Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’Europe et la Convention : il faut s’en mêler !

Parmi les questions stratégiques que nous avons à affronter sans complaisanc e dans la prochain e période, il y a cette contradiction lourde de sens dans l'Union européenne. Alors que se multiplient d'impressionnantes mobilisations sociales – souvenons-nous des récents rassemblements de Séville, de la manifestation géante de Barcelone, de la marée humaine contre Berlusconi en Italie..., dans le même temps, toutes les élections générales de ces trois dernières années se sont soldées par une défaite de la gauche, de toute la gauche.

En 1999, des par tis de gauc he par ticipaient à 13 des 15 gouvernements de l'Union. En 2002, la droite détient le pouvoir dans 11 des 15 mêmes pays, souvent flanquée d'une extrême droite menaçante , tand is qu'une propor tion croissante de citoyen-ne-s ne se sentent plus représenté(es) par les par tis chassés des gouvernements , et pas davanta ge par ceux qui les y ont remplacés . Parmi les nom breux ense ignements à tirer de façon impérat ive – en par ticulier par les par tis qui ont pour ambition de contr ibuer à trans former la société et le monde – de ce fiasco , je pense que doit figurer l'exigence de dépasser la façon trad itionne lle, c'est à dire très généra le et purement défensive, d'aborder les enjeux eur opéens avec nos conc itoyens . A force de crier « haro sur Bruxelles » sans proposer d'objectifs de lutte concr ets s'inscr ivant dans un projet alternat if mob ilisateur , on ne fait qu'illustr er un peu plus l'impu issance « des politiques », ce pain béni de tous les démagogues.

Ce projet alternat if pourra it se résumer à quelques axes simples répondant aux as pirations les plus prégnantes dans toutes les sociétés de l'Union eur opéenne .

En premier lieu, la raison d'êtr e d'un ensem ble eur opéen n'est-elle pas, aujour d'hui, d'user de son poids économ ique, de son influence politique, de son rayonnement cultur el pour peser à l'éc helle de la planète , en faveur d'une mond ialisation solidaire ? Que l'on songe que la seule augm entation du budget militaire américain annoncée par le Président Bus h dépasse le volume de la tota lité de l'aide publique au développement , de tous les pays industr ialisés , à tous les pays du Sud ! Faire enten dre une autr e voix dans les grandes inst itut ions internat ionales, mener une grande politique de développement , de démocrat isation des relations internat ionales, de prévention des conflits, êtr e à l'avant-garde du res pect du droit internat ional et des droits des peuples – je pense notamment au Proche Orient ! – voilà le vrai « cahier des charges » à con quérir pour l'Europe du futur. L'Europe ne manquera it assurément pas d'alliés, notamment au Sud, pour faire vivre un tel modè le alternat if face à l'unilatéra lisme hégémon ique des Etats -Unis et à la domination des multinationales et des marchés financ iers .

D'ores et déjà, l'Union eur opéenne a conc lu des accor ds de coo pérat ion avec tous les pays d'Afrique subsaha rienne , avec la plupar t des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée , avec l'Amérique Latine, la Russ ie, la Chine, et tant d'autr es ! Elle com pte deux membr es permanents sur cinq au Conse il de Sécur ité de l'ONU et a plus de voix que les Etats -Unis au Fonds monéta ire internat ional ! Que la volonté politique existe et cette grande Union de bientôt 25 pays – en principe dès 2004 ! – peut changer la donne à l'éc helle du monde , comme elle le montr e déjà à propos du protoco le de Kyoto ou du Tribunal pénal inter national. Voilà un véritab le enjeu de civilisation dont tous les progress istes eur opéens doivent se saisir réso lument !

En deuxième lieu, en son propre sein, l'ambition de l'Union eur opéenne doit êtr e de relancer le progrès social à l'heur e des nou velles techno logies, de la révolution de l'informat ion. Cela veut dire non seulement l'élimination de la pauvreté la Commission évalue elle-même à ... 60 millions (!) le nom bre de personnes vivant au seuil de pauvreté dans l'Union eur opéenne apr ès trans fer ts sociaux mais la promot ion des capacités humaines et de l'environnement . Notr e proposition-phare d'un « système de sécur ité d'emploi et de format ion » est , à cet égard, un modè le par excellence d'objectif structurant à faire vivre à l'éc helle de l'Union eur opéenne élargie demain voire dans ses relations avec des pays tiers . Des ser vices publics modernes dans tous les domaines l'intérêt généra l doit primer sur les « lois du marché » s'inscr ivent eux auss i dans une telle démar che. Ils doivent, non plus êtr e par tiellement tolérés en dérogation de la sacr o-sainte règle de la libre concurr ence , mais êtr e inscr its dans le tra ité comme une priorité de l'Union, à par t entière. Il en va de même de l'idée d'une relance des dépenses publiques à finalité sociale : éducat ion et santé notamment . Auss i bien dans chaque pays que sur le plan de l'Union, où la réduct ion des inégalités de développement , tout comme la défense de l'environnement passent auss i par des invest issements publics impor tants , par exemple des programmes de format ion ouvrant sur des emplois qualifiés, ou encor e le développement du ferr outa ge...

La politique économ ique eur opéenne , au lieu de se limiter à la concurr ence à tout va, doit êtr e conçue et con duite – de même que la politique monéta ire et budgétaire – en fonct ion de tels objectifs prioritaires.

En troisième lieu, et indissoc iablement , il y a natur ellement l'exigence démocrat ique. Consu ltat ion (avant la prise de décision) ; évaluation (durant la mise en œuvre des politiques décidées) ; informat ion (en permanence , sur les enjeux à tra iter) devraient êtr e le triptyque des relations entr e les inst itut ions eur opéennes et les citoyens, les acteurs sociaux, les élus. Le Parlement eur opéen a d’ailleurs lui même voté une réso lution deman dant une évaluation des effets des libéra lisat ions des ser vices publics avant toute nou velle libéra lisat ion. Ni le Conse il des ministres ni la Commission n'ont acce pté. Cela vaut auss i pour les pays-can didats : la façon dont sont menées les négociations avec ces pays est honteuse et sour ce de crises futur es. Au nom de l'obligation d'intégrer dans les législations nationales de ces pays tout « l'ac quis commu nauta ire », les « Quinze » leur imposent en par ticulier toutes les contra intes libéra les que nous com battons depuis « l'Acte unique » et Maastr icht ! Des remises en cause de pans entiers de cet « acquis » seront nécessa ires pour que l'Europe futur e puisse jouer le rôle que nous pensons êtr e le sien. L'Europe doit mériter le beau nom de « communauté » de peuples, de nations, de citoyens. Je suis con vaincu que si les Européens se senta ient à la fois res pectés dans leur identité nationale res pective et réellement assoc iés à de grands projets d'intérêt commun , l'idée « d'union politique », incluant d'impor tants par tages de res ponsa bilités , s'imposera it d'elle-même . Alors , mais alors seulement , l'idée d'une « Const itut ion » eur opéenne sera it elle-même à examiner sérieusement . Tels sont , à mes yeux, gross ièrement résumés , les chemins de l'avenir.

Le fonctionnement de la Convention européenne est conçu pour aboutir à un projet de traité « politiquement correct »

Cela étant , il ne s'agit pas de déconnecter un tel projet alternat if des réalités quotidiennes de l'actue lle construc tion eur opéenne ! C'est au nom de cette pers pective d'Europe nou velle que nous devons critiquer rad icalement nom bre d'orientat ions et de mesur es des actue ls dirigeants eur opéens . Le cas échéant , c'est également au nom de ce projet alternat if que nous pouvons prendre app ui sur des éléments positifs – ou potent iellement positifs – de l'Europe d'aujour d'hui. Car toute réalité est contra dictoire.

Un peu de dialectique ne nuit pas, même appliquée à l'Europe...

C'est également dans cet es prit que je suggère de tra iter de la « Convention eur opéenne » chargée de préparer la grande réforme des inst itut ions eur opéennes de 2004. Nous devons aider nos conc itoyens à s'impliquer dans cet enjeu majeur. Cer tes , la « Convention » est une instance purement consu ltat ive. En outr e, sa com position – 210 personnes – est dominée par les deux principales forces politiques eur opéennes – chr étiens démocrates et sociaux démocrates . Quant à son fonct ionnement , il est conçu pour aboutir à un projet de tra ité « politiquement corr ect », c'est-à-dire vraisemb lablement très insat isfaisant à nos yeux, voire pernicieux et dangereux. Il n'est pas exclu, en effet, que le texte final que la « Convention » proposera aux 15 chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union eur opéenne com por te deux par ties distinctes : l'une, très généra le, por tera it sur les grands objectifs et la répar tition des com pétences au sein de l'Union ; l'autr e, apparemment plus « techn ique », précisera it les con ditions de la mise en œuvre de ces grands principes. Le piège de cette formu le, c'est que, dans l'avenir, il y a for t à parier que l'on est imera que pour mod ifier la par tie préten dument « techn ique », il n'y a pas lieu de saisir les parlements , encor e moins d'organiser de référendum... Il s'agit donc d'éclairer les citoyen-ne-s sur toutes ces atte intes à la démocrat ie.

Mais, dans le même temps , c'est la première fois qu'une réforme inst itut ionne lle eur opéenne est préparée dans une instance com posée majoritairement de parlementaires, tant des pays-membr es que des pays-can didats . Les débats y sont publics et des consu ltat ions des organisations syndicales et du mou vement assoc iatif sont prévues. Il faut donc s'en mêler ! Dès maintenant et jus qu'au printem ps, voire l'été prochains, des quest ions essen tielles pour l'avenir de l'Europe y seront abordées : le rôle et le contrô le de la Banque centra le eur opéenne ; l'appr éciation du Pacte de stab ilité ; le rôle des parlements nationaux et, plus généra lement , toute l'organisation des responsa bilités dans la futur e Europe élargie. Qui doit décider, dans l'avenir, de la politique économ ique et sociale, de la politique extérieur e et de la sécur ité, des quest ions de just ice, de police, de l'immigration, du droit d'asile ... Autant d'occas ions pour qui est attac hé à trans former l'Europe, de réaffirmer l'ambition sociale, l'impérat if de solidarité et l'exigence démocrat ique qui caractér isent notr e projet alternat if. Et de pousser plus avant nos échanges, nos coo pérat ions et nos par tenar iats avec d'autr es progress istes eur opéens .

Il ne s'agit ici que d'un cane vas quelque peu appr oximatif. Le grand débat qui s'ouvre permettra sans nul doute d'en appr ofondir le contenu . Ÿ

 

Francis Wurtz, membre du Conseil National du PCF, président du groupe de la Gauche unitaire européenne du Parlement européen