Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Privatisation d’Air France : empêcher le crash

Pour aboutir à la privatisation d'Air France qui est envisagée depuis longtemps en fait l'idée même qu'une entreprise de transport aérien soit dans le public est rejetée dans les milieux dirigeants un processus a été engagé depuis plus de 15 ans, avec des étapes marquantes. Mais celui-ci n'a pu être mené à son terme, essentiellement en raison des résistances du personne l, qui de l’ouvrier au commandant de bord restent mobilisés (ils étaient 5 000 à la manifestation du 3 octobre) mais aussi des exigences politiques de prises en compte des besoins de desserte à l’échelle du territoire ou dans le monde qui sont opposés à la logique de rentabilité financière effrénée du privé.

Ainsi, sur le terr itoire comme à l’internat ional, plusieurs dizaines de lignes « non renta bles » ont longtemps été maintenues grâce à la péréquat ion réa lisée avec l'app or t financ ier de quelques lignes hyper renta bles. Cela a contr ibué à éviter l'isolement de villes de province moyennes et de leur région environnante notamment pour celles que le TGV ne desser t pas. Cela à permis auss i, de mainten ir des coo pérat ions et des échanges entr e la France et de nombreux pays, notamment du Sud. Une entr eprise privée aura it éliminé les lignes non renta bles pour accr oître sa renta bilité financ ière. L’entr eprise publique n'ayant pas de telles contra intes , elle a pu développer une péré quation en faveur d'un aména gement du terr itoire plus équilibré et de coo pérat ions ouvertes sur le monde .

Or, au moment où le mou vement de marchandisation de toutes les activités pousse vers une dangereuse et coûteuse concentrat ion de la desser te du terr itoire – avec la mise en concurr ence des régions conforme aux exigences des groupes dominants – il sera it néces saire, au contra ire, de favoriser la com plémentar ité et la coo pérat ion de tous les modes de transpor t favorisant un maillage répondant aux besoins des hommes .

Un processus de privatisation jamais totalement interrompu

L’échec d’une première tentative de privatisation

En 1986, E. Balladur annonce le projet de privatisation d'Air France avec 22 autr es entr eprises, en préten dant qu’il n’y aura it pas d’autr es solutions face au problèmes d’endettement , de concurr ence avec les Etats-Unis et de déréglementat ion du transpor t aérien.

Il mandate M. Friedmann pour la mise sur le marché de la com pagnie. Si celui-ci, pour des raisons de krach boursier, ne peut la mettr e en oeuvre, il n'en cont inue pas moins à poursu ivre l'intr oduction des critèr es de gest ion du privé dans l'entr eprise

Air France et les années 1990

Trois PDG (B. Attali, C. Blanc, J.C. Spinetta) vont se succéder dans les années 1990 pour « gérer » les inflexions d’Air France dans le cadre de press ions plus for tes du marché, de l’Union eur opéenne ainsi que de tentat ives d’inter ventions plus ou moins rés istantes ou aggravantes des gouvernements success ifs. Tout cela, dans le nouveau conte xte des défis de la révolution informat ionne lle dans le transpor t aérien.

Celle-ci mod ifie profondément les con ditions de l'act ivité :

  • l'intr oduction de l'informat ique embarquée, notam ment avec le bond techno logique franch i par l'A320, qui évite les arrêts prolongés d’appareil pour réparat ion et assur e ainsi une utilisation intens ive des appareils (dixhuit heur es par jour) ,

  • la mise en place du Hub de Roissy, en liaison avec l’optimisation de la recette par informat ique, permettant de rabattr e mass ivement la clientè le dans cet es pace avec une coor dination poussée entr e l’arr ivée de ces usagers et leur dépar t vers d’autr es dest inations, notamment sur les lignes à for te renta bilité.

De tels équipements avec des coûts cons idéra bles sont ambivalents :

  • ou bien ils peuvent permettr e de faire à terme des économies si de tels coûts sont par tagés et si la qualification des salariés est favorisée pour qu’ils maîtrisent ces technologies,

  • ou bien, ils peuvent entra îner d’impor tants gâchis si de tels par tages ne sont pas organisés notamment avec d’autr es aér opor ts de l’es pace national et dans le cadre de coo pérat ions dans le monde ou si la format ion des salariés n’est pas suffisante pour une utilisation efficace . Or, réalisée dans le cadre d’une gest ion déjà dominée par la renta bilité financ ière, les exigences (financement , par tage de coûts , flexibilité,..) d’une telle mise œuvre de la révolution informat ionne lle vont êtr e utilisées pour tenter d’imposer les profondes restructurat ions qui ont marqué toute la décenn ie passée .

B. Attali prépare le terrain

En 1988, F. Mitterrand nomme B. Attali à la tête de la com pagnie, qui en raison de l'engagement du Président de la République à mainten ir sa politique du « ni privatisation, ni nationalisation » ne mod ifie pas le statut public de l'entr eprise, mais prépare activement la privatisation avec la mise en place d'une nou velle organisation fondée sur la créat ion de centr es de profit, tout en cherchant, avec l'intér essement aux résu ltats , à intégrer les salariés aux objectifs financ iers de l'entr eprise.

Christian Blanc tente le coup de force

Christian Blanc, après le retour de la droite, est nommé PDG pour privatiser. Pour cela, il met en avant les exigences de modern isation liées , notamment , au Hub (1) de Roissy. Cer tes il y a des exigences objectives nou velles liées à la révolution informat ionne lle : (2)

  • le besoin de fonds pour financer les nou velles technologies,

  • le besoin de coo pérat ion au plan eur opéen et mondial,

  • le besoin d'une gest ion plus rigour euse et plus soup le,

  • le besoin de l'implication des salariés.

  • Mais les solutions réact ionna ires de la privatisation sont alors présentées comme l’unique réponse à ces exigences avec :
  • le recours au marché financ ier, y com pris par l’ouvertur e du capital,

  • des alliances de guerr e économ ique,

  • la rigueur de la renta bilité financ ière avec les gâchis humains et financ iers ,

  • l'implication des tra vailleurs à la renta bilité capitaliste , à leur propre exploitation par l'intér essement et l’actionnar iat.

Pour tenter de faire acce pter ses choix aux salariés,

C. Blanc organise un référendum « pipé » où ceux-ci sont invités à répondr e à la quest ion « Air France doit-il vivre ou mour ir ? » Et il met en place un plan d'acquisition d'actions pour les salariés dans des con ditions , laissant es pérer à nom bre de salariés un enrichissement rap ide et, en tout cas , leur fourn issant une alternat ive à leurs salaires pressurés.

Mais cette cam pagne de séduct ion est cou plée à un arrêt tota l des créat ions d'emplois, et un blocage de l’évolution des salaires sur une durée de quatr e ans (hormis les ouvriers en raison des pénur ies de ces personne ls chargés de l'entr etien du matér iel). Une double échelle des salaires est inst ituée avec un recul de l'ordre de 20% de la rémunérat ion des nou veaux embauc hés par rappor t aux con ditions salariales de leurs aînés.

La croissance rentable de J.C. Spinetta

Mais, Christian Blanc échoue et démissionne en 1997 avec le refus de J.C. Gayssot qui a bloqué le projet de privatisation envisagé en mettant en avant le principe de « ni privatisation, ni statu quo ». Toute fois, avec l’arr ivée du PDG J.C. Spinetta , les forces de la privatisation, renforcées par la remontée jus qu’à 30% du prix dans son capital, cont inuent à œuvrer pour aligner la gest ion d’Air France sur celle du secteur privé.

Une nou velle période contra dictoire s’ouvre alors pour Air France .

Avec la reprise de la croissance mond iale, l'entr eprise conna ît un impor tant développement de l’act ivité. Mais, celle-ci vise avant tout une croissance renta ble contr e les salariés dont l’exploitation est renforcée tand is que les économ ies réalisées sur le personne l comme sur les équipements sont en permanence as pirées par les prélèvements financ iers de toute natur e.

Si le Hub const itue un levier puissant pour le développement de l'entr eprise, ce développement est profondément mar qué par les critèr es capitalistes .

Ainsi, si cette croissance et le passa ge aux 35 heur es obligent Air France à relancer l’embauc he avec plus de 5 000 nou veaux emplois ceux-ci ont été mass ivement créés sur le Hub, au détr iment notamment de ceux qui aura ient été nécessa ires pour la RTT. Ainsi, avec une hausse annue lle moyenne de 10% du chiffre d'affaires entr e 1997 et 2000 et le passa ge dans le même temps aux 35 heur es, un recrutement limité à 6% de l’effect if fait exploser la productivité horaire apparente du tra vail,

+ 18% en 2 ans (ent re l’exercice 1996/97 et celui de 1999/2000, la valeur ajoutée moyenne par heur e de tra vail passe de 280 francs 2000 à 331 francs 2000) et à une dégradation mass ive des con ditions de tra vail. Entr e ces deux exercices la par t des salaires dans cette valeur ajoutée passe de 73,9% à 69,8%, 4 points de moins.

Les externa lisat ions d’activité comme l’app el à la sous tra itance , loin d’atténuer ces difficultés , ont au contra ire renforcé les concurr ences entr e salariés et multiplié les disfonct ionnements . Par ailleurs la mise en place du Hub et des progrès techno logiques permettent d’intens ifier l’utilisat ion du matér iel et d’accr oître la productivité du capital matér iel. Mais ces gains sont absorbés par les marchés financ iers et les banques : ainsi les seules charges financ ières passent de 590 millions d’eur os à 1 172 millions d’eur os en 2000.

Un dispositif de casse de l’entreprise publique pour tuer leur missions publiques

Pour nier l’utilité de l'entr eprise publique, le PDG a toujours refusé de reconna ître outr e la mission d’efficacité sociale, l'existence de mission spéc ifique de ser vice public dans le domaine du transpor t aérien. Pour lui, sauf pour la Corse et pour les DOM-TOM ces missions sont inexistantes . Il est d'ailleurs à noter que la liaison avec la Corse relève plutôt de la logique de délégation de ser vice public que de celle de l'entr eprise publique. Donc, cela s’est fait dans la concurr ence poussant au moins disant social . Ainsi le ser vice avec la Corse s’est réalisé dans le cadre d'un contrat avec cette région à par tir d'un cahier des charges et dans le cadre d'une adjudication qu’Air France a rempor té, mais qui aura it pu l’êtr e par une entr eprise privée. D'ailleurs , Air littora l à contesté les con ditions d'attr ibution de ce marché et les inst itut ions eur opéennes ont cassé ce contrat . Une nou velle adjudication devra êtr e réorganisée.

De même , cette recherche de la « croissance renta ble » doit-elle remettr e en cause non seulement tout l’app or t poss ible de l’entr eprise à une efficacité sociale sector ielle et de nationale avec la promot ion des personne ls, Mais auss i tout ce qui relève d'une logique de ser vice public.

Cette logique de ser vice public concerne , notamment , le maillage impor tant du terr itoire national et l’access ibilité financ ière par tout à ce mode de transpor t, longtemps assuré par la filiale Air inter avec un système de péré quation entr e les lignes renta bles et des lignes moins rentab les.

Pour casser ce système solidaire et organiser la croissance renta ble, Air France s'est app uyé sur l'intr oduction de la concurr ence dans le cadre de la déréglementat ion du transpor t aérien à l'éc helle eur opéenne et mond iale.

Cette concurr ence a dans un premier temps multiplié les com pagnies avec une baisse tar ifaire liée à la guerr e commer ciale et a fait press ion sur les salariés de toutes les com pagnies pour baisser leurs coûts salariaux et pour atta quer l'emploi.

Dans un second temps , on a organisé l’écréma ge des com pagnies afin d’éliminer les plus fragiles. Ainsi, par exemple Air France a-t-il, pour cela, mis en place des navettes sur les lignes les plus renta bles pour éjecter tous ses concurr ents .

Dans le monde entier, des méga-com pagnies ont été const ituées avec des destruct ions d'entr eprises, comme aux Etats -Unis avec la faillite de trois grandes com pagnie et des difficultés dans une dizaine d'autr es.

Les attentats du 11 septembr e ont été un accé lérateur dans cette concentrat ion favorisant la const itut ion de monopo les.

Chacune d'elles repose sur l'organisation de Hub et sur un réseau const itué par des alliances internat ionales.

En France , Air France s’est app uyé sur tout sur Hub de Roissy, et s’est intégrée à l'alliance Skyteam qui mène la guerr e de domination contr e deux autr es alliances : One World et Star Alliance qui, elles mêmes ont assoc ié d'autr es com pagnies eur opéennes pour mener la guerr e économ ique sur l’es pace cont inenta l. C’est pour cela qu’Air France et Alitalia s’échangent des actions avant de s’ouvrir à KLM et ainsi tenter la privatisation tota le rap ide alors que dans le monde les critiques et les luttes contr e celles ci commencent à prendre de l’ampleur.

Dans le même temps , on cherche à organiser un par tage des rôles entr e Air France et les « low Coast », com pagnies à bas coûts :

Ainsi celles-ci pourra ient organiser le rabatta ge à bas prix des usagers vers le Hub de Roissy et les lignes rentab les exploitées par Air France . Ensuite, Air France multiplie les ser vices à for te marge pour la clientè le la plus solvable afin de faire remonter sa renta bilité financ ière. C’est sans doute auss i comme cela que le transpor t aérien pourra it relancer la concurr ence avec le transpor t ferr oviaire qui lui auss i mène la guerr e pour les lignes rentab les contr e le transpor t aérien plutôt que de rechercher des coo pérat ions favora bles à l’ensem ble du terr itoire et de la population.

Cette politique con duit Air France à vendre son ser vice au prix for t sur les lignes les moins renta bles, mais tout en cherchant à cibler la clientè le à pouvoir d’achat élevé ou d’hommes d'affaires qu'il est impor tant d’orienter dans le réseau Air France vers les segments les plus rentab les.

Mais, auss i, ce système a favorisé le retra it d'Air France des transpor ts dit de « point à point » permettant d'organiser les liaisons sans en emprunter le Hub de Roissy. De même il a déjà contr ibué à la marginalisation de l'aér opor t de Bruxelles.

L’exigence d’alternative pour le transport aérien

Au contra ire, plutôt que la guerr e dans le ciel frança is et Européen , entr e le ciel et les voies ferrées et routières sur les mêmes créneau x les plus renta bles avec des gâchis monstrueu x de suréqu ipement dans les métr opoles eur opéennes et entr e celles-ci et la rar eté et la cher té par tout ailleurs , il faudrait relancer les péré quations pour favoriser le maillage du terr itoire national et eur opéen et les coo pérat ions entr e tous les modes de transpor t à par tir des entr eprises publiques du cont inent et d’autr es types d’alliances .

Les progrès techno logiques de la révolution informationne lle dans le transpor t et les coûts de recherches de logistique, de sécur ité,… devraient êtr e par tagés entr e tous les utilisateurs potent iels par des coo pérat ions d’abord entr e les entr eprises du transpor t aérien eur opéennes , et auss i avec celles des autr es modes de trans por ts. De même d’intenses effor ts communs de format ion des salariés pourra ient favoriser une nou velle cultur e du transpor t économe de moyens et res pectueu x de l’environnement et auss i d’un développement équilibré de tous les terr itoires eur opéens . Une même démar che pourra it auss i êtr e engagée vers les pays du Sud et de l’Est pour favoriser des trans fer ts de techno logie à par tir de financements par créat ion monéta ire de la BCE, du type plan Mars hall. Ce qui permettra it de sor tir de cette guerr e économique concentrant le débouc hé sur une population minoritaire solvable des pays les plus riches.

Cela passe avant tout par l’atout des entr eprises publiques, coo pérantes , subst ituant aux critèr es de la renta bilité financ ière ceux de l’efficacité sociale, de l’équilibre des terr itoires, libérées des contra intes des marchés financ iers par des financements alternat ifs. Ce qui néces site de promou voir un nou veau cré dit sélectif incitatif au développement des capacités humaines, la format ion, la qualification avec la recherche, ainsi que de nou veaux pouvoirs d’inter vention des salariés.

La France a su développer une véritab le cultur e de transpor t dans toutes ses com posantes : matér iels, équipements , logistique,… Toutes ses com pétences vont-elles êtr e dilapidées dans les gâchis de la guerr e économ ique ou saura -t-on les utiliser pour relever le défi de Florence , celui d’un monde faisant reculer la marchandisation de tout au profit du par tage des savoirs des pouvoirs et des ressour ces .

 

  1. Le Hub est une plate-forme aéroportuaire qu’une compagnie aérienne s’approprie et utilise comme un nœud de correspondances pour combiner divers trajets et réservations. On cherche à attirer un maximum de passagers sur un même vol par des coûts réduits, en combinant des courts et de moyens trajets et des longs trajets.

  2. Paul Boccara, La bataille pour Air France : propositions et interventions, Economie et politique n° 243-244, juillet-août 1997, p 17.