Pour une nouvelle alliance : Europe-Pays en développement et émergents Le samedi 16 février, dans le cadre du « Forum pour un autre monde » sous l’égide du journal l'Humanité avec BEUR FM et plusieurs organisations (voir page 37) s'est tenu un atelier sur le thème : « Que peut la politique, en liaison avec le mouvement social, face aux marchés financiers et aux multinationales », avec la participation de : Paul Boccara, économiste, Julio C. Gambina, président d’ATTAC Argentine, Maria Angel Martinez Castell professeur d’économie à l’Université de Barcelone, Bernard Sanders, de la revue allemande Socialismus, Nasser Mansouri Guilani, directeur du centre confédéral d’études économiques de la CGT et membre du Haut Conseil de la Coopération. Nous publions leur contribution à cet atelier ainsi qu'un compte rendu des interventions |
Paul Boccara
Avec la mond ialisation il n’y a pas de trans format ion profon de dans chaque
pays sans son ar ticulation à une autr e construct ion mond iale. On doit affronter la domination des marchés financ iers et des groupes monopo listes mond ialisés sur toute la vie humaine. Cet affrontement est con ditionné par les ambivalences de la révolution informat ionne lle, et de ses exigences de coo pérat ion transnat ionale très intimes :
au plan économ ique, soit domination des marchés financ iers et des entr eprises multinationales monopo listiques, rivales réclamant la renta bilité financ ière avant tout , soit coo pérat ion de co-développement des populations et des entr eprises avec la créat ion de moyens financ iers et de critèr es corr es pondant ;
au plan politique, soit domination de construct ions pluri-état iques , soit démocrat ie par ticipative et d’inter ventions directes , décentra lisées et concer tées du local au national, au zonal et au mond ial.
La crise présente de la croissance mondiale exaspère les défis de créativité sur tous les plans. Elle est caractér isée par une suraccumu lation financ ière form idable à l’échelle du monde face à l’insuffisance du développement des populations de toute la planète , leur deman de et leur capacité productive par l’emploi, la format ion, le par tage des recherches. D’où l’opp osition à une croissance réelle for te, avec la remontée du chômage mass if et de la précar ité par tout . En par ticulier, les attract ions de capitaux formidables du monde entier aux Etats -Unis, passant par la domination du dollar et les press ions sur toutes les autr es monnaies, deviennent beaucou p plus intoléra bles, en pesant auss i contr e la croissance réelle du reste du monde . Elles contr ibuent , aux insuffisances des stoc ks matér iels, réels, informat ionne ls et humains, à des degrés divers mais dans tous les pays du monde , y com pris parmi les pays les plus développés comme ceux de l’Union européenne. Cela participe au chômage et aussi à la sous-activité dans tous les pays du monde, y compris avec le chômage massif bien plus important dans les pays de l’union européenne qu’aux Etats-Unis malgré les cascades de dominations. Cela se relie à l’hégémonie politique et culturelle des Etats-Unis à l’échelle de la planète.
Promouvoir une alliance nouvelle
D’où les défis de s’émanciper à la fois de la domination des marchés financiers et aussi de la super domination des Etats-Unis et notamment du dollar, sans pour autant reculer sur les coopérations internationales bien au contraire. D’où l’enjeu crucial, sur lequel je veux insister, d’une alliance nouvelle des pays de l’Union européenne avec les pays émergents et en voie de développement. Au plan écono mique, elle s’app uierait sur des coo pérat ions et un finance ment cherchant à s’émanc iper de la domination des marchés financ iers et du dollar, avant tout grâce à une tout autr e utilisation de l’eur o pour un tout autr e cré dit. Bien sur, si je limite mon propos à insister sur cette autr e utilisation de l’eur o pour un autr e cré dit par tagé en faveur des populations, ce n’est pas du tout la clé unique, même au plan économ ique. Mais c’est un chaînon décisif. Par exemple, une taxe sur les flux internat ionau x de capitaux financ iers comme la taxe Tobin sera it utile, mais elle ne répondra it pas au besoin d’un financement en grande par tie alternat if. Une réduct ion, à plus for te raison une annu lation, des dettes extérieur e des pays en voie de développement sera it très appr éciable, mais cela ne dirait rien des besoins de financements futurs .
Une question crucial e est celle d’une création monétaire pour un autre crédit mais qui soit peu inflationniste. En effet, l’inflation excess ive du cré dit, liée à ses gâchis antér ieurs dans les anciennes construct ions état iques nationales et avec les anciennes techno logies, a contr ibué puissamment dans tous les pays, de la France à l’Argent ine, à la domination des marchés financ iers mond ialisés . C’est pour quoi, cette nou velle créat ion d’eur os sera it à la fois fondée sur des potent iels réels de nom breux pays et d’autr e par t visera it une efficacité sociale des financements . Plus précisément , la créat ion d’eur os par la Banque Centra le Européenne (BCE) permettra it des refinancements de crédits sélectifs des banques ordinaires. Les taux d’intérêt , pour des cré dits à moyen et long terme , sera ient d’autant plus abaissés jus qu’à des taux zéro et même négatifs, avec des sub ventions, que les invest issements ainsi financés programmera ient de l’emploi assoc iés à de la format ion et à des coo pérat ions informat ionne lles pour des par tages des coûts de recherche-développement . Et les taux d’intérêt sera ient au contra ire relevés pour les placements proprement financ iers .
Cela inter viendrait à l’intér ieur de chaque pays eur opéen, mais sur tout entr e pays eur opéens et auss i, et c’est très impor tant , entr e les pays eur opéens et les pays émer gents ou en développement . On visera it à favoriser par tout , avec une autr e coo pérat ion, l’avancée vers ce que nous avons appelé en France un système de Sécur ité d’emploi et de formation, ainsi que vers de nou veaux critèr es de gest ion d’efficacité sociale des entr eprises économ isant les capitaux et favorisant les capacités humaines en coo pérat ion. Ainsi, dans une sor te de plan Mars hall, mais non dominateur , de purs dons en eur os et auss i des prêts sans intérêt de la BCE à des Banques centra les des pays émer gents et en voie de développement permettra ient des refinancements , par ces banques centra les, de cré dits sélectifs longs, à taux très abaissés pour favoriser l’emploi et la format ion ainsi qu’une nou velle coo pérat ion pour l’efficacité sociale. Ils visera ient à favoriser des achats d'équipements de ces pays, notam ment au pays de l’Union eur opéenne , pour la croissance réelle, l’emploi, la format ion des deux côtés . Cela pourra it concerner les pays du sud de la Méditerranée , d’Afrique, de l’Europe de l’Est, d’Amér ique Latine etc .
En même temps ces rappr ochements favorisera ient une action commune , gradue lle mais imméd iate pour commen cer à démocrat iser la direction du FMI afin de l’émanc iper de la domination des Etats -Unis et du dollar, et sur tout pour une nou velle créat ion monéta ire pour le co-développement . Il s’agirait de développer considérablement les droits de tirage spéciaux, pour en faire une véritable monnaie commune mondiale. Ces droits de tirer, par une banque centra le par ticipante , de la monna ie d’une autr e banque centra le pour acheter à son pays sera ient attr ibués en fonct ion des besoins de souten ir l’emploi, la format ion et la coo pérat ion dans tous les pays du monde . Cela se reliera it à la créat ion et à l’utilisat ion de monna ie zonale dans les divers sous-cont inents .
On peut prendre le cas de la crise financ ière et sociale en Argentine dont d’autr es parleront ici. L’Argent ine a été longtemps cons idérée comme un des meilleur élève du FMI. En 1991, il y a été instauré un système de parité fixe où un peso égale un dollar, et où les peso sont créés en fonct ion des réser ves en dollar. Cela visait sur tout l’attract ion des capitaux financ iers , avec la privatisation rad icale du grand secteur public. Ainsi, entr e 1994 et 2001, les invest issements étran gers se sont élevés à 98 milliards de dollars . Les Etats Unis sont en tête , mais, si on ajoute la France et l’Espa gne, à elles deux, elles sont en tête au-dessus des Etats -Unis. Et auss i les riches Argentins ont expor té énormément de dollar aux Etats -Unis (en viron 100 milliards de dollars) .
Au début de décem bre 2001, alors que l’Etat ne peut rembourser les créances de la dette extérieur e énorme arr ivant à échéance sans le sout ien du FMI, celui-ci refuse le verse ment sollicité. Le chômage atte int environ 20%. Les restr ictions de sor tie de liquidités des banques mettent auss i, après les chômeurs sur les routes , les couc hes moyennes dans la rue. Finalement , le morato ire de la dette est décrété , on abandonne l’équivalence du peso et du dollar, tout en disant mettr e en cause le modè le libéra l.
Mais la for te dévaluation du Peso et la crise économ ique entra înent des difficultés et auss i des press ions et des enjeux de relations nou velles pour les entr eprises étran gères industr ielles, de ser vice, de banque, et notamment les es pagnoles et les frança ises qui sont très impor tantes . Ces press ions s’ar ticulent à celles du FMI, contr e les dépenses publiques et en faveur des créanc iers étran gers .
Cependant, quest ions cruc iales dont on parlent peu, la par tie du mou vement politique et sociale la plus avancée se réclame, à sa façon bien sûr, de la proposition que nous avons faite en France d’une Sécur ité d’emploi et de formation. Et le large Front National de Lutte contr e la Pauvreté, avec la CTA, Centra le des tra vailleurs argentins, 2ème centra le syndicale, des organisations politique de gauc he, des assoc iations cultur elles, religieuses … a organisé une consu ltat ion sur une « Seguro de empleo y formac ion » qui a obtenu environ 3 millions de voix en décem bre 2001, plus que tous les par tis de gauc he aux élections.
Toute fois, ces propositions sont de premières avancées , à la fois adaptées aux con ditions nationales mais auss i encor e réductr ices . Il s’agirait d’une sor te de revenu minimum garant i aux chefs de famille (hommes et femmes) et d’une allocat ion pour l’éducat ion des enfants . Et, en outr e, le financement renvoi essent iellement à la fiscalité. En réalité, alors que la quest ion économ ique centra le est celle d’un financement émanc ipé de la dictatur e des marchés financiers et du dollar, il faut relier les objectifs sociaux et les moyens monéta ires. On peut progresser vers la proposition d’ententes nou velles avec les pays de l’Union eur opéenne à par tir d’autr es relations , notamment avec l’Espa gne et la France , tout par ticulièrement pour des aides en eur os de la BCE pour un tout autr e cré dit. Ainsi on pourra it avancer vers une pleine Sécur ité d’emploi et de format ion, c’est à dire avec l’attr ibution non seulement de revenus mais d’activités d’emplois et de format ions , comme cer tains le réclament déjà.
Des actions des tra vailleurs et de leur organisation en France pour d’autr es relations , à par tir de nom breuses entr eprises eur opéennes , frança ises et es pagnoles sur tout mais auss i alleman des etc ., et des organisations de coo pérat ions de luttes et d’échanges d’expériences des deux côtés , pourra ient imméd iatement contr ibuer à des avancées dans ce sens . De même , des aides imméd iates favorisant un nou veau cré dit, pourra ient êtr e réclamées de la par t de la BCE et de la Banque eur opéenne d’invest issement (BEI) à par tir du Parlement eur opéen, des parlements et des gouvernements nationau x , de mob ilisat ions sociales et politiques. On pourra it auss i deman der des aides publiques bilatéra les de la par t de la France et de l’Espa gne notam ment . Cela pourra it inter venir à l’occas ion des rencontr es urgentes pour de nou veaux accor ds de coo pérat ion avec l’Argent ine et le Mercosur , comme auss i avec toute l’Amér ique Latine. Cela pourra it const ituer des avancées pour une autr e construct ion mond iale effect ive, ne négligeant pas le rôle décisif du cré dit comme beaucou p de protestat ions contr e la mond ialisat ion libéra le, aux côtés d’autr es avancées poss ibles vers les pays du Sud et de l’Est de l’Union eur opéenne .