Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Loi Macron : La grande braderie annoncée

La loi Macron ne s’en prend pas seulement aux professions réglementées, aux prud’hommes ou au travail du dimanche. Cet incroyable galimatias vise aussi à cacher une offensive sans précédent de privatisation de plusieurs secteurs stratégiques de l’économie française, dans le seul but de réduire les déficits générés par la politique d’austérité.

Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, l’avait annoncé samedi 16novembre dans les colonnes du Monde: le gouvernement souhaite privatiser entre cinq et dix milliards d’euros d’actifs dans les prochains mois sans préciser lesquels.

Depuis, les spéculations allaient bon train. Le Journal du dimanche affirmait que le gouvernement envisageait de vendre 30% de Réseau de transport de l’électricité (RTE), une filiale d’EDF qui gère le réseau électrique à haute tension. D’autres évoquaient ADP ou GDF-SUEZ dont une partie des actions avaient déjà été vendues cette année.

Avec la publication du projet de loi, on en sait un peu plus sur les intentions du gouvernement. La vente des bijoux de famille a commencé, en débutant naturellement par les plus rentables qui trouveront ainsi plus facilement preneurs. C’est ainsi que le projet prévoit explicitement la privatisation des industries de l’armement terrestre et des aéroports de province.

L’armement et les aéroports à l’encan

L’article47 du projet dispose: «Est autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales.»

De fait, cet article vise essentiellement le groupe Nexter qui est un groupe industriel de l’armement appartenant à 100% à l’État français. Il fabrique du matériel militaire pour le combat terrestre, aéroterrestre, aéronaval et naval. Nexter résulte de la filialisation des différentes entités du groupe Giat Industries qui en est devenu la holding de tête. Depuis plusieurs années, la privatisation de Giat/Nexter était dans les cartons et elle s’est récemment accélérée avec le projet «KANT» de fusion avec la société allemande KMW.

Naturellement, l’enfer étant pavé de bonnes intentions, le préambule du projet ne parle pas de privatisation mais de «la création d’un champion européen». La nouvelle entreprise serait de droit hollandais pour des raisons d’optimisation fiscale (!). Les armements de cette nouvelle firme ne seront plus conçus pour répondre aux besoins spécifiques de la défense de notre pays, mais avant tout pour «coller» à la demande du marché mondial de l’armement.

Comme Nexter et KMW sont concurrents sur nombre de productions, cette fusion se traduira donc à termes par de nombreuses suppressions d’emplois. Des milliers de brevets développés grâce à l’argent du contribuable vont être livrés pour une bouchée de pain au capital privé, tout cela pour trouver de l’argent pour payer la dette publique.

Dès juillet2014, le PCF s’est opposé à ce projet en rappelant sa position dans un communiqué: «Un autre choix est possible pour que la France ait les moyens d’assurer en matière de conception et de production d’armement terrestre sa défense nationale. Il s’agit de constituer un pôle public d’armement terrestre autour de Nexter, de Renault Trucks, Thalès et Sagem-Safran. Celui-ci pourrait au cas par cas, tout en garantissant l’indépendance de notre pays, coopérer avec d’autres acteurs industriels européens dans le cadre de “Groupement d’intérêt économique” comme c’était le cas avec Airbus avant la naissance d’EADS.»

Grâce à la loi Macron, le débat n’aura pas lieu.

L’article49 quant à lui prévoit que «le transfert au secteur privé de la majorité du capital des sociétés Aéroports de la Côte d’Azur et Aéroports de Lyon est autorisé».

Cette fois, M.Macron ne s’embarrasse même pas de justifier ces privatisations par un quelconque motif honorable. Il s’agit pour le gouvernement d’une pure opération de liquidation du patrimoine public pour le plus grand bénéfice des intérêts privés de tout bord. Selon Les Échos du 6août dernier, la privatisation des aéroports de Toulouse (déjà soldé à un consortium chinois), Lyon et Nice pourrait rapporter 500millions d’euros à l’État…

Outre la perte d’indépendance que générerait cette privatisation (notamment en matière de développement des liaisons internationales), beaucoup soulignent qu’il ne s’agit pas vraiment d’un choix économique judicieux. Ainsi pouvait-on lire dans le JDD: «La gestion d’aéroport, petit ou grand, est l’un des business les plus convoités de la planète. On y retrouve au coude à coude des investisseurs financiers et des opérateurs historiques comme ADP en France, l’espagnol AENA ou l’allemand Fraport. Les spécialistes de la concession, comme le géant mondial Vinci, sont aussi de la partie. Tous sont à l’affût des privatisations qui se multiplient pour cause de désendettement des États, ou de renouvellement des concessions. L’aéroport est un cocktail dont raffolent les investisseurs: une activité réglementée, une croissance régulière, une marge moyenne de 40% et un potentiel de recettes complémentaires. Il additionne les redevances, par passager transporté ou mouvement d’avion, les revenus tirés des locations de passerelles, de locaux commerciaux, d’emplacements pour loueurs de voitures et parkings pour particuliers… » «On estime que la progression de l’activité est deux fois supérieure à celle de la croissance économique», rappelle Philippe Aliotti, de l’Union des aéroports français (UAF).» (1)

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la braderie des concessions autoroutières réalisées par Nicolas Sarkozy en 2005 et qui avait alors déclenché la colère des socialistes. Il s’en était même trouvé un pour fustiger «ce bradage du patrimoine national» et «cette opération à courte vue [qui] prive la France de ressources pérennes». Ce héraut de la lutte anti-privatisation, c’était le candidat François Hollande (2).

Marchandisation des produits de santé

Le projet de loi ne se contente pas de décider de privatisations immédiates, il prépare le terrain pour les suivantes. Et le gouvernement ne cache pas que la première sur la liste est le LFB.

Le LFB (historiquement laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies) est un laboratoire français public, dont l’activité est essentiellement tournée vers le fractionnement des protéines plasmatiques issues du plasma sanguin humain. Il dispose de l’exclusivité du fractionnement du plasma issu des dons de sang bénévoles, collectés sur le territoire français par l’Établissement français du sang. Le groupe LFB est le 6e acteur mondial dans le domaine des médicaments dérivés du plasma et le 3e laboratoire à l’hôpital en France.

C’est par l’article48 de son projet que M. Macron s’en prend au LFB. Mais comme aucun motif même honorable ne saurait justifier la privatisation par la gauche d’un acteur clé de la santé en France, c’est par une grosse ficelle que M. Macron tente de dissimuler ses arrière-pensées.

Ainsi, le préambule du projet annonce:

«L’article48 permet des reclassements au sein du secteur public, des titres du LFB ou de ses filiales. Il n’autorise pas le transfert au secteur privé de la société.»

Mais si l’on y regarde de plus près, que dit l’article48? Il dit ceci:

«L’article L. 5124–14 du Code de la santé publique est ainsi modifié:

1. La seconde phrase du premier alinéa est supprimée;

2. Le troisième alinéa est supprimé.»

Or que dit la seconde phrase du premier alinéa?

«Son capital est détenu en majorité par l’État ou par ses établissements publics.»

Et que disait le troisième alinéa?

«Ses activités… sont exercées exclusivement par une filiale… créée à cet effet. Le capital de cette filiale est détenu, directement ou indirectement, majoritairement par l’État ou par ses établissements publics.»

Ainsi, si elle ne l’autorise pas, la loi Macron supprime tout obstacle légal à la privatisation de LFB.

Les tentatives de privatisation du LFB sont une longue histoire. Rappelons ce qu’en disait l’Humanité en février2007: «Le LFB traite, avec ces médicaments hors commerce, 500000 malades par an. On comprend donc l’excitation des financiers à qui tout cela échappe. Par un alinéa de la loi de modernisation du droit (8-06-04), M.Raffarin avait détruit le statut public du LFB qui était devenu définitif le 27janvier 2002, pour le transformer en SA inscrite au registre du commerce. Les interventions des donneurs de sang faisant hésiter, l’ordonnance fut publiée au JO le 29juillet 2005, afin de passer inaperçue. La vigilance des donneurs de sang, les interventions de parlementaires ont pesé. Le LFB, devenu SA, est resté un établissement totalement éthique. Un décret du ministre de la Santé, publié le 24février 2006, a tenté d’ouvrir une brèche, au prétexte de risque de pénurie, en autorisant des importations de sang. Enfin, le 10janvier 2007, en fin de séance, une députée dépose un amendement à une “loi de transposition d’une directive européenne en droit français” autorisant la mise sur le marché (AMM) de médicaments dérivés du sang issu d’importation, y compris provenant de prélèvements rémunérés, en totale contradiction avec l’éthique française. L’objectif est de créer un précédent, d’ouvrir la voie à la commercialisation de produits humains, de l’installer durablement dans notre pays et de créer la dépendance de la France aux importations. Noter que l’auteur de l’amendement, MmeGallez, est la suppléante de M. Borloo. L’orientation vient de haut. La veille du vote au Sénat, des responsables du mouvement des donneurs de sang ont interpellé tous les groupes politiques du Sénat, et individuellement les sénateurs connus. Devenu public, l’indéfendable n’a pas été défendu par le ministre Xavier Bertrand le 25janvier et le vote a été unanime contre l’amendement.»

Aujourd’hui, MM.Valls et Macron accomplissent le pas que même Xavier Bertrand n’avait pas osé faire dans le sens de la marchandisation de la santé.

Golden share et règle de plomb

Pour tenter de rassurer les siens sur sa détermination à privatiser sans perdre le contrôle public, Emmanuel Macron sort une arme qui se veut fatale: l’action spécifique ou «golden share». Malheureusement, elle ressemble plus à un pistolet à eau.

L’article44 a pour objet d’intégrer, au sein de l’ordonnance 20août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, le dispositif de l’action spécifique. Les mécanismes d’actions spécifiques ou «golden share» permettent aux États de conserver un certain contrôle sur les entreprises privatisées, dans des secteurs majeurs ou stratégiquement sensibles.

En fait, il s’agit là d’une chimère typiquement sociale-démocrate qui voudrait que les détenteurs du capital acceptent benoîtement que l’État impose ses vues stratégiques en ne détenant qu’une partie infime des actions de l’entreprise. Malheureusement, dans le capitalisme éternel, les décideurs sont toujours les payeurs.

En fait, ces droits préférentiels sont dérogatoires aux principes européens de libre circulation des capitaux et de liberté d’établissement et font l’objet d’une jurisprudence extrêmement restrictive de la Cour européenne de justice et du Conseil d’État. Au point que dans un certain nombre de privatisations passées, Elf Aquitaine, Air France, GDF-SUEZ, l’État français a dû renoncer à son action spécifique. Le mécanisme d’action spécifique ne constitue donc en aucun cas un moyen de conserver un quelconque pouvoir de décision dans une société privatisée.

Enfin, parmi les dispositions diverses qui constituent cette loi capharnaüm, figure l’article51 qui concerne la SNCF et qui complète la loi ferroviaire de juillet2014. Celle-ci prévoyait notamment une «règle d’or» limitant les investissements de développement du réseau en cas de surendettement: «Les investissements de développement du réseau ferré national sont évalués au regard de ratios définis par le Parlement. En cas de dépassement d’un de ces ratios, les projets d’investissements de développement sont financés par l’État, les collectivités territoriales ou tout autre demandeur.»

L’objet de l’article51 de la loi Macron est donc de définir ces ratios pour permettre l’entrée en vigueur de la règle d’investissements mentionnée ci-dessus.

En fait, «en vue de garantir la soutenabilité et la pérennité du modèle ferroviaire français. Il est proposé de retenir le rapport entre la dette nette et la marge opérationnelle de SNCF Réseau, car ce ratio est le plus simple et le plus pertinent pour mesurer la capacité de l’établissement à s’endetter.»

En fait de règle d’or, cette disposition, selon la manière dont elle sera mise en œuvre, risque bien de plomber le développement de SNCF Réseau puisqu’elle lui interdira d’investir dans un projet nouveau même très rentable si son endettement est excessif du fait de projets antérieurs moins rentables.

 

Les participations de l’État: un pactole de 110milliards vendu petit à petit…

 

Sur son site Web, l’APE révèle que la valorisation du portefeuille boursier de l’État atteignait, le 30avril 2014, 84,7 milliards d’euros.

 

Au total, en prenant en compte également les entreprises non cotées et les participations détenues par Bpifrance, le portefeuille de participations de l’État pèse «environ 110milliards d’euros».

Ces participations génèrent un dividende annuel de l’ordre de 4,5 milliards d’Euros.

Ces participations font périodiquement l’objet de vente de la part de l’état pour des motifs plus ou moins avouables.

Ainsi en 2014 l’État a vendu pour plus de 2 milliards d’actions publiques:

3,1% de GDF-SUEZ pour 1,5 milliard d’euros

1,9% d’Orange pour 580millions d’euros supposes financer l’entrée de l’État dans Alstom.

En 2013 ce sont près de 3 milliards deuros qui avaient été cédés, sans réel autre motif que de renflouer les caisses de l’État:

3,7% d’EADS, via Sogepa, pour 1 193 millions deuros

7,82% de Safran pour 1 351 millions deuros (mars puis novembre)

9,5% d’Aéroports de Paris pour 738 millions deuros dont 303 millions deuros pour l’État

 

 

(1) Le JDD du 3 août 2014.

(2) Lettre de Francois Hollande au secrétaire général de Sud Autoroutes, 25/04/2012.

 

 

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