Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’urgence d’un bilan des privatisations

Coûts sociaux et environne mentaux démesurés, défaillances gigantesques, un vrai bilan des privatisations est urgent. Sa réalisation est un élément constitutif de la lutte des peuples pour faire valoir d’autres choix.

Enron, Worldcom, chemins de fer britanniques, contrôle aérien, France Telecom, Argentine, Swissair, situation électrique californienne mais aussi brésilienne, néo-zélandaise, espagn ole… La liste ne cesse de s’allonger des failli tes monumentales d’entreprises et même de pays, des catastrophes industrielles liées au processus de privatisation/déréglementation qui est le cœur du libéralism e mondial. Les conséquences sur les peuples sont considérables. Un bilan s’impose. Il doit être réalis é par tous les citoyens et leurs représentants, cela en France, en Europe et au sein des institutions internationales.

L’ampleur des flux financ iers issus des politiques de privatisations mises en œuvre de par le monde et qui sont venus alimenter « la chaudière financière » dans le cadre de la mond ialisation libéra le, ne just ifie-t-elle pas déjà qu’un bilan soit fait ?

Une manne financière considérable

Ainsi, alors qu’entr e la deuxième moitié des années 60 et le milieu des années 70, on avait pu obser ver dans le monde un nom bre croissant de nationalisations, les années qui ont suivi et jus qu’à aujour d’hui ont été au contra ire mar quées par les privatisations . Aucun pays n’a échappé au processus de privatisations/ déré glementat ions impu lsé par le FMI, l’OMC au tra vers de l’AGCS (Accor d généra l sur le commer ce et les ser vices) et relayé en Europe par les instances communauta ires. Dans la zone OCDE, les ventes brutes cumu lées d’entr eprises publiques dans les années quatr e vingt dix ont atte int 643 milliards de $ et sont passées de 16 milliards en 1990 à 101 à leur apogée en 1998 (1). Le ralentissement des transact ions en 2000 et 2001 s’explique quant à lui par la montée des contestat ions et la crise des marchés financiers qui rend ces opérat ions moins attract ives.

Les privatisations ont auss i véritab lement « saigné » les pays émer gents qui en 1997 représenta ient avec 55 milliards de ventes près du tiers des privatisations dans le monde . Des privatisations de biens essent iels qui ont contr ibué à aggraver la situat ion de populations déjà très affaiblies et à accr oître les désé quilibres Nord/Sud.

En Europe, la Grande Bretagne après avoir été le fer de lance du mou vement des privatisations arr ive d’une par t au bout de son stoc k d’actif public cess ible et conna ît une contestat ion impor tante . Le succès de la cam pagne publique du syndicat Unisson (principal syndicat des TUC) « Positively public, Working for better public services » comme la grève des employés du métr o londonien en juillet 2002 contr e la privatisation en sont l’illustrat ion. Le leaders hip des cess ions revient maintenant à l’Espa gne, l’Italie et l’Allema gne jus qu’à présent pour tant rét icentes . Mais un mou vement inverse de remise en cause des programmes de privatisations se dess ine auss i comme en Nor vège, Pologne où, à l’instar de la Nouvelle Zélande en Océan ie les projets ont été stoppés . Pour 2003, comme le reconna ît l’OCDE, les facteurs seront essent iellement politiques « le dynamisme des opérations de privatisations en 2003 va largement dépendre (…) des considérations relatives au budget et à la dette publique, ainsi que la nécessité de satisfaire aux obligations de libéralisation du marché de l’UE… ».

En France , en deux vagues success ives (2), l’Etat s’est désen gagé cons idéra blement de toute activité productive et ce sont plus de 44,5 milliards d’eur os de recettes de privatisations qui ont été enca issés entr e 93 et 2001. En quinze ans le poids des entr eprises publiques dans l’économie frança ise s’est cons idéra blement amoindri passant de 19,3% des effect ifs salariés totau x en 86 à 7,8% en 2000 et de 25% à 11,5% dans la générat ion de la valeur ajoutée (3). Désorma is, à peu près tota lement absent du secteur des assurances , il ne reste que faiblement présent dans celui de la banque et de l’industr ie et est essent iellement centré sur l’éner gie, les transpor ts et les télécommunications. Des secteurs qui selon le nou veau gouvernement devraient faire par tie du nou veau programme de privatisations, en com plément des cess ions des actifs publics restant dans Renau lt (25%), Bull (16,3%), EADS (15%), Snecma (97%), Thalès (32,6%), Air France …. Un programme pénalisant pour les usagers et salariés, qui ser vira essent iellement , même si le nou veau gouvernement s’en défend, à équilibrer le budget de la France pour satisfaire à l’or thodo xie financ ière eur opéenne .

Montants des privatisations dans la zone OCDE (en milliards de $)












1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

16

20

25

40

55

54

53

96

101

96

67

20

Source : OCDE, 2002

Un bilan, qui cherche auss i la dest ination de cette manne financ ière, s’impose donc. Un bilan d’ailleurs prévu au niveau internat ional notamment dans le cadre de l’AGCS qui requier t pour chaque cycle de négociation « qu’une évaluation des services d’une manière globale et sur une base sectorielle soit réalisée » (4). Un bilan également deman dé par une réso lution du parlement eur opéen votée à l’automne 2001 ou encor e par de nom breux parlementa ires lors de l’audition de juillet 2002 du nou veau Ministre des Finances Franc is Mer. Des bilans demandés…. mais jus qu’à présent refusés ! Au regard des évènements récents qui tous mettent en cause ces orientations libéra les, ce refus n’a rien de surpr enant . Cela n’incite-t-il pas tous ceux (assoc iations , par tis, ONG, syndicats , citoyens ..) qui oeuvrent pour une « autr e mond ialisation » à redoubler d’effor ts pour contra indre les inst itutions internat ionales et les gouvernements à les réaliser en lien avec les sociétés civiles ?

Des bilans com plets qui en s’app uyant sur des exemples concr ets évaluent les consé quences des privatisat ions sur la sécur ité des personnes , l’environnement , les prix des ser vices aux usagers , les choix techno logiques, l’emploi et les législations sociales, la démocrat ie et l’exercice des droits fondamentau x, la réduct ion des inégalités au sein de chaque pays et entr e ceux du Nord et ceux du Sud, en termes , enfin, d’efficacité économ ique c’est-à-dire de réponse aux besoins des populations. Des bilans qui réinter pellent tout le cor pus théor ique du libéralisme et des processus de privatisations/ déréglementa tions dont il est vecteur .

Une idéologie de combat au service des privatisations

Le mou vement de privatisation/ libéra lisat ion qui agite depuis plus de vingt ans maintenant le monde s’app uie sur une idéologie de com bat afin de faire acce pter des réponses régress ives aux nou veaux défis auxquels sont confrontées les entr eprises publiques. Ces défis prennent racine dans les exigences nou velles imposées par la révolution informat ionne lle (coo pérat ion, financement , gestion,…), ainsi que par la crise de leur gest ion état iste. Mais, avec les privatisations, il s’agit d’un tra itement capitaliste, sous la contra inte de renta bilité financ ière imposée par les marchés, de ces défis nou veaux qui est présenté comme la solution unique et indiscutab le.

Ces choix de société s'app uient sur les postu lats (5) véhiculés dans le cadre de la mond ialisation libéra le. D’abord que les sociétés sont « natur ellement » harmonieuses qu’elles ont un fonct ionnement spontané et qu’en consé quence tout ce qui vient réglementer , mieux maîtriser les marchés (des droits nou veaux pour les salariés, les entr eprises publiques ou cer taines inter ventions des Etats contra dictoires avec leur rôle fondamenta l d’app ui aux marchés qui domine) déran ge « l’ordre des choses ». Ensuite que l’intérêt généra l est la somme des intérêts individuels et donc que ces deux intérêts coïncident « toujours » ou « nécessa irement » ou « automat iquement » (6) . Pour app uyer ce discours les économ istes les plus libéraux ont été mis à contr ibution. Ainsi, « les théor ies », la plupar t impor tées des Etats Unis et du Royaume-Uni pour just ifier la libéra lisat ion des secteurs publics et sur tout les privatisations sont multiples. (…), « La théorie de la capture » (Stigler, Peltzman) a mis en cause les salariés du public censés suivre plutôt leur intérêt propre que l’intérêt généra l (7). Parmi tout l'arsena l théor ique anti-ser vice public on peut également citer la « théorie de la bureaucratie » (Niskanen , Migue, Belanger) et celle « des droits de propriété » qui cons idère que les entr eprises publiques, n'étant pas sanct ionnées par le marché, ne peuvent pas êtr e, à capital égal, auss i performantes que des entr eprises privées (8).

Toutes ces théor ies ont, depuis le célèbre TINA (« there is no alternative ») de Margaret Thatc her dans les années quatr e-vingt, just ifié les privatisations mises en oeuvre par les gouvernements . Leur caractèr e profondément idéologique les rendent contesta bles !

Montants des recettes des privatisations en France 1993-2000 (en milliards d’euros)








1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

7,64

9,7

3,3

2,74

8,7

7,8

4,7

1,7

Source : Loi Finances 2001

Les inst itut ions internat ionales ont joué un rôle majeur dans leur propagation mais auss i dans leur concrét isation. Ainsi le FMI (9), au tra vers de l’impos ition des plans d’ajustements structur els, a fait des privatisations une obligation aux Etats emprunteurs . Si en Europe, les tra ités qui concernent la libéra lisat ion de marchés n’exigent pas les privatisations, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils les encoura gent. Le respect du pacte de stab ilité est à lui seul une incitation à vendre les entr eprises de ser vice public pour atte indre les équilibres budgétaires fixés. Autant en Europe que dans le monde , les résu ltats sont là ! La quasi-faillite de l’Argent ine en est l’élément emblématique. Ce « pays riche peuplé de pauvres » selon la formule des géographes a été le bon élève du FMI appliquant à la lettr e ses recomman dations. L’Etat a été « dégraissé », un programme gigantes que de privatisations a été mené depuis 1990, les entr eprises ont été vendues aux multinationales étran gères, les frontières ouver tes aux capitaux transnat ionau x. Le résu ltat est là : Aujour d'hui, alors que 90% des banques et 40% de l'industr ie sont aux mains de capitaux internat ionau x, la dette extérieur e du pays a quasiment quadruplé entr e 1983 et 2000, la santé et l'éducation sont en lambeaux et le salaire moyen des argentins vaut la moitié de ce qu'il valait en 1974. Les per tes se chiffrent en milliards de dollars , la majorité de la population est ruinée. A Por to Alegre, Emilio Taddei, président du Conse il latino-amér icain des sciences sociales (Clacso) et l'une des chevilles ouvrières de la mob ilisat ion argentine déclarait « Ce qui se passe en Argentine est la démonstration de la logique néolibérale poussée jusqu'au bout » stigmatisant également « la complicité des groupes économiques locaux et la responsabilité des pays industrialisés » notamment eur opéens quasi-propriétaires aujour d’hui du pays.

Mais l’Argent ine ne const itue pas un exemple isolé. Le Brésil, qui, à lui seul, a procé dé selon l’OCDE a plusieurs milliards de $ de privatisations, se trouve également dans une situat ion économ ique délicate et en proie à un rat ionnement d’eau et d’électr icité qui pèse sur les populations et les entr eprises. L’exas pérat ion est auss i à son com ble au Pérou où en juin dernier, le président Alejandro Toledo a du suspendr e la vente à Suez-Tractebe l des deux sociétés électr iques publiques du pays (Egasa, Egasur) après six jours d’émeutes violentes . Enfin, ne faut-il pas s’inter roger sur la res ponsa bilité de dix ans de politique de privatisations en Afrique sub-sahar ienne sur l’immense recul de ce cont inent ? Pour êtr e com plet, le bilan doit concer ner auss i les pays est-eur opéens et l’Asie où les privatisations ont souvent dopé « l’argent sale » (10).

Marchés : la régulation par catastrophe

Les politiques de privatisation, sour ce d’invraisemblables inégalités, ont-elles au moins la ver tu de l’efficacité dans la réponse aux besoins ? Ces politiques sont fondées sur une véritab le mythification du marché, de la concurr ence et de leurs ver tus en matière de prix, de sécur ité, de qualité de ser vices . Satisfont-elles aux objectifs affichés ou se contentent -elles de capturer la rente const ituée par les invest issements réalisés dans les services publics et payés par les usagers ? L’histo ire récente ne nous ense igne-t-elle pas plutôt que la régulation du marché, loin d’êtr e « parfaite » ou « com plète » est avant tout une régulation de catastr oph e, avec d’énormes défaillances , comme d’effroyables manipulations, mais dont les premières victimes sont toujours les salariés et les petits épargnants ?

Les faillites histor iques du trader Enron et du système électr ique californ ien, celle de Worldcom et de l’ensem ble du secteur des télécommun icat ions , celles des chemins de fer britann iques n’en sont-elles pas la démonstrat ion ?

Ces faillites ne doivent pas êtr e banalisées , comme tous les zélateurs du libéra lisme s’échinent à le faire, car leur ampleur est immense et d’un niveau inconnu dans l’histoire économ ique jus qu’à ce jour : 64 milliards de $ de per tes pour Enron, 75 milliards est imés pour l’éner gie californ ienne dont la com pensat ion est entièrement à la charge des populations, 100 milliards pour Worldcom, 60 milliards de £ pour les chemins de fer britann ique, somme qui corr es pond à la reca pitalisation à laquelle Tony Blair s’est engagé sur les dix prochaines années après la faillite au printem ps de Railtrac k. Le secteur des télécommun ications qui a représenté dans les années quatr e vingt dix, selon l’OCDE, la moitié de toutes les privatisations réalisées dans le monde s’est quant à lui effondré, perdant 80% de sa valeur.

Désinvestissements, pillages et myopie du marché

Au-delà, pour qu’un bilan des politiques de privatisations dans le monde soit utile, il faut qu’il vise à tirer tous les ense ignements de ces dangereux et colossau x échecs. Et il y a là un débat de fond car il s’agit de choisir entr e une remise en cause profonde de ces processus et une simple améliorat ion de leur cadre.

Le premier ense ignement tient au fait que les privatisations/ déréglementat ions con duisent à des désinvestissements mass ifs préjudiciables à l’avenir des populations, à la dispar ition de tout projet industr iel de long terme . Selon la formu le, « le marché est myope » et les libérau x le revendiquent ! Leur objectif est d’alimenter les marchés financ iers et d’êtr e les suppor ts d’instruments spécu latifs (ma rchés dérivés, trad ing etc .) ce dont Enron était l’archétype mais que l’on retr ouve auss i ailleurs , dans le secteur pétr ogazier en Grande Bretagne par exemple. Sans projet industr iel fondé sur une volonté politique de meilleur e réponse aux besoins des populations, les privatisat ions se soldent auss i par de véritab les saignées pour l’emploi. Ainsi, c’est la Poste britann ique qui annonce récemment son intent ion de licenc ier 17 000 salariés cela après avoir grassement enrichi ses nou veaux propriétaires privés. Selon les syndicalistes amér icains, l’effondrement des télécoms dans le cadre de la déréglementa tion aux Etats -Unis a en 2000 « coûté » 200 000 emplois auxquels en 2002 il faudra sans doute ajouter les 100 000 de Worldcom et au niveau mond ial les cou pes claires effectuées chez les grands opérateurs . Deutsc h Telecom a déjà commencé et la situat ion critique de France Telecom peut faire craindre le pire. Le secteur de l’éner gie en Europe n’est pas épargné. Ainsi, l’étu de ECOTEC commandée par la Commission eur opéenne fait apparaître une prévision de 250 000 per tes d’emplois du fait de la déréglementat ion dans les prochaines années (11). Et ceux-ci s’ajoutent aux 212 000 emplois perdus dans le seul secteur de l’électr icité recensée par l’OIT de 1990 à 1998. Une démar che qui n’épargne personne .... et dont personne ne se prive. Quan d EDF a racheté le distr ibuteur brésilien LIGHT en 99, celui-ci com ptait 13 500 salariés, il en reste 3 500 aujour d’hui ! Les con ditions de tra vail pâtissent auss i des privatisations ce que le film de Ken Loach « The navigators » a très bien illustré . Comme pâtissent les droits syndicaux : le modè le de référence en la matière étant la Loi Tebbit de 82 en Grande Bretagne, véritab le règlement anti syndical imposé pour faciliter les privatisations.

Manipulations des prix et pertes d’emplois

Le deuxième ense ignement est en soi une sor te de redécou ver te : les marchés sont manipulables ! On le savait depuis la crise des tulipes en Hollande au XVIème siècle et la grande crise de 1929, mais l’effon drement du système électr ique californ ien en est une démonstrat ion encor e plus éclatante . En déréglementant le système électrique, les autor ités californ iennes ont permis la mise en place d’oligopoles privés au niveau de la production qui ont su parfaitement et rap idement organiser la pénur ie électr ique pour faire flamber les prix. Une pénur ie que les banques argentines sous contrô le des grandes inst itutions financ ières mond iales ont auss i su utiliser. Des prix qui, s’ils ont atte int des sommets en Californie (passant de 30 $ le MW à 1300 $ en mai 2001), ont très régulièrement monté par tout après les déréglementat ions/ privatisations que ce soit dans l’éner gie ou les télécommun ications . Ainsi l’Union Européenne a reconnu récemment que les prix moyens en Europe en matière d’électr icité et de gaz « n’avaient pas bénéficié de la réalisation des marchés ». Ils ont en fait progressé et nettement , comme vient de le confirmer pour la deuxième fois consécut ivement l’enquête du consu ltant NUS (12) ! Et il en de même dans le secteur des télécommun icat ions en France . Ce sont les commun icat ions « longue distance » qui ont essent iellement baissé sur les axes de trafic for tement utilisés comme l'axe Europe/USA. Cette baisse s'est accom pagnée d'un « rééqu ilibr age tar ifaire » au détr iment de la grande masse des usagers qui ont vu l'abonnement êtr e multiplié par trois depuis 1993. Les tar ifs des commun icat ions locales n'ont pas intégré les gains de productivité et ont donc subi une hausse relative, d'autant plus facilement escamota ble qu'elle s'est accom pagnée d'une mod ification du système de tar ificat ion. Une tar ificat ion non seulement inégale (ce qui est vrai auss i dans l’éner gie) mais sur tout peu transpar ente .

Sécurité et environnement à l’encan

Le troisième ense ignement est que face à cela tous les systèmes existants de régulation ont été défaillants . L’ART (l’autor ité de régulation des télécommun icat ions) n’arr ive même pas à com parer les prix des opérateurs de téléph onie mob ile et n’a aucun moyen d’empêcher leurs ententes ! Mais plus généra lement , si l’on peut légitimement s’interr oger sur la poss ible ou non régulation du capitalisme, les crises récentes mettent au moins en évidence les lacunes structur elles des instances de régulation existantes , dont pour tant le modè le anglo-saxon s’éten d par tout dans le monde avec les privatisations. Ainsi le plus surpr enant , pour le grand public, dans la chute d’Enron reste l’aveuglement , voire la com plicité, de toutes les instances de régulation, inst ituts , cabinets d’exper ts, consu ltants chargés de sur veiller l’act ivité des entr eprises. Cela app or te auss i un éclairage sur les liens qui existent entr e le politique et l’économ ique, les forces politiques et les multinationales pour obtenir la mise en place de processus de déréglementat ion/ privatisation. La défaillance de la régulation qu’entra îne les processus de privatisation a des impacts impor tants sur la sécur ité des salariés et des populations. Le cas des chemins de fer britann iques est à ce titre éloquent . Les Britann iques paient un lour d tribut à la privatisation sept ans après son amor ce : à la dégradat ion du ser vice par faute d’invest issement s’ajoutent les accidents ferr oviaires qui se succèdent.

Les récents accidents dans les chemins de fer britanniques


Bellgrove 1989

2 morts, 40 blessés

Cannon Street 1991

2 morts, 248 blessés

Newton 1991

4 morts, 22 blessés

Cowden 1994

5 morts, 12 blessés

Southall 1997

7 morts

Hatfield 2000

4 morts, 35 blessés

Selby 2001

10 morts

Lincolnshire 2002

1 mort, 12 blessés

Source : Marc Nussbaumer, « Le monde diplomatique », (avril 2002)

Des régulations qui sont tout auss i inefficaces pour ralentir la dégradat ion de l’environnement à laquelle con duisent les privatisations en imposant des choix technologiques de cour t terme . Les débats de Johannes burg ont mis en évidence , le lien entr e dégradat ion de l’environnement et développement des marchés privés. L’eau et la crise hydraulique actue lle en sont la démonstrat ion, comme la mise en place des permis à polluer dont la logique cynique est directement issue de la logique de marché.

Les privatisations face aux biens publics mondiaux et à l’intérêt général

Un dernier (provisoirement) ense ignement tient à la démonstrat ion faite, par les échecs des privatisations, que la soum ission de la gest ion des biens publics mondiaux, eau, éner gie, transpor ts, aux critèr es de la renta bilité financ ière remettent en cause les droits fondamentaux qui vont avec et dont font par tie la liber té, la sécurité et l’égalité dans leur accès .

Le caractèr e de produits de première nécess ité de ces biens publics mond iaux en font des éléments indispensables à la vie, const itut ifs de la citoyenneté .

Ces produits, pour reprendre les termes des écono mistes , relèvent d’un « monopo le natur el qui tient tant à la présence » d’externa lités (l’impact sur l’environnement par exemple) qu’à celles de rendements croissants (le coût minimal est obtenu lors que la tota lité de la production est assurée par un seul opérateur) . Ces monopo les ne peuvent qu’êtr e publics sinon à acce pter que des intérêts privés profitent de cette situat ion en imposant leur prix puisque le marché est sur ce point en défaut. C’est la raison pour laquelle les politiques de privatisation/ déréglementat ion si elles ont favorisé dans un premier temps la multiplication des acteurs ont rap idement dans un second temps con duit à de fantast iques concentrat ions d’entr eprises const ituant autant de monopo les mais cette fois privés ! Dans les télécommun icat ions , l’éner gie, le transpor t, l’eau se sont aujour d’hui des grandes multinationales qui sont maîtres du jeu. Et cela sans contrô le !

Comme biens publics, l’eau, les transpor ts, les télécommun icat ions , l’éner gie appellent l’avènement de nouvelles entr eprises publiques avec d’autr es finalités et d’autr es critèr es de gest ion. De telles entr eprises doivent promou voir de nou velles logiques de ser vice publics, une Sécur ité d’emploi ou de format ion pour tous leurs salariés afin d’assur er leur missions : égalité d’accès , péréquation tar ifaire, promot ion des capacités humaines, formation, éducat ion pour toute la population.

Air France est dans la ligne de mire du gouvernement Raffarin.

Pour cela elles doivent auss i pouvoir opp oser des critèr es d’efficacité sociale à ceux de la renta bilité financière, pour répondr e aux exigences de la planète et donner des alternat ives concrètes au début de la contesta tion des gest ions des multinationales privées qui s’est exprimée for tement au sommet de Johannes burg.

En fait, la gest ion des biens publics mond iaux nécess ite de refonder une citoyenneté et un intérêt généra l en leur donnant des dimens ions qui tiennent com pte et ar ticulent les différents terr itoires per tinents que sont les régions, les Etats , les es paces régionau x tels l’Europe, le monde .

En conc lusion, la réalisation d’un bilan com plet des politiques de privatisation / déréglementat ion est à la fois urgente et const itut ive d’une bata ille de réappr opriation sociale. Urgente , car les échecs actue ls et ceux qui sont hélas prévisibles ont des consé quences dramat iques pour les populations. Mais urgente auss i, car même en difficulté, les libérau x n’ont pas désarmé . Avec le nou veau cycle de négociations de l’AGCS qui précise dans son ar ticle 19 « l’obligation pour les parties signataires d’engager des (…) négociations successives (…) en vue d’élever progressive ment le niveau de libéralisation » l’ouver tur e d’une deuxième phase de privatisations est en débat avec comme nou velle cible la santé et l’éducat ion.

Ce bilan est const itut if de la bata ille contr e les privatisations qui prend de l’ampleur, comme il est auss i const itut if de la construct ion de propositions alternat ives. Une express ion populaire ne nous rappe lle-telle pas qu’« il n’y a pas de bons remè des sans bon diagnost ic » ? Ÿ

  1. In « Recent Privatisation trends in OCDE countries », OCDE, juillet 2002.

  2. Loi du 2 juillet 1986 qui prévoit le transfert au privé de 28 groupes et sous-groupes publics et Loi du 19 juillet 1993 qui en ajoute 13. Au total, ce sont 2000 entreprises qui sont sorties du giron de l’Etat entre 1986 et 2000.

  3. Source INSEE Première juillet 2002.

  4. Article 19 de l’AGCS.

  5. Voir par exemple F.A.Hayek, Milton Friedman…

  6. La phrase dont raffole les ultra libéraux est extraite d ‘Adam Smith dans « la richesse des nations » : « l’individu tout en ne cherchant que son intérêt personnel travaille souvent pour l’intérêt de la société ».

  7. « La théorie de la capture » souligne que les pertes d'efficience enregistrées par les entreprises publiques disposant d'un monopole sont liées à la capacité des dirigeants et/ou des salariés à s'opposer ou a limiter toute concurrence effective et donc à suivre des motivations propres qui ne reflètent pas l'intérêt général.

  8. A l’inverse, les mécanismes de contrôle par les actionnaires (ou les banques) sont supposés plus performants parce que plus concernés que ceux des Ministères de tutelle.

  9. J.Stiglitz, prix Nobel d’économie 2000 et ancien chef économiste de la Banque Mondiale en fait la démonstration éclatante dans son livre « La grande désillusion ».

  10. La Corée du Sud quoique première nation mondiale pour le montant des privatisations en 2001 n’a pas vu pour autant sa situation s’améliorer.

  11. Etude réalisée en 2000 par le cabinet ECOTEC Research and consulting Ltd et dont les conclusions sont reprises dans la communication de la Commission européenne en vue de l’achèvement du marché intérieur de l’énergie (février 2001, page 27).

  12. National Utility Services, consultant en énergie, étude 2002.