Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’OUVERTURE À LA CONCURRENCE ET LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT

Pour une nouvelle alliance : Europe-Pays en développement et émergents

Le samedi 16 février, dans le cadre du « Forum pour un autre monde » sous l’égide du journal

l'Humanité avec BEUR FM et plusieurs organisations (voir page 37) s'est tenu un atelier sur le thème : « Que peut la politique, en liaison avec le mouvement social, face aux marchés financiers et aux multinationales », avec la participation de : Paul Boccara, économiste, Julio C. Gambina, président d’ATTAC Argentine, Maria Angel Martinez Castell professeur d’économie à l’Université de Barcelone, Bernard Sanders, de la revue allemande Socialismus, Nasser Mansouri Guilani, directeur du centre confédéral d’études économiques de la CGT et membre du Haut Conseil de la Coopération. Nous publions leur contribution à cet atelier ainsi qu'un compte rendu des interventions

Nasser Mansouri Guilani

La mond ialisat ion est une réalité indéniable de notr e temps . D’aucuns ne voient

dans ce ph énomène que des as pects négatifs ; la mond ialisation sera it synon yme du libéralisme économ ique, de la généra lisation de la concurr ence ...

Cette vision dépasse largement les clivages politiques. En France des par tisans et des adversa ires de cette mond ialisation se trouvent auss i bien dans les rangs de droite et d’extrême droite, que dans les rangs de gauc he et d’extrême gauc he. Pour constru ire des propositions alternat ives, un tra vail de clarificat ion est d’autant plus nécessa ire que la vision précitée de la mondialisation est auss i présente dans les rangs des salariés.

Ce tra vail de clarificat ion a deux dimens ions qui sont intimement liées et se nourr issent mutue llement . Un débat de fond sur les enjeux de notr e temps est nécessa ire pour chercher des pistes alternat ives. En même temps nous devons chercher des solutions imméd iates lors que les salariés sont confrontés aux problèmes graves comme les délocalisations .

Le développement économique et social comme le critère fondamental

Pour nous , la mond ialisation n’est , en soi, ni mauvaise ni bonne . Tout dépend de la manière dont on profite des occasions qu’elle crée pour mieux répondr e aux attentes des citoyens. Comme le rappe lle le CNUCED, la mond ialisation reste potent iellement un instrument puissant et dynamique de croissance .

La quest ion est de savoir comment profiter de la mond ialisat ion pour permettr e à tous les citoyens de profiter des avancées scientifiques, de s’épanou ir et de vivre en paix et en sécur ité.

Nous partons de trois observations fondamentales :

1°) De nos jours , aucun pays ne peut préten dre pouvoir vivre en autar cie. Des relations avec le reste du monde sont à la fois souha itab les et indispensab les. Cette relation est nécessa irement à double sens . Mais il n’est pas cer tain qu’elle soit équilibrée. Autr ement dit, ce qui est en cause , ce n’est pas l’ouver tur e sur l’extér ieur, mais la façon dont elle est organisée.

2°) Nous par tons auss i d’un constat acca blant : notr e monde se trouve dans une situat ion para doxale : on n’a jamais créé autant de richesses et pour tant des milliards d’êtr es humains cont inuent à souffrir de la faim, de la malnutr ition, de l’absence de l’eau pota ble et des maladies infectieuses .

Le monde est cons idéré par les firmes multinationales (FMN) comme un « es pace privé » qui leur est réser vé, alors qu’en réalité il est un « es pace public » où le sor t de l’Human ité se dess ine par notr e capacité à tra iter des problèmes fon damentau x ayant le caractèr e de « biens publics » : le développement dura ble, l’effet de serr e, le partage des savoirs, etc .

Le tra itement de ces problèmes exige une vision de long terme qui doit donner la priorité aux besoins des peuples. Or, actue llement , il n’y a pas de lieu ouver t de discuss ion avec et entr e les peuples de ces problèmes majeurs .

3°) Enfin, l’existence d’écar ts de développement cons idérab les à tra vers le monde con duit parfois à diviser le monde en deux blocs séparés : le Nord et le Sud. Cette vision met, de fait, en opp osition les populations et les salariés de ces deux blocs. En réalité, il y a du Nord dans le Sud et du Sud dans le Nord. Dès lors la quest ion est de chercher des points de con vergence qui rappr ochent les populations et sur tout les salariés par tout dans le monde .

La libre circulation des capitaux et la concentrat ion du capital sont des réalités indéniables. Elles con duisent à une globalisation des normes de renta bilité. Ainsi en est-il du rôle que jouent , dans le monde , des fonds communs de placement et autr es « hedge funds » et fonds de pension.

Cependant le capital a auss i des bases nationales sur lesquelles il s’app uie. C’est là l’un des para doxes de cette mondialisation : les États favorisent la circulation des capitaux et sa concentrat ion à tra vers le monde ; ce faisant , ils contr ibuent à affaiblir leur pouvoir face aux FMN. Il n’en demeur e pas moins que du point de vue des salariés, ces firmes cherchent par tout un rendement supér ieur. Cela crée fondamenta lement des intérêts communs entr e les salariés dans le monde , alors qu’apparemment ces intérêts semb lent parfois entr er en contra diction les uns avec les autr es.

Être acteur de la mondialisation plutôt que la subir

Ces obser vations nous amènent à aborder autr ement la quest ion de la mond ialisation. celle-ci ne devrait pas être cons idérée comme quelque chose qui nous est imposée et que nous subissons ; nous devons, au contra ire, nous inscrire dans ce processus pour en faire un levier du développement économ ique et de la promot ion des droits sociaux et des droits fondamentau x au tra vail.

Auss i para doxal que cela puisse apparaître, les par tisans et les adversa ires de la vision précitée de la mond ialisation se rejoignent en fin de com pte, car les deux cons idèrent la mond ialisat ion comme un ph énomène exogène . Au contra ire, nous croyons que nos entr eprises, comme notr e État, par ticipent à ce mou vement . Nous sommes auss i des acteurs de cette mond ialisation.

Selon les tenants de l’idéologie libéra le, la concurr ence par le marché est le meilleur moyen d’assur er la croissance économ ique car elle permet d’assur er la réallocat ion optimale des ressour ces , y com pris au plan mond ial. Nous avons de sérieux doutes sur la per tinence de ce postu lat. Sur le plan théor ique, ce postu lat repose sur l’existence d’un marché pur et parfait ; en par ticulier, il ne doit pas y avoir d’asymétr ie de l’informat ion. A l’évidence , ces con ditions ne sont pas toujours réun ies.

Mais la critique n’est pas seulement théor ique. Des exemples confirment que l’ouver tur e de l’économ ie à la concurr ence peut accé lérer la croissance économ ique. Toute fois, des contr e-exem ples sont plus nom breux. L’ou ver tur e de l’économ ie et la généra lisat ion de la concur rence ne garant issent pas nécessa irement une croissance for te. Ainsi, les pays les moins avancés se rangent parmi les économ ies les plus ouver tes du monde ; et pour tant ils n’occupent qu’une place marginale et décr oissante dans les échanges mond iaux.

L’expérience montr e que l’ouver tur e de l’économ ie ou des secteurs d’activité à la concurr ence sera d’autant plus efficace que l’économ ie y est préparée . Sinon, l’ouver tur e pourra it désta biliser l’économ ie ou les secteurs d’activité (ex: l'ouver tur e du système financ ier en Asie).

Nous croyons que la meilleur e façon d’assur er la croissance dura ble est de laisser aux peuples le choix de leur développement ; auss i nous privilégions le codéveloppement à la généra lisat ion de la concurr ence .

L’histo ire montr e que tous les pays dits développés se sont donnés des moyens avant de se lancer dans la course à la concurr ence généra lisée. Les débats actue ls autour de la propriété inte llectue lle montr ent que ce principe reste valable, en dépit de toutes les mesur es de déréglementat ion appliquées depuis plusieurs décenn ies. Néanmo ins, aujourd’hui les inter dépendances des économ ies nationales sont plus for tes . Par ailleurs , des inst itut ions internat ionales sont en mesur e de définir, parfois de façon arbitraire, des straté gies de développement à la place des peuples.

Le monde a besoin de pilotage

La mond ialisation ser t d’alibi pour minimiser, voire nier, la poss ibilité d’une nou velle régulation des relations inter nationales.

Nous cons idérons que l’économ ie mond iale a besoin de

« pilotage », d’instances internat ionales permettant à l’action sociale et politique de s’affirmer dans les choix écono miques et financ iers . Il faut débattr e de la finalité de la « gouvernance mond iale ». Selon nous , celle-ci devrait respecter le choix des peuples ; c’est la règle de la démocrat ie. Nous sommes confrontés à deux thèses . D’aucuns cons idèrent qu’il faut renforcer les inst itut ions internat ionales existantes et notamment celles issues des accor ds de Bretton Woods dans leur logique actue lle. A l’opp osé, ceux que l’on qualifie d’anti-mond ialistes proposent la dispar ition pure et simple de ces inst itut ions . Nous plaidons pour une trans format ion profonde de la logique des inst itut ions existantes .

Pour nous , il est indispensab le que les inst itut ions inter nationales res pectent les char tes et con ventions internat ionales ( droits fon damentau x au tra vail, les droits de l’Homme et l’environnement …). Une telle obligation trans formera it la logique de fonct ionnement des inst itut ions comme le FMI, la Banque mond iale et l’OMC parce qu’elle mod ifie profondément leurs choix et leur appr oche de con ditionna lité. Elle permettra it d’enr ichir le débat en posant la quest ion à un niveau plus fondamenta l.

Plusieurs quest ions sont posées :

  • quel devrait êtr e le champ d’action de chaque inst itution internat ionale ?

  • comment ar ticuler ces actions ?

  • enfin, quel contrô le démocrat ique et social à éta blir sur ces inst itut ions ?

La quest ion de la démocrat isation des inst itut ions inter nationales qui est d’une impor tance majeur e pour le mouvement syndical, appelle trois remar ques. D’abord, il est noto ire que les inst itut ions internat ionales les plus puissantes et notamment le FMI et la Banque mond iale, mais auss i l’OMC, sont dominées par les grandes puissances économiques. La démocrat isation de ces inst itut ions ne signifie pas le par tage des dominations avec quelques pays émergeants . Il faut donner à tous les pays les moyens de profiter pleinement de leur par ticipation à ces inst itut ions . Ensuite, la démocrat isation ne peut êtr e rédu ite à la par ticipation des populations, des salariés, des forces sociales à l’exécution des politiques édictées par les inst itut ions internat ionales en l’absence des peuples. Enfin, la démocrat isation de ces inst itut ions n’est pas synon yme de leur privatisation.

Des champs possibles de solidarité internationale

Compte tenu du rôle déterm inant de la finance interna tionale, une première quest ion est de savoir comment mettr e la finance au ser vice de l’emploi et de la promot ion des droits sociaux. Trois facteurs peuvent jouer un rôle crucial : a) les créat ions monéta ires régionales et internat ionales par le système des banques centra les régionales et le FMI ; b) les app or ts financ iers publics (et notamment le respect de l’objectif d’aide publique au développement fixé par les Nations-Unies) et privés (invest issement direct) épaulés par les mesur es d’allègement de la dette des pays en développement après examen des res ponsa bilités des différents acteurs ayant contr ibué à l’endettement de ces pays ; c) les mesur es permettant de com battr e la spécu lation internat ionale et les circuits financ iers du terr orisme et du crime organisé ; il s’agit notamment de la levée des secr ets bancaires, de la lutte contr e les para dis fiscau x et de la taxation des mou vements spécu latifs.

Une deuxième quest ion impor tante est de savoir comment éta blir des règles équitables dans le commer ce mondial : comment assur er la stab ilité des prix des matières premières et éviter la dégradat ion des termes de l’échanges ? Comment éta blir un contrô le effect if sur les FMN et les obliger à res pecter les normes sociales et environnementa les ? Comment assur er la stab ilité des taux de change entr e les grandes monna ies internat ionales afin de rédu ire les incertitudes et les aléas qui pénalisent les entr eprises ?

Enfin, une troisième quest ion majeur e est de savoir comment assur er le par tage des conna issances à tra vers le monde pour favoriser le développ ement de tous les peuples ; il s’agit notamment des quest ions relatives à la recherche-développement publique, au trans fer t de techno logies appr opriées et aux coo pérat ions entr e les ser vices publics.

Promouvoir les droits sociaux dans l’espace des firmes multinationales

Les firmes multinationales sont les principaux vecteurs de la mond ialisation. Elles mettent en concurr ence les systèmes socio-productifs. La construct ion d’une alternat ive à la mond ialisation libéra le ne peut ignor er ce niveau fondamenta l d’action pour les salariés et le mou vement syndical, mais également pour la Société civile. Il s’agit, ici également , de s’app uyer sur des moyens existants et profiter des atouts des FMN pour les mettr e au ser vice du développement économ ique et social.

Par exemple, l’existence des Comités de groupe au sein des firmes multinationales implantées dans plusieurs pays favorise l’act ion pour la défense et la promot ion des droits des salariés ; ces comités peuvent êtr e auss i des moyens de press ion pour obliger les FMN à res pecter les normes sociales et environnementa les auxquelles la Société civile se montr e de plus en plus sens ible.

De manière plus généra le, le contrô le effect if des activités des FMN est un enjeu majeur pour le mou vement syndical. Cette quest ion a deux dimens ions :

  • qui devrait définir des normes sociales et environnementa les et selon quels critèr es ? Une meilleur e coor dination des inst itut ions internat ionales est cer tes nécessa ire ; il con vient d’éta blir des procé dures, à l’instar de celles de l’OIT, permettant aux acteurs sociaux de par ticiper à la définition de ces normes ;

  • qui devrait contrô ler les FMN et quels mécan ismes de sanct ion faut-il prévoir pour obliger les FMN à res pecter ces normes . Les codes de bonnes con duites de l’OCDE restent largement insuffisants . Selon nous , les salariés, leurs représentants devraient par ticiper au contrô le des FMN. Auss i nous deman dons un renforcement des droits des salariés dans le cadre des comités de groupe, notamment en ce qui concerne le droit d’aler te et le droit d’exper tise.

Pour le codéveloppement

Les écar ts de niveaux de développement s’expriment , en dernière analyse, par la dispar ité des salaires à tra vers le monde . L’argument des pays à bas salaires est largement utilisé par les chefs d’entr eprises et les décideurs politiques pour just ifier des délocalisations et des licenc iements , notamment dans les industr ies à for te intens ité de main d’œuvre.

Nous sommes persua dés que ces mou vements ne profitent qu’aux firmes et entr eprises multinationales. Pour sortir de cette impasse , nous militons pour une véritab le coo pérat ion avec les pays en développement .

Face à l’ampleur des délocalisations et des souffrances qu’elles provoquent , l’idée d’instaurat ion d’une taxe supplémenta ire sur les impor tat ions en provenance des pays à bas salaire est avancée et défendue, y com pris dans les rangs syndicaux. Nous sommes persua dés que cette idée n’est qu’une fausse solution, car pour leur développement , ces peuples ont auss i besoin de produire et d’expor ter. Nous militons pour que soient éta blies des règles empêchant la sor tie des capitaux et les délocalisations dès lors que l’unique objectif visé est l’améliorat ion de la renta bilité des entr eprises.

La seule solution est de coo pérer avec ces pays. Cette coo pérat ion devrait êtr e relayée par des financements appr opriés.

De ce point de vue, l’Union eur opéenne et par ticulièrement la France ont une énorme res ponsa bilité. L’une des quest ions nou velles posées par l’intr oduction de l’eur o est relative à la représentat ion de l’Union eur opéenne dans des instances internat ionales.

Il est évident que si les pays de l’Union eur opéenne réussissent à adopter des politiques favora bles à l’emploi et à la promot ion des droits fondamentau x au tra vail, ils seront mieux à même d’infléchir les orientat ions des inst itut ions internat ionales.

Le mou vement social exige de l’État frança is de peser de son poids au sein des instances eur opéennes et internat ionales pour exiger une nou velle régulation des relations économiques internat ionales. Ÿ