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Généralisation du travail du dimanche dans le commerce - Vers un retour à 1906 ?

Les médias dominants résument le volet travail du dimanche de la loi Macron au passage de 5 à 12 dimanches travaillés par an sur autorisation du maire. Ils caricaturent le débat et tentent de dédouaner le gouvernement sur le thème « à 5 dimanches on serait de gauche, à 12 dimanches de droite ». On peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas d’une diversion (on négocierait à 7 ou 8 avec le groupe PS) destinée à cacher le principal.

Car le projet de loi va bien plus loin. Avec la création des zones touristiques et commerciales c’est la généralisation du travail du dimanche sur tout le territoire, toute l’année, qui serait rendue possible. Il suffit pour s’en convaincre de lire le texte.

Travail du dimanche et zones touristiques internationales

Tout d’abord l’article72 du projet crée des Zones touristiques internationales où le travail du dimanche sera autorisé toute l’année, celles-ci seront délimitées par décision ministérielle. On nous parle actuellement des Champs Élysées et du Boulevard Haussmann. Les commerçants de ces avenues feraient évidemment des envieux et on ouvrirait progressivement à Saint Germain, à Saint-Honoré… ne serait-ce qu’au nom de l’égalité de traitement et de la concurrence, puis dans tout Paris et ailleurs. La France n’est-elle pas dans sa totalité une Zone touristique internationale?

Zones touristiques et zones commerciales: zones de non-droit social

Le gros morceau indigeste de ce projet est constitué par les articles73 et74 qui créent des zones touristiques et des zones commerciales dans lesquelles on pourrait travailler tous les dimanches de l’année sans avoir à demander l’autorisation à quiconque. Ces zones viendraient remplacer celles initiées par Sarkozy en 2009, première attaque encore timide contre le repos du dimanche; ces zones étaient alors conçues officiellement comme exceptionnelles. Le vocabulaire retenu dans le projet est très évasif: «zones touristiques caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes» (seulement Paris et la Côte d’Azur ou aussi la côte atlantique et la Bretagne ou aussi les Alpes?) et «zones commerciales caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importante» (toutes les grandes villes sont aujourd’hui dotées de telles zones). Tous les territoires peuvent être concernés par les définitions retenues. Ce dont le dur à cuire Sarkozy rêvait, c’est le Président faussement caricaturé en mou qui le réalise.

 

Il y a bien sûr quelques précautions oratoires:

Le préfet décide du périmètre des zones sur proposition du maire ou du président de l’EPCI (article75): en réalité les territoires seraient mis en concurrence : quelle commune ne demandera pas son classement en zone commerciale ou touristique si sa voisine est déjà classée comme telle?

 

Il faut un accord de branche ou d’entreprise, mais il peut s’agir d’un simple accord d’établissement et même d’un accord conclu avec un salarié mandaté (article76). Quand on sait à quel point le syndicalisme a été réprimé dans la grande distribution, les grandes enseignes n’auront aucun mal à trouver des signatures complaisantes. Plus facilement encore avec les mandatés: un coup de fil au syndicat gentil du coin pour faire mandater un salarié tout aussi gentil et le tour est joué.

 

Les salariés doivent être volontaires (article77). On ose même préciser que celui qui n’est pas volontaire ne peut être discriminé ou sanctionné. C’est vraiment prendre les employés pour des cornichons que de faire croire qu’ils peuvent refuser le «volontariat» sans risque pour leur carrière.

Tout serait donc en place pour une généralisation du travail du dimanche dans le commerce de détail dans les limites souhaitées par les géants de la distribution.

Et on n’oublie pas non plus la grande distribution…

Pour faire bon poids et n’oublier personne le projet inclu:

les commerces alimentaires (article78) qui jusqu’à présent pouvaient ouvrir le dimanche matin mais jamais le dimanche après midi. Ils pourraient maintenant ouvrir aussi l’après-midi dans les mêmes conditions que les commerces non alimentaires. On pourrait alors acheter son kilo de sucre dans une grande enseigne le dimanche après-midi et non plus seulement dans l’épicerie de quartier travaillant sans salarié. C’est rassurant!

Les gares (articles79). Même si elles ne sont pas dans les zones touristiques ou commerciales. Cela aussi c’est fondamental pour l’économie: se procurer la paire de chaussures qui manque en attendant le départ du train.

Restriction et extension des pouvoirs des maires (article80)

Pour les territoires qui resteraient en dehors des zones touristiques ou des zones commerciales, le projet accroît considérablement les possibilités de supprimer le repos du dimanche sur décision des maires. En réalité on ne passerait pas de 5 à 12 dimanches, mais de 0 à 12. En effet jusqu’à présent un maire pouvait accorder de 0 à 5 dimanches. Maintenant il n’aurait plus le choix, il serait tenu d’accorder au moins 5 dimanches par an, il aurait juste à déterminer les dates. En plus de ces 5 dimanches obligatoires le maire pourrait accorder 7 dimanches de plus d’ouverture aux commerçants de sa commune.

Dans l’esprit de la loi ces dimanches du maire sont réservés aux petites communes. On lit en effet dans l’étude d’impact : «Cette faculté pourra éviter une procédure de classement complexe à des communes de petite taille.» C’est bien la preuve que la règle ce serait les zones touristiques et commerciales.

Quelles contreparties pour les salariés?

Jusqu’à présent la loi prévoit dans certains cas le doublement du salaire et un repos compensateur. C’est en particulier le cas pour les dérogations accordées par le maire.

Le projet de loi ne garantit aucune contrepartie pour le travail du dimanche dans les zones touristiques et commerciales crées. Les contreparties devront être négociées dans les accords de branches, d’entreprises ou d’établissement, elles seront dépendantes des rapports de forces actuellement favorables aux grandes enseignes.

Et comme le support juridique pour le travail du dimanche appelé à se développer est celui des zones touristiques et commerciales, les contreparties existantes sont destinées à disparaître sauf dans les petites communes hors zones.

Le travail en soirée dans les zones de tourisme international (article81)

La loi considère actuellement que: «Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociales» (article L 3122-32 du Code du travail).

En principe le travail de nuit est celui effectué de 21heures à 6heures.

Par un tour de passe-passe le gouvernement décrète que dans les zones de tourisme international la nuit ne commence qu’à 24heures et il échappe ainsi aux restrictions légales du travail de nuit.

Là encore on prend les précautions illusoires de l’accord de branche ou d’entreprise et le volontariat mais en réalité les grandes enseignes et les commerces de luxe pourront faire ce qu’ils veulent.

Que de difficultés supplémentaires pour ces femmes devant rentrer très tard chez elles. Outre la fatigue, c’est la vie de famille qui prend un coup supplémentaire. Si le conjoint travaille aussi le soir ou s’il s’agit de familles monoparentales qui s’occupe des enfants?

Pour trouver plus facilement des volontaires on double le salaire de nuit et on prévoit un repos compensateur.

Dans de nombreux cas le salaire supplémentaire sera absorbé par les dépenses de garde des enfants. Mieux vaudrait augmenter les salaires des vendeuses et allouer une allocation aux étudiants qui leur permettrait de se consacrer pleinement à leurs études au lieu de rentrer chez eux à deux heures du matin alors qu’il y a cours le matin.

 

Éléments pour engager la lutte contre la loi Macron

 

La réponse à donner à cette nouvelle offensive patronale est d’exiger, outre l’abandon de la loi Macron, l’abrogation de toutes les atteintes précédentes au principe du repos du dimanche adopté en 1906:

Le travail en continu pour des raisons économiques: articles L 3132-14 et L 3132-15

Les équipes de suppléance: articles L 3132-16, L 3132-17, L 3132-18, L 3132-19

Les dérogations accordées par le préfet: articles L 3132-20, L 3132-21, L 3132-22, L 3132-23, 3132-23, 3132-24, 3132-25

Les dérogations accordées par le maire: articles L 3132-26, L 3132-27

Et d’exiger également l’abrogation des atteintes antérieures aux règles sur le travail de nuit: alinéa2 et3 de l’article L 3122-29 et l’article L 3122-30.

 

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