Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Loi de financement de la Sécurité sociale. Continuité et préparation des ruptures

Dans son intervention à l’Assemblée nationale, au nom du groupe communis te, Jacqueline Fraysse remarquait que nous vivons probablement une période de transition. Jusqu’ici les mauvais coups contre la Sécurité sociale étaient portés au nom de la nécessité d’acc epter des sacrifices pour sauv er une Sécurité sociale à laquelle les Français étaient légitimement si attachés.

C’éta it vrai des ministres socialistes , créant la CSG pour fiscaliser le financement de la Sécur ité sociale, ou instaurant dès 1991 la maîtrise com ptab le. Mais les gouvernements de droite parlaient auss i de plan de sauvetage. Même le plan Juppé se drapait dans cette argumentat ion de défense des principes fondateurs . Il faut se rappe ler le sout ien d’organisations comme la CFDT ou la Mutua lité et les hésitations du PS. C’est d’abord pour cela que le plan Juppé n’a pas été abrogé par le gouvernement Jos pin qui ne voulait pas ou n’osait pas chercher du côté des entr eprises les ressour ces supp lémenta ires qui aura ient permis de sor tir de la maîtrise com ptable des dépenses de santé et de protect ion sociale.

Aujour d’hui, M. Matte ï présente un projet qu’il qualifie lui-même de trans ition. Les réformes de struc tur es sont annoncées pour plus tar d. Mais déjà le discours s’infléchit. Quelques actes permettent d’entr evoir l’objectif visé.

Inflexion du discours : quan d les ministres ne manqua ient jamais de saluer, de manière quelque peu fanfaronne , le meilleur système de santé et de protect ion sociale au monde , le gouvernement actue l parle de système « parmi les plus génér eux au monde » ( rappor t anne xe de la loi de financement) . C’est plus qu’une nuance .

On commence en fait à expliquer aux frança is que ce système , dont ils sont encor e si fiers , commence à avoir fait son temps . Il faudra bien, nous diton, faire un jour prochain autr e chose.

Le constat des dysfonct ionnements et des blocages est facile à faire et, soyons clairs, il est utile de le faire. On ne défendra pas efficacement la Sécur ité sociale actue lle en niant qu’elle est effect ivement en crise.

Crise du financement qui fait que dès que le chômage repar t à la hausse les déficits se creusent alors que les besoins de protect ion sociale sont encor e accentués par ce chômage.

Crise de fonct ionnement du système de santé où les profess ionne ls n’en peuvent plus de l’autor itar isme utilisé pour leur imposer le freinage des dépenses alors qu’ils savent bien qu’il est légitime que ces dépenses augmentent , pour faire face à l’évolution démograph ique et sur tout pour que le progrès médical profite à tous .

Crise de démocrat ie où il faut en même temps suppr imer les élections pour empêcher les assurés sociaux de définir leurs besoins, créer des agences régionales de l’hos pitalisation dont la seule fonct ion est d’imposer les restructurat ions autor itaires dont l’objectif réel est de rédu ire l’offre de soin.

Le Medef pointe son nez

Pour le moment le professeur Matte ï a plutôt bien joué de son image de médec in human iste. Il a su débloquer des conflits vieux de plusieurs années comme avec les médecins libérau x. Il tire par ti plutôt habilement des lacunes de ses prédécesseurs . Comment lui reprocher les difficultés à mettr e en œuvre les 35 heur es à l’hôpital quan d les personne ls nécessa ires n’ont pas été formés ? Pour tant il pourra d’autant moins utiliser dura blement l’argument , qu’à son tour il ne prend pas les mesur es d’urgence nécessa ires pour former médec ins, infirmières, aides-soignantes , etc .

Et sur tout l’human isme, réel du professeur de médecine ne doit pas faire oublier que le même était auss i président du groupe Démocrat ie Libérale, c’est-à-dire le seul par ti politique qui a clairement soutenu les propositions du Medef pour la Sécur ité sociale, publiées en novembre 2001.

Dès la nomination du gouvernement Raffarin, un signal for t était envoyé au Medef avec la répar tition des res ponsab ilités entr e M. Fillon, le ministre de l’emploi et de la solidarité et M. Matte ï à la santé . Le premier s’occu pe de la retra ite et des accidents du tra vail. Le second de la santé et de la famille.

pMoins remboursés, les malades n’ont pas la possibilité réelle de choisir leur médicament

A première vue, cette répar tition paraît absurde. Et pour tant c’est dans le document du Medef qu’on en trouve l’explication. Pour le Medef, les entr eprises doivent garder une res ponsa bilité dans les doss iers de la retra ite et des accidents du tra vail qui font par tie du contrat de tra vail. Par contr e, le même document affirme que puisque l’assurance maladie et la branc he famille bénéficient à la tota lité de la population, c’est à l’Etat , et non aux entr eprises, d’en assur er seul la res ponsa bilité. Et pour que les choses soient bien claires, le Medef précise que les cotisations patr onales pour la maladie et la famille doivent êtr e suppr imées et remplacées par la CSG. Quan d on interr oge des res ponsa bles du Medef sur ce phénoména l trans fer t financ ier au profit des entr eprises et au détr iment des ména ges, ils préten dent que les sommes ainsi dégagées pourra ient êtr e trans formées en hausse de salaire.

C’est en fait illuso ire car l’opérat ion elle-même vise à tirer vers le bas toute la masse salariale. Et d’ailleurs l’idée n’est pas dans le document écrit du patr onat et quoique il en soit, le fond du problème c’est le désen gagement des entr eprises du financement de la protect ion sociale.

La loi de financement de la Sécur ité sociale donne quelques autr es signaux for ts allant dans le sens des exigences du Medef.

Pour la branc he accidents du tra vail-maladies professionne lles (AT-MP), un ar ticle de la loi prépare le retour du Medef dans des con ditions de paritarisme qui donne le pouvoir effect if au patr onat et comme cadeau de bienvenue un scanda leux blocage des cotisations alors que malgré les « sans-déclarat ions » le nom bre d’accidents et surtout de maladies profess ionne lles ne cesse de grand ir.

Une nouvelle gouvernance

Rien n’est fait sur la quest ion de la gest ion de la Sécur ité sinon pour affirmer que le dépar t du Medef, présenté comme le seul représentant poss ible des chefs d’entreprises, affaiblit les caisses (mais rien ne vient éta yer cette affirmat ion). C’est pour tant sur cette affirmat ion que s’app uie le ministre pour annon cer le souha it de « poser sans tarder les fondations d’une nouvelle gouvernance, avec un travail engagé dans trois directions » :

  • Les relations entr e l’assurance maladie et l’Etat .

  • La médicalisation de la régulation des dépenses (pour ce thème le choix du délégué généra l de la Fédérat ion des cliniques privées pour diriger le groupe de tra vail est tout un symbole).

  • Les com pétences res pectives du régime de base et des régimes complémenta ires (c’est-à-dire les mutuelles et les assurances privées) .

Là encor e, sans ant iciper sur le résu ltat de ces trois groupes de travail, il faut bien constater que la place du privé dans l’ensem ble du système de santé et de protect ion sociale est au cœur de la réflexion du ministre sur la « nou velle gouvernance ». On peut d’autant plus légitimement se poser la quest ion que plusieurs mesur es concrètes vont déjà dans ce sens .

Cet été le Président de la République avait annoncé un plan d’invest issement de 7 milliards d’eur os en 5 ans pour les hôpitaux.

La loi prévoit 300 millions pour 2003. On est très loin du com pte. Mais il est annoncé que ces 300 millions venant de l’assurance maladie pourra it devenir un milliard grâce à l’app or t de capitaux privés et d’autr es collectivités publiques. Le rappor t parlementa ire de présentat ion de la présente loi de financement fait expressément référence au précé dent de la construct ion des prisons avec un financement privé.

Un plan médicament contre les malades pour les grands laboratoires

Le volet médicament de la loi pour 2003 est peut-êtr e le plus illustrat if des orientat ions gouvernementa les.

Sous prétexte de ser vices médicaux jugés insuffisants , des centa ines de médicaments seront déremboursés . Les parlementa ires commun istes ont défendu l’idée que s’ils étaient réellement inefficaces , ils devaient êtr e retirés du marché et, sinon, qu’il fallait les rembourser corr ectement .

Pour les classes de médicaments où existent des génériques (c’est-à-dire ceu x où des industr iels peuvent copier la molécule initiale parce qu’elle n’est plus couver te par un brevet) ; la loi décide que tous les médicaments de cette classe thérapeut ique ne seront plus remboursés sur la base de leur prix de vente mais du prix du génér ique le moins cher.

On voit que dans les deux cas les malades seront toujours moins remboursés alors qu’ils n’ont pas la poss ibilité réelle de choisir leur médicament .

Les députés commun istes ont défendu l’idée qu’à la fin de la période cou ver te par le brevet, le prix de vente du médicament devrait êtr e renégocié en tenant com pte que le coût de la recherche est amor ti et que rien ne just ifie que le laborato ire cont inue à bénéficier d’un prix de monopo le. Ainsi nous sor tirions du dilemme où on tente de nous enfermer qui cons iste à chercher à savoir si c’est la Sécur ité sociale ou les assurés qui doivent ser vir de vache à lait des laborato ires pharmaceut iques.

Enfin, la troisième mesur e du plan médicament vise à donner la liber té des prix pour les médicaments nouveaux, pour une période dont le ministèr e dit qu’elle pourra it êtr e de six mois, mais que le texte de la loi ne limite pas.

Il est donc facile de montr er qu’avec ce plan les perdants seront les malades et les gagnants les plus grands laborato ires. Le ministre se just ifie par la nécess ité de financer la recherche pharmaceut ique. Mais si c’était vraiment son objectif pour quoi refuse-t-il le moindre geste quan d Aventis annonce la fermetur e de son centr e de Romainville et la réduct ion de toute son activité de recherche en France avec un trans fer t mass if des investissements de recherche vers les USA. Dans le débat à l’Assemb lée nationale, il a répondu en substance que nous ne pouvions pas lui deman der de remettr e en cause la liber té d’entr eprendre.

Oser parler du financement à partir de l’entreprise ?

On a vu que le Medef propose que les entr eprises se désen gagent mass ivement du finance ment de la Sécur ité sociale (tota l pour les branc hes famille et maladie, avec blocage des cotisations pour la retra ite et la branc he ATMP).

A l’inverse les députés commun istes ont montré qu’il n’y a pas de développement possible de la protect ion sociale sans poser la quest ion du financement par les entr eprises.

Une étu de récente de la Direction de la recherche du ministèr e des affaires sociales (DREES) montr e que la par t des cotisations sociales a reculé de 8 points en 6 ans . En 2001, elles représentent 298 milliards d’eur os soit 66,5 % des recettes .

Les impôts et taxes affectés sur la même période de 6 ans ont augmenté de 12 points . Avec 88 milliards d’eur os, ils repr ésentent 19,6 % des recettes , pour seulement 25,7 milliards en 1995.

L’essent iel de cette hausse est dû à la CSG, c’est-à-dire à 90 %, un impôt payé par les salariés. La même étu de de la DREES montr e que les exonérat ions de cotisations patr onales ont fortement augmenté pendant ces six années pour atte indre 19,6 milliards d’eur os.

Ces quelques chiffres permettent d’avancer l’idée qu’il devient urgent d’inverser ce mou vement qui voit le financement de la protect ion sociale reposer de plus en plus sur les ména ges (cot isations salariés, CSG) et de moins en moins sur les entr eprises. Pour cela il faut évidemment avoir le coura ge politique de dire qu’on veut faire cotiser plus et mieux les entr eprises.

Depuis plusieurs années les parlementa ires commun istes défendent plusieurs idées pour aller dans ce sens .

Les exonérations de cotisations patronales ne créant pas d’emplois, pour quoi ne pas mob iliser leur financement public pour les trans former progress ivement en bonification d’intérêts sous con dition de créat ion réelle d’emplois.

  • Les revenus financ iers des entr eprises ne contr ibuent d’aucune façon au financement de la Sécur ité sociale : taxons-les au même niveau que la cotisation sur les salaires.

  • Les cotisations patronales pèsent de la même manière sur toutes les entr eprises, les petites et les plus grandes , les entr eprises de main d’œuvre et celles où les salaires sont une par t infime du chiffre d’affaires. Pour quoi ne pas modu ler ces taux de cotisation pour passer à la créat ion d’emplois et à la croissance des salaires et de la formation ?

Ces propositions ont été également refusées hier par les ministres socialistes et aujour d’hui par ceux de droite. Faut-il renoncer à les défendre ou chercher à les rendre plus acce ptable ? Ne faut-il pas plutôt réfléchir aux moyens à mettr e en œuvre pour quelles deviennent des exigences suffisamment for tes dans le pays ? L’auteur de ces lignes se souvient de la montée en puissance du mot d’ordre de « taxation des reven us financiers » tout au long des manifestat ions pen dant la grève de novem bre-décem bre 1995.

 

Par Monier Benoît, le 30 septembre 2002

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