Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Vivendi : L’exigence d’un nouveau type de nationalisation

La stratégie Messier pour « Vivendi Universal » est un gigantesque fiasc o. De 1998 à 2002 , le groupe a racheté trente entreprises pour 100 milliards d’euros, aux Etats-Unis surtout. Au bout du compte, il se retrouve lesté d’une dette de quelque 30 milliards d’euros, multipliée par plus de quatre sur la période.

Cette expans ion fébrile, Jean-Marie Mess ier l’a assurée en grande par tie à cré dit, avec la béné diction de l’Etat , en surfant sur l’euphorie bours ière, la « nou velle écono mie », l’attract ion des capitaux du monde entier par Wall Street, la « reprise amér icaine », le dollar. Il a fini par faire bascu ler Outr eAtlantique le centr e de gravitémême du groupe à base frança ise.

« Le but ultime est clairement de faire de Vivendi Universal le leader mondial des média de l’aven ir » affirmait le PDG après avoir payé cas h et en act ions Viven di le rachat pour plus de 10 milliards de dollars des actifs audiovisuels du groupe USA Networks. Pour devenir ainsi un acteur de la Motion Pictur e Assoc iation of Amer ica (MPAA), le très puissant lobby de l’industr ie cinémato graph ique hollywoodienne , J2M n’a pas hésité à montr er patte blanc he : en nommant , à la tête de ses studios, un patr on amér icain doté de pouvoirs exorbitants et d’un bon paquet d’actions, en proclamant que « l’exception culturelle franco-française est morte » !

On le voit avec la gestion de l’eau, la mission de service public ne

peut être concédée à des entreprises qui ne visent que la

rentabilité financière

Cette gest ion libéra le a été pleinement app uyée par l’Etat frança is qui aura it, dit-on, accor dé d’impor tants avanta ges et facilités , notamment au plan fiscal (au moins 4,4 milliards d’eur os de cré dits d’impôt divers …). Aujour d’hui, le surendettement explose avec le freinage de la croissance et la chute des cours bours iers . Les capitalistes amér icains par tie prenante , notamment la famille Bronfman, qui ont acce pté d’êtr e payés en act ions Vivendi, se rebiffent . Ils ont fait press ion sur les grands act ionna ires frança is pour obt enir la démission de Mess ier.

C’est pour eux une première éta pe. Au-delà, ils veulent une restructurat ion et une par tition du groupe, pour le désen detter avec des cess ions et prédominer dans le contrô le des actifs média et commun icat ion. Le grand perdant pourra it êtr e « Viven di Environnement » sur lequel a été localisée la dette engendrée par le rachat d’USA Networks. Vivendi Universa l, propriétaire à plus de 63 %, commence à s’en dessa isir pour se désen detter. L’object if est celui d’une par ticipation limitée à 42 %. Cer tes , derr ière la CDC, sept éta blissements financ iers frança is ont acce pté de por ter une par tie du capital afin d’en mainten ir le contrô le frança is… mais pendant six mois seulement .

Le premier placement des titres s’est fait à « prix bradé », mauvaise conjonctur e bours ière oblige, invest isseurs britann iques et amér icains, notamment , saisissant l’au baine. Or, Vivendi Environnement regroupe, entr e autr es, les activités de ser vices aux collectivités locales (gest ion de l’eau, tra itement des déchets) . Cela concerne 8 000 collectivités , 26 millions d’usagers et plus de la moitié des 95 800 salariés de Vivendi Universa l en France . Les élus, on les com prend, sont par ticulièrement inquiets d’un passa ge éventue l sous contrô le étran ger de Vivendi Environnement .

Une telle tra jecto ire, liée à l’endettement mass if et à la domination des marchés financ iers , n’est pas spéc ifique à ce groupe. France -Télécom , depuis sa privatisation partielle, et Alcate l en conna issent une très analogue auss i. C’est la gest ion libéra le qui aboutit à ces énormes difficultés. La suraccumu lation de capitaux, le surendettement éclatent face à l’insuffisance criante du développement des populations. Mais la capitulation sociale-libérale du gouvernement Jos pin face au marché financ ier et l’illusion d’une « régulation » censée en corr iger les « excès » por tent auss i une lour de res ponsa bilité.

Alors , que faire face à cette crise ? Faut-il, comme s’y appr ête la droite, redoubler dans le sens de solutions de sout ien public à l’hyper-libéralisme, régress ives pour l’emploi, les prix et la qualité des ser vices et faire conso lider les per tes par l’Etat et les collectivités terr itor iales ? Ou peut-on rassemb ler dans les luttes pour amor cer tout autr e chose, en tirant , pour une toute autr e construct ion à gauc he, les leçons de l’impasse dans laquelle con duit le social-libéra lisme, et en exigeant de donner vraiment la priorité aux beso ins des salariés et populations pour l’efficacité sociale ?

En réalité, nous retr ouvons, avec le doss ier Viven di, de grandes quest ions dont les commun istes ont débattu lors de leur récente Conférence nationale : en liaison avec les problèmes du secteur public, la nécess ité de mettr e en cause la domination par le marché financ ier et la dominat ion des Etats -Unis. Cette affaire montr e com bien auss i le doma ine des média, de l’informat ionne l et de la commun icat ion, doit faire l’objet sous-traitants pour tout « projet de restructuration et de compression des effectifs » pouvant affecter leur « volume d’activité ou d’emploi » (article L 431-1-2 du Code du Travail).

Sur tout , les Comités d’entr eprise concernés peuvent désorma is s’opp oser et faire suspendr e « tout projet de restructuration et de compression des effectifs » en faisant valoir des contr e-propositions, avec appel à médiateur (article L 432-1 du Code du Travail). Ces dispos itions légales nou velles peuvent permettr e non seulement d’anticiper, de gagner du temps , mais auss i, si l’on s’en saisit dans ce but, de fourn ir les bases indispensab les pour un large tra vail de mob ilisat ion des populations, des élus dans les bass ins d’emploi et le pays afin d’obliger à d’autr es choix.

On com pren d pour quoi, à la deman de du Medef, Monsieur Raffarin a annoncé , dans sa déclarat ion de politique généra le au Parlement , son intent ion de mod ifier la loi de modern isation sociale. La riposte dans l’act ion, à par tir de cas pratiques comme celui de Vivendi, pourra it l’en empêcher, voire ouvrir d’autr es brèches, dans la mesur e où cette loi demeur e insuffisante . De même , Vivendi a bénéficié de fonds publics, que ce soit sous forme de sub ventions diverses ou d’exonérat ions fiscales et sociales (crédits d’impôt divers , exemptions de l’impôt sur les plus-values, taxe profess ionne lle…). Exigeons que la Commission nationale de contrô le de l’utilisat ion des fonds publics versés aux entr eprises inst ituée par la loi Hue, se saisisse en urgence de ce doss ier, elle qui a compétence , par l’ar ticle premier de la loi, sur tous les types d’aide publique aux entr eprises.

J2M.out !

La quest ion de la res ponsa bilité sociale et nationale de ces grands groupes se pose avec d’autant plus de force que des secteurs straté giques pour la vie et l’avenir de la France et de l’Europe sont en jeu (eau , média, cultur e, techno logies informat ionne lles…). Comme c’est déjà le cas pour la distr ibution de l’eau en France , tous ces secteurs ne devraient-ils pas relever d’une véritab le logique d’avancées nou velles du contrô le social national et eur opéen, face à l’hégémon ie économ ique et cultur elle amér icaine.

Dans l’imméd iat, les comités d’entr eprise vont pouvoir utiliser leur droit d’aler te pour obtenir plus d’informations . Car des plans se concoctent , des scénar ios de partition se cherchent dans le secr et des banques d’affaires avec les grands actionna ires et sous l’œil de l’Elysée. Tout cela doit êtr e mis sur la tab le sans tar der et discuté , contesté au grand jour, au lieu de com pter éventue llement sur les mois d’été pour placer les salariés, les élus devant un fait accom pli. Un audit du groupe a été deman dé par ses nou veaux dirigeants . Il faut exiger qu’il soit contra dictoire. Et comme l’ont deman dé les députés Alain Bocquet (PCF) et Henri Emmanue lli (PS), une mission d’informat ion parlementa ire sur l’affaire Vivendi aiderait beaucou p.

Mais il s’agit auss i d’utiliser le volet anti-licenc iements de la loi de modern isation sociale. Celle-ci, en principe, rend obligatoire la réalisation par toute direction de société, d’une « étude d’impact social et territorial » pour « tout projet de développe ment stratégique (…) susceptible d’affecter de façon importante les conditions d’emploi et de trava il en son sein » (a r ticle L 239-2 du Code du Commer ce). De même , elle rend en principe obligatoire l’aler te imméd iate , par les groupes donneurs d’ordre, des de ser vice public ?

Mais, bien plus, le ser vice public ne devrait-il pas, de nos jours , sécur iser l’emploi et la format ion de ses salariés pour sécur iser non seulement l’égalité d’accès et de tar ificat ion sur tout le terr itoire mais auss i la qualité des ser vices offer ts ?

A cette fin, comme on le voit dans la gest ion de l’eau, la mission de ser vice public ne peut êtr e concé dée à des entr eprises qui ne visent que la renta bilité financ ière. Un simple sout ien état ique, pour conso lider les per tes , n’est cer tainement pas la bonne réponse à ces défis. N’a-t-on pas déjà asse z donné en 1982 ?

Par contr e, la réduct ion de dettes et la mob ilisat ion, jusqu’à une autr e orientat ion de la BCE, d’un nou veau cré dit banca ire sélectif, à taux abaissé, pour l’emploi et la formation, la recherche, faisant refluer le besoin d’appel au marché financ ier devrait pouvoir s’accom pagner d’une véritab le appr opriation sociale de ces entr eprises : une prise de contrô le public et, en direction d’un nou veau type de nationalisation, des contr epar ties effect ives exigées dans la gest ion.

On visera it à imposer d’autr es buts que la renta bilité financ ière ; des pouvoirs d’inter vention sera ient accor dés aux salariés pour changer ces gest ions ; une nou velle politique de coo pérat ion eur opéenne et mond iale sera it engagée en concer tat ion. Ÿ

Vers un démembrement du groupe Vivendi ?

Les frais financiers supportés par Vivendi Universal sont colossaux 700 millions d’euros pour 2002, alors que le« cash flow opérationnel » (1) n'est que de un milliard d’euros. Après impôt, le cash-flow est négatif. Et cela dans un contexte où, pression des marchés financiers aidant, la Société aura eu à débourser 1,05 milliard d’euros de dividendes en mai dernier au titre de l'exercice 2001.

Cette situation financière extrêmement précaire a fait craindre la crise de liquidité, alors même que la société avait à faire face au remboursement d'importantes lignes de crédit.

Après un bras de fer avec les banques, elle a obtenu un premier refinancement d'un milliard de dollars de ligne de crédits accordé par un pool bancaire constitué de la BNP-Paribas, Société Générale, Deutche Bank, Crédit Lyonnais, Citigroup et Crédit Suisse First Boston. A l’heure où nous mettions sous presse un second accord était recherché pour faire face aux échéances de juillet portant sur 2,5 à 3 milliards d’euros afin de pouvoir tenir jusqu'à la rentrée.

La confrontation avec les banques compte pour beaucoup dans l’évolution des rapports de force qui président à l'élaboration et aux choix des scénarios de restructuration ou de partition susceptibles de répondre aux défis de l'endettement accumulé.

Les banques les plus engagées sur Vivendi Universal sont la Société Générale, BNP-Paribas et Deutche Bank. Les deux premières supportent, chacune, un milliard de dollars d'engagements au minimum, mais certaines estimations plus officieuses les chiffrent à 5 milliards de dollars environ (le Monde du 3 juillet 2002).

Bien sûr, face à ces dettes il y a des actifs considérables. La solvabilité n'est pas en cause.

Mais, pour réaliser la valeur de ces actifs, des cessions pourraient être nécessaires. Cela pourrait concerner y compris un actif stratégique du groupe.

Cégétel, le pôle télécommunication et véritable « machine à cash » du groupe avec sa filiale de téléphonie mobile SFR, était en ligne de mire.

Le britanniques Vodaphone rêve de mettre la main dessus, ce qui lui permettrait de faire une irruption puissante sur le marché français et d'en découdre avec Orange (France Télécom).

La SNCF, cependant, bloque pour l'heure, cette issue. L'entreprise publique ferroviaire française se partage, en effet, avec Cégétel la société Télécom Développement (TD) qui possède le réseau utilisé par SFR et Cégétel.

L'enjeu du contrôle de ce réseau est tout à fait considérable pour l'aménagement du territoire. Cela concerne particulièrement les élus locaux.

Outre Cégétel on pense aussi, bien sûr, à Canal +, le contrôle de ce groupe revêtant une importance décisive pour la production cinématographique française.

Pendant longtemps, en effet, Canal + à préacheté près de 80% de la production française. Certes, cette proportion a fortement diminué depuis la fusion de Vivendi et Canal + avec Universal, faisant s'associer l'entreprise gérée par J.M. Messier avec une major de « l'entertainment » basée aux États-Unis. Cependant, Canal + a participé au financement de 100 films sur 204 l'an dernier en France. De plus, le catalogue cinématographique français détenu par Canal + est constitué de près de 5000 films.

Reste le pôle édition ou un actif américain.

C’est Jean-René Fourtou, jusqu'alors vice-président d’Avantis et grand prêtre de la privatisation de RhônePoulenc, qui réfléchit désormais au choix du scénario. Il a en effet remplacé J.M. Messier à la tête de Vivendi, sous la pression notamment de l'ancien patron d'Axa, l'expert en américanisation et croissance financière, Claude Bébéar.

Un scénario de partition aurait, dit-on, la préférence de ces nouveaux acteurs.

On détacherait du groupe les avoirs américains dans le cinéma et la musique, ainsi que les éditions françaises et américaines. Cet ensemble pourrait alors être repris par des investisseurs autour de la famille Bronfman.

Ce scénario conviendrait aussi, sans doute, au PDG des actifs audiovisuels du groupe USA-Networks (« Vivendi Universal Entertainment ») qui contrôle trois quarts des droits de vote.

Bary Diller – c’est son nom possède en propre 1,5 % du capital de « Vivendi Universal entertainment » pour la gestion de laquelle il a obtenu de J. M. Messier une totale liberté d'action. Et il est aussi demeuré maître de toutes les activités de commerce électronique de USA-Networks (Home Shopping Networks, Ticket master, Expedia…).

Dans ce schéma, Canal + serait cédé à des investisseurs français, ce qui désigne Lagardère ou Bouygues. Mais rien n'est assuré.

 

1. Excédent brut d’exploitation – (Investissement + Besoins en Fonds de roulement + frais de siège)

 

Par Dimicoli Yves , le 31 mai 2002

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