Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Retraites : quelles réformes de progrès et d’efficacité ? quels financements ?

Catherine Mills

Le système de retraites est confronté à des problèmes démographiques réels ( qui se feront jour particulièrement à partir de 2005-2010), mais surtout aux insuffisances de création d’emplois qui minent les recettes. Cependant nous souhaitons montrer que des réformes de progrès et d’efficacité du système de retraites, sont nécessaires et possibles. Il s’agirait d’anticiper le financement des besoins sociaux des retraités tout en contribuant à un processus de sortie de la crise démographique et économique. Ansi la création du système de protection sociale en 1945-1946 avait permis de trouver une issue à la crise de l’entre-deux-guerres.

Pour répondr e aux besoins sociaux, il faut faire preuve « d’audace sociale », non seulement au nom de la just ice sociale, mais pour contr ibuer à l’efficacité économ ique.

Les retra ites sont présentées par les forces libéra les, comme une charge, un boulet pour la société et pour les entr eprises. Alors qu’ar ticulées à une politique familiale dynamique comme à une politique de formation (des jeunes , mais auss i tout au long de la vie), elles contr ibuent au contra ire au développement écono mique et social.

Cependant, il impor te de répondr e à l’am pleur des beso ins, qui vont incontesta blement monter : 800 milliards de francs au moins (120 milliards d’eur os) à dégager d’ici 2040 pour faire face au besoin de finance ment de l’ensem ble des régimes de retra ites .

La quest ion des retra ites est donc celle-ci : quelles réformes de progrès et d’efficacité et avec quels finance ments ?

Des problèmes réels qui ne doivent être ni surestimés, ni sous-estimés

La réalité des problèmes démographiques

  • la par t relative des 60 ans et plus dans la population va monter , elle passera de 24% dans la population tota le aujour d’hui à 36% en 2040 (+50%) ;

  • le rappor t des 60 ans et plus / les 20-60 ans va passer de 0,38 en 2000 à 0,73 en 2040 ;

  • de même, le rappor t retra ités / cotisants doublerait, de 0,4 en 2000 à 0,8 en 2040.

  • La part des prestations vieillesse dans le PIB passera it de 12,6% en 2000 à 16% (+4 points) en 2040, voire à 18,6% (+ 6 points) si l’on rétab lissa it la parité de pouvoir d’ac hat des retra ités par rappor t à celui des actifs.

  • Cependant d’autres facteurs peuvent influer, notamment le relèvement du taux de fécon dité qui assur erait une descen dance finale de deux enfants par femme (pratiquement le seuil de renou vellement des généra tions) ou encor e le recours à une immigrat ion plus for te, qui permet tra ient d’accr oître la population active de demain.

  • La démographie n’intervient pas seule, les variables économiqu es peuvent modifier le nombre des cotisants L’em ploi, la croissance , la productivité du tra vail, les salaires sont au cœur du financement des retra ites . Le taux d’activité et bien sûr le taux d’emploi jouent un rôle cruc ial. On peut ainsi augmenter le taux d’activité des femmes pour le rappr ocher du taux d’activité des hommes .

On peut auss i accr oître le taux d’activité des 55 ans et plus, par ticulièrement en France , et contr ecarr er les gest ions d’entr eprises qui organisent l’éviction des tra vailleurs vieillissants .

Il faut également agir sur le taux de chômage, mais ceci implique des politiques volontar istes et des inter ventions à la racine des gest ions des entreprises.

Une succession de rapports contradictoires :

Le rapport Charpin (1999 )

Ses hypothèses démograph iques ne retiennent pas le relèvement du taux de fécon dité et le vieillissement apparaît incontourna ble et catastr ophique. Les hypothèses économ iques sont tout auss i pess imistes : un taux de chômage d’équilibre à 9% dans le scénar io centra l, un taux de croissance de la production très bas (2% de croissance annue lle moyenne sur toute la période) comme ceux de la productivité du tra vail et des salaires (1,7%) ; la par t des salaires dans la valeur ajoutée ne sera it pas relevée.

Le besoin de financement d’ici 2040 est alors présenté comme insurmon tab le. Il ne sera it pas poss ible d’accroître les prélèvements sur les actifs. La seule solution cons istera it à augmenter la durée de cotisations néces saire (42,5 années pour une retra ite à taux plein). Cet avenir sombr e impliquera it une dégradat ion du pouvoir d’achat relatif des retra ités .

Le plan du Medef « Pour une nouvelle architecture de la Sécurité sociale », dévoilé fin 2001, évoque « un hiver démo graph ique sans pr écédent » en s’app uyant sur les projections du rappor t Charpin et présente l’accr oissement de l’es pérance de vie et de la par t des 60 ans et plus dans la population comme une « catastr ophe nationale ».

Il pr éten d remettr e en cause le financement patr onal aux régimes com plémenta ires si son diktat n’est pas acce pté : accr oître la durée de cotisations requise à 45 ans , prendre comme base de calcul des pensions l’ensem ble de la carr ière (et non plus les 25 meilleur es années) .

En même temps , il palabre sur la retra ite à la car te alors qu’elle ser virait ici à rédu ire les pensions à verser. Il propose la fusion des régimes de base et des régimes com plémenta ires obligatoires en un seul régime par points , avec l’intent ion de mieux dominer la négociation collective et adapter les pensions à la baisse. Il récuse à l’avance toute augmentat ion des cot isat ions pr ésentée comme insurmonta ble. Cette organisation de la réduct ion des pensions publiques de retra ite lui permet évidemment de revendiquer l’instaurat ion de fonds de pension et de régimes par capitalisat ion, en arguant des raisons d’équité par rappor t aux autr es pays eur opéens .

A l’inverse , le rapport Teulade (CES, 2000 ) et le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR décembre 2001 ), conc luent que des act ions réso lues permettra ient de faire face aux difficultés pour préser ver l’avenir des retra ites .

Le rappor t Teulade a été vivement critiqué, les prévisions s’app uyant sur un rappor t précé dent du CES (le rappor t Lebatar d) sera ient fausses car elles envisagent une indexation des retra ites sur les salaires bruts (et non sur les salaires nets ou sur les prix comme aujour d’hui).

Cependant le rappor t du COR tempère lui auss i largement la vision dramatique et fata liste de l’avenir des retra ites… Il est poss ible d’agir sur un cer tain nom bre de variables permet tant de mainten ir et développer la retra ite par répar tition :

  • par l’augmentat ion du taux de fécon dité, par le recours éventue l à l’immigration ;

  • par l’augmentat ion du taux d’activité et la diminution du taux de chômage. Cependant, le taux de chômage limité à 4,5% à par tir de 2010 est assor ti d’hypot hèses discutab les, ainsi le tau x de croissance sera it limité à 1,6% par an à par tir de la même date et celui de la productivité et des salaires également à 1,6%. Le raisonnement majeur repose sur une diminution de la population d’âge actif à par tir de 2010 ;

  • d’autr es variantes envisagent une augmentat ion des taux d’activité et d’emploi, en par ticulier pour les 55 ans et plus, pour les jeunes et pour les femmes ;

  • la poss ibilité de redresser la par t des salaires dans la valeur ajoutée est évoquée.

Le rappor t montr e, à juste titre, que le redressement du rappor t cot isants/r etra ités passe par une politique économ ique volontar iste. Celleci concernera it l’emploi, la format ion, les actions à la racine pour inverser le processus d’éviction des tra vailleurs vieillissants ), la croissance de la production, l’accr oissement de la par t des salaires dans la valeur ajoutée …

Pour quoi parle-t-on si peu de ce rappor t, y com pris parmi ceux qui ont créé le COR ? Sans doute parce qu’il déran ge tous ceux qui veulent intr oduire la capitalisation, même si ce n’était qu’à petites doses .

Les propositions alternatives

Des réformes sont nécessa ires afin de contr ibuer à sor tir de la crise démograph ique et économ ique. Celuici prive le système de retra ites des moyens de financement suffisants pour répondr e aux nou veaux besoins sociaux. A son tour, cette réforme de progrès et d’efficacité du système de retra ite pourra it par ticiper à une nouvelle régulation, à un nou veau développement économ ique et social.

Répondre aux besoins liés à la démographie, mettre en plac e une nouvelle politique de la vieillesse

La par t des 60 ans et plus va effect ivement augmenter , mais l’accr oissement de l’es pérance de vie devrait êtr e cons idéré comme un fait tout à fait positif.

La retra ite, cela ser t à permettr e le rem placement des salariés âgés. Garant ir les retra ites est un objectif moderne et efficace . Cela contr ibue à un développement de la productivité du tra vail, sur tout s’il est ar ticulé à une politique familiale dynamique créant la force de tra vail de demain, à une politique de format ion des jeunes et à une politique de créat ion d’emplois.

Il s’agirait de créer les con ditions pour que les retra ités les plus jeunes puissent mieux inter venir dans la société à tra vers des formu les de solidarité (la format ion, la garde des enfants , etc .). Cela implique de promou voir la prévention de la maladie à tous les âges, cela passe auss i par l’améliorat ion des con ditions de vie et de tra vail.

L’enjeu revient auss i à se donner les moyens de financer le risque dépendance pour les très âgés, en créant en même temps les nou veaux métiers , les nou veaux emplois qui exigent des format ions adaptées.

S’attaquer aux inégalités par rapport à la vieillesse

Il faut revaloriser le pouvoir d’achat des retra ites qui s’est dégradé depuis 1993 et qui se dégradera de plus en plus avec la montée en charge des mesur es de la réforme Veil-Balladur. Il con vient de dire explicitement que l’on doit sor tir de cette réforme afin de rétab lir la parité du pouvoir d’achat des retra ites par rappor t aux actifs.

Des inégalités subs istent en ce qui concerne la mor talité prématurée des adultes, celle-ci restant par ticulièrement élevée chez les ouvriers de sexe mascu lin ; globalement , d’ailleurs les inégalités d’es pérance de vie restent for tes selon les caté gories socio-profess ionne lles.

Sur le point de la durée de cotisations , il faudrait revenir à 37,5 années dans le privé comme c’est encor e le cas dans le secteur public, alors que la droite veut accr oître la durée de cotisations dans le secteur public à 40 ans comme pour le privé. Les pensions les plus basses doivent êtr e revalorisées et le taux de révers ion des pensions élevé de 52% à 62%.

Il con vient auss i de revenir à l’indexation des retra ites sur les salaires (et non sur les prix). Les retra ites doivent êtr e revalorisées et atte indre 75% des salaires des dix meilleur es années (et non d’une moyenne de 25 années de salaire).

Une conception plus souple de l’âge de la retraite cons iste d’abord à remettr e en cause les cou perets du chôma ge et de l’éviction des travailleurs vieillissants à par tir de 55 ans .

Mais c’est auss i la poss ibilité d’avancer l’âge de la retra ite pour ceux qui ont commencé à tra vailler tôt , dès qu’ils ont tota lisé 40 années de cot isat ion avant d’avoir atte int l’âge légal de 60 ans . Cela représente rait un coût de 27 milliards de francs (4 milliards d’eur os) si l’on commen çait à appliquer cette dispos ition pour ceux qui ont connu des métiers pénibles.

Inversement , ceu x qui ont commencé à tra vailler tar d en raison d’étu des longues ou de difficultés d’inser tion, ceux auss i qui ont repris une format ion et entamé une autr e carr ière comme ceux qui ont connu des périodes de chômage prolongé, pourra ient deman der à par tir plus tar d. Des formu les permettra ient de conc ilier dépar t progress if à la retra ite à mi-temps pour le tra vail, mitemps pour la format ion des jeunes et pour le temps libre qui débouc heraient sur le remplacement d’un salarié âgé par l’em bauc he d’un plus jeune .

  1. Une articulation nouvelle entre politique de la vieillesse (sécurité dans la retraite) et sécurité d’emploi et de formation

Il est nécessa ire de rompre avec l’éviction des tra vailleurs vieillissants . Ainsi, quan d ils prennent leur retra ite, les deux tiers des salariés sont déjà sor tis prématurément du monde du tra vail dès 55 ans (préretra ites , dispenses de recherche d’emploi, retra ite ant icipée forcée, chôma ge…). Ceci signifie des cotisations en moins pour le système de retra ite et des presta tions en plus pour le système de protect ion sociale. La France atte int le recor d du plus bas taux d’activité des hommes après 55 ans : 37% seulement . Il est envisageable d’augmenter ce tau x à 50% pour contr ibuer à remonter le taux d’activité global, en même temps que celui des femmes et des jeunes .

Au-delà, cela pose la question de la mise en chantier de la construct ion d’un nouveau système de sécur ité d’emploi et de format ion et de la sécur isation des retra ites de demain par la créat ion des moyens de financement nécessa ires.

Une refonte du financement est indispensable

La par t des prestat ions vieillesse devrait s’accr oître de quatr e à six points du PIB d’ici 2040. Il s’agirait donc de faire face aux nou veaux besoins, en maintenant et en développant le système par répar tition.

Critique de la capitalisation, même« à petite dos e »

Le débat ne se situe pas entr e un fonds de réser ve public (position du PS) et des fonds de pension privés (position de Chirac, de la droite et du Medef).

En ce qui concerne le Fonds de réser ve créé en 1999, le gouvernement socialiste proposait d’abonder ce fonds d’ici 2020 à hauteur de 1 000 milliards de francs (150 milliards d’euros). Cela représentera it 10 points du PIB annue l aux prix d’aujour d’hui, soit encor e pres que une année de presta tions vieillesse , alors que les forces social-libérales jugent imposs ible de dégager les 120 milliards d’eur os pour faire face au besoin de financement des retra ites d’ici 2040 !

Ce Fonds de réser ve est en réalité branc hé sur le « pillage » des excédents des autr es Caisses de la Sécur ité sociale. Il a auss i été évoqué de faire appel aux recettes de privatisations. Il s’agit bien d’un fonds de capitalisation qui dépendra des rendements des mar chés financ iers . Mais, les fonds accumu lés, dans la période de montée en charge, feront défaut aux retra ites par répar tition. On fera ainsi « entr er le loup dans la bergerie » et on tendra à développer la capitalisation qui cann ibalisera la répar tition.

Le président Chirac, le gouvernement Raffarin, les forces libéra les et le Medef préten dent que la répar tition ne peut êtr e sauvée que par l’intr oduction de fonds de pension à la « frança ise ». Or une telle intr oduction minera it au contra ire les bases de notr e système de retra ite par répar tition. Pour notr e par t, nous proposons quelques pistes pour faire face au financement du système de retra ites par répar tition. On peut agir sur un cer tain nom bre de variables qui favorisera ient le nom bre de cotisants et le montant des cotisations :

  • les variables démo graph iques , pour relever le taux de fécon dité et accr oître les cotisants de demain ;

  • les variables économ iques : le taux de croissance de la production et de la productivité du tra vail devrait êtr e accrû . La réduct ion du taux de chôma ge, l’accr oissement du tau x d’activité, le rétab lissement de la par t des salaires dans la valeur ajoutée pourra ient contr ibuer à augmenter les ressour ces .

Une refonte du financement en prise sur le développement de l’emploi, de la croissance , des ressour ces humaines (format ion, salaires, promotion des salariés) est indispen sable. Il s’agit de remettr e en cause la fuite en avant dans les exonérat ions de cot isat ions patr onales cou plée avec l’accr oissement des pr élèvements sur les ména ges. Les exonéra tions de cotisations patr onales tendent à tirer vers le bas l’ensem ble des salaires et à déres ponsa biliser les entr eprises . Elles am putent la Sécur ité sociale de moyens de financement impor tants (120 milliards de francs , soit 18 milliards d’eur os, en 2002).

Il impor te au contra ire de développer le principe d’une ar ticulation entr e le financement de la protect ion sociale et l’entr eprise, lieu de créat ion des richesses . Ceci implique de réformer l’ass iette des cotisations patr onales dont la répar tition actue lle est telle que plus une entr eprise embauc he et accr oît les salaires, plus elle paye de cotisations. Alors qu’une entr eprise qui licenc ie, com prime la par t des salaires dans la valeur ajoutée et fuie dans les placements financiers , paye de moins ne moins de cotisat ions . Ainsi, les entr eprises de main-d’œuvre (notamment le BTP) ont une par t de charges sociales dans la valeur ajoutée qui est plus du double de celle des inst itut ions financières, des banques, des com pagnies d’assurances . Il s’agit donc bien de corr iger ces effets per vers de l’assiette actue lle. L’object if est de brancher le financement de la protect ion sociale sur la croissance réelle, l’emploi, le développement des salaires et de la format ion, afin de garant ir des ressour ces suffisantes pour faire face à la montée de besoins nou veaux.

On pourra it alors modu ler le taux de cotisation en fonct ion d’un rappor t masse salariale / valeur ajoutée , de telle sor te que les entr eprises qui limitent les salaires et licenc ient soient assu jett ies à des taux plus lour ds. Inversement , les entr eprises qui développent les emplois, les salaires, la format ion, sera ient assu jett ies à des taux plus bas. Le but est justement d’inciter au développ ement de la croissance réelle, de l’emploi et des salaires et de dissuader de la course aux licenc iements en liaison avec la recherche exclusive de profits financiers . On pourra it alors inst ituer une contr ibution sur les revenus financiers des entr eprises (qui s’élevaient en 2000 à 400 milliards de francs , soit 60 milliards d’eur os). Ceux-ci échappent à toute contr ibution sociale et se nourr issent de la contract ion des emplois et de la croissance réelle. Une contr ibution de ces revenus financiers au même taux de cotisation que les salaires app or tera it au bas mot, 50 milliards de francs par an (7,5 milliards d’eur os) en ressour ces au système de protect ion sociale.

Conclusion

Alors qu’il est présenté seulement comme une charge, le financement des retra ites est un facteur de développement économ ique et social. La sécur isation des retra ites s’ar ticule à la sécur isation par rappor t à l’emploi et la format ion et par ticipe des chantiers de la construct ion d’un système de sécur ité d’em ploi et de formation. Ÿ

 

Faut-il introduire une « dose de capitalisation »

dans le système de retraites en France ?

L'introduction de la capitalisation s'effectuerait en réalité au prix de la réduction des moyens de financement des retraites obligatoires par répartition, en particulier les régimes complémentaires. Or, ce sont les régimes qui contribuent à assurer aux retraités un taux de remplacement favorable. La capitalisation aggraverait ainsi la crise du financement des retraites par répartition.

La capitalisation implique d’énormes réserves financières. Un régime par capitalisation est ainsi beaucoup plus coûteux en prélèvements qu’un régime par répartition. On peut calculer que pour la montée en charge d’un système par capitalisation, les prélèvements doivent être 3 fois plus importants pour assurer un même niveau de retraite que la répartition. Il y aurait donc des prestations réduites et des prélèvements très lourds, de fait une réduction du pouvoir d'achat des salariés et des retraités, au lieu d'une amélioration comme on le prétend. Cette réduction du pouvoir d'achat des salariés et des retraités déprimerait encore la demande effective, jouerait contre l'emploi et la productivité du travail.

Le rendement des retraites par capitalisation exige des taux d'intérêt réels élevés. Ceci est contradictoire avec un bon fonctionnement de l'économie ; dans une logique keynésienne, ce qui incite un entrepreneur à investir, c'est la comparaison entre l'efficacité marginale du capital et le taux d'intérêt; en d'autres termes, si ces derniers sont lourds, il est plus avantageux à court terme de placer son capital sur les marchés financiers plutôt que de l’investir dans une activité directement productive.

La capitalisation favorise (engendre même) le phénomène de bulle financière – ce qui est amplement démontré aujourd'hui avec les fonds de pension américains donc des risques de krach boursier. Cette enflure financière élargit le fossé entre sphère financière et sphère réelle et contribue à limiter la croissance réelle en déprimant l’incitation à investir dans la production.

Derrière la logique de capitalisation, on fait resurgir le dogme de l'épargne qui fit l'objet dans les années 30 d’un débat fameux entre Keynes et Hayek. Dans la conception néo-classique traditionnelle, l’épargne longue ne peut être en excès, elle finance les investissements, puis les emplois et, à terme, les retraites par capitalisation. Keynes a montré que ce dogme de l’épargne va de pair avec la dépression de la demande effective, de l’incitation à investir. Ce qui tend finalement à « casser » la croissance réelle.

Cette critique reste d'actualité : le dogme de l'épargne que l’on tend à renforcer aujourd'hui se conjugue avec celui de la déflation des salaires, des dépenses sociales et de l'ensemble des dépenses publiques. On tend ainsi à limiter les débouchés et à fragiliser la croissance réelle plutôt que de l'alimenter.

Au contraire, les retraites par répartition contribuent à alimenter directement la demande effective, elles tendent à stimuler la productivité du travail et la compétitivité des entreprises à partir du développement des ressources humaines. En n’intervenant pas sur les marchés financiers, elles font obstacle au développement des bulles spéculatives.

L’idée qui est en train de se faire jour est que l'on peut avoir de bons fonds de pension gérés paritairement avec l'intervention des syndicats, ce qui limiterait les conséquences d'une gestion risquée pour les cotisants. Mais, même gérés paritairement, les fonds de pension creuseraient les inégalités entre entreprises, entre secteurs, en développant une conception extrêmement élitiste et individualisée des retraites et consacreraient alors l'éclatement des solidarités et de l'équité intra et intergénérationnelle.

Aucun garantie n’existe d’une utilisation de ces fonds de pension pour l’emploi, les retraites, la croissance réelle. Au contraire ceci aggraverait tous les risques d’un branchement des fonds de pension aux risques et aux exigences des marchés financiers.

Une génération devrait cotiser deux fois en cas de mixité entre répartition et capitalisation, pour sa propre retraite par capitalisation de demain, mais aussi pour le régime par répartition d'aujourd'hui.

Ce qui entraînerait des prélèvements considérables, alors que dans le même temps les prestations seraient réduites. Ainsi l'introduction de la capitalisation au lieu de sauver les retraites serait un facteur d'aggravation de l'insécurité pour les retraités.

 

 

 

Par Mills Catherine , le 31 March 2002

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