Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Système de santé : c’est une véritable dérive néo-libérale qui se dessine

Les récents propos de Jacques Barrot, suivis d’une mise au point du ministre de la Santé Jean-François Mattéi, ne sont qu’un « ballon d’essai », ils préparent l’opinion à une privatisation plus ou moins partielle du système de protection sociale. Ils viennent s’ajouter à des propositions de réformes de certains parlementaires, ainsi qu’à des réflexions de praticiens hospitaliers dont Le Monde du 14 septembre 2002 s’est fait l’écho. L’argum entation s’articul e autour de quelques principes : la responsabilisa tion des assurés sociaux, la tarification à la pathologie dans les hôpitaux et la nécessaire réforme du manag ement hospitalier. Mais ne nous trompons pas, derrière les idées reçues et les arguties, c’est une véritable dérive libérale qui se dessin e.

La « res ponsa bilisat ion » des assurés sociaux const itue le premier volet de l’argumentat ion. Les exemples choisis pour éta yer le propos n’étonnent plus : la multiplication des doppler, des échographies et autr es examens coûteu x par des assurés déresponsa bilisés et souvent incités par des praticiens auss i irres ponsa bles, sera ient autant d’éléments qui permet tent d’expliquer la croissance des dépenses . En revanc he, lire sous la plume du Président du Comité consu ltat if national d’éthique, que l’augmentat ion des examens liés à des rappor ts sexuels sans préser vatif sera it significative d’une nou velle menta lité d’insouciance (1), surpr end quelque peu. Illustr er l’accr oissement des dépenses de santé par de tels exemples n’est pas acce ptable, sur tout quan d une par tie de la population renonce à des soins, notamment denta ires, pour de seules raisons financ ières. Mais il est vrai que monter les assu rés sociaux les uns contr e les autr es peut s’avérer un bon moyen pour faire passer des réformes sans contestat ions .

La « res ponsa bilisat ion » des assurés sociaux repose sur des mécan ismes d’incitations financ ières. Le projet proposé par Jacques Barr ot s’ar ticule autour d’un panier de soins de l’assurance maladie obligatoire pour les maladies les plus graves et un panier de soins com plémenta ire organisé par des com pagnies d’assurances privées et financé par les malades eux-mêmes . Une réforme similaire a été menée aux Pays-Bas. Depuis 1988, l’assurance maladie est scindée en deux par ties. Un panier de base, garant i par un financement collectif, cou vre les soins prioritaires, il est com plété par un panier com plémenta ire proposé par des assurances privées pour les soins non prioritaires. De telles méthodes pénalisent essent iellement les ména ges aux revenus modestes et favorise des pratiques d’écrémage pour les patients défavorisés ou atte ints de pathologies lour des. Jacques Barr ot oublie seulement de préciser que de telles réformes ne garant issent pas l’égalité des citoyens devant les soins. D’autr e par t, leur efficacité financ ière n’est pas probante . Le taux de croissance annue l moyen des dépenses de santé aux Pays-Bas est passé de 2,3 % entr e 1980 et 1990 à 2,9 % entr e 1990 et 1999. La concurr ence sera it donc cons idérée comme le seul para digme efficace . Mais, là où on a voulu l’instaur er, les indicateurs sanitaires ne se montr ent pas satisfaisants .

La tar ificat ion à la pathologie dans les éta blissements de soins const itue un des axes prioritaires prévu par la loi de financement de la Sécur ité sociale. Une telle mesur e remettra it en cause les fondements de notr e système de soins dans la mesur e où elle favorisera it l’éviction des malades atte ints de pathologies lour des. Dans les faits, c’est une sélection de malades déguisée qui se prépare. Une telle logique est sacr ificielle : elle privilégie les plus jeunes par rappor t aux plus vieux, les plus for ts par rappor t aux plus faibles et con duit à négliger les personnes qui sont en dehors du circuit product if. De telles méthodes donnent un avanta ge aux soins à bon marché et opèrent une discrimination envers les patients qui néces sitent des soins coûteu x.

... Un panier de soins complémentaire organisé par des compagnies d’assurances privées....

En 1987, aux États -Unis, l’Orégon, alors en situat ion de difficultés financ ières, s’est lancé dans une réforme profonde de Medicaid, le système financé par l’impôt , metta it à la dispos ition de toute la population des soins tota lement gratuits. Les éta blissements hos pitaliers ont le monopo le des consu ltat ions spéc ialisées et des examens com plémenta ires et sont financés par des mécanismes d’envelopp e globale. Depuis 1991, le financement public est directement versé aux agences régionales qui sont chargées de les répar tir aux établissements après une mise en concurr ence . Les hôpitaux sont désorma is indépendants et fonctionnent comme des opérateurs privés (NHS Trusts) : ils vendent des ser vices de soins aux agences ou aux cabinets de groupes (ca binets de généra listes de plus de 10 000 patients) qui ac hètent des soins pour le com pte de leurs patients .

Mais dans les faits, la réforme britann ique restr eint les capacités financ ières des éta blissements qui doivent désorma is limiter leurs invest issements . Les hôpitau x sont mis en concurr ence et restent sous la d’aide médicale pour les personnes à bas revenus . Les autor ités ont mis en œuvre un programme de rat ionnement des aides excluant du remboursement des soins les greffes d’organes et les maladies rar es. Quelques mois plus tar d, un enfant mourra it d’une leucém ie lympho ïde aiguë faute d’une greffe trop coûteuse pour sa famille. On voit bien où pourra it nous con duire la tar ificat ion à la pathologie.

La réforme des hôpitaux const itue le dernier point de l’argumenta ire. Il est étonnant de lire, sous la plume d’un praticien hos pitalier, qu’il « n’y a pas d’autres solution que d’abolir le statut public de l’hôpital pour lui permettre l’adaptation au monde moderne de management qui lui fait tant défaut » (2). Les solutions proposées sont rad icales : concentrat ion de moyens matér iels et humains en vue d’optimiser les pratiques. Cela signifie plus clairement que l’on va concentr er les équipements pour en renta biliser le fonct ionnement . Il y a quelques années , une jeune femme est décé dée dans une ambulance en allant accou cher. La matern ité qui était à côté de son domicile venait de fermer, faute d’activité. Renoncer au statut public de l’hôpital, c’est remettr e en cause la format ion des jeunes praticiens et abandonner cer taines recherches au secteur privé. Quant à la santé publique, n’en parlons pas, la privatisation revient à la nier. Entr e le statut public et la logique concurr entielle, il faudra que les médec ins choisissent . Mais la seconde solution ne sera vraiment pas la meilleur e, ni pour eux, ni pour les assurés sociaux.

Un tel point de vue met en évidence la volonté de certains praticiens hos pitaliers de voir notr e système de soins évoluer comme en Grande -Bretagne. Pour tant la réforme ultra-libéra le, initiée par Margaret Thatc her en 1991, devrait ser vir de leçon . Avant cette date, le système , press ion constante des acheteurs de soins. La diminution des coûts qui en résu lte se fait au détr iment de la qualité du ser vice et favorise l’éviction des malades atte ints de pathologies lour des et donc coûteuses . Les files d’attente , symbo le de l’ancien système public, n’ont toujours pas disparu . Enfin, le principe de soins gratu its est progress ivement remis en cause . Aujour d’hui, peu de personnes peuvent bénéficier de la gratu ité tota le. A plus ou moins long terme , la réforme risque de se tradu ire par le développement d’une médec ine à deux vitesses , puisque dans les faits, les inégalités dans l’accès aux soins augmentent .

À l’heur e où le MEDEF propose une « nou velle architectur e » de la Sécur ité sociale en s’ins pirant de la réforme hollan daise et mène une cam pagne ultra-libéra le de remise en cause de notr e système de protect ion sociale, qui trouve un écho favora ble dans cer tains milieux politiques, ces vaines polémiques font le jeu du patr onat . Le système qui semb le s’organiser est calqué à la fois sur le modè le anglais pour l’organisation des éta blissements hos pitaliers et sur le modè le amér icain pour la médec ine de ville. Dans tous les cas , cette privatisation qui ne dit pas son nom est redouta ble pour les assurés sociaux car elle con duirait à remettr e en cause le principe de l’égalité des citoyens devant les soins. Elle organisera it l’explosion de notr e système de santé et sera it sour ce d’une aggravation de sa crise d’efficacité et donc de détér iorat ions dramatiques des indicateurs des résu ltats de santé .

  1. François Dreyfus, Didier Sicard, « Médecine française : la grande illusion », Le Monde, 14 septembre 2002, p. 1 et 18.

  2. Guy Vallancien, « Hôpital public : brisons le grand tabou », Le Monde, 14 septembre 2002, p. 18.

Jean-Paul Domin, maître de conférences en sciences économiques. CERAS-LAME, Université de Reims Champagne-Ardenne