamment sur le statut des membres de la Commission des participations et des transferts.

De fait, la «loi Macron» est une pièce supplémentaire dans un dispositif qui met progressivement en place un vaste programme de privatisations qui ne dit pas son nom. Mais le processus est déjà engagé, comme le démontre la ratification de l’ordonnance du 20août 2014.

Passée relativement inaperçue à sa promulgation, cette ordonnance modifie la gouvernance des entreprises publiques qui ont un statut de société anonyme; la loi de démocratisation du secteur public ne s’applique plus qu’aux établissements publics industriels et commerciaux. Les sociétés anonymes dans lesquelles l’État détient une participation (directe ou indirecte) sont maintenant soumises aux dispositions du Code de commerce. Un seuil d’effectifs (50 salariés) est introduit pour la présence d’administrateurs salariés au conseil des entreprises publiques à statut de SA. Il n’existait aucun seuil auparavant. Si la règle du tiers d’administrateurs salariés ne change pas, les représentants des salariés actionnaires sont désormais comptés dans ce tiers: ils peuvent se substituer à un ou plusieurs administrateurs salariés proprement dits. L’obligation de maintien des mandats d’administrateurs salariés dans les entreprises privatisées a purement et simplement été supprimée, tandis que le nombre de représentants de l’État est réduit. Cette ordonnance aura également pour conséquences négatives une moins bonne information et participation aux décisions des différents secteurs de l’État, et un poids accru de l’Agence des participations de l’État, dont la mission est la maximisation des dividendes.

Le projet de loi Macron ratifie l’ordonnance du 20août 2014 et apporte des compléments et des développements supplémentaires. Ainsi, l’article44 donne à l’État les moyens d’optimiser l’usage des actions spécifiques (golden shares) dont il peut disposer dans les entreprises récemment privatisées de certains secteurs autorisés par la législation européenne. Ce sera un moyen de justifier des ventes d’actions des entreprises publiques, l’État faisant valoir qu’il conservera néanmoins le pouvoir de s’opposer à certaines décisions «portant atteinte aux intérêts essentiels du pays» même s’il ne contrôle pas la majorité du capital de l’entreprise. Déjà, la «loi Florange», qui donne un double vote aux actions possédées depuis plus de 20 ans, a été utilisée pour diminuer la participation financière de l’État dans des entreprises dont il est actionnaire.

Les auteurs du projet de loi ne cachent pas que le produit de ces privatisations est destiné à réduire la dette publique. Ils évoquent aussi des «réinvestissements» dans des secteurs «porteurs de développement économique»; en supposant même que cette clause se traduise un jour par quelque réalité, ces fonds ne seraient mobilisés que pour venir au secours de l’initiative privée.

La logique d’ensemble: prouver à la finance que le gouvernement est son ami…

Cet ensemble de dispositions, qui ne déparerait pas un programme libéral, est, au fond, avant tout porteur d’un message en direction des marchés financiers: le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser la rentabilisation des capitaux; ceux-ci peuvent donc s’investir sans crainte dans les multinationales à base française. En multipliant les démonstrations de cette veine, Manuel Valls et Emmanuel Macron espèrent avant tout éviter que la spéculation prenne la France pour cible et fasse remonter les taux d’intérêt, ce qui ferait plonger le déficit public et paralyserait l’investissement. Ils continuent de soutenir qu’il faut faire confiance aux marchés pour que l’économie aille bien, et qu’à cette condition on pourra ensuite corriger les inégalités par une politique de redistribution fiscale. L’échec avéré des politiques d’austérité montre, particulièrement en France mais aussi dans toute l’Europe, que les choses ne se passent pas ainsi; accepter la domination des marchés financiers rend illusoire toute réussite d’une politique sociale-libérale, comme le refus de la combattre radicalement a signé l’impuissance des politiques sociales-démocrates. La prochaine crise financière ne manquera pas de le mettre en évidence – qu’elle parte de la France ou d’un autre point faible de l’économie mondiale.

Dans les trois domaines traités par le titreII du projet de loi Macron, il y a au contraire des mesures à prendre pour combattre la domination des marchés financiers à la racine.

Il y a des alternatives! Développer les services publics, développer le pouvoir des salariés sur les stratégies industrielles et sur le financement de l’économie.

Le rôle de l’État ne peut plus être de venir au secours de la rentabilisation du capital privé, comme dans les «trente glorieuses». Il y a un besoin urgent de développer de nouveaux services publics, en n’hésitant pas à financer un tel investissement par la création monétaire de la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales, et en favorisant la conquête, par les citoyens, de pouvoirs d’intervention sur la gestion de ces services public. Plutôt que d’utiliser l’épargne des salariés au service de la rentabilité des capitaux, il vaudrait mieux mettre en cause les privilèges fiscaux exorbitants de l’assurance-vie et des autres circuits qui canalisent cette épargne (y compris les différentes formes d’épargne salariale) vers les marchés financiers. Il y a suffisamment de vastes investissements publics à financer (par exemple pour développer le service public de la santé ou celui de l’éducation) pour que ces fonds puissent s’investir – par exemple au moyen d’outils comme le livret A – dans de nouvelles formes de titres, exemptes du caractère spéculatif de ceux qui circulent sur les marchés financiers. Surtout, il serait indispensable de mobiliser les crédits bancaires – source de tout l’argent qui circule sur nos comptes – pour développer la création de richesses fondées sur la sécurisation de l’emploi et de la formation, et sur l’économie de capital matériel et financier. Ce serait enclencher un cercle vertueux permettant d’augmenter les salaires mais aussi les prélèvements fiscaux et sociaux, moyens du développement des services publics et d’une politique efficace de lutte contre la pauvreté et les inégalités.

Toutes ces propositions vont évidemment à l’opposé de toute politique de privatisation. L’accueil favorable réservé par l’opinion aux propositions de nationalisation des autoroutes ou de la gestion de l’eau, dans une période où pourtant les idées réactionnaires pèsent lourdement, doit encourager à engager des batailles concrètes sur ce terrain, pour la constitution de pôles publics aidant les citoyens à tenir tête aux marchés financiers en exerçant de réels pouvoirs sur les stratégies industrielles et sur le financement de l’économie.

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