Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Nouvelle crise pétrolière ou nouveau chapitre de l’histoire des marchés pétroliers ?

Le mouvement à la baisse des prix sur le marché du pétrole brut, en deçà de ses planchers historiques, interroge. Au cœur d’affrontements autant économiques que politiques, ce qui a toujours été, le pétrole devient désormais de plus en plus une arme au service d’enjeux géopolitiques qui fait voler en éclats les outils et paramètres des régulations passées.

Un état des lieux

Dans son dernier rapport mensuel, l’Agence internationale de l’énergie répond à cette question en adoptant, semble-t-il, la seconde thèse. Pourtant, ses prévisions concernant la demande de pétrole pour 2014-2015 de 92,6millions de barils/jour (4,8milliards de tonnes par an) ne révèlent qu’un ralentissement de la progression dû au fléchissement des économies européennes et chinoises. Cela nous porterait plus vers une nouvelle crise disons de caractère classique.

Le Brent de référence à 64dollars le baril représente néanmoins une baisse de 44% par rapport à juin. Phénomène qui, par son ampleur, mérite toute notre attention.

Nous assisterions, d’après les commentateurs, à un réel affrontement avec les producteurs d’huile de schiste américains ou canadiens, qui ont tellement réduit leurs coûts qu’à 50/70dollars le baril, ils s’en sortent aujourd’hui dans les zones les plus productives (1). Ils sont de plus pressés de tirer au plus vite le maximum de produits de ces gisements, dont la vie est de courte durée selon les techniciens. À quel coût écologique?

Une étrange passivité de l’OPEP

En d’autres temps, l’OPEP aurait immédiatement réagi en diminuant les quotas de production de ses adhérents après de difficiles négociations entre eux pour atténuer leur rivalité et redresser le marché. Cela n’a pas été le cas à Vienne en novembre.

Le Bloomberg Business Week du 15décembre dernier semble attribuer ce positionnement principalement au fait que la nouvelle production concurrentielle de l’Amérique du Nord resterait à des niveaux à la fois susceptibles de couvrir les besoins financiers des autorités du Golfe et leurs coûts de production. Les grandes sociétés pétrolières internationales semblent quant à elles s’aligner sur cette position, au demeurant comme elles l’ont toujours fait, manifestant de fait une connivence réelle avec l’OPEP.

Cette publication pense néanmoins à des causes plus conjoncturelles. Par exemple, le souci des sunnites, notamment d’Arabie Saoudite, de saigner l’économie chiite d’Iran, comme probablement d’Irak.

Les considérations financières et commerciales deviendraient secondaires par rapport aux considérations politiques. Cela n’est pas nouveau, mais la volonté manifestée souligne la gravité du moment, d’autant que dans une autre région du monde, l’acharnement vis-à-vis du premier producteur du monde, la Russie, montre bien que nous nous situons dans une nouvelle longueur d’onde.

Situation des principaux protagonistes d’après les statistiques du CPDP

La Russie

La baisse des prix du pétrole brut et leur maintien au niveau actuel permettent de prévoir une contraction de 5% de son économie. La tentative de la Banque centrale de porter les taux principaux à 17% ne pourrait pas juguler la chute du rouble. Autant de prévisions inquiétantes. Toutefois, les défenses de ce pays ne se sont pas effondrées.

Il y a sa position comme fournisseur de gaz à l’Europe (30% des besoins énergétiques européens) ; rappelons que Gazprom joue un rôle stratégique dans le domaine énergétique bien que le prix du gaz se dégage de plus en plus du prix du pétrole.

Il y a son partenariat avec l’Allemagne dans l’approvisionnement de ce pays en gaz au travers des installations communes de la Mer Baltique.

Il y a eu le geste d’indépendance de la Russie abandonnant le projet de gazoduc Southstream à travers la Mer Noire, qui devait créer un courant direct vers l’Europe en évitant le passage par l’Ukraine.

Il y a les grands accords Chine-Russie portant sur le gaz et le pétrole, et leur transport probablement assuré de pérennité.

Il y a enfin les richesses énergétiques de l’extrême Nord, incertaines bien sûr, mais qui ont fait l’objet d’accords de partenariats, dans la recherche et la production, avec de grands pétroliers internationaux. Ces derniers ne les ont d’ailleurs pas dénoncés, considérant qu’actuellement, ils n’avaient aucun effet sur les circuits commerciaux.

Les nouveaux marchés

Dès les premières interventions en Irak, on a vu apparaître dans la zone Irak, Syrie, Liban, Chypre Turquie, notamment autour du port pétrolier de Ceyhan, un mouvement de produits raffinés échappant aux échanges traditionnels.

Ces échanges ont atteint aujourd’hui la Libye. On ne sait pas toujours qui en sont les destinataires ni les bénéficiaires. Ces mouvements parfois intempestifs contribuent à accentuer les volatilités économiques et politiques. Voilà qui aggrave les tensions et distorsions.

Un monde qui change

Le pétrole a connu trois grandes histoires.

La première va de 1928 à 1973. Après la Première Guerre mondiale, on assiste au partage du Moyen-Orient entre les grands groupes anglais, français, américains, qui fixeront des prix sur lesquels sont prélevées taxes et royalties destinées aux pays producteurs. Ces prix partaient de l’idée d’un cartel respectant grosso modo une harmonie à la consommation. Les cotisations de départ étaient inégalitaires, car tenant compte de la distance, de la qualité, etc.

La deuxième période part de 1973, qui voit l’émancipation du pétrole, avec la création de l’OPEP qui influencera le marché de manière déterminante.

La troisième a vu un modus vivendi s’établir entre l’OPEP et les majors pétroliers, avec naturellement des hauts et des bas, où les réserves stratégiques et marchés à terme ont tenté d’être les antidotes à la volatilité, tout en veillant à la rentabilité maximale.

Dans le désordre actuel, c’est un retour vers ce passé qui semble être rêvé. Mais la politique, qui a toujours joué avec le pétrole, veut de plus en plus s’en servir comme arme, ce qui augmente son intrusion, les dégâts collatéraux, et rend le rêve de plus en plus illusoire. La Russie est visée économiquement et stratégiquement, notamment par le rapprochement avec l’OTAN.

Et cela, alors que la crise climatique est à notre fenêtre.

Parler de transition énergétique, c’est bien sûr nécessairement parler de pétrole. Pas obligatoirement celui des investisseurs mais plutôt celui des bâtisseurs. Si une place doit lui être accordée dans la palette énergétique, c’est pour faire le pont entre brûler des molécules précieuses ou les utiliser dans le cadre d’un développement durable et de réduction de l’empreinte carbone des activités humaines.

 

(1) Bloomberg Business Week du 15/12/2014.

Situation des principaux protagonistes d'après les statistiques du CPDP

 

 

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