Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Plan Fillon : travailler plus pour « coûter » moins

François Fillon, lors de son intervention à la réunion de la Commissi on nationale de la négociation collective du 6 septembre consacrée aux doss iers du SMIC et des 35 heures a indiqué qu’il entendait favoriser les baiss es du coût du travail et encourager l’allongement de la durée du travail plutôt que les créations d’emploi. Cela confirme combien l’abandon de tout objectif chiffré de créations d’emploi lié à la RTT qui a caractérisé la loi Aubry II par rapport à la précédente a pu ouvrir la porte à la droite pour mettre en cause, désormais, l’objectif même du chantier en encourageant un allongement de la durée du travail.

Le plan du ministre de l'Emploi cons iste avant tout à changer les moyens de réguler le marché du travail pour redoubler dans la visée de réduct ion du coût salarial de l'emploi par tagée avec le précé-

dent gouvernement dans la pers pect ive d’une plus grande flexibilité et de l’exacer bation de la concurr ence .

Pour avancer sur cette voie, il s'app uie sur les impasses de la multiplication des SMIC, les contra dictions de la loi Aubr y, notamment celles de son financement public, résu ltant , elles auss i, de l'obsess ion de rédu ire le coût salarial de l'emploi avec des baisses de cotisations patr onales con ditionnées , dans un premier temps , à la créat ion DE ...d’emploi, dans un second , au seul passa ge aux 35heur es. Aujour d'hui Franço is Fillon va s'app uyer sur ces contra dictions pour pousser plus loin encor e dans le même sens . Toujours plus de fon ds publics pour les entr eprises et toujours moins d’exigences sur l’emploi et la format ion jus qu’à mettr e en cause la RTT elle-même .

Or, la revalorisation de 11,4 % du SMIC horaire dès le passa ge aux 35 heur es, comme le proposait le PCF et ses députés , aura it permis d’éviter cette dérive, d’autant plus que cette mesur e a été accom pagnée d'une proposition d’aide par des baisses des charges financ ières, au lieu de la baisse des charges sociales patr onales, grâce à un cré-

dit bonifié sélectif et incitatif à la créat ion d'emplois nécessa ires à une RTT de qualité.

Face aux blocages d’une approche sociale libérale de la RTT : des réponses de droite

Ces blocages concernent la durée et l'aména gement du temps de tra vail (voir ar ticle de S. Chicote p. 12), le SMIC et la politique salariale, et les politiques d'aide publique. Nous tra iter ons dans cet ar ticle ces deux derniers points .

SMIC : un freinage masqué, une source de divisions des salariés

La loi Aubr y II a mis en place un mécan isme afin de répondr e par tiellement à l’exigence d’une réduct ion du temps de tra vail sans per te de salaire (enca r t sur l’imbr oglio des SMIC) . Mais ce principe n'a été appliqué que de manière forme lle. Si, au moment du passa ge de 39 à 35 heur es, les smicar ds concernés voyaient leur salaire maintenu sous la forme d’une « Garant ie mensue lle de revenu » (GMR (1), l’évolution de celle-ci était déconnec tée du Smic. Une GMR différente a été inst ituée après chaque mod ificat ion du Smic mensue l sur lequel elle s’alignait à sa créat ion. Avec le temps , cela a con duit à des écar ts grand issants entr e ces GMR: jus qu'à 53 , soit 5% du salaire brut, pour des smicar ds « passés à 35 heur es », mais à des dates différentes .

Devant l’exigence de sor tie de la multiplicité des SMIC, la proposition du ministre Fillon, (voir tab leau) présentée comme un alignement de tous les SMIC sur le plus élevé (en réalité, il s’agit de la GMR5, la plus élevée, qui permet à un Smicar d passant de 39 à 35 heur es après le premier juillet 2002 de préser ver son salaire mensue l après la dernière réévaluation du Smic) peut apparaître comme de bon sens . Cela, d'autant plus, que les hurlements du MEDEF contr e le dispos itif sera ient auss i de natur e à rassurer les salariés.

Pour tant ce dispos itif est dangereux car il const itue l’une des pièces d'un puzzle de régress ion sociale où s’imbriquent la politique salariale, la durée et l'aména gement du temps de tra vail, les minima sociaux, les aides à l'emploi, les exonérat ions de charges ...

Le mécan isme d'unification des SMIC (voit tab leau n°1) com prend 3 volets :

  • la suspens ion de toute nou velle créat ion de GMR d’ici 2005, date où la loi oblige à une réun ificat ion du Smic et le freinage de la revalorisation de la dernière GMR (GMR5) pendant 3 ans .En fait la GMR5 va êtr e la référence pendant les 3 prochaines années . C’est vers elle que con vergeront toutes les garant ies mensue lles. Le Smic horaire con vergera vers le taux horaire de la GRM5 tout comme les autr es taux horaires des GMR. Enfin, c’est le montant de son taux horaire indexé à l’indice des prix qui déterm inera le niveau de Smic réun ifié en 2005 (voir tab leau 1).Cette référence est donc fondamenta le et son évolution déterm inante pour l’avenir des bas et des moyens salaires. Or, la décision du gouvernement de l’indexer sur le seul indice des prix INSEE const itue une impor tante régress ion . En effet, à la différence du Smic, ce système de revalorisation aban donne la référence au salaire horaire de base ouvrier et le principe du « cou p de pouce » qui, tous deux, en moyenne contr ibuent à plus de la moitié de la hausse annue lle du Smic :

  • une revalorisation par éta pe des GMR les plus basses pour qu’elles con vergent vers la GMR5,

  • des « cou ps de pouce » sur le SMIC horaire pour lui permettr e de com bler son retar d de 11,40% qui le sépar e, de la GMR5. Il s’agit dans ce cas de « cou ps de pouce » de rattrapa ge entr e plusieurs salaires minimum, touchant un nom bre limité de salariés, à la différence des « cou ps de pouce » annue ls antér ieurs du Smic.

Là encor e, comme l'avait fait la loi Aubr y II, on met en place un système de rattrapa ge forme l, mais dont l'application dans le temps va s'avérer auss i pernicieux que le système précé dent (2).

De plus, ce mécan isme d'indexation est pr ésenté comme trans itoire, jus qu'à 2005, mais c'est une brèche que le MEDEF voudrait élargir pour aller plus loin en s'attaquant au principe même du SMIC (3).

Ainsi, il cons idère que ce n'est pas aux entr eprises d'assurer une telle garant ie salariale, mais cette responsa bilité doit êtr e suppor tée financ ièrement par une aide sociale com plémenta ire de l’Etat . En fait, le MEDEF sout ient la Prime pour l'emploi (PPE) qui, au nom de l'incitat ion au retour à l'emploi, avait été inst ituée par le gouvernement Jospin. Dans une inter vention le 7 septembr e à MaisonsAlfor t, J.P. Raffarin vient d'indiquer son ralliement à la (PPE) et sa décision de la pérenniser dans le budget 2003 : « Ce n'est pas parce que cela a été développé par la concurr ence (le gouvernement L. Jospin NDR) qu’on va dire que c’est mauvais. Quan d c’est bon pour les França is, je le garde. Quan d c'est mauvais, je l'enlève ».

Un financement public massif pour baisser le coût salarial de l'emploi et pour écraser l'éventail des salaires au niveau du SMIC

Le plan Fillon vise la con vergence des deux types d'aide. Pour cela il propose de faire con verger :

  • les éventa ils des salaires exonérés (ent re 1 et 1,7 SMIC mensue l),
  • les taux d'exonérat ion « par le haut » à 26% du salaire brut pour le SMIC mensuel,

Tableau 1 : Evolution des salaires minima bruts horaires et mensuels de 2002 à 2005

Avec l’hypothèse d’un indice des prix constant de 1,6% et d’une évolution constante des revalorisations

 


En euros

2002

2003

2004

2005

 

 

 

 

 

 

 

Salaire horaire brut

Salaire mensuel brut

Salaire horaire brut

Salaire mensuel brut

Salaire horaire brut

Salaire mensuel brut

Salaire horaire brut

Salaire mensuel brut

GMR 5

7,61

1154

7,72

1172

7,85

1191

7,97

1210

GMR 4

7,57

1149

7,70

1169

7,83

1189

7,97

1210

GMR 3

7,47

1133

7,63

1158

7,79

1183

7,97

1210

GMR 2

7,34,

1114

7,55

1146

7,76

1178

7,97

1210

GMR 1

7,25

1100

7,48

1136

7,72

1172

7,97

1210

SMIC 39 H

6,82

1154

7,25

1257

7,63

1323

7,97

1382

35 h sans GMR

6,82

1031

7,25

1100

7,63

1158 €

7,97

1210

De suppr imer l’aide structur elle sur tous les salaires sans plafond des salariés en 35 heur es.

Ainsi, on ass iste à un double mouvement dans la politique des exonérat ions de cotisations sociales patronales :

  • une nou velle montée des dépenses d'exonérat ion : plus 5 milliards d’d'ici 2006,

  • son recentra ge sur les bas salaires mensue ls (de 1 à 1,7 Smic) qui verr ont de plus leur revalorisation freinée par le nou veau mécan isme d'indexation du salaire minimum mensue l. Ce dispos itif tendra à tirer vers le bas les salaires des personne ls qualifiés et des cadres.

Une machine à faire désespérer de la RTT

Toutes ces mesur es sur le SMIC, la RTT, le financement public des entr eprises visent en premier lieu à baisser le coût salarial pour les employeurs par :

  • l'intens ificat ion du tra vail,

  • le relèvement de la durée effect ive du tra vail,

  • l’écrasement de la pyramide salariale et la réduct ion des charges sociales patr onales avec le nou veau dispos itif d’aides financ ières,

  • le freinage du salaire minimum et de tous les minima sociaux par le nou veau mode d’indexation du salaire minimum.

Mais ce dispos itif va avoir d'autr es consé quences :

  • il risque de bloquer l’application des 35 heur es et de freiner, voire de faire se retourner la tendance actue lle à la baisse du temps de tra vail. En effet, le plan Fillon envisage deux sérieux obst acles pour découra ger les salariés et les entr eprises de passer aux 35heur es :

  • la hausse du taux horaire du SMIC pour les salariés en 39 heur es avec, par hypothèse, 4 heur es supp lémenta ires majorées de 25% – a fortiori si, comme le plan Fillon en ouvre la poss ibilité, un accor d de branc he signé par un seul syndicat, même très minoritaire, ramène ce taux à 10% pourra it con duire à faire hésiter les salariés risquant de perdre de l'ordre de 14% de leur salaire brut au moment du passa ge au 35 heur es,

  • tand is que les chefs d'entr eprise sera ient bien moins incités à rédu ire le temps de tra vail du fait de la revalorisation mass ive de la ristourne Juppé de 18 à 26% du salaire brut minimum mensue l, et du relèvement de 1,3 à 1,7 Smic du plafond permettant d'accé der aux exonéra tions , tand is que la suppr ess ion de l’aide structur elle mensue lle de 53 pour chaque salarié aux 35 heur es sera it suppr imée.

Or, lors que Franço is Fillon dit que « l’aide publique profitera for tement aux entr eprises dont les salaires sont concentrés entr e 1,2 et 1,7 Smic », le messa ge est clair : le salaire pour 35 heur es au SMIC avec 4 heur es supp lémentaires majorées de 25% corr es pond à 1,14 SMIC. Il leur reste encor e beaucou p de grains à moudr e en terme d’heur es supp lémenta ires et de flexibilité.

Les con ditions de concurr ence entr e les entr eprises aux 35 heur es qui ont du embauc her du personne l et celles restant aux 39 heur es qui vont bénéficier d'aides équivalentes sans embauc he supp lémenta ire vont êtr e désé quilibrées.

Les consé quences seront également multiples pour l'évolution des minima sociaux, les com ptes de la protection sociale. Une telle politique semb le viser une double préoccu pation :

  • mainten ir à tout prix le niveau des profits, alors que la croissance ralentit, par la baisse du coût du tra vail afin de relancer les marchés bours iers ,

  • préparer l'aggravation de la concurr ence des marchés du tra vail eur opéens qui va s'intens ifier avec l'entrée prochaine des pays de l'est à la main-d’œuvre relativement qualifiée et aux coûts salariaux rédu its.

Elle risque de relancer encor e plus for t les cer cles vicieux de la crise :

  • dans une conjonctur e déprimée, cette course à l’intens ificat ion du tra vail va contr ibuer au chômage,

  • le chômage et les dispos itifs de freinage des salaires vont aggraver les problèmes de la deman de,

  • le plan Fillon va accentuer dans le cadre de l’annua lisation la subor dination des salariés aux injonct ions de leur employeurs et les PME à celles de leurs donneurs d’ordre.

Elle va multiplier les contra dictions sociales et écono miques de la période.

Franço is Fillon et son Premier ministre sont consc ients des obst acles qu'ils vont rencontr er et ils ont déjà commencé à louvoyer pour tenter d'éviter les réact ions sociales. Ainsi, ils ont remis à plus tar d leurs projets d'aggravation des con ditions de tra vail de nuit, d'extens ion du com pte d’épargne temps ou encor e de suppr ess ion du décom pte hebd oma daire du temps de tra vail au profit de la seule annua lisat ion. Cela relève pour une par t de la tactique de négociations, mais pas seulement .

Mais ces rés istances seront d'autant plus renforcées que des luttes concrètes et des contr e propositions seront opp osées au plan Fillon.

Pour cela ils peuvent s’app uyer sur les propositions du Conse il économ ique et social qui proposait un sor tie com plète « par le haut » sans le freinage sur 3 ans de la GMR de référence , et sur cette base, mettr e en cause les accor ds de gel ou de modérat ion des salaires.

L’évaluat ion de l’efficacité des aides aux 35 heur es pour laquelle la Commission nationale de contrô le des fonds publics attr ibués aux entr eprises a fait l’objet d’une saisine, mais que la comm ission présidée par le ministre des Finances tar de à tra iter.

La promot ion d’un autr e financement pour les 35 heur es favorisant l’emploi et la format ion , avec une mob ilisat ion à cet effet, de façon sélective, des banques et du cré dit, à l’opp osé de la fuite en avant dans la baisses des charges sociales patr onales.

Une progress ion rad icale des pouvoirs avec la consu ltat ion systémat ique de tous les salariés pour les accor ds mais auss i sur la loi Fillon.

L’extens ion des pouvoirs concernant les objectifs sociaux, l’utilisat ion des moyens financ iers , des fonds publics, du cré dit, des fonds propres des entr eprises et sur tout leurs critèr es de gest ion. Ÿ

 

 

  1. GMR : Garantie mensuelle de revenu est aussi faussement appelée Smic car elle correspond au salaire minimum pour les salariés passés en RTT entre deux modifications du Smic. Ce qui explique la multiplication des dits Smic.
  2. Alors que le Smic avait progressé de plus de 3%, chaque année, dans la dernière période, l'indexation sur le seul indice des prix, qui, de plus, minimise l'évolution des prix des consommations populaires va gravement pénaliser les smicards. Et tous les salariés dont la rémunération est calculée à partir de cette référence.
  3. Aujourd'hui, l'indice des prix INSEE indique une augmentation des prix sur un an de 1,6 % alors que les prix des produits de grande consommation se sont envolés avec le passage à l’euro, comme le montre une étude faite sur des milliers de produits de grande surface. Celle-ci estime leur inflation à 4% sur un an.
  4. Le syndicat patronal voudrait faire évoluer le SMIC en fonction de la seule productivité du travail des salariés les moins qualifiés et faire disparaître son caractère de garantie minimum interprofessionnelle, c'est-àdire la possibilité de tout coup de pouce du gouvernement. De plus, il voudrait son annualisation afin d’y intégrer les primes, le treizième mois, pour échapper à ses hausses obligatoires.

 

 

Par Morin Alain, le 31 juillet 2002

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