Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Haro sur la politique publique de santé

Face aux volontés d’introduire la privatisation dans le système de santé, il est urgent d’organiser les résistances et de proposer des alternatives

Le déficit de l’assurance -maladie devrait atte indre 6 milliards d’eur os en 2002, en liaison avec la détériorat ion de la croissance et de l’emploi minant le financement et, selon les prévisions, il pourra it

s’élever à 10 milliards d’eur os en 2003. Cependant, c’est l’idée que nos dépenses de santé sera ient trop élevées qui est mar telée et se trouve au cœur des débats au moment de la discuss ion de la Loi de financement de la Sécur ité sociale pour 2003. C’est dans ce conte xte que Jacques Barr ot, pr ésident du grou pe UMP à l’Assemb lée et ministre des Affaires sociales du gouvernement Balladur en 1994, a clairement exprimé l’intent ion de limiter les Ndépenses publiques, « afin de cesser l’hypocrisie », en dichotom isant les « maladies graves », celles que l’assurance sociale cont inuera it de pren dre en charge, des « petits risques » pour les quels le recours au privé sera it nécessa ire.

Nos dépenses de santé sont-elles trop élevées ?

Le rappor t au PIB de la dépense tota le de santé est en réalité stab le depuis 1993, entr e 9,5% et 10%. Ce rappor t peut paraître élevé dans les com paraisons internat ionales, puisqu’il classera it la France au 4e ou 5e rang des pays de l’OCDE. Il évolue en fonct ion de la conjonctur e et il est remonté en 2001, en raison d’une croissance moindre de la production. On semb le avoir atte int l’objectif (en lui-même bien discutab le) de mainten ir la croissance des dépenses de santé à un taux qui ne dépasse pas celui de la production du pays.

Mais au-delà de cette barr e « fatidique » des 10% du PIB abondamment médiatisée, si l’on cons idère la dépense de santé par habitant , nous ne sommes actue llement que le 9e pays d’Europe et le 11e pays de l’OCDE (1).

La liste des pays où la dépense de santé par habitant est moindre qu’en France est révélatr ice. Dans les pays d’Europe du Sud en phase de rattrapa ge économ ique, les indicateurs sont bas pour l'Union eur opéenne . Mais dans les pays scand inaves, où la dépense de santé par habitant est nettement inférieur e à la moyenne eur opéenne , les indicateurs sont bons en raison des politiques de prévention. Les systèmes de santé des pays scand inaves sont encor e, en pratique, tota lement gratu its, ce qui contr edit l’opinion, aujour d’hui assénée , que la gratu ité des soins sera it un facteur d’inflation des dépenses .

Ces com paraisons internat ionales infirment le jugement lapidaire por té sur nos dépenses de santé . On nous dit que notr e système de santé sera it trop coûteu x, notamment en raison de ses dysfonct ionnements et des incer titudes sur son pilotage mais, en réalité, il faut plutôt conc lure que c’est la maîtrise com ptable des dépenses qui est sour ce de dysfonct ionnements .

Les plans de maîtrise com ptable de la dépense de santé en France se sont succédés sans discont inuer depuis plus de 20 ans . S’ils ont finalement abouti à limiter de manière drast ique la dépense hos pitalière en entra înant la crise du ser vice public hos pitalier depuis l’application du plan Juppé, ils ont échoué dans la maîtrise des dépenses de ville. L’object if national de dépenses d’assurance -maladie (ONDAM) a été régulièrement dépassé (sauf en 1997) prouvant l’imposs ibilité de décréter un faible taux directeur d’augmentat ion des dépenses de santé . L’object if fixé pour 2002 était de 3,8%, on atte indra vraisemb lablement 7,2%, notamment en raison de la hausse des honora ires des praticiens et des dépenses de médicaments . Le ministre de la Santé , Jean-Franço is Matté i, affirmant vouloir sor tir de la maîtrise com ptable, a revendiqué un objectif de croissance de l’ONDAM de 5,3% pour 2003 (par rappor t à la dépense qui devrait êtr e réellement consta tée en 2002) et un collectif budgétaire en milieu d’année afin de réajuster l’objectif le cas échéant . C’est cer tes prendre acte que les ONDAM précé dents étaient irréalistes , mais il ne fait pas de doute que la hausse de l’object if sera insuffisante , notamment en raison des revalorisations des honora ires des praticiens accor dées en juin dernier.

L’ONDAM en outr e, il faut le souligner, intègre les remboursements du ticket modérateur par les caisses mutue lles, mais ne prend pas en com pte les dépenses remboursées par les assurances privées. La par t de celles-ci représente actue llement environ 20% de l’ensemb le des dépenses assurées par les com plémenta ires santé et 3% de la dépense tota le de santé assurée (2).

L’introduction des mécanismes de la privatisation

Le « panier de soins » favoriserait la percée de l’assurance privée

La stigmatisation du système de santé à laquelle s’est livrée le Medef (3) est poursu ivie par le gouvernement et les forces libéra les depuis juin 2002 (voir ar ticle de Benoît Monier dans ce numér o).

Le déficit annoncé alimente ainsi la présentat ion apocalyptique d’une « dérive permanente » des dépenses (4) qu’il ne sera it plus poss ible d’assumer collectivement (5). La straté gie des forces néo-libérales cons iste alors à con vaincr e les profess ionne ls de santé et l’opinion publique qu’il sera it inélucta ble d’intr oduire « une dose » de privatisation dans l’assurance -maladie, notamment à tra vers le développement des com plémenta ires-santé . La politique de maîtrise com ptable se poursu ivrait sur la cou ver tur e maladie de base, rédu ite à un schéma de couver tur e maladie universe lle défini par un « panier de soins » limités remboursa bles à 100% ; quant aux soins « hors panier », ils nécess itera ient des assurances com plémentaires santé plus impor tantes . C’est bien ce projet qu’a évoqué Jacques Barr ot le 30 octo bre dernier (voir ar ticle de Jean-Paul Domin dans ce numér o).

Or, nous sommes déjà le pays de l’Union eur opéenne où la par t des dépenses cou ver tes par le régime de base est la plus faible, 73% en 2001, ce taux n’atte ignant plus que 56% pour les dépenses de ville. Les augmentat ions success ives du ticket modérateur ont const itué un facteur d’exclusion pour les caté gories de population en situat ion de précar ité. 6 millions de França is n’avaient pas ou plus de cou ver tur e com plémenta ire lors que la cou ver tur e maladie universe lle (CMU) a été instaurée en 2000. Mais le dispos itif montr e désorma is ses limites , à tra vers les effets de seuil concernant la CMU com plémenta ire en raison du bas plafond de ressour ces (549 eur os soit 3600 francs mensue ls), comme pour la contra inte imposée aux praticiens de rester dans le cadre des barèmes s’appliquant aux biens méd icau x, les prot hèses denta ires notamment .

Le « panier de soins » inst itut ionna lisera it définitivement un système de soins a plusieurs vitesses en faisant éclater le système de santé solidaire entr e l’ass istance et l’assurance , alors que celui-ci a été fondé sur le principe d’égalité devant l’accès aux soins, en termes de qualité et de proximité. La montée des inégalités, voire des exclusions de l’accès aux soins ne sera it plus le fait de la hausse des tickets modérateurs , mais de la dichotom ie entr e « panier de soins » et soins « hors panier ». Quoi qu’il s’en défende, Jean-Franço is Matté i com pte bien poursuivre la réflexion sur le dit « panier de soins », puisqu’il a créé une comm ission spéc ifique sur ce thème , dont il a confié la direction à Jean-Franço is Chadelat, qui fut le collaborateur de Claude Bébéar chez AXA, au dépar tement santé de la com pagnie d’assurances .

La mise en concurrence des opérateurs de soins

Le conce pt du « panier de soins » s’accom pagne de celui de la « mise en concurr ence des opérateurs de soins », qui suppose que la libéra lisat ion du système de santé favorisera it l’efficience du système de santé , en entrant ainsi de plain-pied dans la logique du « quasi-marché » (6). Les propositions du Medef vont encor e plus loin : elles proposent que l’on laisse le choix de l’affiliation pour la cou ver tur e de base entr e organismes de sécurité sociale, mutue lles et assurances privées en es pérant la percée de contrats -groupes privés proposés aux entr eprises pour leurs salariés, concrét isant ainsi le vieux rêve des assur eurs privés de prendre en charge l’assurance maladie « dès le premier franc ».

Quelles réformes efficaces de notre système de santé ?

Abandonner le principe de solidarité du système de santé ne permettra pas de faire face aux nou veaux besoins sociaux et de sor tir de la crise réelle d’efficacité du système de santé . Cer tains de nos indicateurs de santé nous situent en excellente position dans les com paraisons internat ionales, concernant l’es pérance de vie des femmes , et la très faible mor talité infant ile et périnata le notamment (7). Mais des dispar ités profondes demeur ent comme la mor talité précoce des hommes adultes dans les milieux ouvriers ; d’autr es dispar ités s’accé lèrent par rappor t à la démograph ie médicale, tant absolus (ce rtaines spéc ialités doivent déjà faire face au manque de praticiens) que géograph iques, puisque cer tains dépar tements apparaissent sinistrés pour le nom bre de médec ins par habitant (8).

Il s’agirait donc d’organiser les rés istances contr e la volonté de pousser la privatisation en proposant de véritables alternat ives. Seule une réforme d’efficacité du système de santé permettra la prise en com pte des facteurs démograph iques, en premier lieu le vieillissement de la population, comme des consé quences sur la santé de la crise économ ique et la montée du chômage et de la précarité, ou encor e de l’app arition de nou velles pathologies. De la même manière, on imagine mal comment les car ences du système de santé en France concernant la prévention (qui représente moins de 2% des dépenses d’assurance -maladie) pourra ient se résoudr e sans que soient déterm inés des objectifs de santé publique volontar istes peu com patibles avec la privatisation d’une par t grand issante du système et la réduct ion des dépenses publiques de santé .

Face à ce danger, il con viendrait enfin de sor tir du carcan de la maîtrise com ptable, car c’est bien l’insuffisance des ressour ces qui est la cause première des déficits, même si les dépenses devraient êtr e réor ientées pour une meilleur e efficacité, afin d’éviter les gas pillages et pour améliorer les résu ltats du système de santé .

L’app licat ion des 35 heur es au personne l hos pitalier s’est effectuée sans que les moyens aient été accor dés pour les engagements nécessa ires en matière de finance ment , d’emplois, de format ion de médec ins hos pitaliers et du personne l infirmier. La quest ion de la démograph ie médicale exige de sor tir du numerus clausus et de dégager d’urgence des moyens de financement .

Or, le financement du système de santé est directement soum is à la dégradat ion de la conjonctur e économ ique aggravée par la déflation des salaires et des dépenses sociales (dégradat ion qui explique pour une par t le déficit prévu pour 2002). Mais il est auss i grevé par la politique d’exonérat ions de charges sociales dites sur les « bas salaires ».

La politique de l’emploi annoncée par Franço is Fillon, ministre des Affaires sociales ne pourra qu’accé lérer les difficultés de financement , puisqu’elle renforcera la fuite en avant dans les exonérat ions de charges patr o- nales sans contr epar tie des entr eprises en matière d’emploi.

Une refonte du financement branc hée sur l’emploi, le développement des salaires et la croissance , dégagerait les moyens de financement nécessa ires aux réformes incontourna bles du système de santé , afin de conc ilier le progrès social et l’efficacité. Ainsi, on pourra it proposer une réforme du financement mod ifiant l’ass iette des cotisations patr onales (et en mettant fin aux exonérat ions de charges sociales qui en réalité ne créent pas d’emploi), en fonct ion d’un rat io rappor tant la masse salariale à la valeur ajoutée des entr eprises. Cette réforme permettra it de pénaliser les entr eprises qui licenc ient et qui fuient dans la croissance financ ière et, à l’inverse , d’inciter au développement de la croissance réelle et de l’emploi. 

  1. Ces chiffres sont extraits de La santé en France 2002, rapport du Haut comité de la santé publique, La Documentation française, février 2002.

  2. On estime que 27% des complémentaires santé sont souscrites auprès d’assureurs privés, mais que les frais pris en charges par cellesci ne représentent que 20% du total.

  3. Dans Pour une nouvelle architecture de la Sécurité sociale (nov. 2001), le Medef estime que l’augmentation de la dépense de santé« rend nécessaire une distinction claire entre les charges assumées par la collectivité et celles qui relèvent de la responsabilité individuelle ».

  4. « Nul n’ignore la dérive permanente des dépenses d’assurance-maladie que rien ne semble parvenir à enrayer… », Denis Kessler, discours de clôture du Forum du Medef à Strasbourg, 26 nov. 2001.

  5. « Il faut cesser de dire qu’il faut maîtriser, contenir… La croissance des dépenses de santé dans le budget des ménages est inéluctable… Les ressources publiques ne sont pas infinies. [La] nouvelle politique à définir est celle qui assure que les dépenses couvertes par l’assurancemaladie sont celles qui sont les plus légitimes médicalement…et qui responsabilise toutes les parties prenantes », Jean-François Mattéi, entretien accordé à La Tribune, 17 juillet 2002.

  6. La théorie libérale du « quasi-marché » de la santé suppose que l’introduction des mécanismes de marché serait censée mieux réguler les dépenses de santé et que l’intervention de l’État devrait se limiter à définir et à faire respecter les cahiers de charges s’imposant aux offreurs de soins.

  7. L’espérance de vie des femmes à la naissance en France est proche de 83 ans, quasiment au premier rang avec le Japon ; concernant la mortalité infantile et la mortalité périnanatale, les indica . urs nous placent dans les tout premiers, pratiquement à égalité avec les pays scandinaves.

  8. Ainsi, il n’y a qu’un médecin généraliste pour plus de 450 habitants dans certains zones rurales alors que la densité médicale peut être d’un médecin pour moins de 50 habitants dans certaines villes du littoral méditerranéen.